Narhem aidait Dolove. Alors que les autres s’entraînaient, il graissait les lames avec Dolove, les aiguisait et se sentait bien seul lorsque ce dernier partait négocier une faveur aux elfes noirs. Aucun des combattants ne lui adressait plus la parole. Il ne recevait que du mépris. Narhem s’en trouva affaibli. La situation, difficile physiquement, devenue psychologiquement intenable, le rendit nerveux. Il dormit moins, devint irritable, une colère sourde ne le quitta plus.
Il raclait le sol de l’enclos des orcs, perdu dans ses pensées moroses. Frotter le sol pour décrocher la merde devenait une activité capitale, la seule qui lui revenait et dont il pouvait être fier. Quand il avait terminé, la propreté lui revenait de droit, à lui et à Dolove.
Il chassa instinctivement la mouche qui lui chatouillait l’épaule. Mouche ? Non ! C’était autre chose. Narhem tourna le regard et tomba sur les dents d’un orc, à un doigt de son épaule. Sa bave dégoulinait le long de son omoplate. Narhem, accroupi, en tomba au sol de surprise. Allongé sur le dos au sol, Narhem vit le regard de l’orc changer. Ce dernier devint… excité. Narhem venait de se transformer en viande. L’orc se jeta sur lui mais le larbin restait avant tout un combattant. Son poing fracassa la mâchoire de l’orc qui recula en hurlant.
Tous les regards se tournèrent vers Narhem. Plusieurs elfes noirs descendirent dans l’enclos pour prendre soin de l’animal. Dolove et les humains se figèrent de stupeur. Dolove cessa de nettoyer pour rejoindre ses compagnons sur le mur du fond.
Narhem resta au sol, reprenant son souffle, heureux d’être encore en vie. Il n’en revenait pas : il venait d’échapper de peu aux crocs d’un orc. Cette chose comptait vraiment le dévorer vivant ! Narhem détesta un peu plus les orcs.
Un elfe noir se planta devant Narhem et lui lança un regard noir.
- Il a voulu me bouffer ! s’exclama Narhem en ruyem.
Il n’était pas capable de discuter dans la langue de ses bourreaux et ne comptait pas se faire punir sans argumenter.
- Je n’ai fait que me défendre ! continua-t-il.
L’elfe plissa les yeux puis sourit et Narhem sut qu’il venait de commettre une énorme erreur : donner à ses bourreaux la possibilité de s’en prendre à lui. Narhem n’aurait pas été puni de s’être défendu contre l’orc. Parler le ruyem, en revanche, était interdit. Désormais, ils avaient une raison.
L’elfe se tourna vers les hommes de la brigade et s’adressa à eux. Narhem ne comprit pas un mot et le visage de Safry n’indiqua que de l’incompréhension. Dolove hocha la tête puis fit signe à ses compagnons de le suivre. Narhem resta au sol sous le regard transperçant du garde.
Il vit la brigade revenir avec un pilori en bois lourd. Narhem regarda l’objet sans la moindre crainte. Il allait se faire punir mais comptait bien en mettre plein la vue à ses bourreaux. La canne le frapperait mais ils n’obtiendraient rien : ni cri, ni supplique, ni hurlement. Narhem se prépara mentalement à la douleur.
- Debout, ordonna l’elfe noir et Narhem obéit, ce mot faisant partie des rares qu’il comprenait.
Ce fut sans lutter qu’il se laissa attacher au pilori. Un elfe noir se plaça devant lui et s’accroupissant à sa hauteur, lui dit lentement et en articulant afin qu’il soit compris :
- Tu sembles détester les orcs. Eux, t’aiment bien, et vont te le prouver.
Narhem fronça les sourcils. Les orcs allaient lui montrer combien ils l’aimaient ? Il ne comprenait pas ce que cela signifiait. La tête et les poignets enchâssés entre deux billots de bois lourd, Narhem ne pouvait plus voir les orcs, dans son dos. Devant lui se tenait sa brigade dont Bryam qui n’osait pas croiser le regard de Narhem. Ce dernier comprit que c’était son rôle, ce jour-là, de le protéger des orcs. Narhem n’en douta pas : Bryam avait volontairement détourné le regard trop longtemps.
Narhem sentit les mains sales et pleines de griffes d’un orc sur le bas de son dos. Il tenta de le repousser et remua les hanches mais l’orc tint bon et les griffes qui lui lacérèrent le bas du dos forcèrent Narhem à rester en place.
Lorsque ses fesses furent écartées, dévoilant son trou du cul, et que Narhem vit Dolove fermer les yeux, il comprit. Sa résolution de rester impassible et fier dans la punition s’évanouirent. Il hurla, se débattit, cria mais rien n’y fit. Il lui sembla que son anus se déchira sous le mandrin énorme de l’animal puant qui commença des allers et retours dans des grognements de plaisir évident.
Narhem entendait les éclats de rire des elfes noirs. Sa haine augmenta encore d’un cran. Après une éternité, l’orc finit par se retirer. Narhem tremblait. Ses jambes le portaient difficilement.
- Non, gémit Dolove en regardant derrière Narhem.
Son regard était révulsé. Narhem frissonna de plus belle. Lorsque ses fesses furent de nouveau écartées, il comprit : ce ne serait pas un orc mais l’ensemble de l’enclos qui lui passerait dessus. Narhem perdit le contrôle. Il hurla, rua, se débattit, insulta, cria, pleura, supplia, en vain. Narhem perdit la notion du temps, du nombre.
Lorsqu’il fut détaché, il s’écroula au sol, incapable de bouger, le cul défoncé.
- Nettoie l’enclos, cul à orc, ordonna un elfe noir. Grouille-toi, ou ça recommence.
Narhem se leva péniblement sous les rires de ses geôliers. Le pilori avait disparu sans qu’il ne voit la brigade agir. Dolove vint l’aider et ensemble, ils finirent de nettoyer l’enclos. Dolove fit presque tout mais Narhem l’assista comme il put malgré sa souffrance.
Le retour à la hutte fut long mais Dolove resta avec lui, le portant, le soutenant du mieux qu’il pouvait. Il l’aida à se laver puis à se coucher sur sa paillasse. Malgré la douleur, Narhem, épuisé, dormit.
Le réveil fut atroce. Son cul mais également son dos le lançaient méchamment. Il peinait à se tenir debout, ses jambes tremblant à chaque pas. Dolove l’aida à rejoindre la butte d’observation mais Narhem ne regarda pas le combat.
Alors que l’entraînement reprenait dans la hutte, Bryam s’avança vers Narhem, assis à côté de Dolove qui graissait une lame.
- Je désolé, dit Bryam. Pas voulu. Juré. Ma faute. Pardon ?
Pour toute réponse, Bryam reçut un doigt d’honneur. Il hocha la tête et retourna s’entraîner. Dolove s’éloigna pour aller discuter avec les elfes noirs et Narhem se sentit de trop. Après tout, à quoi bon rester là, dans cette hutte, à ne rien faire, à réaliser les corvées. Pouvait-il sortir ? En avait-il le droit ? Si Safry l’en empêchait, Narhem monterait au créneau sans problème.
