Chapitre Cinq : Saint-Valentin (2)
- Alors ici, c’est la salle de bain.
- Je sais.
Gabrielle se tut. Elle avait oublié que Valentin avait déjà une connaissance parfaite sur l’emplacement de sa salle de bain. Elle balaya ce mauvais souvenir d’un revers de la main. Elle entraîna le jeune homme dans le grand salon qui servait aussi de chambre et de cuisine.
- Mais vous êtes sûre que vous voulez m’héberger ? Pendant tout ce temps ?
- Oui, oui.
- Mais on va s’arracher la tête à force de vivre ensemble !
- Arrachez la votre si ça vous chante, mais la mienne ne bougera pas de place !
La jeune femme ôta sa veste. Elle ne portait qu’une nuisette et Valentin ne put s’empêcher de la contempler. C’était une nuisette toute blanche, en soie. Elle finissait par des pans de mousseline et donnait l’air d’être un ange à celle qui la portait. Gabrielle sortit de son placard un oreiller et deux couvertures qu’elle jeta sur le canapé.
- Vous savez quoi ? continua Valentin. Vous êtes vraiment généreuse.
- Un peu trop même.
Elle s’avança vers lui et le poussa sur le lit. Étalé sur le matelas, il ne comprit pas vraiment ce qu’il lui arrivait.
- Au dodo, maintenant ! claironna Gabrielle, en rabattant les couvertures sur lui. Il est très tard !
- Hey mais…! s’exclama Valentin d’une voix étouffée.
Il essayait de se débattre mais la jeune femme était en train de le border et il se retrouva vite plaqué sur le matelas.
- Mais…pourquoi je ne dors pas sur le canapé ?
- Parce que. Mais ne vous inquiétez pas, la semaine prochaine, ce sera vous qui y dormirez. On fera à tour de rôle.
- Bon…je suis d’accord, mais seulement parce que c’est vous.
- De toute façon, je ne vous demande pas votre avis. C’est comme ça, et pas autrement !
Quoiqu’il en soit, Valentin ne regretta nullement le choix qu’elle lui imposait. Le lit de Gabrielle ressemblait à un petit nuage. Il était très douillet et il portait le parfum de la maîtresse des lieux. Il était parfait à souhait et le jeune homme y passa la meilleure nuit de son existence.
Le matin, lorsqu’il se réveilla, il se rendit compte que Gabrielle était déjà levée. Elle préparait le petit-déjeuner. Valentin s’enfonça sous la couverture pour ne pas être vu et s’approcha du bord du lit. Il la contempla discrètement pendant quelques minutes, par un petit trou, caché sous le drap. Il ne savait pas pourquoi il était tant fasciné par les jambes de la jeune femme, mais il ne pouvait pas s’empêcher de les admirer. Puis, il la vit se retourner et se diriger vers le lit.
- Vous vous foutez de moi ? s’indigna-t-elle en soulevant la couverture.
- Merde, je suis découvert !
- Allez, levez-vous !
- Non !
Le fait était là. Valentin aimait tellement le lit de Gabrielle qu’il ne voulait plus le quitter. Dans un grognement, il tira sur la couverture sur lui et disparut du champ de vision de la jeune femme. Elle ne voyait plus qu’une tignasse blonde dépasser.
- Valentin…supplia-t-elle. Ne faites pas l’enfant !
Un grognement plus long lui répondit. Gabrielle grimpa sur le lit et tira doucement la couverture pour découvrir le visage de son réfugié. Au fut et à mesure qu’elle se penchait sur lui, le regard du jeune homme s’évadait vers le petit décolleté de la nuisette. Elle le remarqua et lui assena une claque sur le crâne.
- Aïe ! gémit-il en la regardant avec des yeux de chiot.
- Ça suffit maintenant ! Levez-vous, nous avons beaucoup de choses à faire aujourd’hui !
Valentin sortit son bras d’en dessous de la couverture et tâta l’air quelques secondes. Il frissonna et le rentra aussitôt.
