- Decklan ! s’exclama l’homme qui était sorti pour l’accueillir. Quel plaisir de te voir.
- Djumbé ! s’exclama Decklan, heureux de voir son vieil ami.
Il enlaça son ami puis se recula, lui lançant un regard méfiant.
- Pourquoi portes-tu le collier du chef ? interrogea-t-il en désignant le bijou en vertèbres de loup.
- Parce que je suis le chef, idiot ! répliqua Djumbé. Tu n’es pas censé savoir ça, en tant que lieutenant de la section diplomatie ?
- Hé bien, j’ai été informé du changement de suzerain, mais son nom n’était indiqué nulle part, tenta de se souvenir Decklan. Comment as-tu fait ?
- Je suis le meilleur, tout simplement, se congratula l’homme à la peau sombre.
La remarque totalement narcissique de son ami arracha un sourire à Decklan.
- Tu es venu faire des affaires, je suppose, lança Djumbé en prenant son ami par l’épaule et en l’entraînant dans la grande caverne faisant office d’habitation commune.
- Pas seulement, répondit mystérieusement Decklan.
Le Morden était heureux que son ami fut devenu le nouveau suzerain des ensorceleurs. C’était inattendu, mais fortement en sa faveur. Après plusieurs heures à négocier des objets magiques, la vente fut enfin close et Decklan put entrer dans le sujet qui l’intéressait réellement.
- J’ai une nouvelle importante à vous transmettre, annonça Decklan.
L’entrevue entre les deux hommes se tenait en plein milieu de la grande caverne où des ensorceleurs allaient et venaient. Ce peuple, toujours ouvert et honnête, ne se cachait jamais rien. Ce fut donc devant tous les ensorceleurs que Decklan lâcha une énorme bombe :
- Une Ar’shyia est en ce moment-même formée à la citadelle des mages.
Le temps parut s’arrêter. Tous les ensorceleurs cessèrent de bouger. Les membres se figèrent. Sur les visages de tous apparurent des grimaces ahuries. La population sembla s’être arrêtée de respirer. Rapidement, la surprise céda la place à la colère.
- Comment se fait-il que nous n’ayons pas été prévenus ! s’exclama Djumbé en couvrant les cris de son peuple.
- Nous ne l’avons pas été non plus, rappela Decklan. Ce sont mes espions qui m’ont informé.
- Un magicien va bientôt de nouveau contrôler le monde et personne ne juge qu’il serait bon de nous prévenir ? C’est inadmissible ! Comment ont-ils trouvé cette Ar’shyia ?
- Mes sources ont appris que des voyants avaient réussi, malgré le peu de magie disponible, à avoir une vision. Les assistants sont allés chercher la personne et ont confirmé la présence de ses pouvoirs. Je suis venu au plus vite pour vous prévenir.
- Je t’en suis très reconnaissant, répondit Djumbé.
- La question maintenant est de savoir ce que nous allons faire.
- As-tu des précisions quant à l’identité de cette Ar’shyia ?
- Mes espions ne sont pas parvenus à la voir. Cependant, ils savent que c’est une jeune femme issue de la paysannerie.
- Une pécore ? grimaça Djumbé.
Allait-il accepter qu’un bouseux lui donne des ordres ? Il en eut la nausée d’avance. Il était urgent que les ensorceleurs et les Mordens se mettent d’accord sur la marche à suivre.
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Sakku et Elna passèrent la lisière de la forêt des voyants. Lorsqu'ils pénétrèrent sous les arbres, ils se sentirent épiés de toute part. La forêt grouillait de vie : des écureuils, des oiseaux, des cerfs, des sangliers et une foultitude d'insectes et d'arachnides.
Ils avançaient depuis une heure lorsqu’Elna hurla avant de s'écrouler sur le sol. En l'espace de quelques secondes, des bleus apparurent sur tous ses membres. Puis, son corps se couvrit de blessures, comme si quelqu'un l'écorchait avec un couteau.
- Elna ! s’exclama Sakku en sautant au sol.
Il la prit dans ses bras mais ses blessures empiraient à chaque seconde sans aucune raison visible. Sakku n’y comprenait rien.
- Éloignez-la de là ! s’exclama un homme en sortant des arbres.
Il était vêtu de vêtements de voyage et semblait exténué. Il s’approcha. Méfiant, Sakku lâcha Elna et tira son épée.
- Je veux l’aider, assura l’homme. Portez-la plus loin et sa douleur cessera.
Comme Sakku ne bougeait pas et qu’Elna continuait à hurler, l’homme leva les mains et décrivit :
- Je m’éloigne, regardez. Je ne suis pas une menace. Ramenez-la en arrière, je vous en prie.
Sakku rengaina son arme mais sa méfiance n’était toujours pas partie.
- Dépêchez-vous ! s’exclama l’homme. Elle va mourir !
La macabre possibilité mit un coup de fouet à Sakku. Il empoigna Elna et la ramena sur le chemin d’où ils venaient. Rapidement, Elna se calma. Elle cessa de hurler et s’évanouit.
- Elle s’en remettra, assura l’homme mais Sakku avait l’impression qu’il cherchait avant tout à se rassurer lui-même par ces mots.
- Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Ketall Prass. Et vous ?
- Sakku Errinstad, se présenta le jeune homme en retour. Que faites-vous ici ? Vous êtes voyant ?
- Assurément pas. Sans quoi l’Ar’shyia serait morte depuis longtemps.
Sakku frémit. Cet homme connaissait la jeune femme.
- Comment ? commença Sakku mais il fut interrompu par le réveil d’Elna. Comment vas-tu ? interrogea le jeune homme.
- J’ai mal partout mais ça va aller. Que s’est-il passé ?
- Vous avez été stupide, voilà quoi ! s’exclama Ketall.
Elna se tourna vers l’homme et eut un mouvement de recul. Sakku sut immédiatement qu’il avait eu raison de se méfier. Cet homme ne portant pas de gant, ce n’était pas un Morden. Il s’agissait donc forcément d’un des poursuivants de la future magicienne.
- N’avez-vous rien écouté, rien appris ? la rabroua Ketall. Les voyants ne contrôlent pas leurs pouvoirs ! Ils ne peuvent pas s’empêcher d’avoir des visions, ni de puiser dans la magie qui les entoure.
Elna fit signe qu’elle ne voyait pas le rapport. Ketall fit la grimace d’un professeur déçu par son élève qui ne comprenait pas une chose pourtant triviale.
- La seule source de magie, dans le coin, c’est vous, finit Ketall. Ils vous prennent votre magie et ils ne peuvent rien y faire. Un peu plus, et ils vous tuaient.
- C’est n’importe quoi, dit Sakku. Les magiciens utilisent la magie intérieure et les voyants la magie extérieure. Il est impossible…
- Les Mordens se sont servis de mes pouvoirs pour faire fonctionner leurs gants et d’autres objets magiques, intervint Elna.
Sakku eut une grimace désapprobatrice.
- Étonnant ou pas, c’est comme ça, continua Elna. J’ai vraiment été idiote. Je n’ai pas pensé que la simple proximité avec un voyant me tuerait. J’ai tellement réfléchi au but que j’en ai oublié les détails.
- Les détails ! cria Ketall. Votre vie n’est pas un détail. Et puis, votre but ? C’était quoi au juste ? Vous faire tuer ?
