Chapitre 5 : Prétendre

    “Bah alors, on se dégonfle ?”

Pétrifiée sur place, Ariane pressa Maï Rose pour qu’elle recule de cette folle sans le moindre esprit logique. Sofia jongla avec l’épée, l’attrapant par la lame et la tendit à son adversaire par le pommeau, souriant de toutes ses dents.
Froidement, la jeune fille dévia l’épée de sa direction d’une main, elle n’était pas là pour se battre, pas avec une sanguinaire folle en tout cas.

    “Allez, tu ne vas pas te défiler devant tes amies ?”

Amies ? Se manqua de pester Ariane. Maï est la seule à mériter ce titre ici. 
Ce n’était pas la provocation qui allait la faire craquer, mais cette fille avait l’air bien déterminée à lui pourrir sa vie déjà bien mouvementée. Ariane lança un regard derrière elle. Maï Rose n’avait l’air pas du tout emballée par l’idée, lui adressant un regard inquiet. 
Un sentiment sourd lui faisait un grondement au cœur, ce n’était pas de la peur, mais de l’agacement.

    “D’accord.” 

Ariane empoigna le manche de l’épée et scruta quel genre d’arme on avait bien pu lui donner. À première vue, ce n’était qu’une petite arme usée, plus petite que ses épées de compétition à elle. Son poids n’avait par contre rien à voir, bien plus lourde, son bras pouvait sentir que le maniement de cette rapière allait devoir se faire avec fourberie.

   “Ariane t’es pas sérieuse ? s'étrangla Maï Rose en tirant sa manche. C’est une vraie arme !”

Oh mais je le sais, ça. Répondit l’escrimeuse intérieurement en agitant l'arme avec précaution. Au moins, elle avait le mérite d'être facile à utiliser.

   “Je ne vais pas la tuer non plus ! Ria Sofia en se reculant, la mine innocente. J’ai les capacités d’un enfant de 10 ans !

Pas que les capacités on dirait…” Murmura Aude, le nez dans son livre.

Maï Rose lança un regard désabusé à Aude, tapotant ses mains entre elles avant de tirer le bras d’Ariane.

    “Quand je disais aux autres qu’elle savait se battre, ce n’était pas pour que vous l’embarquiez dans vos combats-

  - Elle n'aura rien ! Renchérit la folle en agitant l'épée à son tour. J'y veillerais personnellement- 

  - C'est bon Maï, je gère.''

Ariane se décala de quelques pas, s'éloignant des deux innocentes. Elle avait un plan d'attaque, il était parfait et c'était le meilleur moyen de s'en sortir, sur le long terme.

Sofia sautillait de joie, balançant d'un pied à l'autre sans se soucier du danger que représentait de telles lames. Aude semblait d’ailleurs regarder la fille avec un mauvais œil.

C'est presque trop facile… Le plus dur restera de ne pas se blesser…

Ariane serra le manche de son arme, prenant une position bien trop familière. Le buste droit, les pieds placés perpendiculairement, les épaules effacées, pour laisser le moins de possibilité à l'ennemi de la toucher. La jeune fille mit son bras gauche derrière elle et pointa l’arme en direction de la main de son adversaire.

    “Oh - Oh ! Tu sais, ta position est trop- Tendue, tu ne veux pas laisser tomber toutes ces politesses et traditions !”

Ariane fit mine de ne rien entendre et se concentra sur son adversaire, et comment elle allait faire pour mettre son plan à exécution. Cette folle n’avait aucune technique, aucune vigilence, et pourtant, elle faisait tournoyer l’arme sans se blesser.

Une grande maîtrise mais ce n’est qu’une imbécile.

Si elle le voulait, Ariane pouvait se venger ici et maintenant de la chute mortelle que lui avait fait entreprendre la folle, mais ce serait contre son plan. Elle prit finalement la parole, disant haut et fort :

  “Allez !” 

Ariane fit filer son arme vers Sofia, celle-ci, prise sur le court, eut à peine le temps de reculer ce qui la fit rire de plus belle.

  “Mais c’est qu’elle est agressive cette petite !”

