Chapitre 6 : Là où le Diable sera notre témoin

Par Rouky

L’homme avait des yeux bleus aussi clairs qu’un ciel d’été, et dotés d’une lueur féroce.

- Non... Bafouilla Gallant en secouant doucement Margot par les épaules. Réveille-toi, petite. Réveille-toi.

En voyant l’homme tourner l’arme vers Gallant, tout mon corps me hurla d’intervenir. Ni une ni deux, je fonçai sur le détective, le poussant de toutes mes forces. Il perdit l’équilibre, lâchant le cadavre, et tomba dans la Seine. Je sautai à mon tour, tête la première, au moment où une seconde détonation retentit.

Il nous fallait impérativement remonter le fleuve, s’éloigner de l’homme armée.

Le contact avec l’eau glacial me provoqua une terrible douleur dans l’ensemble du corps. Je remontai à la surface, cherchant rapidement Gallant du regard. Je l’aperçu un peu plus loin, emporté par le courant.

Il effectuait de grands gestes avec les bras, tapotant la surface, peinant à rester hors de l’eau. Tout cela dans un terrible silence. Je réalisais alors avec effroi ce qui était en train de se passer : Gallant se noyait. Je ne m’étais pas posé la question de si oui ou non il savait nager.

Sans même prendre la peine de vérifier si le tireur était encore sur la berge, je nageais dans le sens du courant, en direction du détective. Le froid me mordait la peau, je ne sentais déjà plus les extrémités de mes membres, mais mon ardeur à sauver mon ami me donna la volonté nécessaire pour le rejoindre.

Je l’atteignis alors même qu’il avait épuisé ses dernières forces pour rester la tête hors de l’eau. Au moment où il s’apprêtait à couler pour de bon, je me positionnais de sorte à ce que, aidé de mon corps, il reste à la surface. Je nageais alors avec lui, doucement mais sûrement, en nous laissant emporter par le courant.

Je finis par apercevoir une berge facile d’accès, loin de la position où nous nous trouvions quelques instants plus tôt. Je me rendis jusque là, époumoné et luttant contre le courant. Je hissais Gallant avec difficulté. Il parvint à monter sur le rebord et, d’une main, m’aida à faire de même.

Nous nous laissâmes tomber sur le dos, enfin à l’abri.

Le regard rivé vers le ciel obscur, je tentai de reprendre le contrôle de mon propre corps. La respiration rapide, des étoiles dansaient devant mes yeux. La morsure glacée de la Seine me faisait grelotter. Je me plaçai en position fœtale dans l’espoir de me réchauffer un peu. Tournant ainsi sur le côté, je pu observer Gallant.

Le souffle court, les yeux fermés, il respirait à grandes goulées, comme si l’air lui manquait. Il respirait vite, beaucoup trop vite. Je rampai vers lui tant bien que mal, comprenant qu’il était en proie à une crise de panique.

Je l’enlaçai alors, le menton posé sur ses cheveux. Le contact me procura de la chaleur, et à lui du réconfort. Là, le visage au creux de mon cou, il éclata en sanglots.

*

Le commissaire Jacques Barnet observa le petit corps, la mine sombre.

La police avait été prévenu d’un coup de feu sur un pont de la Seine. Flairant aussitôt une affaire sordide, le commissaire s’était personnellement rendu sur place.

Un instant, il avait eu peur de devoir constater la mort du détective ou de son ami Anglais. Mais c’est le cadavre d’une fillette qu’il devait à présent regarder, ses yeux vitreux tournés vers les étoiles infinies.

Des témoins qu’il interrogea, personne n’avait rien vu. On avait entendu un coup de pistolet, et les premiers arrivants ne virent personne. Il n’y avait que le corps de la gamine.

Un mauvais pressentiment serra le cœur du vieux commissaire. Un petit délinquant tombé dans la Seine, un violoniste égorgé en pleine rue, et maintenant une enfant tirée dessus à bout portant. Déjà tant de morts. Pourtant, Jacques Barnet sentait que la liste ne finirait pas de s’allonger.

Les vêtements trempés, nous marchâmes en direction du commissariat. La Seine nous avait recrachés assez loin du centre de la ville, nous emmenant plutôt vers sa banlieue. Il nous restait donc encore du chemin à parcourir.

Gallant marchait à quelques pas derrière moi, silencieux. Seul le bruit de nos pas résonnait.

Nous n’avions pas échangé un mot depuis notre plongée glaciale. Nous étions restés longtemps sur la berge, attendant que les larmes du détective se tarissent. Quand ce fut fait, nous nous étions levés dans le calme le plus solennel.

J’ignore si Gallant avait prévu d’aller au poste de police en premier lieu, mais c’est là-bas que j’avais décidé de l’emmener.