Il fut dehors sans que personne ne s’y oppose. Narhem avança sur le chemin, entre les huttes, certaines en pierre, d’autres en bois, toujours recouvertes de chaume. Quelques rares habitations avaient un étage. Il n’entra dans aucune maison, se contentant de se promener, repérant son chemin avec précision afin d’être en mesure de revenir à la nuit tombée.
Au loin, il vit ce qui ressemblait à un marché : des passants, des vendeurs, des étals, des cris, des odeurs. Narhem voulut s’approcher mais un raclement de gorge près de lui attira son attention. Un elfe noir le regarda puis désigna le sol. Narhem vit une ligne de pierres noires sur le sol, disparaissant à gauche et à droite entre des habitations.
- Tu n’as pas le droit de dépasser cette ligne, indiqua l’elfe en accompagnant ses propos de gestes clairs permettant à Narhem de saisir malgré son incompréhension exacte des sons prononcés.
- D’accord, répondit Narhem et l’elfe noir, satisfait, s’éloigna.
Narhem observa de là l’animation du marché. Des hommes et des enfants allaient et venaient, leurs provisions portées par des orcs. Certains animaux transportaient même des enfants sur leurs épaules. Narhem comprit que les elfes noirs accordaient une grande confiance à leur animal domestique. Le lien entre les deux était immense.
Narhem suivit la ligne mais le soleil déclinant, Narhem choisit de rentrer prudemment à la hutte. Chaque jour, Narhem continua d’explorer un peu plus les limites du territoire permis. Il trouva la frontière devant la hutte, à gauche et à droite, mais celle derrière lui résistait encore.
Ce jour-là, toutefois, il choisit de se rendre en haut à droite afin de tester les limites de la promenade non surveillée. Après tout, jusque-là, il allait et venait sans restriction. Allait-on l’empêcher d’entrer ?
Il rejoignit la cuisine sans être stoppé. La pièce, nettoyée peu de temps auparavant par ses soins, rayonnait. Cependant, Narhem n’avait jamais emprunté la porte du fond et se demanda ce qu’il y avait, là-bas. Il passa l’encadrement sans recevoir d’interdit. Quelqu’un savait-il qu’il était là ? Probablement pas. Après tout, les elfes noirs ne pouvaient pas passer leur journée à les surveiller. Probablement avaient-ils bien d’autres choses à faire.
Dans le couloir principal de cette grande bâtisse – la plus grande que Narhem ait croisé dans le périmètre permis – il trouva un panier plein de fruits. Il en prit un et, tout en regardant autour de lui, le croqua. Aucune réaction. Il mâcha et avala. Pour la première fois depuis des lunes, il ne mangeait pas les restes des orcs. Ce simple fait lui donna un immense sourire.
Tout en mâchant, Narhem continua l’exploration du bâtiment. Il trouva des réserves de nourriture, de viande séchée et même une glacière pleine.
En écartant un rideau, il se figea, cessant même de mâcher tant la perfection de ce qu’il avait sous les yeux l’ébahissait. Il entra en silence comme si le bruit pouvait déranger ce qui dormait ici. Narhem s’approcha en douceur et caressa la merveille avec une infinie délicatesse, l’écoutant vibrer, respirer. Il tapota le foudre qui devait approximativement faire deux fois sa taille. La résonance lui indiqua qu’il était plein. Combien ce géant pouvait-il contenir ? Narhem en eut le tournis.
Il observa les arceaux sculptés parfaitement ajustés, le bois merveilleusement ciselé et étanche. Il ignorait totalement que les elfes noirs possédaient un tel savoir faire. Les parieurs des combats ne buvaient que de l’eau, portée par les orcs. Narhem pensait que les elfes noirs ignoraient tout de l’alcool.
Après avoir examiné le tonneau, son contenu l’intrigua. Avec quoi les elfes noirs fabriquaient-ils leur alcool ? L’un des nombreux fruits qui poussaient dans les environs, probablement. Narhem avisant qu’aucun verre ou tasse ne se trouvait dans les environs, retourna en cuisine en chercher un puis revint devant le foudre, restant un instant en profonde admiration devant le mastodonte splendide.
Avec une infinie précaution, il tourna le robinet laissant couler un peu de jus gris peu ragoûtant dans le bol en bois. Narhem referma correctement le robinet, s’assurant qu’il soit bien hermétique, puis remua le liquide. Cela ne donnait vraiment pas envie. La couleur, la texture, les reflets sombres, la mixture ressemblait à de la vase.
Narhem renifla le bol. Une forte odeur de poisson envahit ses narines. Du jus de poisson dans un tonneau ? pensa Narhem. Étrange idée. Les elfes noirs avaient-ils réussi à faire fermenter du poisson ? Il sentit de nouveau. Il était tonnelier, pas œnologue, si bien que le fumet ne lui apporta rien de plus.
Avec une moue crispée, il plaça une petite gorgée du liquide gris dans sa bouche. Le goût était fort, puissant, envahissant. Narhem, dont le village se trouvait au milieu des terres, au bord des montagnes, n’avait guère l’habitude de consommer du poisson. Le goût le répugna. Il avala tout de même, ne trouvant nulle part où cracher.
L’effet secondaire le percuta de plein fouet. Une poignée de battements cardiaques après l’ingestion, Narhem fut pris d’un bonheur complet, total, violent, pénétrant. Toute fatigue, toute faim, toute soif, toute douleur disparut. Il se sentit merveilleusement bien. La température extérieure, la sécheresse ambiante, la poussière permanente furent soudain parfaitement tolérables.
Il toucha ses fesses pour constater la disparition des blessures. L’acte ignoble avait laissé des traces. Elles venaient de s’en aller. Narhem sourit pleinement et avala le reste du bol d’une traite en se pinçant le nez. La sensation de bonheur l’envahit de nouveau. Il se tourna vers le tonneau sans ressentir la moindre envie d’en avaler davantage. Il était rassasié, dans tous les sens du terme.
Il sortit de la cuisine pour constater que le soleil déclinait. La fraîcheur de la nuit ne l’affectait pas autant que d’habitude. Il ne ressentit aucune fatigue. Il décida de partir se promener sous les étoiles. Il baguenauda, regardant le ciel, puis des huttes, sans réellement avoir de but mais toujours sans dépasser la limite autorisée. L’absence de lumière ne fut pas un problème car comme les chats, il voyait désormais dans l’obscurité. Au matin, il rejoignit sa brigade à la cuisine.
- Où étais-tu toute la nuit ? l’interrogea Dolove. J’ai eu peur pour toi !
Narhem fixa intensément son compagnon de corvée. Incroyable ! Les sons prenaient sens, comme si son esprit venait de s’éveiller. Les liens se mettaient en place. Les pièces du puzzle s’assemblaient avec facilité.
- Je me suis promené, répondit-il avant d’ouvrir un poisson en deux.
Dolove n’insista pas. Son compagnon avait toutes les raisons du monde d’être taciturne et distant.