- Qui est-ce ? demanda Sakku à Elna en désignant Ketall.
- C’est… euh… bredouilla Elna. C’est… l’assistant en chef de la citadelle des mages.
- Quoi ? s’écria Sakku en se relevant et en s’éloignant d’Elna, comme si elle était soudainement devenue l’ennemi.
- Il m’enfermait ! se défendit Elna. Il refusait de me laisser partir.
- Comment aurais-je pu vous laisser aller voir les voyants sachant que cela causerait votre mort ! argua Ketall. Ne soyez pas stupide !
- Je veux parler à un voyant ! cria Elna en se levant.
Les forces lui revenaient doucement.
- Vous ne pouvez pas, cingla Ketall.
- Il doit y avoir une possibilité.
- Non, il n’y en a pas, la contra Ketall. Tout ne se passera pas toujours comme vous le voulez.
- Il faut nous procurer un bracelet de contrôle, intervint Sakku.
- Un quoi ? interrogea Elna mais Sakku ne put lui répondre car Ketall lança :
- Bien sûr ! Rien de plus facile ! Procurons-nous un bracelet de contrôle ! Et pourquoi pas un traité de magia verborum aussi ! Ces objets sont des mythes. Certains grimoires en parlent mais nul n’en a jamais vu. S’il en existe, on en trouvera chez les Mordens – et bon courage pour qu’ils vous le donnent – ou chez les ensorceleurs – et il est encore plus hors de question qu’Elna s’approche de leur territoire !
- Je comptais aller chez les ensorceleurs de toute façon, annonça calmement Elna. Il suffira de revenir ici après.
- Vous n’écoutez rien ! hurla Ketall, fou de rage.
- Sakku, m’accompagnerez-vous ? demanda Elna.
Sakku hocha la tête. Il regarda Ketall et lui lança un regard noir. L’assistant en chef se calma.
- Où l’Ar’shyia veut aller, je l’amène. N’ayez crainte, je prendrai soin d’elle, affirma Sakku.
- Comme vous venez de le faire ? cingla Ketall.
- Partons, annonça Elna avant de se tourner vers Ketall et d’annoncer : je vais chez les ensorceleurs, que cela vous plaise ou non. M’accompagnerez-vous pour assurer ma protection ?
Ketall tremblait de rage mais il hocha tout de même la tête. Il comptait bien protéger l’Ar’shyia, même contre elle-même. Il parviendrait bien à lui faire changer d’avis en chemin. Elna s’éloigna, Sakku à ses côtés. Ketall jura entre ses dents avant de siffler sa monture et de suivre les deux compagnons quelques pas derrière. Il ne cachait pas son profond mécontentement. Alors qu’ils rejoignaient le chemin, Elna demanda à Sakku :
- Au fait, c’est quoi, un bracelet de contrôle ?
- Un objet magique, expliqua Sakku. Une fois mis au poignet de quelqu’un, cette personne devient incapable d’utiliser sa magie. Elle ne peut pas non plus enlever le bracelet. Seul celui qui l’a posé peut le retirer.
- Excellent ! approuva Elna.
Un voyant portant ce collier serait dans l’incapacité d’utiliser ses pouvoirs et ne pourrait donc pas blesser Elna. C’était une idée lumineuse.
- D’après la carte, les ensorceleurs vivent plus au nord, dans de petites montagnes nommées Mont Cerer, annonça Sakku en regardant la carte.
Le voyage fut rapide mais ennuyeux et terriblement répétitif. Ketall passait tout son temps à tenter de convaincre Elna de rebrousser chemin pour retourner à la citadelle.
Le second jour, Elna en eut tellement assez qu’elle ordonna à Ketall de rester une dizaine de pas derrière et l’obligea au silence. Il était toujours puni lorsque le mont Cerer fut en vue. Les sommets étaient bas et les versants totalement dépourvus de végétation. Il en ressortait un malaise et une noirceur peu accueillante.
- Vous êtes sûre de vouloir y aller ? chuchota Sakku comme si les ensorceleurs pouvaient l’entendre d’aussi loin mais également pour que Ketall ne l’entende pas.
- Non, mais il faut bien.
- Pourquoi ?
- Parce que malgré ce qu’il pense, j’ai écouté l’assistant en chef. Mon rôle en tant que future magicienne est de gouverner ce pays. Au début, j’ai cru que ça signifiait devenir un genre de tyran et j’ai trouvé ça horrible.
- Ce n’est pas comme ça que… commença Sakku mais Elna le coupa.
- Je sais. Après avoir lu et posé de nombreuses questions, j’ai compris que les magiciens étaient plus des guides que des monarques. Leur but est d’harmoniser les différentes factions, de permettre à la symbiose de se faire. Ils doivent sans cesse agir pour maintenant l’équilibre fragile entre les forces en présence.
Sakku acquiesça.
- Cet équilibre est rompu, annonça gravement Elna. Le peuple est sous la domination des Mordens, qui jurent l’avoir fait pour le bien du peuple. Les autres factions magiques se sont réfugiées sur leurs terres et ont coupé les ponts avec les autres. Depuis la disparition de la magie, ils se rejettent la faute les uns sur les autres. Je dois faire en sorte que cela cesse, que notre société retrouve son harmonie. Pour cela, je dois comprendre les griefs de chacun. Je connais déjà partiellement l’avis des Mordens. Pour le moment, je m’en contente. Je n’ai guère envie de me retrouver près de l’un d’eux pour le moment. J’ai également les plaintes et volontés des assistants. Je veux réunir celles de tout le monde avant de prendre une décision. Ai-je tort ?
- Non, assura Sakku. C’est même tout à votre honneur. Cependant, je suis de l’avis de Ketall : vous n’êtes pas une magicienne. Ce n’est donc en aucun cas votre rôle. Vous risquez votre vie pour une cause noble, mais qui, pour le moment, ne vous échoie pas.
- Je ne deviendrai jamais magicienne, Sakku. Il faut l’admettre. Ça ne se produira jamais. Je ne vais pas passer ma vie prisonnière d’un palais pendant que le peuple souffre. Je refuse de le faire.
Sakku hocha la tête puis murmura :
- Je comprends, mais je veux que vous sachiez que je ne suis pas de votre avis. Je vous suivrai, je vous protégerai, mais je ne suis pas d’accord.
- C’est noté, dit Elna avant de talonner sa jument.
Le soir tombait lorsqu’ils aperçurent une première trace de civilisation dans le paysage désertique rocheux des monts Cerer : de la fumée. Elle sortait d’un trou dans la pierre.
- Une cheminée, annonça Sakku. Nous devons être très proche des ensorceleurs.
- Vous êtes sur nos terres depuis midi, le contredit un homme.
Il n’avait pas fini sa phrase que Sakku et Ketall – qui s’était approché depuis la lisière de la montagne - avaient tiré leurs épées au clair mais l’homme se tenait à bonne distance, accroupi sur un petit rocher. Il souriait. Sa peau sombre luisait sous le soleil couchant. Il était torse nu. Un simple pagne entourait ses hanches, sur lesquelles un fourreau contenant un coutelas en os était attaché. Il arborait une puissante musculature. Cependant, ça n’était pas sa robustesse physique, ni son arme qui firent trembler Elna, mais son regard. Il la transperçait comme s’il s’apprêtait à la manger. Il semblait contempler la plus grande merveille du monde.