On a que quelques centimètres d’écart ! Pesta Ariane en lui redonnant un coup. Visant sa main droite qui était armée, son but n’était pas de blesser, mais de déclencher une riposte.
Et elle ne se fit pas attendre, Sofia dévia sa lame, toute sourire, et riposta immédiatement, donnant un grand coup dans son épée.

Maintenant !

Ariane lâcha l’arme.

L’épée vient s'écraser sur le sol plus loin dans un fracas de fer contre la terre. Ariane se tenait là, immobile, avant de se redresser et contempler la réaction de son adversaire. Sofia était abasourdie, constatant sa victoire avec amertume.

  “Qu’est ce que c’est ça ? Je croyais que tu savais te battre

  - Je n’ai jamais dit que j’étais douée, et ta parade circulaire était très bien réalisée je n’ai rien vu venir.”

Ariane avait répondu avec un ton monotone. Combien de fois avait-elle dû pratiquer le discours pour féliciter ses adversaires sans leur cracher dessus ? Personne ne veut se battre avec quelqu’un qui gagne tout le temps et vous humilie ensuite en vous montrant toutes vos erreurs.
Il faut savoir chercher la qualité de leur jeu de lame. Ce qui n’était pas une affaire facile pour certains.
Mais ce coup là, elle l’avait fait exprès. À quoi bon montrer ses qualités d’escrimeuse si c’était pour finir sur un champ de bataille, devant des adversaires compétents ou bien restreinte parce que dangereuse ?
Ariane se leva et alla ramasser l’épée salie de poussière. Dommage, elle aurait bien voulu tester de vraies lames de guerre mais…

Il n’y avait que des bénéfices à prétendre qu’elle n’était bonne à rien.

En se retournant son cœur ne fit qu’un bond. Devant elle Sofia brandissait son épée au-dessus de Maï Rose, menaçant de la trancher de part en part. 

C'est pas vrai !!

Son sang ne lui fit qu’un tour et Ariane se plaçait déjà entre les deux, parant le coup puissant de la folle avant que la lame ne s'abbatte sa meilleure amie. 

Les bras tremblant sous le poids, elle leva une jambe pour donner un grand coup au ventre de son adversaire, la forçant à reculer.
Sofia éclata de rire, se tenant le ventre de la main gauche. 

    “Bah voilà ! C’est comme ça qu’on se bat ! Tu te défonces !”

Ariane vit rouge, s’avançant d’un pas pour aller donner une leçon à cette dégénérée, mais elle sentit que son t-shirt était retenu par quelque chose.

    “Laisse tomber Ariane… Murmura Maï Rose, pétrifiée et agrippant le haut de son amie. Il lui manque des cases, restons-en là…

  - Elle a failli te tuer ! S’entêta-t-elle, gardant son épée en direction du danger. Je ne la laisserai pas faire !

  - Ce n’était que de la provocation, tu ne vois pas comment ça l’amuse…?”

Non, Ariane n’avait pas vu, mais si Maï Rose ne voulait plus qu’elle se batte, c’est ce qu’elle fera. Aude claqua son livre et leva les yeux vers les deux épéistes, exaspérée.

    “Arrêtez de vous battre, on a pas besoin de ça ici. Vous vous comportez comme des enfants.”

De quoi elle se mêle ? Grinça Ariane.

    “Oh, ce n’était rien voyons ! S’exclama Sofia en réarrangeant ses cheveux bouclés, puis elle se tourna vers les maisons. Mais je dois y aller ! Gardez l’épée, c’est cadeau !”

Sans demander son reste, elle repartit de là où elle était venue. Ariane ne put s’empêcher de noter dans quelle maison elle se faufilait.

    “Ariane ! À quoi tu jouais ? S’exclama Maï Rose, toute pâle. Pourquoi tu as fait semblant de perdre ?

  - Parce que c’est ça qui t’inquiète le plus ? Gronda Aude. Tu viens d’échapper à la mort. 