- Tu me manques, précisa Dolove. Je me sens seul.
Narhem entendit son compagnon mais choisit de l’ignorer. Il ne comptait pas servir de larbins à des hommes pas foutus de le protéger des orcs. Un peu plus tard, alors qu’il se trouvait devant l’auge presque vide, Narhem se rendit compte qu’il n’avait pas faim. Il prit la nourriture mais la donna discrètement à Dolove, qui, bien que ne comprenant pas, ne se fit pas prier et avala la double ration.
Sous la chaleur écrasante de la sieste, la brigade s’endormit et Narhem retrouva le foudre. La soupe de poisson était vraiment immonde mais Narhem en avala tout de même une bonne lampée et sourit. Pour la première fois, il fut en mesure de vivre malgré les températures brûlantes. Il erra, apprenant plus vite que jamais la carte du quartier des esclaves. Il se repérait aisément. Il trouva d’autres huttes de brigade, celles qu’ils combattaient. Elles étaient disponibles, à portée. Les prisonniers n’avaient juste jamais pris le temps de visiter les lieux pour s’en rendre compte.
Narhem fut rejoint sur la butte d’observation par sa brigade qu’il ne salua pas. Les hommes ne lui accordèrent aucun regard, sauf Dolove qui prit place à côté de lui. Le combat fut inintéressant.
Narhem observa les parieurs. Ils vociféraient, encourageaient leur poulain, échangeaient de l’argent, buvaient de l’eau portée par les orcs, discutaient de la préparation d’une fête ou d’une récolte. Rien de bien passionnant mais Narhem, fourbu de n’avoir pas dormi depuis deux jours, resta sur la butte une fois le combat terminé, sans rejoindre la hutte. Pourquoi faire ? Il ne comptait pas s’entraîner de toute façon.
Personne ne vint le déloger. La liberté offerte aux combattants humains était bien plus grande que Narhem ne l’avait supposé au départ. Il resta sur le tas de terre tandis que la soirée s’annonçait fraîche.
Il dut s’endormir car il fut éveillé par des bruits dans l’arène. Un jeune elfe accompagné d’un orc s’approcha du cadavre du perdant et avec l’aide de l’animal, le déshabilla. Narhem l’observa s’occuper du corps. Il fallait bien que quelqu’un s’en charge. Il retira les protections de cuir, les armes et les donna à l’orc qui fit des allers et retours rapides vers la salle de préparation proche pour tout déposer là-bas.
Lorsque l’homme fut nu, Narhem vit l’enfant toucher l’entrejambe du cadavre et lui retirer sa cage d’acier. Narhem frémit. L’enfant n’avait utilisé que ses mains ! Pas d’outils, pas de clé, juste ses mains ! Quel choc ! La cage était dotée d’un mécanisme d’ouverture que les humains avaient été trop bêtes pour ne jamais chercher.
Cependant, Narhem, trop loin et l’enfant cachant à demi la scène, n’avait pas vu comment activer l’ouverture. Il se rendit à la cuisine, se cacha au fond d’une réserve et passa toute la nuit à chercher, tâtonnant, touchant, caressant, en vain.
Au matin, il était d’une humeur massacrante. Dolove dut le sentir car il ne lui adressa pas la parole et resta à distance. Narhem ne voulait qu’une chose : faire ses corvées le plus vite possible pour pouvoir recommencer à chercher. C’était sa seule obsession.
La rasade quotidienne ingurgitée dans une moue dégoûtée, il retourna s’enterrer dans sa réserve pour continuer ses recherches. Il sortit pour observer un combat, constatant par là-même que Bryam combattait. Il gagna. La brigade fut soulagée. Narhem ne prit pas la peine de le féliciter. Il ne remarqua pas les regards noirs de ses compagnons. Libérer sa queue, voilà tout ce qui importait. Il se cacha près de l’arène pour essayer, encore et encore. Il observa de nouveau le garçon et malgré une grande attention portée à ses gestes, Narhem n’en tira rien. Il posait sa main et la cage s’ouvrait, comme par magie.
Narhem ne lâcha pas l’affaire. Une seule certitude : c’était possible. Il comprenait pourquoi ses compagnons avaient pu croire la chose irréalisable. Mais lui, savait. On pouvait le faire. Il fallait juste… un peu… de patience… et de doigté… et la cage s’ouvrit ! Narhem hurla de joie mais replaça immédiatement la cage pour vérifier qu’elle reprenait bien sa place et se refermait. Qui sait ce que les elfes noirs lui feraient s’ils constataient qu’elle manquait ?
Ouf ! La cage se refermait et s’ouvrait sans difficulté. Narhem s’adossa au mur dans une position confortable et se masturba, encore, et encore, et encore. Il gicla une, deux, trois, quatre, cinq fois. Jamais il n’avait été aussi endurant. Il comprit que la soupe de poisson permettait ce miracle et il en profita pleinement.
Le soleil levant signifiait la fin de ce plaisir nocturne. Narhem se leva, nettoya la réserve puis tenta de remettre la cage. Las ! Sa queue, grosse et dure, ne pouvait plus rentrer. Paniqué, il pensa d’abord à des femmes hideuses. Ses pensées se tournaient vers leurs seins, leur cul, leur con. Narhem secoua la tête puis pensa à sa mère. L’érection augmenta. Narhem gémit. Sa propre mère ? Non !
La panique le saisissait pleinement. Il fallait qu’il trouve un moyen ! Cul à orc ! Voilà la solution ! Il repensa au viol subi au pilori mais sa queue gonfla encore à cette pensée. Narhem tomba à genoux, se sachant perdu. Cette soupe de poisson serait sa perte. Il en avait voulu trop. Le résultat était là. Les elfes allaient lui couper la queue, ça ne faisait aucun doute.
Narhem erra dans le couloir désert qui ne tarderait pas à se remplir des cuisiniers elfiques. En marchant ainsi, il tomba sur la glacière et sourit. Il plaqua son pénis contre l’eau gelée et enfin, elle perdit de volume, diminua, sombra, mourut pour redevenir toute petite, suffisamment pour entrer dans la cage. Narhem se présenta juste à temps pour la cuisine. Le pire venait d’être éviter. À l’avenir, il serait plus prudent et cesserait de se donner du plaisir bien avant le moment fatidique. Il s’était fait trop peur !
Deux jours durant, il ne fit que cela. Enfin rassasié, il sortit de sa torpeur et retrouva le monde réel. Sous les étoiles brillantes, il continua son exploration.
Il tomba, par hasard, sur un elfe noir entouré d’enfants. Il montrait aux jeunes les bases du combat. Narhem s’assit dans un coin et, silencieux, écouta, observa, regarda. Les enfants ne tenaient aucune arme. L’entraînement fut d’abord consacré au placement, à l’évaluation des distances, au regard, à la maîtrise de la respiration, du rythme, à l’anticipation, à la gestion de l’espace et du temps. Narhem, dont la maîtrise de la langue des esclavagistes s’améliorait de jour en jour, comprit, enregistra. Il en apprit davantage en quelques jours avec ce maître d’armes qu’en plusieurs lunes avec Safry.