Je relevai la tête, sourcils froncés. Le bruit de nos pas s’était soudainement affaiblit. Je me retournai, et constatais que Gallant s’était immobilisé, ses yeux encore rougis levés vers une église quelconque.

- Gallant ? Appelai-je doucement. Venez, nous devons rejoindre le commissaire Barnet. Il saura comment nous protéger.

- “Là où le Diable sera notre témoin”, récita le détective.

- Oui, c’est ce qu’a entendu Mar... Margot... Mais quel rapport avec cette église ? Il y a des centaines d’édifices religieux à Paris. Pourquoi s’attardait sur celui-ci ?

- Regardez mieux, mon ami.

Je suivis alors la direction qu’il me pointa du doigt. Au dessus de l’entrée, une créature cornue et ailé, faite de marbre blanc, semblait nous observer.

Je pâlis soudain.

- Se pourrait-il que... Non, c’est impossible. Dieu serait-il de notre côté, pour nous offrir une chance aussi improbable ?

- Ce n’est pas Dieu qui nous a guidé, c’est elle...

Il baissa la tête, sa voix ayant flanchée. Je continuais d’observer l’édifice blanc, imposant autant par sa grandeur que par la richesse de ses ornements.

- Alors c’est ici qu’ils échangeront le trésor contre... quoi ? De l’argent, très probablement.

- Oui, répondit Gallant. Et c’est certainement ici que nous mettrons la main sur le Vicaire.

- Comment pouvez-vous en être certain ? Nous ignorons même quand aura lieu l’échange ! Et puis, les criminels ont vu Margot en train de nous parler. Puisqu’elle a déjà surpris leur conversation, ils craindront peut-être qu’elle nous ait déjà tout répété. Ils vont certainement changer leur plan.

- Peut-être, mais c’est un risque à prendre. Je suis prêt à parier que le Vicaire n’est pas du genre à changer ses plans à la dernière minute.

- Alors nous devons tout de suite prévenir le commissaire !

- Attendez, vous oubliez quelque chose d’important.

- Quoi donc ?

- Pardi, le trésor ! Comment voulez-vous qu’il y ait un échange, si le trésor manque à l’appel ?

Je lâchai un juron en me rappelant ce détail.

- Mais où diable se trouve ce fichu trésor ? Pestai-je. Où l’a donc caché Monsieur Violon ?

Je vis alors Gallant écarquiller les yeux, puis éclatait d’un rire sinistre.

Je le regardai, médusé.

- Qu’y a-t-il donc de si drôle ? Grondai-je.

- Le trésor se trouvait sous nos yeux depuis ce temps, et nous n’avons rien vu ! Comme je suis bête, c’était pourtant évident !

- Puisqu’il s’agit d’une évidence, vous ne verrez aucun mal à éclairer ma lanterne ?

Le détective se tourna vers moi.

- Les derniers mots de Monsieur Violon : “Prenez soin de ma beauté”.

- Oui ?

- Quand il est sortit de notre bureau, il s’est mis à parler de son violon en l’appelant “beauté”.

- Mais encore ? Je doute que le trésor que nous cherchons soit un violon.

- C’est bien là que nous nous sommes faits avoir ! Il ne parlait pas de son violon, mais bel et bien du trésor !

- Vous pensez que le trésor est... caché dans le violon ? C’est impossible, comment aurait-il pu faire ?

Gallant claqua sa langue, l’air mécontent.

- Mais non, allons ! Il n’y a aucun violon dans l’étui qu’il nous a laissé, seulement le trésor. Depuis le début, le trésor se trouve dans notre bureau ! Nous devons immédiatement rentrer à la maison.

- Certainement pas ! Ces criminels savent où nous habitons, ils nous attendent peut-être ! Ne prenons aucun risque, nous devons nous rendre au commissariat.

- Non, c’est une perte de temps. Les malfrats ont peut-être déjà trouvés le trésor, à l’heure qu’il est. Je refuse qu’ils s’enfuient ! Ils doivent être punis pour ce qu’ils ont fait.

Il avait craché cette phrase avec tant de rage que je restais pantois.

- Mais... c’est trop dangereux, dis-je d’un ton adouci. Ils sont armés, et cela fait déjà deux fois qu’ils ont tentés de vous tuer. Non, nous devons-

- Rendre justice à Monsieur Violon et à Margot, me coupa-t-il. Margot est morte pour nous dévoiler ces informations cruciales. Je refuse que son sacrifice n’ait servi à rien. Allez retrouver la police si vous voulez, mais moi je rentre.

Il passa à côté de moi, me bousculant presque. Il ne réfléchissait plus normalement, il était complètement absorbé par sa fureur. Si je le laissais seul, je craignais que, cette fois-ci, il ne s’en sorte pas...

- Par tous les dieux ! M’écriai-je. Quel entêté, ce Français...

Je le talonnais, me préparant à l’affrontement.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez