Chapitre 5 - Rencontre avec le groupe D - Partie II

Notes de l’auteur : TW : léger deuil.
Ce chapitre n'est pas encore en version définitive, retours bienvenus

Norton venait d'interpeller une femme aux longs cheveux noirs et raides qui se tenait un peu plus loin. Elle semblait flotter dans son uniforme, elle aussi, mais ses bras nus laissaient voir des muscles épais, trahissant une carrure sportive. Son teint mat faisait ressortir les yeux verts de son visage ovale. Elle paraissait plus jeune que la moyenne des Vermines présentes - seize ans, tout au plus. Elle s'approcha de nous l'air pas complètement réveillée et je réalisai que, comme presque tout le monde autour de moi, elle me dépassait au moins d'une tête. Elle portait un plateau dans les mains, sur lequel se trouvait une gamelle pleine de purée, un verre et des couverts. L'odeur du repas n'était pas très engageante mais le goût ne pourrait pas être pire que les racines et les champignons du Bidonville. Elle me salua d'un regard et d'un sourire, laissant à Sydney le soin de faire les présentations. La nouvelle venue tiqua lorsqu'elle entendit la mémoire de mon nom, mais ne dit rien.

« Et Lille, voici Regina.

— Revenue d'entre les morts, railla Norton, écopant d'un regard assassin de l'intéressée.

— Regina comme ? demandai-je.

— Juste Regina, répondit celle-ci. Entretenir la mémoire nous ancre bien trop dans le plan matériel.

— Hein ?

— Fais pas attention, soupira Norton en se saisissant d'un plateau, d'un verre, d'un bol vide et de couverts, m'enjoignant à faire de même. Elle prend les enseignements des Maestreï un peu trop sérieusement. Ou alors, c'est le fait d'avoir passé un peu trop de temps dans les charognes qui lui a retourné le cerveau.

— La prochaine fois qu'un scorpion te grimpe dessus, compte pas sur moi pour t'aider, rétorqua-t-elle en tournant les talons. »

Je l'observai se mêler à la foule d'un air interdit. Norton s'en amusa.

« Franchement, Norton, tu pourrais la lâcher un peu, lui reprocha Sydney. Nous avons eu un mois difficile avec la perte de Welly, tu n'es pas obligé d'en remettre une couche. Et je ne suis pas sûre que tu fasses bonne impression à notre nouvelle venue.

— Tu entends quoi par "revenue des charognes" ? demandai-je, ignorant la blonde, ma curiosité piquée au vif. »

Le rouquin afficha un sourire de triomphe à l'égard de la jumelle et, pendant qu'un robot remplissait sa gamelle de purée, il me répondit :

« Les Charognards l'ont ramassée il y a à peu près un an. Ils croyaient qu'elle était morte mais en fait non. Quelqu'un s'en est rendu compte, et ils nous l'ont envoyée.

— Et c'est comment ? Je veux dire, qu'est-ce qu'ils en font, des corps ? Où ils les emmènent ?

— Ah, ça, j'en sais rien. On a bien essayé de la faire parler mais elle prétend qu'elle se souvient pas. Moi je dis qu'elle a l'air un peu trop traumatisée pour quelqu'un qui se souvient pas. »

Les jumeaux échangèrent un regard las et m'invitèrent à les suivre, coupant court à notre conversation. En compagnie de Regina se tenait un homme noir. Sa peau semblait plus dure, plus marquée, et les cheveux crêpus coupés à ras grisonnaient sur ses tempes.

« Comment ça va, le vieux ? demanda Norton en s'asseyant face à lui. »

Son interlocuteur hocha la tête en guise de réponse, la bouche pleine.

Vieux. Alors c'était à ça qu'on ressemblait, quand on était vieux ?

« Vieux comment ? demandai-je au rouquin. »

Sydney et Van ouvrirent des yeux ronds. L'homme s'en amusa et répondit lui-même d'une voix profonde :

« Les Maestreï estiment mon âge à une cinquantaine d'années. Encore deux ans et je serai révoqué, annonça-t-il fièrement.

— Révoqué ? m'intriguai-je, m'asseyant à mon tour.

— Le travail est pénible, au bout d'un moment le corps fatigue - on devient moins endurant, moins efficace. Alors on est Révoqué : on arrête de travailler, on profite de Citadelle le temps qu'il nous reste - une bonne vingtaine d'années ! »

Cinquante plus vingt. Cinq et deux sept. On remet le zéro pour la dizaine. Soixante-dix. Soixante dix années de vie. Sept fois mes doigts. Presque trois fois l'espérance de vie normale. Je le regardai bêtement, essayant de déceler la plaisanterie dans sa voix ou ses expressions.