- Je m’appelle Sakku Errinstad, annonça le jeune homme, et voici Ketall Prass. Nous assistons Elna Wyel, Ar’shyia, dans sa mission.
- Sakku ! s’écria Elna, terrorisée par l’information que Sakku venait de révéler à leur interlocuteur.
- Il le sait déjà. Il le sent, répliqua Sakku.
- Ça ne me rassure pas, murmura Elna.
- C’est vous qui avez voulu venir, cingla Ketall.
- Souvenez-vous : j’étais contre cette idée, murmura Sakku.
- Merci du soutien, siffla Elna en se renfrognant.
- Nous souhaiterions rencontrer votre chef, claironna Sakku.
L’homme s’inclina puis leur fit signe de le suivre. Des hommes, des femmes et des enfants apparurent à droite et à gauche. Ils semblaient sortir de la pierre elle-même. En y regardant de plus près, Elna constata que ça n’était qu’une illusion car les rochers environnants étaient percés de grottes et de cavernes, tellement bien dissimulées qu’il était difficile de le discerner. Elna se sentit de plus en plus mal à l’aise. Tous les habitants la dévoraient des yeux. Elna sursauta quand un petit garçon apparut à sa hauteur, juché sur un rocher.
- Tu sens bon, annonça-t-il.
Elna fit faire un pas de côté à son cheval pour s’éloigner de l’enfant qui semblait vouloir sourire, sans y parvenir. Ils suivirent leur guide jusqu’à une grande fissure dans la roche, marquant l’entrée d’une caverne large. Ils durent descendre de cheval et la perspective de perdre cet unique et pourtant dérisoire moyen de fuite augmenta encore la frayeur de la jeune femme.
La caverne était éclairée par de nombreux feux, disposés de-ci de-là, autour desquels se trouvaient des femmes et des enfants. Le guide amena Sakku et Elna vers le fond de la grotte. Autour d’un feu se trouvaient deux personnes. L’une d’elles tournait le dos aux deux compagnons. Il avait les cheveux noirs et il était bien habillé : vêtement de cuir, épée, mais de lui, ils ne pouvaient rien voir de plus pour le moment. De toute manière, leur regard passa très vite sur lui pour se concentrer sur l’homme à la peau sombre qui leur faisait face.
Assis sur des peaux de bêtes, il portait un collier fait de petits os. Son oreille droite était percée et son front portait une marque blanche : deux ronds reliés par une barre horizontale. Ses yeux marron ne quittaient pas Elna des yeux, suivant ses moindres gestes. Il portait un simple gilet de fourrure décoratif et un pantalon en peau fine. Assis en tailleur, le dos droit, les mains reposants sur les genoux, il était impressionnant.
- Je suis Djumbé Hal’zoul, suzerain des ensorceleurs, se présenta l’homme à la peau sombre.
Sakku et Elna s’annoncèrent également puis le suzerain attendit et comme rien ne se passait, il lança à la personne assise un regard désapprobateur. L’homme se retourna et Elna le reconnut.
- Seigneur Decklan Beir ! s’exclama Elna en sautant d’un pas en arrière, comme pour se protéger du Morden, pourtant assis à dix pas d’elle.
- Vous vous connaissez ? siffla Djumbé vers Decklan.
Comme Decklan ne répondait pas, visiblement gêné, Djumbé insista :
- Comment se fait-il que l’Ar’shyia te connaisse ? Tu m’as pourtant dit de l’avoir jamais vue !
Elna était heureuse de voir un Morden en mauvaise posture. Une partie d’elle – la femme – rêvait de voir un Morden mordre la poussière. Mais une autre partie – la future magicienne – voulait la paix entre les factions magiques. Elle se devait de montrer l’exemple. Elle choisit, à contre cœur, de soutenir le Morden.
- J’ai rencontré l’ambassadeur des Mordens il y a peu, mentit-elle. Je l’ai convoqué à la citadelle des mages et il est venu.
Decklan ne broncha pas, attendant la suite avec calme et détachement. Elna fut jalouse. Serait-elle un jour capable comme lui de masquer aussi bien ses émotions ? À moins que le Morden, plus mort que vivant en l’absence de magie, ne ressente réellement rien en entendant l’Ar’shyia mentir pour le protéger.
- Je lui ai demandé de me fournir un objet magique. Après m’avoir assuré qu’il ferait tout pour me satisfaire, il m’a annoncé être dans l’impossibilité d’accéder à ma requête, les Mordens ne possédant pas l’objet en question. Je l’ai envoyé vers vous pour vous en demander un. Ne le voyant pas revenir, j’ai décidé de me déplacer moi-même. Pourquoi un tel retard, seigneur Beir ?
Un simple plissement des yeux sur le visage lisse du Morden exprima tout son mépris pour la supériorité dont Elna faisait preuve à son égard. Il regarda Djumbé.
Le suzerain souriait. Le mensonge d’Elna, grossier et mal pensé, lui donnait envie de hurler de rire mais il se retenait, impatient d’entendre la suite.
Decklan sut que tout n’était pas perdu. Elna venait de démontrer son immaturité. Djumbé demanderait des explications au Morden mais Decklan sut qu’il retrouverait la confiance de son vieil ami.
- C’est une mission difficile que vous m’avez confié, siffla Decklan d’une voix douce et Elna ne put s’empêcher de sourire en l’entendant la vouvoyer. Je crains de ne pas être à la hauteur. Je vous en prie, menez l’échange.
Elna sentit ses intestins se vriller. Decklan la mettait volontairement en porte-à-faux.
- Vous voulez un objet magique ? s’étonna Djumbé en continuant de sourire. C’est magnifique ! Je suis toujours prêt à négocier un échange. Que vous faut-il ?
- Un bracelet de contrôle, annonça Elna.
Le sourire sur le visage du suzerain des ensorceleurs ne s’en agrandit que davantage.
- Un bracelet de contrôle, répéta-t-il sur le ton d’un vendeur de babioles sans valeur sur un marché. Bien sûr, nous en avons. Seulement, ces objets sont très rares et très puissants. Le prix…
- Je ne veux pas l’acheter, précisa Elna, juste l’emprunter.
- Ah… Alors, disons, une lune ? proposa Djumbé.
Elna ne comprit pas. Une lune de quoi ? Son incrédulité dut se lire sur son visage car Sakku se pencha vers elle et lui murmura à l’oreille :
- Il réclame une lune de votre présence ici.
Elna sursauta.
- Pas maintenant, la rassura Sakku. Quand vous serez séparée.
Elna comprit. À la citadelle des mages, elle avait appris comment les ensorceleurs pouvaient, à l’aide des pouvoirs des magiciens, transformer de simples objets courants en objets magiques.
- Ils veulent reconstituer leur stock d’objets pour les vendre ensuite, chuchota Elna.
- Pas seulement. Ils veulent également vivre, murmura Sakku en retour.
- Comment ça ?
- Les ensorceleurs n’ont pas de magie propre et ne peuvent pas utiliser la magie extérieure. En l’absence de magicien à contrôler, ils sont amorphes, incapables de ressentir la moindre émotion.
- Ce sont des morts-vivants, au même titre que les Mordens, les voyants, les druides et les nécromanciens, supposa Elna.