Narhem avait trouvé un endroit d’où il voyait et entendait les entraînements, tout en pouvant bouger, imiter, reproduire les gestes, s’entraîner, sans être vu. Son corps se modela. Il réalisa sans relâche les exercices demandés par le maître d’arme, revenant chaque soir bien meilleur que la veille.
Enfin, les enfants eurent droit à des bâtons d’entraînement. Narhem en récupéra un dans la salle d’armes de la hutte. Il y en avait une dizaine. Ils étaient là mais Safry n’avait jamais proposé à Narhem de s’en servir, alors même que le maître d’arme elfe noir considérait cela comme la base. Nul ne s’opposa à ce qu’il se serve. Personne ne lui fit de remarque. Il put sortir armé de son bâton et se promener. Il se trouva un coin tranquille où réaliser les gestes proposés par le maître d’armes. Nul ne vint l’embêter.
Le matin, il attendait, comme depuis plusieurs jours, sa brigade devant la cuisine. Dolove vint vers lui pour lui annoncer :
- Safry t’a désigné toi pour combattre aujourd’hui.
Narhem hocha la tête.
- Il a dit qu’il en avait marre d’avoir un boulet dans l’équipe, que tu ne servais à rien, que la brigade se porterait bien mieux sans toi. Ils t’en veulent énormément de ton indifférence envers Bryam lors de son dernier combat.
- Je comprends, répondit Narhem. Ne t’inquiète pas. Ça ne me dérange pas.
Au contraire, Narhem fut excité d’avance. Il allait enfin avoir un adversaire sur lequel mettre à l’épreuve ses connaissances. S’entraîner seul ne lui permettait pas d’appréhender certaines notions.
Il sourit toute la matinée sous les regards noirs de Safry et stupéfaits des autres membres de la brigade. À l’heure de la sieste, Narhem rejoignit la salle de préparation, heureux de se plonger dans un bain savoureux, d’autant plus que protégé des regards indiscrets, il put retirer sa cage d’acier et enfin profiter pleinement du moment. Il ne se masturba cependant pas. Il n’y avait nulle glacière à disposition. Mieux valait ne pas tenter le diable.
Une fois propre et le sexe de nouveau emprisonné, il put choisir ses protections et son armement. Il regarda partout, ne trouvant pas son bonheur.
- Tu cherches quelque chose en particulier ? demanda l’assistant elfe noir.
- Un bâton d’entraînement, indiqua Narhem.
- Tu veux aller dans l’arène avec un bâton ? s’exclama l’elfe. Tu es sûr ?
Narhem hocha la tête. L’elfe haussa les épaules et disparut, pour revenir un peu plus tard avec l’objet demandé. Narhem l’éprouva, s’échauffa puis médita un peu, suivant ainsi les conseils et méthodes du maître d’armes.
Lorsqu’il entra dans l’arène, Narhem était prêt. Les parieurs observèrent le combattant avec méfiance et intérêt. Un bâton ? Quel choix étrange. Narhem salua discrètement Dolove qui semblait au bout de sa vie. Il allait voir mourir son seul ami, il en était certain.
L’autre combattant avait choisi une hallebarde. Narhem replongea dans ses souvenirs pour éveiller les connaissances liées : placement, distance, regard, anticipation, espace, temps. Il accorda son rythme à celui de son adversaire, contrôlant avec soin sa respiration.
Lorsque l’autre attaqua, il évita et le toucha dans le dos du bâton, sans appuyer son geste. La foule rugit. Narhem se replaça. Il ne voulait pas tuer son adversaire trop tôt. Il en avait besoin pour apprendre. Pendant un long moment, Narhem joua avec son adversaire. À de nombreuses reprises, il se fit peur tant la réalité s’éloignait souvent de la théorie mais finalement, Narhem offrit à la foule ce qu’elle réclamait ardemment : la mort. Safry grimaça et la brigade retourna dans sa hutte, tandis que Dolove félicitait chaudement son ami.
Narhem reprit ses entraînements en corrigeant ses mouvements par rapport au combat vécu. Le soir même, il retrouva le maître d’armes qui augmenta la difficulté, proposant des armes plus courtes à certains, plus longues à d’autres, toujours en bois, mais permettant d’appréhender un combat dissymétrique.
Narhem s’entraîna avec rigueur, régularité et acharnement. Ses progrès, nets et visibles, l’encourageaient à continuer. Le manque de partenaire l’handicapait. Il écoutait les conseils, profitant des erreurs des enfants pour apprendre, mais il sentait bien que certains de ses mouvements manquaient de fluidité, de rigueur, de précision. Impossible de se corriger. Il se contentait de persévérer.
Un matin, il fut surpris de rester figé devant le foudre, la main sur le robinet fermé. Il se recula, secoua la tête et repartit sans sa dose quotidienne de soupe de poisson. La journée se passa à merveille. Désormais, il pouvait s’en passer. Il ne ressentit ni la faim, ni la fatigue.
Aux instants les plus chauds, il but de l’eau fraîche et claire et en ressentit un grand bonheur. Sa vision nocturne perdura malgré l’arrêt des prises journalières. Narhem en fut satisfait. Il n’était désormais plus dépendant de la mixture des elfes noirs. Quoi que ce fut, l’effet était maintenant permanent.
Quelques jours plus tard, Dolove lui sauta de nouveau dessus dès l’arrivée à la cuisine pour lui annoncer que Safry l’avait encore désigné pour combattre. Narhem hocha simplement la tête et sourit. Encore une occasion de tester la théorie.
Narhem demanda de nouveau le bâton. Son adversaire l’ayant vu combattre la fois précédente lui donna du fil à retordre. Il ressortit du duel avec quelques blessures, lui prouvant qu’il n’était définitivement pas prêt.
Le maître d’armes passa à la maîtrise du sabre, arme ayant la particularité de n’être tranchante que d’un seul côté. Les répliques en bois proposaient un tranchant coloré vif afin de signifier la différence. Narhem ne trouvant pas l’objet dans la salle d’entraînement, demanda à Dolove de lui en trouver un, ce qu’il fit. Dolove ne cacha pas sa surprise mais ne posa aucune question.
La semaine suivante, il mit ses connaissances à l’épreuve sur le terrain, se choisissant un sabre – un vrai, pas en bois - sous le regard d’un Safry plus dégoûté que jamais et d’un Dolove admiratif.
La lance fut une réelle difficulté et découverte pour Narhem qui hésita longuement avant de finalement la prendre dans l’arène. Il faillit perdre et en conclut que décidément, non, ce n’était pas pour lui.
Cependant, Narhem ressortit du combat avec un énorme sourire. Pendant tout le combat, la foule avait clamé son nom. Certes, il s’agissait de « cul à orc » et non de Narhem, mais peu importait. Aucun esclave n’avait jamais ainsi été désigné nommément par les elfes noirs. Narhem prenait de l’importance. Il devenait populaire et cela lui plut énormément.