« Amisii, les salua Sydney en posant son plateau à une place libre. Je vous présente Lille, comme la Mégalopole au-dessus des Mers qui reliait Europa à Royaume et fut ravagée par la folie des hommes lors de la Deuxième Apocalypse. Lille, voici l'équipe D presque au complet. »

Je saluai d'un hochement de tête, sans trop savoir quoi dire, et m'assis à mon tour. Les conversations enjouées du petit groupe s'étaient tues. Norton me fixait ostensiblement, les coudes sur la table, ses mains soutenant son visage. Regina baissa les yeux vers son assiette lorsque mon regard se posa sur elle. L'homme vieux mangeait sans vraiment se soucier de ce qu'il se passait autour de lui. Van, constatant le malaise qui s'installait, me sourit d'un air un peu gêné, comme pour excuser ses comparses, et rompit le silence qui pesait sur notre petite assemblée :

« Tu ressembles beaucoup à la personne que tu remplaces, c'est un peu… déstabilisant.

— Surtout quand on sait dans quel état elle a fini, commenta Norton.

— Norton, s'il te plaît… soupira Sydney. Ne commencez pas à lui faire peur. Korem, je ne t'ai pas entendu te présenter ? »

Ce dernier prit alors la parole d'une voix aux accents graves, dont on devinait à sa façon de la contenir qu'elle portait probablement assez loin :

« Je suis Korem. Comme la ville d'Ethiopie d'où proviennent mes ancêtres, dont nous transmettons ainsi la mémoire familiale à travers nos générations. Cette histoire ne se résume pas à quelques mots, je te la raconterai un jour si elle t'intéresse vraiment. »

Je me contentais de hocher la tête. Entretenir la Mémoire était toujours une bonne façon d'occuper du temps. Instinctivement, je me tournai ensuite vers la petite brune aux longs cheveux, qui avait observé la présentation de ses camarades d'un oeil désapprobateur :

« Et du coup, toi, tu es contre la Mémoire ? »

Contrairement à Korem, elle n'avait aucun coffre. Elle parlait avec un accent que je ne reconnus pas. Et son ton n'était ni sympathique ni agréable.

Elle soupira et posa soigneusement ses couverts, puis croisa les bras pour me fixer. Face à son attitude, les autres - à l'exception de Sydney qui semblait toujours faire son maximum pour préserver les apparences - levèrent les yeux au ciel. Norton marmonna un "elle recommence." dans sa presque-barbe.

« Tu viens d'arriver, alors tu ne le sais pas encore, mais entretenir la mémoire, ça ne sert à rien ici. Les Maestreï ont l'Histoire dans leurs archives. Et la mémoire, ça nous attache au plan maté…

— Tu vas l'embrouiller, intervint Norton. Elle ira suivre les Enseignements comme tout le monde et décidera de les suivre - ou pas. »

Son "ou pas" indiquait très clairement sa position sur le sujet. Néanmoins, ces paroles m'intriguèrent et au gré de mes nouveaux questionnements, mon appréhension pour la suite des événements se transformait peu à peu en curiosité impatiente. Regina se contenta de hausser les épaules et de recommencer à manger, imitée peu après par les autres. Je toisai la purée jaunâtre qui gisait au fond de mon bol. Ce n'était visuellement pas plus engageant qu'une flaque d'eau croupie, aussi fus-je agréablement surprise de constater que c'était excellent. C'était même, très certainement, la meilleure chose qu'il m'eût jamais été donné de manger. Les saveurs se mélangeaient délicatement, la température était parfaite. La texture était incroyablement douce.

« Hey hey, alors, c'est toi notre nouvelle recrue ?! »

La vive tape dans mon dos qui accompagna cette exclamation surgie de nulle part déclencha de vieux réflexes. Je me retournai en reculant ma chaise de toutes mes forces, le couteau en main pour planter mon agresseuse. Van me retint juste à temps, et je me retrouvai face à une femme d'environ mon âge, qui après avoir encaissé mon siège dans l'abdomen, me fixa d'un air complètement désarçonné, les yeux brillants, tristes, fatigués, et leur rougeur gonflée était probablement due à la drogue ou à des larmes versées un peu plus tôt.

« Welly… murmura-t-elle… »

Les autres échangèrent des regards gênés. Van me retira le couteau des mains et me lâcha.

« Ce n'est pas elle, répondit-il en déposant l'arme blanche sur la table.

— Je sais, je sais… C'est juste… je m'y attendais pas. »

La nouvelle venue prit une grande inspiration, puis se força à arborer un grand sourire un peu ridicule en s'asseyant à côté de moi :

« Salut, bienvenue, je suis Leeds !

— Lille, comme…

— Peu importe la mémoire va, de toutes façons à la fin on crève tous et l'Univers aura tôt fait d'oublier notre petite planète. Non, dis-moi plutôt, Lille, est-ce que tu te plais ici ? »

Elle faisait ses plus grands efforts pour paraître enjouée et faire oublier son apparence. De larges boucles brunes dévoraient ses joues et noyaient sous une cascade de mèches inégales la moitié de son dos et de sa poitrine volumineuse. Son uniforme comportait les mêmes liserés que Norton, Regina et Korem - et à bien y regarder, qu'une majorité des centaines de Vermines présentes dans la salle. Elle était moins svelte que les jumeaux, plus charnue que Regina, moins musclée que Korem. Et grande. Une bonne tête et demi de plus que moi - au moins la taille de Sao. Peut-être pas tout à fait celle de Beijing.