- Ça, je ne saurais pas le dire. Dans mon monde, l’air est rempli de magie et ces factions sont pleinement au contrôle de leurs émotions.
Elna comprit. Elle se rapprocha encore de Sakku pour lui murmurer :
- Il ignore que je ne serai jamais magicienne. Cet échange ne me coûte rien. Ça serait stupide de refuser.
- Quoi ? s’exclama Ketall dont Elna avait totalement oublié la présence.
L’assistant en chef s’était fait tellement discret depuis qu’Elna l’avait rendu silencieux, qu’il en était presque devenu invisible.
- Comment pouvez-vous penser cela ? continua-t-il à crier avant de murmurer : Bien sûr que vous deviendrez une magicienne !
Elna fit signe que ça n’était pas le moment. Elle chercha une réponse dans le regard de Sakku qui chuchota :
- C’est à vous de voir. Moi, je ne voulais même pas venir.
- C’est d’accord, annonça Elna à voix haute en direction du suzerain des ensorceleurs. Une lune de ma présence ici une fois séparée, contre une lune d’emprunt d’un bracelet de contrôle.
- Marché conclu, dit Djumbé avant de faire signe à l’un de ses hommes.
- Ça n’était pas si difficile, fit remarquer Elna à Decklan qui lui répondit par un sourire qu’Elna fut incapable d’interpréter.
- En attendant que le bracelet arrive, que diriez-vous de partager notre repas ? proposa Djumbé.
Elna hocha la tête avant de s’avancer. Sakku et Ketall se regardèrent une seconde puis annoncèrent :
- Nous resterons à l’écart. Nous préférons.
Elna comprit qu’ils voulaient surveiller la caverne afin de mieux protéger la précieuse Ar’shyia. Entourée d’ensorceleurs et à côté d’un Morden, Elna ne fit rien pour les en empêcher.
Elle s’installa entre le suzerain ensorceleur et le Morden maître en torture. La jeune femme fit son possible pour ignorer le Morden, se focalisant sur l’ensorceleur. Elle avait une autre mission à accomplir ici.
- Votre peuple vit ici depuis longtemps ?
- Depuis toujours, répondit le suzerain.
- Même avant la disparition de la magie ? interrogea Elna.
- Nous avons toujours été placés à l’écart, expliqua Djumbé. Il ne fait pas bon avoir le pouvoir de contrôler les maîtres du monde.
Elna montra qu’elle ne comprenait pas.
- Les magiciens nous ont bannis ici, nous interdisant de sortir sauf contre-ordre. Ils nous craignaient.
- Les magiciens ne sont pas les maîtres du monde. Ils sont les garants du bon équilibre de notre société, répliqua Elna.
- Un équilibre qui penche en leur faveur et en notre défaveur. Étrange… murmura Djumbé.
Elna fut incapable de répondre quoi que ce soit. Si les anciens magiciens avaient créé un monde d’injustice, serait-elle en mesure de faire mieux, simple paysanne tout juste adulte ? Elle en doutait. Pour le moment, elle voulait comprendre.
Pendant le voyage, elle avait longuement réfléchi à ce qu’elle pourrait dire mais une fois devant le suzerain, sa longue réflexion venait de s’évanouir.
- Vous avez dû apprécier la mort de l’ensemble des magiciens le jour de la disparition de la magie.
Djumbé lui lança un regard horrifié.
- Bien sûr que non ! Ça a été une tragédie ! Notre seule manière de vivre était à travers eux. Ils venaient souvent ici, pour nous permettre de posséder leurs pouvoirs et ainsi d’exister, et même si ça n’était pas beaucoup, c’était toujours mieux que la perspective d’une non-vie de notre naissance à notre mort.
Elna montra qu’elle comprenait. Elle chuchota :
- Je suis encore novice. J’ai du mal avec tout ça. Vos explications me sont précieuses, sachez-le.
- Je suis ravi de vous guider. Je souhaite établir de bonnes relations entre nous. Votre avenir, tout comme le nôtre, en dépend.
- Oui, bien sûr. Il y a une chose que je ne m’explique pas.
- Je vous écoute, dit l’ensorceleur.
- Votre peuple est un allié des Mordens.
- C’est exact, répondit Djumbé tandis que Decklan relevait les yeux, soudain attiré par la conversation qui jusque-là semblait l’ennuyer au plus haut point.
- Mais c’est un Morden qui est responsable de la disparition de la magie. Vous ne leur en voulez pas ?
- Astrid Astralius a agi en pensant bien faire. Les voyants ont cru prédire la fin du monde et Astralius a agi en conséquence. Qui pourrait l’en blâmer. N’avons-nous pas agi de la même manière ?
- Que voulez-vous dire ? Qu’avez-vous fait ?
- Nos ancêtres sont sortis de nos terres pour rejoindre la citadelle des mages. Ils avaient une idée. Ils étaient sûrs qu’elle permettrait de sauver, non pas le monde, mais ses habitants.
- Quelle était cette brillante idée ? interrogea Elna.
- Ils voulaient téléporter les habitants de ce monde sur un autre monde, viable.
- C’est ridicule, dit Elna qui avait justement lu un livre sur le sujet. La téléportation est impossible. Aucun être magique n’a jamais réussi.
- Nos ancêtres l’ont pourtant fait, répliqua Djumbé.
- Quoi ? s’exclama Elna.
- Laissez-moi vous raconter tout dans l’ordre, la calma l’ensorceleur et Elna se détendit. Mes ancêtres étaient sûrs d’eux. Mais pour agir, il leur fallait le pouvoir des magiciens. Ceux-ci, à votre image, refusèrent tout net.
Elna se sentit mal. Était-elle vraiment le reflet des anciens magiciens, avec tout ce que cela comportait d’injustices et de préjugés ?
- Les ensorceleurs décidèrent de commettre le pire crime possible. Ils ont contrôlé l’ensemble des magiciens, devenant ainsi des parjures. Au crépuscule du monde, cela ne comptait guère plus. Ils ont lancé le sort et il a fonctionné. Le volontaire pour le premier envoi s’est téléporté mais il n’est pas revenu comme convenu. Il n’y avait aucun moyen d’être certain que le lieu d’arrivée était viable. Les évènements prirent mes ancêtres par surprise, et ils relâchèrent leur concentration, suffisamment pour que les assistants se rendent compte que leurs magiciens étaient contrôlés, ce qu’ils ne soupçonnaient pas jusque là. Les deux camps durent battre en retraite. La lutte n’était pas terminée que les magiciens s’écroulaient, leur magie aspirée hors d’eux. Beaucoup d’ensorceleurs, encore liés aux magiciens, moururent en même temps que leur marionnette. Les survivants revinrent au Mont Cerer et racontèrent leur histoire. Depuis, notre peuple vit dans la honte de cette trahison.
- Je comprends et je vous remercie pour votre franchise, annonça Elna. Je ne peux rien vous promettre car je suis encore dépassée par tout cela, mais je veux tout faire pour que le monde devienne meilleur. J’ai honte de la façon dont les anciens magiciens ont traité votre peuple. Vous n’avez pas à être exclus de la sorte. Vous méritez votre place au sein de cette communauté autant que les autres. J’espère que les erreurs des anciens magiciens ne porteront pas préjudice à nos futures relations.