Le soir-même, il reprenait ses entraînements sous les conseils du maître d’armes et de ses élèves. Il proposait aux apprentis de passer à la difficulté ultime : bâton et bouclier. Narhem en aurait vomi. Safry n’y connaissait rien. Il avait entraîné Narhem en lui donnant la difficulté la plus haute pour débuter. Incompétent. Narhem comprit que ses échecs étaient avant tout ceux de son instructeur.
Narhem, seul, ne pouvait cependant pas apprendre à parer l’attaque d’un adversaire. Il imita les gestes mais sentit bien qu’il atteignait là un plafond indestructible. Il ne progresserait plus. Il se contenta de réviser les dagues, l’épée, la rapière et le sabre, ses armes préférées.
Les élèves repartirent chez eux et Narhem continua à s’entraîner. Il ne dormait plus depuis longtemps. Il consacrait ses nuits à méditer et à répéter les gestes.
Un violent coup de canne l’envoya au sol.
- Ta position est incorrecte, dit une voix dure que Narhem connaissait bien. Debout.
Narhem se releva le plus vite qu’il puisse et se remit en position.
- Ta jambe droite, plus derrière. Ton épaule gauche, en avant.
Narhem obéit sans dire un mot. Il ne demanda aucune explication au maître d’armes, profitant simplement de l’aide offerte, savourant sa chance inouïe. Le maître d’armes ne le ménagea pas. Ils échangèrent longuement au bâton d’entraînement et Narhem se prit de très nombreux et violents coups, qui le clouèrent parfois de douleur tant le maître d’armes appuyait ses gestes. La nuit était déjà bien avancée lorsque l’elfe noir mit fin à l’échange. Narhem en fut soulagé et pour la première fois depuis des jours, il retourna à la hutte et dormit, exténué.
Le lendemain, Dolove fut surpris mais ravi de constater sa présence. Narhem se sentait merveilleusement bien. Aucune marque n’avait survécu, ne laissant pas deviner les évènements de la nuit.
Les nuits suivantes furent identiques et Narhem monta très rapidement en compétence. Avoir un adversaire et mieux que ça, un mentor personnalisé, lui apportait tellement plus !
Trois jours plus tard, les elfes noirs venaient de nouveau réclamer un nom de combattant. La brigade blêmit. D’habitude, on venait les chercher deux fois par lune, grand maximum. Deux fois en quatre jours, c’était du jamais vu. Narhem, présent depuis qu’il dormait à la hutte suite aux entraînements violents du maître d’armes, entendit Safry le désigner. La brigade baissa les yeux de honte. Safry ne montra pas le moindre remord. Il soutint le regard de Narhem sans difficulté et lui sourit même. Il attendait que Narhem tombe. Il pouvait attendre longtemps.
Les jours se succédèrent. Narhem combattait désormais deux fois par quartier de lune. Parmi les parieurs, le maître d’armes ne sortait pas une pièce. Il regardait et commentait le soir, corrigeant les erreurs, conseillant pour la rencontre suivante. Narhem écoutait avec attention. Il appréciait la ferveur des combats, se faire acclamer, entendre son nom répété.
- Lequel d’entre vous combattra demain ? demanda l’elfe noir.
Safry désigna Narhem. L’elfe noir hocha la tête.
- Connard, dit Narhem en regardant Safry dans les yeux.
- Pardon ? demanda le chef de brigade.
Les insultes ne faisaient pas partie du vocabulaire connu des esclaves. Dolove se permit un petit sourire.
- Lui dire quoi ? demanda Safry à Dolove.
- Il t’a insulté, répondit Dolove mais le chef indiqua qu’il ne comprenait pas. Lui méchant mot toi.
Cette fois, Safry comprit.
- Retire ça, ordonna Safry.
- Sinon quoi ? répliqua Narhem. T’es un lâche, un connard doublé d’un incapable. T’as pas de couille. Tu ne mérites pas d’être chef de brigade.
Safry fronça les sourcils. Narhem ricana.
- Je vais à la cuisine. Ça te permettra de demander la traduction à Dolove. Bon courage, mon ami, dit-il à Dolove.
Ce dernier sourit et Narhem passa devant l’elfe noir qui était resté dans la hutte pour écouter l’échange.
Le lendemain, l’elfe noir était de retour. La brigade n’en revint pas. Un combat avait eu lieu la veille. En demander un aussi vite ne s’était jamais produit.
- Vous réglerez votre différend dans l’arène aujourd’hui, annonça l’elfe noir avant de sortir.
Safry lança un rapide regard à Narhem avant de baisser les yeux et de grimacer. Il partit en cuisine sans dire un mot. Nul ne l’entendit de toute la matinée.
Durant les ablutions après le nettoyage de l’enclos des orcs, Narhem demanda à Dolove :
- Comment Safry est-il devenu chef de brigade ?
- Si j’ai bien compris, Safry a survécu à la destruction de sa brigade.
- Comment ça ?
- Un mec de sa brigade est mort. Le chef de brigade a combattu et perdu. Généralement, la brigade y passe ensuite. Les autres se sont démoralisés mais Safry s’est entraîné, plus que jamais. Safry était celui qui avait combattu le moins souvent. Il fut choisi en dernier. Il n’avait rien mangé depuis une semaine. Il gagna. Puissance, force ou coup de chance, je ne sais pas. Il se retrouva chef de brigade composée seulement de lui. Bryam est arrivé. C’est un ancien maître d’armes.
- Ah bon ? s’étonna Narhem. Mais alors pourquoi c’est Safry qui m’a enseigné le combat et pas Bryam ?
- Bryam a entraîné Safry. Dès que Souleymane s’est pointé, Safry a interdit à Bryam de donner des leçons à qui que ce soit. Souleymane a senti qu’il y avait un secret dont on l’excluait. Il n’en avait cure. Son passé d’assassin lui avait donné suffisamment de compétences pour travailler seul. Bilal et Franck ont été entraînés par Safry. Auraient-ils survécu si Bryam les avait formés ? Peut-être, qu’en sais-je ? Je suis arrivé juste après Franck. Je les ai vus s’entraîner et mourir. Safry ne m’a jamais envoyé combattre, pas une seule fois. Je n’ai jamais réussi à tenir une épée correctement de toute façon.
- Le niveau de l’élève reflète celui du maître, répliqua Narhem. C’est sa propre incompétence que cela montre, pas la tienne.
- Je ne me plains pas, précisa Dolove. Je n’ai aucune envie de me retrouver dans l’arène.
- Ta vie dépend de notre réussite. Ça ne t’embête pas ?
- Jusque-là, pas vraiment. Aujourd’hui, j’ai peur.
- Pourquoi ?
- Parce que tu vas tuer Safry. Notre brigade va perdre un membre. Après-demain, nous ne mangerons pas et tu devras de nouveau combattre, affaibli. Trois combats à la suite !
- Ne t’inquiète pas pour moi. Je vais très bien. Mynard ?