  - Mais ! Pas du tout, c’était pour de faux, elle ne voulait pas vraiment me blesser-”

Ariane soupira longuement, les mains tremblantes. L’épée qu’elle tenait semblait à présent peser une tonne, mais elle tient bon, si cet autre monde était rempli de fous comme elle, autant être préparée, armée et sur ses gardes.

“Tu ne comptes pas garder ça ?  Jugea Aude en lui montrant l’arme.

  - Ils en ont tous ici, alors, pourquoi pas ? Tenta de défendre Maï Rose. Peut-être qu’il y en aura moins qui chercheront les ennuis.”

Pas question d'abandonner leur seule protection dans ce monde de dégénérés. 

    “Et ça va les rendre méfiants surtout, des intruses qui se baladent avec une arme… fit remarquer Aude.

Ils portent quasiment tous une arme, ça ne devrait pas leur changer grand chose-

  - Où est-ce qu'on mange ?” Coupa Ariane, son ventre criant famine.

Maï Rose et Aude échangèrent un regard, Ariane n’en avait clairement rien à faire de leur avis, elle allait garder cette arme peu importe ce que les autres disaient. Et il était midi pile, il était donc normal de manger.
Maï Rose tapota ses propres joues et se remit bien droite.

    “Dans une grande maison plus loin, c’est un genre de réfectoire où tout le monde mange…

  - Allons-y alors." 

Ariane ouvrit la voie à sa meilleure amie, qui regarda son épée avec anxiété. Maï Rose détacha quelque chose à sa taille, une ceinture, avec un fourreau vide cousu.

    “Tient, tu auras l’air moins dangereuse si tu ne l’a pas à la main…”

Ariane soupira mais récupéra volontier la ceinture, l’accrochant à elle et glissant l’épée dans le fourreau, les deux correspondaient parfaitement. Les deux mains libres, elle pouvait à présent tendre une main vers Maï Rose pour récupérer la sienne, cette dernière se laissant faire.

    “Tu me montres où c’est ?

  - Bien sûr. soupira Maï Rose de soulagement, avant de se tourner vers Aude. Tu viens avec nous ?

Cela ne va pas être possible… Répondit la jeune fille blonde. Je n'ai pas fini ce livre.

  - Tu n'as pas peur de rester seule…?''

Aude marqua une courte pause, puis ouvrit son livre sur les écritures indéchiffrables avec lassitude. 

''Aucunement. Ces gens nous gardent en vie depuis 2 jours, ce serait dommage de nous tuer maintenant…''

Maï Rose finit par se résoudre à abandonner la norvégienne à son sort, tirant Ariane à travers le village silencieux par la main.

''On ne peut pas dire qu'elle ait tort, ils ont été très amicaux jusqu'ici…

  - Tu veux dire, avant que ‘Sofia’ essaie de nous tuer ?

  - … Désolée…”

Une question brûla soudainement les lèvres d'Ariane, les anges.

  ''Est ce que tu as recroisé ceux qui nous ont sortis de ces cages ?

  - Eléo et Mike ? répondit - elle sans réfléchir. Oui, on devrait les croiser en allant manger…

  - A qui tu as raconté nos vies ?

Maï Rose se retourna avec un air choqué, s'arrêtant même de marcher.

  ''Juste à eux, je ne sais pas comment Sofia l'a su, je ne lui avais quasiment pas parlé avant !

  - Les gens parlent entre eux Maï, qu'est ce que tu leur as dit ?

  - Que, Elle gronda tout bas. Qu'on venait d'un collège de la Terre et ce qui s'est passé. Mais c'est eux qui ont demandé si on savait se battre-

  - Et tu as répondu que, moi je savais ?''

Maï Rose baissa la tête, cherchant visiblement ses mots, et serrant la main d'Ariane qu'elle tenait toujours.

  ''Je suis désolée… Je ne savais pas quoi répondre d'autre et je ne pensais pas que ca t'apporterai des problèmes…''

Après un long silence, Maï Rose releva la tête, dévisageant Ariane, non pas par crainte mais pour savoir si elle devait s'excuser davantage.

  ''Ça ira… Tant que tu n'as pas dis trop d'informations… On ne peut pas leur faire confiance, on ne les connais pas-

  - Mais ils nous ont sauvé… Murmura Maï Rose à demi-mot.