- Si la réciproque s’avère exacte, nos rapports ne pourront qu’être bons, assura Djumbé en souriant.
Elna répondit au sourire avant de mordre dans une cuisse de poulet. Elle venait de la terminer lorsqu’un ensorceleur s’approcha, un bracelet à la main.
- Voici ce que vous m’avez demandé, annonça Djumbé. Que comptez-vous en faire, si ça n’est pas indiscret ?
- Ça ne l’est pas, assura Elna. Je veux demander à un voyant de le passer afin de pouvoir discuter avec lui. Je veux l’avis de tout le monde avant de prendre une décision quant à la bonne manière de gérer ce pays.
- Tu veux aller chez les voyants ? s’exclama Decklan. Ces salopards !
Djumbé se tourna vers Decklan et plissa les yeux. Le Morden venait de tutoyer la jeune femme. Non seulement il la connaissait, mais il la connaissait bien. Son ami ne perdait rien pour attendre. Ils allaient avoir une longue discussion. Decklan ne prit pas la peine de s’expliquer dans l’immédiat. Il continua :
- Les voyants sont prétentieux. Ils se prennent pour les maîtres du monde. Ils croient avoir le droit de décider de la vie et de la mort du monde. Tu n’as pas la moindre idée de l’endroit où tu t’apprêtes à mettre les pieds.
- C’est vrai qu’en matière de maîtres du monde, les Mordens sont des experts.
- Nous faisons notre devoir ! cracha le Morden. Nous prenons soin du peuple. Nous nous sacrifions au lieu de rester murés dans nos terres. Je ne dis pas ça contre vous, suzerain, vous savez que je comprends votre position.
- Comment pourrions-nous apporter quoi que ce soit au peuple ? maugréa Djumbé. Nous avons brisé notre promesse. Nous avons osé toucher aux magiciens. Cette honte sera sur nous à tout jamais.
- Cette honte n’est pas la vôtre, mais celle de vos ancêtres, assura Elna. De toute façon, même avant la disparition de la magie, vous n’étiez guère utiles pour le peuple.
- Nous étions les garants de la paix, répliqua Djumbé. Vous ne le savez pas ?
- Non, les érudits de la citadelle des mages m’ont dit que vous étiez des artisans et des marchands. Des artisans particuliers, puisque vous façonniez des objets magiques, que vous vendiez ensuite aux Mordens.
- Et ces objets permettaient aux Mordens de mieux protéger le pays. Donc, nous aidions le peuple, fit remarquer Djumbé. Ceci dit, continua-t-il avant qu’Elna puisse le couper, ça n’était pas notre unique rôle, loin de là. Nous étions les seuls en mesure de lutter contre un magicien. Ainsi, notre simple existence empêchait un magicien de se transformer en tyran, car il savait que le peuple pouvait réclamer l’intervention d’un des nôtres pour l’empêcher de nuire.
- Les garants de la paix, répéta Elna.
Cette idée lui plaisait beaucoup. Un garde-fou, qui l’empêcherait elle-même de déraper. Si un jour, le pouvoir venait à la griser, elle aurait quelqu’un pour la ramener à la raison. C’était bon à savoir.
- Vous voulez toujours aller chez les voyants ? interrogea Djumbé.
- Plus que jamais, répondit Elna.
- Je vous accompagne, annonça l’ensorceleur. Vous êtes trop précieuse pour arpenter ainsi les routes avec deux hommes comme seule escorte.
- Je vous remercie mais… commença Elna mais on lui coupa la parole.
- Je viens aussi, dit Decklan Beir d’une voix douce qui fit frissonner Elna de la tête aux pieds. Vous aurez besoin d’un Morden pour activer le bracelet.
Sur le coup, Elna ne comprit pas. Puis, elle se rappela que les objets magiques ne fonctionnaient pas tout seul. Ils nécessitaient l’intervention d’un Morden. Quand Sakku lui avait proposé le bracelet de contrôle comme la solution au problème « voyant », aucun des deux n’avait pensé à ce léger détail. Elna ne pouvait pas refuser. Elle jura entre ses dents. Elle allait devoir accepter la présence du Morden et donc celle de l’ensorceleur car comment dire oui à l’un, et non à l’autre, en sa présence ?
- Vous dormirez bien ici ce soir ? lança Djumbé.
Elna regarda la perspective de dormir dans un endroit sec et chaud, avec un toit au dessus de la tête avec énormément d’envie. Peu habituée à la randonnée, elle était exténuée. Pas tant physiquement que nerveusement. Dormir en forêt, entourée des bruits des animaux, piquée par des insectes et se réveiller le dos en compote tous les matins pesait sur son moral. Tout en fourrant le bracelet de contrôle dans sa besace, elle accepta l’offre du suzerain.
Le soir, une fête fut donnée en l’honneur de la présence de l’Ar’shyia. Des tambours jouaient des musiques entraînantes tandis que des danseurs effectuaient des chorégraphies rapides et animales autour de plusieurs immenses feux. Elna n'avait jamais entendu de tels chants. Elle trouva cela un peu effrayant mais apprécia beaucoup. La soirée fut agréable et douce.
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Le lendemain, ils étaient sur les routes. Decklan et Djumbé ouvraient la voie. Les deux hommes s’étaient parlé la veille. La conversation avait été tellement animée que de temps en temps, leurs éclats de voix furent perceptibles par-dessus les tambours.
Au matin, pourtant, les deux hommes se souriaient et bavardaient tels deux amis. Elna aurait préféré qu’ils se fassent la guerre. Alliés, les deux serpents du groupe formaient une menace encore plus grande.
Ketall fermait la marche, toujours contraint au silence. Sakku, que la présence des deux hommes irritait, boudait. Elna se sentait bien seule.
- Tu te rends compte qu’ils ne sont là que pour profiter d’un instant de faiblesse de notre part pour t’emmener, lança Sakku.
- Nous avons besoin d’un Morden et c’est le seul que nous ayons à disposition. Tu n’avais d’ailleurs pas pensé à ce petit détail quand tu m’as proposé ta brillante idée.
- Dans mon monde, les différentes factions vivent en harmonie. Si on a besoin d’un sorcier, il suffit de demander et des centaines accourent. Désolé de ne pas avoir les réflexes nécessaires ici. Tu devrais peut-être davantage écouter Ketall.
- Je l’écoute, marmonna Elna qui avait la sensation d’être un élève sermonné par son professeur. Et j’ai confiance en vous deux. Vous saurez me protéger.
- Soit tu nous surestimes, commença Sakku, soit tu les sous-estimes, continua-t-il en désignant les hommes de tête du menton. J’ai beau avoir été formé aux meilleures techniques de combat, je ne ferai pas le poids contre ces deux-là et l’aide de Ketall n’y changera rien. Le suzerain des ensorceleurs, je ne le connais pas. En revanche, j’ai vécu un moment parmi les Mordens. Le seigneur Beir était pressenti comme le futur grand maître dès la fin de son entraînement. C’est un excellent combattant, un fin stratège et un brillant diplomate. C’est une vipère et nous devons prendre garde à ne pas nous faire mordre.
Elna frissonna. La vipère venait d’être rejointe par un cobra, et tous deux guettaient le bon moment pour avaler tout cru le lapin blanc, protégé par deux malheureux petits renards. Ça ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices.