- Sa condition d’esclave a été atroce à accepter pour lui. Tu comprends, il était sur le point de devenir marquis du royaume d’Eoxit. Il a été enlevé tandis qu’il découvrait ses toutes nouvelles terres, durement gagnées à coup de politique et d’intrigues. Mais bon, en ce qui le concerne, pas vraiment besoin d’entraînement. Il l’avait reçu avant.
- Je viens du royaume d’Eoxit, indiqua Narhem.
- Et moi de Falathon.
Narhem sourit. Incroyable que les deux hommes ne se furent jamais dit cela.
- Olivier ? interrogea Narhem.
- Au départ, tout le monde l’a pris pour un imbécile. Il semblait totalement à l’ouest. Il dormait au lieu de s’entraîner et disparaissait la nuit, un peu comme toi. Safry a fini par le désigner en croisant les doigts. Après tout, quiconque arrive ici a déjà tué à plusieurs reprises. Il ne pouvait donc pas être totalement incapable. Le combat à mains nues impressionna tout le monde. Depuis, il a pris sa place dans la brigade et s’entraîne dans la hutte, sans se cacher. J’ignore d’où il vient et où il a appris à se battre ainsi.
- Si je comprends bien, tu as vu Safry se battre en tout et pour tout trois fois depuis ton arrivée à la brigade, pour les morts de Bilal, Franck et Souleymane.
- C’est ça.
- J’ai donc déjà combattu plus que lui.
- J’ignore combien de combats il avait tenu avant, précisa Dolove.
- S’il était le dernier de sa brigade, pas beaucoup, répliqua Narhem.
Dolove acquiesça.
- Je confirme : c’est un lâche qui ne mérite pas sa place.
- Je suis d’accord mais une brigade qui perd un membre prend un énorme risque. Je continue à croire que tu aurais dû attendre que l’elfe noir soit sorti avant d’insulter Safry.
Narhem sourit puis haussa les épaules. Le mal était fait. Trop tard pour revenir en arrière. Se lamenter ou regretter ne changerait rien. Narhem s’éloigna et partit pour la salle de préparation.
Il choisit une épée et deux dagues, la combinaison qu’il préférait par dessus-tout. L’assistant lui apprit qu’en face, il avait demandé une pique. Narhem n’avait pas peur. Il gagnerait et le lendemain aussi. Il sourit. L’excitation monta. Il adorait ressentir ce stress, le coup d’adrénaline, le cœur qui s’emballe.
Il entra dans l’arène sur un geste de l’assistant.
- Cul à orc ! scanda la foule.
Narhem sourit. Son bonheur était total. Safry se tenait devant lui. Le bout de la pique touchait le sol. Il resta immobile malgré le coup de sifflet.
- Bats-toi, lâche ! s’exclama Narhem dans la langue des elfes noirs.
- Pourquoi ? répliqua Safry en ruyem. Qu’ai-je à gagner ? Qu’en ai-je à faire de leur plaire ? À leurs yeux, nous sommes de la merde et encore, elle au moins est utile dans les champs. Tu sembles prendre beaucoup de plaisir à les entendre t’acclamer, cul à orc ! Connaissent-ils seulement ton vrai nom ? Ont-ils pris la peine de te le demander, Narhem ? Non, pour eux, tu es et resteras cul à orc. Un jour, tu mourras dans cette arène sous leurs bravos. Ce sera le meilleur spectacle de la saison pour eux et pour toi ? La gloire t’intéresse ? Elle t’apporte quoi ? Tu te crois supérieur à moi, aux autres ? Tu ne l’es pas. Vas-y, tue-moi. Je ne leur donnerai pas la joie d’un beau combat. Ils peuvent aller se faire foutre. Je suis las, las de choisir le prochain à mourir, las d’avoir peur, las de lutter. C’est avec grand plaisir que je te cède ma place. Bon courage, Narhem.
Safry lâcha son arme. Les elfes noirs huèrent.
- Ils vont tous nous tuer si tu refuses le combat, rappela Narhem en elfe noir avant de répéter sa phrase en ruyem, Safry ne l’ayant pas saisie la première fois.
- Je vais mourir. Votre sort ne m’importe plus. Tue-moi. Qu’on en finisse !
- Bats-toi ! gronda Narhem.
- Non, répondit Safry.
Narhem sourit. Il rengaina ses lames sous le regard ahuri de Safry. La foule se tut. Les elfes noirs tentaient probablement de déterminer comment forcer ces deux récalcitrants à se battre. Narhem se dirigea vers un garde.
- J’ai changé d’avis. Un bâton d’entraînement s’il vous plaît.
Le garde hocha la tête puis s’éloigna. La foule attendit, curieuse, le retour de leur comparse. Narhem, armé de son bâton, retourna vers Safry.
- Peu m’importe ton arme, indiqua-t-il.
- Sans aucun doute, répliqua Narhem en ruyem. Je paris sur le fait qu’ils s’en foutent que quelqu’un refuse le combat. Ils veulent juste un beau spectacle.
Sans laisser à Safry le temps de répondre, il frappa son bras gauche, lui brisant l’os. Safry hurla en tombant à genoux. Narhem arma et frappa de nouveau. Cette fois, l’avant-bras fut brisé. La foule hurla de joie.
- Sais-tu combien il y a d’os dans ton corps ? demanda Narhem. Tu vas bientôt le découvrir.
Le poignet explosa puis vint la main, doigt après doigt, Narhem frappa avec une précision millimétrée.
- Tue-moi ! ordonna Safry. Cesse cette torture.
La foule hurlait à chaque os brisé. Les rires éclataient de partout.
- Tue-moi ! hurla Safry.
- Je ne suis pas un lâche.
« Plus aujourd’hui », pensa Narhem avant de continuer :
- Prends ton arme et bats-toi ! Ce n’est qu’à cette condition que je t’accorderai ce que tu demandes.
Safry leva les yeux sur son tortionnaire et dans ses yeux, il dut lire sa détermination car il hocha la tête.
- Donne-moi ton épée. Je ne peux pas manier ma pique à une seule main, indiqua Safry.
Narhem sortit son arme et la tendit à Safry. Il avait prévu que son chef de brigade en profiterait pour la lui enfoncer dans le ventre. Narhem para aisément puis enficha une de ses dagues dans la gorge de Safry, lui offrant la mort rapide désirée. Tandis que le sang de Safry rougissait la terre, Narhem s’accroupit près de lui et chuchota sous les hourras de la foule en délire :
- La gloire est agréable mais elle n’est certainement pas mon objectif final. Je vise bien plus haut. Je ne resterai pas esclave jusqu’à en mourir, tu peux me croire.
Narhem se releva et rendit ses armes à l’assistant avant d’aller retirer ses protections en salle de préparation. Il rejoignit ensuite la hutte de la brigade. Un elfe noir l’y attendait.
- Cul à orc est désormais votre chef de brigade.
L’elfe disparut à ces mots. Narhem observa ses quatre compagnons et annonça :
- Aucun de vous ne combattra plus jamais, sauf s’il en exprime la volonté.
Narhem commença à partir.