  - Peut être pour nous utiliser… Comme otage, arme ou cobaye… Le fait qu'il t'ai demandé si je sais me battre en est la preuve.''

Maï Rose soupira un grand coup, Ariane savait que la nature naïve de sa camarade l'empêchait de penser à mal des autres. Pourtant, il était indispensable de prendre ses distances dès maintenant.

  ''Oui… Je ne le referais plus, on aura plus d'ennuis''

Ariane hocha la tête, satisfaite.

  ''Bien… On peut peut être aller manger maintenant ?''

12h13

Déjà bientôt un quart d'heure qu'elles devraient être en train de manger, chaque minute qui s’écoulait irritait la jeune fille. 
Maï Rose l’entraîna sans un mot vers une grande maison, toute en longueur et en bois. Quelques personnes étaient réunies autour du bâtiment, aucun qu'Ariane ne reconnaissait.

Sa meilleure amie s'arrêta avant d'atteindre les individus, visiblement mal à l'aise.

  ''Mike et Eléo ne sont pas là… Ce sont eux qui m'ont permis de rentrer la dernière fois…''

Ariane balaya la place du regard, elle avait beau ne pas aimer ces petites maisons rudimentaires de forêt, elles n'en étaient pas moins jolies, avec des motifs gravés dans le bois. Il y avait aussi écrit des choses dans la même langue que le livre qu'Aude avait. 

Ariane se stoppa en sentant les regards se tourner vers elles. Et soudain elle réalisa ce qu'elles trouvaient étrange. Ces gens étaient tous particulier, beaucoup avaient des cheveux habituels roux ou bruns, mais certains possédait des couleurs plus extravagantes comme bleu, blanc ou même vert.

    ''Ils vont encore plus se méfier de nous maintenant que tu te ballades avec une arme… se plaint Maï Rose.

  - Comment ça, une arme ?'' S'éleva une voix derrière elles.

Ariane fit un volte face pour se retrouver face à un jeune homme aux cheveux blanc avec les pointes noires, un chapeau haut de forme sur la tête et un accoutrement sérieux qui ne sortait clairement pas de cette forêt. 

  ''Salut les filles ! lança-t-il joyeusement. Je vois que la dernière est réveillée !''

Mike, un des garçons qui l'ont sauvé, à le voir de plus près, elle ne pouvait que remarquer la balafre en forme de croix sur sa joue. La blessure semblait ancienne et avait très mal cicatrisée au vu la marque en relief.
Plus remarquable encore, une paire d'ailes blanches imposantes dans son dos, bien plus poussiéreuse que dans ses souvenirs, mais pas moins impressionnantes.

  ''Ariane s'est réveillée il y a- Débuta Maï Rose avant de regarder son amie. 

  - 1h et 22 minutes, on peut aller manger ?''

Ariane n'avait pas envie de faire connaissance, elle voulait juste manger sinon quelqu'un allait se prendre un coup.
Mike rit, il avait finalement l'air tout aussi idiot que l'autre folle.

  ''Wo, tout doux, on va manger ensemble d'accord ?

  - Ton frère n'est pas avec toi ? Demanda Maï, regardant autour.

  - Non, il est… occupé, disons. Mais ce n'est pas très important, allons-y !''

24 minutes- Déjà 24 minutes- Répétait en boucle l'horloge interne d'Ariane qui s'était finalement très vite adaptée. IL s'en était fallu de peu avant qu'elle coupe elle même la conversation bien trop longue des deux. Ariane se fit tirer la main par sa meilleure amie qui ne la lâchait pas, pour se diriger à l'intérieur du réfectoire. Les inconnus du réfectoire ne faisaient que de les dévisager avec méfiance.

Le premier qui touche Maï Rose, il n'a plus de mains.

''Ari, arrête de planifier tout - Ca se voit et ta tête fait peur. '' Conseilla Maï Rose qui était toute calme.

C'est bien beau de dire ca, mais si personne ne réalisait la gravité de ce qui se passait, elle allait le faire pour eux.