Prise au dépourvu par sa question, je me contentai d'un grognement en réponse, après avoir vidé mon bol de sa dernière cuillerée de purée.

« Tu es toute maigre, tu dois avoir vraiment la dalle, tiens, tu en veux encore ? »

Elle poussa vers moi son bol mais Van s'en empara et le reposa devant elle.

« Mange. »

Elle récupéra son repas en soupirant mais n'y toucha pas. Au lieu de ça, elle reporta son attention sur moi :

« Tu verras, tu vas te plaire ici ! »

Je lui répondis d'un sourire de politesse. Me plaire ici. C'était certes bien mieux que le Bidonville, et en même temps tellement différent, tellement à l'opposé de tout ce que je connaissais, que c'était difficile d'en être sûre.

Après manger - sous les regards insistants de Van, Leeds avait fini par en prendre un peu - Sydney m'entraina vers un tapis roulant sur lequel nous pôsames nos plateaux et couverts, qui furent entraînés par le mécanisme jusqu'à disparaître derrière un rideau en lattes de pneu noir.

Nous fûmes parmi les derniers à sortir, par une large ouverture dans le mur opposée à celle par laquelle nous étions entrés.

« Alors, prête pour ton premier Enseignement ? demanda Leeds en surgissant entre moi et Sydney. »

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Cléooo
Posté le 26/08/2024
Et coucou, me revoilà !

Un chapitre qui se lit bien et permet efficacement de présenter le nouveau groupe qui va entourer Lille, à un détail près que j'aborde après.
L'arrivée de Leeds est plaisante, on voit qu'elle a une certaine sensibilité, et il faut avouer que toutes les mentions sur Welly interrogent sur ce qui a pu lui arriver.

L'idée qu'il y ait un enseignement, une éducation donc, à l'intérieur de Citadelle est également intéressant, on n'est donc pas juste sur des bras pour faire une basse besogne, mais une vraie volonté de former des citadins.

Quelques notes sur la forme et le fond:

La forme :
○ "une pile d'uniformes jonchait le sol" -> je ne sais pas si on peut dire "joncher" pour un seul élément. Des piles d'uniformes jonchaient le sol me semblerait plus approprié, et encore, je crois que ça a une connotation plutôt désordre, et je n'imagine pas de désordre quand tu décris la pièce.
○ "une autre partie de la salle, que je n'avais pas vue depuis la Zone Sale." -> il y a une redondance sonore ici, même si les sens sont évidemment différents.
○ "sous couvert de taquineries douteuses" -> au singulier, puisque c'est une idée générale ?
○ "laissaient voir des muscles épais, trahissant une carrure sportive" -> pourquoi "trahissant" ? révélant ?

Le fond :
○ "J'espérais avoir plus d'affinités avec ceux qui restaient." -> Ça me laisse un peu dubitative, cette phrase. Dans le sens où toute sa vie, elle a vécu avec l'idée qu'il ne fallait pas s'attacher, ça m'étonne que son premier espoir soit de se lier d'amitié avec les autres.
○ "Presque trois fois l'espérance de vie normale." -> plutôt plus de deux fois l'espérance de vie? (on est plus proches des deux fois, puisque c'est environ 30 ans)
○ Là, une chose qui m'a perturbée à la lecture : "« Et du coup, toi, tu es contre la Mémoire ? »" je suppose que c'est la petite brune qui parle, mais... Je n'ai pas compris pourquoi elle demande ça, ni à qui. Ni qui elle est vraiment. J'ai relu le passage mais je l'ai trouvé assez obscure. Elle est simplement présentée comme une petite brune qui avait observé les autres d'un œil désapprobateur et il n'est pas clair de qui il s'agit.
○ "pour paraître enjouée et faire oublier son apparence." -> ici, je n'ai pas compris pourquoi elle voudrait faire oublier son apparence... Quel est le problème de son apparence, et pourquoi Lille pense ça ? Enjouée, je comprends, mais pas la suite.

Voilà voilà, à bientôt :)
JuneZero
Posté le 29/08/2024
Encore une fois tes remarques sont tout à fait pertinentes 😂. Je vais retravailler ces passages, de base ce chapitre est celui qui m'a le plus longtemps bloqué à l'écriture et dont je suis le moins satisfaite donc merci beaucoup pour tes propositions et remarques qui m'aideront à en faire quelque chose de potable 😬

Pour les choses que tu n'as pas compris, que du coup j'eclaircirai à la correction :
- C'est Lille qui pose la question à la petite brune(Regina, celle que Norton surnomme Zombie), mais c'est vrai que comme je l'ai déjà nommée plus haut j'aurais pu juste la nommer là aussi pour éviter la confusion.

- Pour faire oublier son apparence : là aussi j'expliciterai mais en gros c'est Leeds qui a l'air complètement au bout de sa life, des cernes, les yeux rouges etc... qui veut faire genre ménon tout va bien j'ai pas du tout l'air malheureuse regaaardeee je suis enjouééé.

Maintenant faut que je trouve le temps de corriger tout ça 😂

Cléooo
Posté le 30/08/2024
Hello, ça marche, merci pour les clarifications ! ^^
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