- Acceptes-tu de nous enseigner l’art du combat ? demanda Dolove.
- Non, répondit Narhem. Je suis moi-même en apprentissage. Je ne suis pas capable d’offrir cela à quiconque pour le moment. En revanche, si Bryam souhaite le faire, je lui en donne l’autorisation.
À ces mots, Narhem s’éloigna pour aller s’entraîner loin des regards indiscrets.
Alors que, fourbu par un entraînement aussi rude et intense que d’habitude, Narhem se dirigeait vers la hutte et un repos bien mérité après une longue journée, Dolove apparut devant lui.
- Comment tu as fait pour qu’il t’enseigne ?
- Je n’ai rien fait, grogna Narhem, peu désireux d’être dérangé. C’est lui qui est venu à moi.
- Un maître d’armes elfe noir te forme ! Pas étonnant que tu gagnes aussi aisément.
- Il me démonte, répliqua Narhem. Je n’ai jamais réussi ne serait-ce qu’à l’effleurer !
- Ton but est de les vaincre, eux ? Narhem… Tu vas droit dans le mur. C’est impossible.
- Selon qui ? Quelqu’un a-t-il déjà essayé ? Tu connais les lois des elfes noirs ?
- Non, reconnut Dolove. Quel rapport ?
- Le maître d’armes n’a de cesse de le répéter à ses élèves : souvenez-vous que le moyen le plus simple d’obtenir un haut poste est d’assassiner son détenteur. Chez eux, le meurtre offre la promotion.
- Tu veux tuer l’un d’eux et prendre sa place ? Tu es malade. Jamais un humain…
- Je ne finirai pas ma vie esclave dans ce pays pourri à mourir pour le plaisir de ces connards. Maintenant, excuse-moi. J’ai besoin de dormir. Je combats de nouveau demain.
Narhem rejoignit sa couche et s’endormit instantanément. Le lendemain, en cuisine, les règles changèrent. Désormais, on viderait les entrailles à tour de rôle, Narhem y compris. On nettoierait ensuite l’enclos à tour de rôle, Narhem y compris. La brigade apprécia l’équité et la justice dans cette décision. Nul ne regretta Safry. Narhem remporta le combat et le nouveau chef de brigade tint parole : il ne désigna plus que lui pour combattre.
Un jour que l’entraînement avec le maître d’armes fut bien plus dur et douloureux que d’habitude, Narhem rentra plus tôt à la hutte et entendit ainsi des échanges murmurés en ruyem entre les hommes de sa brigade. Narhem entra en trombe dans le dortoir.
- Vous voulez faire quoi ? gronda Narhem en usant de la langue des elfes noirs.
- Nos compagnons ne comprennent pas assez cette langue pour pouvoir en user, indiqua Dolove en chuchotant en ruyem. Je t’en prie, viens.
- Je vous ai entendu de l’extérieur, répliqua Narhem en continuant à utiliser l’elfe noir. Nul doute que eux aussi.
- Nous échangeons ainsi depuis des jours sans être inquiétés, répliqua Dolove en utilisant l’elfe noir.
Narhem secoua la tête et laissa tomber pour le moment.
- Et donc, vous voulez fuir ?
- Grâce à toi, nous mangeons, nous dormons tout notre saoul, sans avoir peur, sans être inquiétés, sans combattre. Bryam nous forme. Nous sommes en pleine forme. Nous ne comptons pas non plus mourir en esclave. C’est le meilleur moment.
- Pour mourir ? demanda Narhem.
- Pour fuir, répéta Dolove.
- Tu veux dire sortir... de la hutte ?
- Non, sortir d’ici. Rentrer chez moi, indiqua Dolove ahuri.
Narhem soupira et respira, usant de la méditation elfe noir pour garder son calme.
- Où est ici ? Tu peux me le dire ? Où sommes-nous ? Dans un village ? Une ville ? Une petite ville ? Une grande ville ?
- Je ne sais pas, admit Dolove. Et je m’en fous. Je me casse, c’est tout.
- Donc, tu sors de la hutte et tu passes la ligne interdite.
- Quelle ligne ? demanda Dolove.
- Celle que les esclaves n’ont pas le droit de franchir.
- Il y a une ligne ? s’étonna Dolove.
Narhem soupira et dut de nouveau user de tout le travail sur la respiration apprise auprès de son maître d’armes pour rester serein et détendu.
- Admettons que tu atteignes la ligne. Un elfe noir t’empêchera de la passer.
- Je ne serai pas seul. Nous serons tous là. Il ne fera pas le poids.
Narhem cligna plusieurs fois des yeux. Il semblait le penser sincèrement.
- Venez, tous, dit Narhem et la brigade le suivit dans la pièce centrale.
Narhem prit en main un bâton d’entraînement et en tendit trois autres à Mynard, Bryam et Dolove.
- Olivier, j’ai supposé que tu préférais faire sans.
Olivier grimaça.
- Pas arme. Main. D’accord ? dit Narhem en articulant bien.
Olivier sourit et hocha la tête.
- Si un seul d’entre vous parvient à me toucher avec son bâton, je vous aide à vous évader. Sinon, je vous dénonce. Dolove, traduis-leur en termes simples, ça me gonfle de le faire.
- Narhem, je t’en prie…
- Tu viens de me dire que le premier elfe noir qui se présentera ne posera pas problème parce que vous serez un groupe contre un homme seul. Je pense que tu as tort de considérer qu’une personne seule contre quatre perd forcément. Prouve-moi le contraire.
Dolove blêmit puis traduisit doucement pour ses compagnons qui hochèrent la tête un par un. Ils se mirent en position autour de Narhem. Quelques tours de moulin plus tard, la brigade gisait sur le sol, recouverte d’ecchymoses et souffrant de nombreuses côtes cassées.
- Vous ne tenterez rien, c’est clair ? ordonna Narhem et les hommes gémirent en retour.
Le lendemain matin, un elfe noir vint annoncer un combat pour la brigade ce jour. Narhem en profita pour s’adresser à l’elfe noir :
- Mes hommes ont utilisé la langue des hommes à de nombreuses reprises afin de planifier une évasion.
- Nous considérons la branlée que tu leur as mis hier soir comme une punition suffisante, indiqua l’elfe noir avant de sortir en souriant pleinement.
Dolove blêmit.
- Rien ne leur échappe jamais, conclut Narhem avant de partir vers la cuisine, sa brigade claudicante sur les talons.
Pendant qu’ils cuisinaient, Dolove en profita pour discuter.
- Pardon d’avoir imaginé pouvoir vaincre l’un d’eux, mais n’est-ce pas ce que tu espères toi-même ?
- Imaginons… Je deviens capable d’en battre un. Je vous l’enseigne. Nous sortons de la zone limitée. Nous tuons tous les elfes noirs sur notre passage.
Dolove sourit.
- Et après ? demanda Narhem.
- On rentre chez nous ! s’exclama Dolove.
- Nous sommes en plein milieu d’un désert ! répliqua Narhem. As-tu une idée de l’emplacement des puits ?