Ce soir-là, Decklan choisit un endroit où dormir, près d’une rivière, au centre d’un amas de rochers qui les masqueraient au regard des curieux.
Ils venaient de finir de manger. Sakku s'occupait d'éteindre le feu tandis que Decklan était parti à la rivière laver les ustensiles. Elna s'occupait des chevaux. Elle prit un seau et se rendit à la rivière.
Elle trouva Decklan, complètement nu, en train de se laver. La vaisselle propre séchait sur un rocher. Elna sentit son corps s’affoler. Était-ce dû à la présence inattendue du Morden, à sa nudité offerte ou bien à son corps parfait aux accents virils ? Elna n’aurait su le dire. Elle rougit de la tête aux pieds avant de murmurer :
- Excusez-moi, dit Elna, je ne voulais pas vous déranger.
Decklan, qui lui tournait légèrement le dos, ne sursauta pas. Il l’avait entendue venir.
- Tu ne me déranges pas, répondit Decklan sans un sourire.
Elna détourna les yeux puis remplit son seau. Elle allait partir lorsqu'elle remarqua que Decklan avait laissé son gant sur la rive avec ses autres vêtements. Il ne se souciait apparemment pas qu'on puisse le lui prendre.
- Vous ne craignez pas qu'on vous le vole ? demanda Elna.
Decklan se tourna vers les objets sans comprendre. Il pensait qu'elle parlait de la vaisselle et ne voyait pas en quoi il pourrait craindre qu'on la lui dérobe.
- Je parle de votre gant, précisa Elna.
Decklan haussa les épaules.
- Prends-le, si ça t'amuse.
Puis, il reprit ses ablutions sans plus s'occuper d'elle. Elna était ébahie. Il venait de lui permettre de prendre son gant. Elle pensait que les Mordens y tenaient énormément. Elle posa son seau et s'approcha du gant. Il lui faisait peur. Il était le symbole de la puissance des Mordens. Elle se reprit : ce n'était qu'un gant, banal et sans intérêt. Seul le Morden était maléfique.
Elle s'accroupit puis tenta de s'emparer du gant. À peine l'eut-elle touché qu'une violente douleur irradia son bras. Elle hurla et maintint son bras douloureux. Sakku et Ketall entendirent son cri, et, croyant que Decklan l'avait attaquée, coururent jusqu'à la rivière. Ils trouvèrent Elna, à genoux, tenant fermement son bras droit, visiblement en souffrance, et Decklan, dans l'eau jusqu'aux mollets, en train de se laver.
- Qu'avez-vous fait ? s'écria Sakku rageur, Ketall à ses côtés.
- Moi ? répondit Decklan en se tournant à demi. Rien du tout, elle s'est fait mal toute seule !
- Je ne vous crois pas ! répliqua Sakku.
- Il dit la vérité, lança Elna avant de se tourner vers Decklan et de demander : comment se fait-il que ce gant fasse souffrir, même si vous ne le portez pas ?
- Parce que ce gant fonctionne tout seul, expliqua Decklan. Nul besoin d'être Morden pour s'en servir. Il fait souffrir quiconque le touche, point.
- Comment faites-vous pour le mettre sans souffrir, en ce cas ? demanda Elna.
- Je ne peux pas, lui apprit Decklan. Je souffre à chaque fois que je le tiens dans ma main.
Elna enregistra l'information et murmura :
- Je comprends pourquoi vous le portez tout le temps. Le mettre et l'enlever n'est guère pratique, étant donné que cela vous fait souffrir.
- Apprendre à se servir du gant prend du temps, annonça Decklan, mais pas pour ce que pensent les gens. Ce n'est pas d'apprendre à se servir de sa magie qui est long, puisqu'il marche seul. Non, ce qui est long, c'est d'apprendre à ne pas se blesser soi-même ou son entourage avec. Il faut apprendre à faire attention à l'endroit où on pose sa main droite. C'est assez compliqué au début et bon nombre de jeunes Mordens se font très mal avec leur gant.
Elna hocha la tête. Elle ne douta pas que cela soit compliqué. Elle allait partir lorsqu'une question lui vint à l'esprit.
- Mais alors, si ce gant n'a pas besoin que l'on soit Morden pour s'en servir, comment savez-vous que vous l'êtes ?
Decklan expliqua :
- Parce que tous les autres objets magiques nécessitent que j'utilise ma magie pour fonctionner. Or, des objets magiques, nous en possédons beaucoup, entre autres, une dizaine de bracelets de contrôle, que les ensorceleurs nous ont vendus. Les gants sont les seuls objets au monde à fonctionner seuls.
Elna comprit que son mensonge dans la caverne des ensorceleurs avait été démasqué à peine prononcé. Elle fit la moue puis s’éloigna de la rivière. Ketall et Sakku reprirent leurs activités.
Elna se dirigea vers Djumbé. L’ensorceleur fut surpris de voir venir vers lui la jeune femme qui ne lui adressait jamais la parole.
- Il y a une chose que je ne m’explique pas, avoua Elna.
- Je suis toujours prêt à répondre à vos questions, assura Djumbé.
- Voilà : pourquoi les Mordens achètent-ils vos objets magiques alors qu’ils ne peuvent pas s’en servir ? Ça me semble complètement stupide. D’autant que si j’ai bien compris, vous les vendez très chers.
Djumbé sourit pleinement à cette remarque qui semblait l’amuser beaucoup.
- Les Mordens sont complètement fous, murmura-t-il. Et croyez-moi, ça nous arrange bien. En fait, les Mordens sont attirés par les objets magiques. S’ils en voient un ou si on se contente de leur parler de l’un d’eux, ils voudront se l’approprier. C’est comme ça. C’est plus fort qu’eux. Nous considérons qu’ils ont une sorte de vénération pour ces objets. En tout cas, nous en sommes très heureux car cela nous permet de vivre.
- Grâce à l’argent gagné en vendant les objets magiques, comprit Elna.
- Les Mordens ne nous donnent pas d’argent, précisa Djumbé. Nous ne saurions trop qu’en faire. Nous préférons les paiements en nature : farine, poules, lait, vaches, œufs… Nous n’avons pas le droit de quitter nos terres et nous vivons dans une montagne au sol rocailleux. Difficile d’y faire pousser énormément de choses. Les paiements des Mordens sont la seule chose qui nous permette de vivre.
- Où trouvez-vous les objets que vous leur vendez ? interrogea Elna. Depuis la disparition de la magie, vous ne pouvez plus en créer !
- Ce n’est pas tant la disparition de la magie que la disparition des magiciens qui nous a empêchés de continuer à en faire. Disons que nos ancêtres avaient un stock plutôt conséquent. Naturellement, il n’est pas inépuisable.
- Je comprends que vous les vendiez cher… finit Elna avant de s’éloigner pour réfléchir à tout ce qu’elle venait d’apprendre.
La nuit fut courte, Decklan réveillant le groupe avant l’aube.
- Je ne suis pas pressée, précisa Elna. On a le droit de dormir, aussi !
- Je n’aime pas perdre mon temps, annonça le Morden qui ne comptait pas discuter sur le sujet.
- Qui dirige ce groupe, maugréa Elna pour elle-même. Moi, ou lui ?