- Non, admit Dolove. J’emporterai de l’eau !
- Assez d’eau pour traverser le désert en marchant au hasard ? Tu peux errer des lunes sans trouver la sortie. Ne sois pas ridicule.
- Alors je vais utiliser la rivière, indiqua Dolove. Il y a de l’eau ici, beaucoup. Bien qu’étant en plein désert, nous pouvons prendre des bains avec de l’eau et son utilisation ne semble pas du tout restreinte. Je trouve la rivière, je prends un bateau et je rejoins l’océan.
- C’est la première réponse intelligente que j’entends, indiqua Narhem. Néanmoins…
Narhem se tourna vers le garde le plus proche.
- Y a-t-il une rivière dans le coin ?
- Non, répondit l’elfe noir. Nous sommes dans un oasis. L’eau provient d’en bas et remonte mais ne va nulle part. Il y a juste un énorme lac qui diminue en saison sèche et se gorge à la saison des pluies. Il y a des rivières dans notre pays, mais pas ici, pas au beau milieu du désert.
Narhem se tourna vers Dolove. Ce dernier était dépité.
- Alors je mourrai esclave, en conclut Dolove.
Narhem sourit. Il ne comptait certainement pas finir ainsi. Cela demanderait des efforts, de la concentration, de la persévérance mais bientôt, il quitterait cet endroit et ils payeraient, tous.
Hello !
Aaah, la découverte du Fenshy ! J'avoue que je l'attendais impatiemment depuis la confrontation d'Elian avec les anciens de Dalak.
C'est bien Narhem ! Un peu de détermination, tu verras ça change tout !
"Narhem avisant qu’aucun verre ou tasse ne se trouvait dans les environs, retourna en cuisine en chercher un puis revint devant le foudre, restant un instant en profonde admiration devant le mastodonte splendide." => peut-être rajouter une petite phrase du genre " le foudre le dépassait de deux bonnes têtes. Narhem, en bon tonnelier, savait reconnaître une oeuvre d'art quand il en voyait une : il avait sous les yeux une merveille " perso, ça nous ferait comprendre que les elfes noirs sont vraiment des artisans de génie ( ce qui est dit par la suite ), et, toujours perso, ça nous ancrerait un peu plus dans l'univers de Narhem.
C'est ma seule petite remarque du chapitre, et encore, c'est juste une suggestion. Voilà, rendez-vous au prochain chapitre !
Tu t'éparpilles ma chère. Un peu à droite, un peu à gauche ;)
J'ai rajouté une indication de taille dans le paragraphe commençant par "En écartant un rideau" mais je n'ai rien rajouter de plus. Je trouve qu'on ressent déjà bien à quel point la présence du tonneau est surprenante et que Narhem, pourtant tonnelier, tombe en pâmoison devant.
Merci beaucoup pour ton commentaire et bonne lecture (même si je suis bien incapable de dire lequel de mes romans tu vas lire ensuite) !
J'aime beaucoup le fait que les humains soient tellement terrifiés par les elfes noirs qu'ils s'imposent des règles qui ne leur sont même pas imposées. L'épisode de la masturbation m'a fait rire aussi. La soupe de poisson, au début je pensais que c'était une drogue et qu'il allait avoir des effets négatifs, mais visiblement tout se passe très bien ? Ça semble trop beau pour être vrai, mais en même temps c'est cohérent avec le scénario de "les humains n'ont pas osé faire autre chose que ce qu'on leur dit de faire et tant pis pour eux". Idem pour le coup de "mais en fait c'est pas moi qui suis nul, c'est juste mon prof qui sait pas enseigner" et Narhem qui devient un as au combat et en langue elfique en deux temps trois mouvements.
Par contre, sachant qu'il y a un mort tous les soirs, il doit y avoir assez souvent des brigades qui se font exterminer, non ? Et d'ailleurs le taux de mortalité dans leur brigade à eux est étonnamment faible, si on sait que chaque combattant a en moyenne une chance sur deux de mourir à chaque combat. Ils sont une excellente brigade, ou alors ils combattent parfois des gens qui viennent d'ailleurs ?
J'ai essayé de me mettre dans la peau d'un mec (et entre la barbe et la bite, honnêtement, ça n'a pas été simple pour moi) alors je suis contente si ça rend bien.
La soupe de poisson reviendra, ne t'inquiète pas. Tout sera étoffé en temps voulu. De petits éléments, donnés au compte-goutte, qui formeront un tout cohérent ensuite.
Oui, les prisonniers sont tellement flippés qu'ils n'osent pas faire un pas alors qu'en vrai, ils pourraient se déplacer beaucoup plus.
Pour le prof qui est nul, je me suis faite accompagnée d'un escrimeur médiéval. Il m'a conseillé et corrigé. J'ai aussi regardé des vidéos et lu des articles. Si le lecteur s'y connait en escrime médiévale, il se rendra compte par lui-même que l'instruction de Safry est vraiment naze. Et ceux qui (comme moi) ne savent pas apprennent quelque chose ;)
Par contre, je ne connais pas d'archer, d'où mon incapacité à décrire correctement une "vraie" épreuve d'archerie pour le concours avec Elian. Je regarde souvent des vidéos et j'essaye de m'instruire, histoire de trouver des idées mais jusque-là, en vain...
Avec un bon prof et une soupe de poisson miraculeuse, tout va beaucoup mieux ;)
Beaucoup de brigades se font exterminer. Le nombre de morts est hallucinant mais là encore, ça va revenir plus tard (par contre, beaucoup plus tard, il va falloir s'armer de patience). Le taux de mortalité n'est pas spécialement faible. C'est juste qu'il y a beaucoup de brigades et pour peu que l'une d'entre elles se fasse exterminer, ça veut dire que pendant 6 jours, c'est elle qui morfle (et donc, pas les autres). Les brigades exterminées se font remplacer par des mecs nouveaux, peu expérimentés et qui crèvent rapidement, offrant la vie aux anciens. Le fait est que Narhem a intégré une équipe d'experts. Entre un ancien maître d'armes, un noble formé, un assassin et un genre de ninja, il est très chanceux d'intégrer une aussi brillante brigade.
J'espère que l'univers de Bintou te plaira, très différent des deux précédents.
Bonne lecture !
C'est chouette pour l'escrime médiévale !
Et pour la description des caractéristiques masculines, eh bien je ne sais pas plus que toi ce que ça fait d'avoir "la barbe et la bite", mais pour ce que j'en sais c'est drôle. (Ça fait un peu "mec obnubilé par ça" mais pas trop non plus.)
J'ai remarqué quelque chose qui me semble être une incohérence :
- Tu n’as pas le droit de dépasser cette ligne, indiqua l’elfe.
- D’accord, répondit Narhem et l’elfe noir, satisfait, s’éloigna.
Sauf qu'à ce moment-là, Narhem ne parle pas encore amhric, donc il ne devrait pas comprendre ce que dit l'elfe noir ?
J'ai rajouté une ligne d'explication. Merci pour ton oeil acéré :)