Djumbé, à côté d’elle, sourit. Il avait entendu sa remarque mais ne fit aucun commentaire, se contentant de se rendre dans les bois pour satisfaire un besoin naturel.
- Tu sembles contrariée, fit remarquer Sakku alors qu’ils suivaient Decklan depuis plusieurs heures.
- Tu vérifies qu’on est sur le bon chemin ? interrogea Elna.
- Évidemment, répondit Sakku.
Elna hocha la tête avant de stopper sa monture en faisant signe à Sakku de continuer à avancer. Il comprit qu’elle voulait discuter, seule à seul, avec Ketall. Lorsque Ketall, qui fermait la marche, passa à côté d’elle, Elna cala la vitesse de sa jument sur celle du hongre crème de l’assistant en chef.
- Je vous remercie, commença Elna.
Ketall ne cacha pas sa surprise. Il ne s’attendait pas à ça.
- Vous n’approuvez rien concernant ce voyage, de ma présence ici, à la leur, en passant par la destination. Pourtant, vous restez et vous me protégez. Alors, merci…
- De rien, je fais mon travail. Je suppose que je ne peux pas vous en vouloir. Vous êtes jeune. Si vous vouliez bien m’écouter un peu plus…
- Je vous écoute, répliqua Elna.
- Vous semblez lui porter bien plus de crédit, cingla Ketall en désignant Sakku. Dois-je vous rappeler que cet homme vient d’un autre monde, qui est aussi identique que différent du nôtre ? De plus, Sakku est jeune. J’ai passé ma vie à étudier la magie. Pourtant, vous choisissez de lui faire confiance, à lui !
- D’une part, il n’a jamais essayé de m’enfermer. D’autre part, continua la jeune femme sans laisser Ketall le temps de la contrer, Sakku est la seule personne au monde à avoir côtoyé un magicien en pleine possession de ses pouvoirs. Pensez-y quand vous vous vantez d’avoir de meilleures connaissances que lui en matière de magie.
Ketall se renfrogna.
- Je ne nie pas que vous faites un excellent travail, le rassura Elna, et votre foi en moi me dépasse.
- Foi ? répéta Ketall sans comprendre.
- Vous semblez tellement sûr que je serai capable de me séparer. C’est…
- Ça se produira, insista Ketall.
- Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? Sakku ne sait rien de la séparation. Ce secret était aussi bien gardé sur son monde que sur le nôtre. Vous ne savez rien de la séparation et j’en sais encore moins. Comment pouvez-vous encore croire que ça va se produire ?
Ketall baissa les yeux et fit la moue.
- Vous me cachez quelque chose ! s’exclama Elna. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui vous permet d’être aussi certain que je deviendrai une magicienne ?
Ketall releva les yeux et respira bruyamment avant de regarder ailleurs. Il semblait très chagriné. Elna lui laissa un moment pour réfléchir. Elle allait renouveler sa demande lorsque Ketall annonça :
- Savez-vous comment nous avons su que vous étiez chez les Mordens ?
- J’ai cru comprendre que des voyants avaient eu une vision de moi, dit Elna.
- En effet, mais les voyants n’ont pratiquement plus de pouvoir dans notre monde sans magie. Pour voir quelque chose d’aussi précis, il fallait le chercher.
- Vous me cherchiez ? comprit Elna.
Ketall hocha la tête.
- Depuis que je suis devenu assistant en chef lors de l’année du lion, raconta-t-il, j’ai mis tout en œuvre pour vous trouver.
Le lion, se rappela Elna. Ensuite, il y avait eu la chèvre. Maintenant, c’était le chat.
- Comment pouviez-vous seulement savoir que j’existais ? fit remarquer Elna.
- Mon prédécesseur ne vous cherchait pas, précisa Ketall.
Elna comprit que l’assistant en chef lui faisait une leçon. Il attendait qu’Elna tire elle-même les conclusions de ce qu’il venait de lui révéler.
- Il ne voulait peut-être pas gâcher des hommes dans une quête sans intérêt, proposa Elna.
- Nous existons et vivons pour servir et protéger les magiciens. La recherche d’un Ar’shyia n’est pas sans intérêt et aller en ce sens n’est pas un gâchis de temps ou d’hommes.
Elna réfléchit de nouveau. Finalement, elle osa :
- La façon dont vous avez connu mon existence n’était pas fiable ?
Ketall sourit et Elna sut qu’elle avait trouvé.
- Par quel biais l’avez-vous su ? Qui pourrait savoir que j’existe depuis le Lion ? J’ai été trouvée par les Mordens il y a bien moins que cela !
- Nous connaissons votre existence depuis quatre siècles, annonça Ketall et cela lui coûtait visiblement d’en parler.
- Quoi ? s’exclama Elna.
- Une prophétie annonce la venue, quatre siècles après la disparition de la magie, d’une magicienne nommée Elna qui redonnera au monde sa magie perdue.
Elna en fut soufflée.
- Nous connaissions votre sexe, votre nom et le moment approximatif de votre existence. Mon prédécesseur a toujours considéré cette prophétie comme une foutaise, une légende, un mythe sans fondement. J’ai toujours voulu y croire. Votre présence prouve que j’avais raison.
- Pourquoi votre prédécesseur ne croyait-il pas en cette prophétie ? Les voyants ne sont-ils pas censés avoir toujours raison ?
Ketall remua la tête en cherchant ses mots. Finalement, il souffla :
- Cette prophétie n’a pas été réalisée par un voyant.
Elna mit un moment à comprendre la phrase.
- Seuls les voyants ont des visions prophétiques, répliqua-t-elle. Qui a fait cette prophétie ?
- Philippe et Helena Mandrake, finit par avouer Ketall.
- Des magiciens ? s’exclama Elna en se souvenant que Philippe et Helena Mandrake étaient les deux magiciens ayant accompagné et aidé Astrid Astralius à lancer son sort qui sauva le monde mais le priva également de magie. C’est ridicule. Les magiciens ne peuvent pas faire de prophétie !
- C’est ce que mon prédécesseur répétait. J’ai toujours cru en ces deux magiciens. S’ils disaient que vous viendriez, c’est que c’était vrai. De plus, ils n’ont pas eu une vision. Ils ont simplement rencontré un prophète… qui n’était pas non plus un voyant.
- Je ne comprends rien, avoua Elna.
- Le biographie d’Astrid Astralius que vous avez lue à la citadelle des mages n’a pas été écrite par Philippe et Helena Mandrake. Elle a été écrite à partir des écrits des deux magiciens. En réalité, Philippe et Helena Mandrake tenaient un journal de bord. C’est en puisant dans ces carnets qu’un historien a reconstruit la vie d’Astrid Astralius. Cependant, à la fin, les explications des magiciens devinrent plus vagues, comme s’ils avaient perdu la raison. C’est pourquoi leurs mots sont tenus secrets.
- Que disaient-ils ?
- Apparemment, Astrid Astralius cherchait depuis des années sans trouver et les deux magiciens s’inquiétaient pour sa santé mentale. Ils craignaient que le sorcier ne parvienne jamais à trouver la bonne incantation. Un jour, un miracle s’est produit. Un prophète est venu. Il a inspiré Astrid - qui trouva la formule - mais prévint également que le lancement du sort provoquerait la mort de millions de gens. Astrid, déjà à la limite de la folie, refusa de lancer le sort. Philippe et Helena Mandrake furent dévastés à l’idée que tous les magiciens – eux compris – y perdent leur vie. Le prophète les rassura en leur promettant la renaissance à venir du monde ainsi que celle de la magie et de la caste des magiciens en la personne d’Elna Wyel, quatre siècles plus tard. Les époux Mandrake notèrent tout dans leur carnet. Qui était ce prophète ? Comment savait-il tout cela ? Ils ne l’ont pas précisé mais ils croyaient en lui, dur comme fer. Encore une fois, votre existence prouve qu’ils avaient raison.
Ketall se tut un instant avant de reprendre :
- Vous deviendrez une grande magicienne ! Vous redonnerez sa magie à ce monde. Vous rendrez la vie à tous les êtres magiques. Ayez foi en vous ! Et si vous ne le pouvez pas, je le ferai pour deux.
Elna tourna la tête pour regarder au loin. Elle sentait qu’elle ne serait pas capable de se séparer. Elle ne pouvait pas l’expliquer. C’était comme un poids terrible, une certitude inébranlable. Elle ne pouvait pas retirer ses espoirs à cet homme. Elle se tut avant de rejoindre Sakku qui ne lui demanda rien, conscient que la jeune femme n’avait pas envie de parler.
Bientôt, ils arrivèrent en vue de Praedy, la forêt des voyants. Elna avait failli mourir ici quelques jours auparavant. La jeune femme se sentit vulnérable. Elle ressentit le besoin de protection. Sakku et Ketall ne lui suffisaient pas. Elle avait besoin d’autre chose.
- Comment les magiciens choisissent-ils les assistants ? interrogea-t-elle, prenant Sakku par surprise.
- Je ne sais pas, avoua Sakku.
- Dommage, aucun des livres de la bibliothèque de la citadelle des mages n’en parle.
- Parce que c’est un secret, répondit Sakku. Les magiciens n’ont jamais dit à personne comment ils choisissaient.
- De peur qu’on apprenne qu’ils le faisaient au hasard ? murmura Elna plus pour elle-même.
- J’en doute, exprima Sakku.
- Pas moi, répliqua Elna. D’après les grimoires, les assistants étaient choisis bébés, pour qu’ils aient le même âge que leur magicien et qu’ils soient ainsi élevés ensemble, comme des frères. Comment peut-on savoir ce qu’une personne deviendra, alors qu’elle n’a que quelques lunes…
- Les magiciens ont un puissant pouvoir, la contra Sakku.
- Ou alors ils choisissaient au hasard et ne voulaient surtout pas que ça se sache. Que se passait-il si une famille refusait de donner son enfant ? Car si j’ai bien compris, l’enfant était retiré à seulement quelques lunes à sa famille pour aller vivre à la citadelle des mages. Je suppose que certaines familles ne devaient pas voir ça d’un bon œil.
- Tout le monde rêve que son enfant devienne assistant. Non, en fait, le rêve suprême, c’est qu’il soit magicien. Disons que ça vient en second. L’assistant vit dans les mêmes conditions que son magicien. Qui ne voudrait pas ça pour son enfant ?
- Ça ne répond pas à ma question, fit remarquer Elna.
- Je ne sais pas, répondit Sakku. Personne n'a jamais refusé.
Elna fit la moue. Et si les magiciens avaient caché qu’ils choisissaient au hasard pour faire croire que les enfants étaient destinés à quelque chose de plus grand ? Les magiciens étaient-ils aussi bons pour leur peuple qu’ils voulaient le faire croire ?
- Je ne sais pas si aller voir toutes les factions magiques est une si bonne idée. Plus je parle avec les gens, plus je m’embrouille. Je ne sais plus qui croire, en qui avoir confiance, maugréa Elna.
- Je te soutiendrai, quoi qu’il arrive.
- Comment puis-je suivre la voie des anciens magiciens quand je n’approuve pas leur façon de procéder ?
- Tu es libre, rappela Sakku. Tu n’es pas forcée de suivre leur voie. Tu peux aussi en créer une nouvelle. L’avenir t’appartient.
- C’est bien ce qui me fait peur ! s’exclama Elna. Je ne suis qu’une paysanne à peine sortie de l’enfance. Je ne connais rien de la vie et je dois changer le monde ? Est-ce que je ne me berce pas d’illusion en osant croire que je ferai du bon travail ?
- Un vrai chef doit avant tout savoir s’entourer de bons conseillers. Il ne peut pas tout savoir sur tout.
- J’ai choisi de m’entourer d’un Morden et d’un ensorceleur, fit remarquer Elna. Mes choix ne sont pas du tout à remettre en cause, en effet, ironisa-t-elle.
- Tu as aussi choisi deux assistants parfaitement complémentaires. Laisse-toi du temps, la calma Sakku. Aie confiance en toi. Tu es capable.
Elna se renfrogna. Ketall lui avait dit exactement la même chose sans parvenir à la convaincre. Sakku venait également d’essayer… et de rater. Elna sentait toujours ce poids sur son cœur. Elle tenait l’avenir de son pays entre ses mains et elle ne se sentait pas à sa place dans ce rôle. Elle ruminait toujours ses pensées lorsque Decklan ordonna l’arrêt.
- Pourquoi s’arrête-t-on ? s’enquit Elna.
- Parce que dans une centaine de pas environ, tu seras assaillie par les pouvoirs des voyants, lui apprit-il et Elna frissonna. Je ressens l’absence totale de magie.
Decklan descendit de cheval. Elna fit de même. Lorsqu’elle fut au sol, elle constata que Decklan était juste à côté d’elle. Son corps s’affola alors que son cerveau fut pétrifié par l’odeur qui émanait du Morden. Il sentait bon. Son regard marron transperçait la jeune femme, mais sans qu’aucune agressivité n’y apparaisse. Un instant, elle crut qu’il pouvait lire ses pensées, percevoir les tremblements de son corps et sentir son bas-ventre se contracter. À cette idée, elle ne put empêcher son visage de virer à l’écarlate. Si Decklan perçut quoi que ce soit, il n’en montra rien, conservant son habituel visage impassible.
- Je veux juste le bracelet, précisa-t-il.
Elna se détourna, ravie de ne plus avoir à regarder le Morden mais son odeur musquée lui parvenait toujours, ne faisant pas diminuer la rougeur de ses joues. Elle plongea la main dans sa besace, fouillant pour en tirer le bracelet, tous les muscles contractés.
Elna jura entre ses dents. Le bracelet avait choisi ce moment pour se cacher dans la besace. Elna mit un temps infini à le trouver. Decklan ne montra aucun signe d’agacement. Elna se rappela qu’elle n’avait jamais vu le Morden se mettre en colère. Il faisait toujours preuve d’un calme à toute épreuve. Il ne s’énervait pas comme les autres Mordens. Il semblait avoir accepté son statut de mort-vivant et ne semblait pas chercher à le quitter en faisant souffrir un tiers.
- Je me sentirais mieux si Sakku vous accompagnait, lança Elna en trouvant enfin le bracelet et en le donnant à Decklan en prenant garde de ne pas toucher sa main droite gantée.
- Si tu veux, accepta Decklan.
Decklan et Sakku disparurent rapidement dans la forêt touffue qui abritait la caste des voyants, laissant Elna seule avec Ketall et Djumbé.