- Non, il fait trop froid. Moi, je suis bien là…il fait chaud…
Il eut un petit soupire et ferma les yeux, prêt à se rendormir. Seulement, Gabrielle ne l’entendait pas de cette oreille. Elle réussit à le pousser au bord du lit, et il manqua d’ailleurs de tomber.
- Bon ça va, ça va…grommela le jeune homme en se remettant sur pieds. Putain…mais il fait froid ici ! Vous mettez souvent le chauffage ?
- Il y est déjà.
- On ne dirait pas.
- C’est pas ma faute si vous êtes frileux.
- Nianiania…et d’abord, je ne suis pas frileux. C’est juste le changement climatique. Je n’ai pas l’habitude.
Gabrielle ne répondit pas et l’invita à s’asseoir à table. Ils déjeunèrent en silence jusqu’à ce qu’elle prenne la parole.
- Dites-moi, vous ne travaillez pas aujourd’hui ?
- Et puis quoi encore ? J’ai bossé dimanche dernier et faudrait que je bosse encore ce dimanche ?! Non, mais ça va pas la tête ?!
- Je m’informais simplement.
- Bah voyons, réfléchissez avant de poser des questions comme ça !
- Ça suffit Valentin ! Vous m’écoutez oui ou non ?
- Oui chef !
- Aujourd’hui, il faut qu’on aille faire le changement d’adresse et qu’on vous achète des vêtements. Je dois aussi faire quelques courses, j’ai plus rien à manger. Heureusement que les magasins sont ouverts.
- Bon, dans ce cas, je vous laisse la salle de bain pendant que je débarrasse la table.
Gabrielle cligna des yeux, certaine d’avoir mal entendu.
- Vous quoi ?
- Laissez tomber. Filez dans la salle de bain ! s’exclama Valentin, en poussant la jeune femme vers la porte.
Pendant qu’elle prenait sa douche, il s’empressa de laver les bols et de ranger la cuisine. À peine eut-il fini sa tâche qu’on sonna à la porte. Gabrielle, toujours dans la salle de bain, lui hurla d’aller ouvrir. Il s’exécuta et tomba nez à nez avec la concierge.
- Bonjour, fit-il poliment avant de reconnaître la vieille dame.
Il pâlit alors qu’elle fronçait les sourcils.
- Des excuses ! s’écria la concierge, révoltée et rouge de fureur.
- Hey mais…
- Qu’est-ce qui se passe ici ?
Gabrielle venait d’arriver, alertée par les cris. Elle était habillée mais ses cheveux n’étaient pas encore coiffés. Dès qu’elle la vit, la concierge se radoucit. Elle adorait la jeune femme et l’avait toujours couvée comme si elle était sa grand-mère.
- Cette femme m’agresse, expliqua Valentin.
- Il m’a dit « Va te coucher mémé ! » ! se défendit la vieille dame.
- Vous avez fait ça ? s’étonna Gabrielle.
- En fait…euh…c’était le soir où on s’est rencontré et…
Les yeux de la jeune femme s’assombrirent à ce souvenir. Elle chercha dans sa mémoire le passage où Valentin claironnait « Va te coucher mémé ! » dans la cage d’escalier mais elle ne le trouva pas.
- Il faut l’excuser Madame, fit-elle en haussant les épaules. Nous n’étions pas dans notre état normal…Il ne pensait pas ce qu’il disait, n’est-ce pas Valentin ?
Le jeune homme ne répondit pas, ce qui vexa davantage la concierge. Gabrielle lui donna un coup de coude dans les côtes.
- Bien sûr que je ne le pensais pas, s’empressa-t-il de dire. Non, non, désolé. Il ne fallait pas me prendre au sérieux voyons ! Qu’est-ce que je peux être con par moment… De toute façon, vous faites ce que vous voulez, même si vous deviez être couchée depuis longtemps à cette heure de la nuit… M’enfin, j’ai rien dit, vous faites votre vie, et je fais la mienne…et bref voilà…
- Vous en faites trop Valentin, murmura Gabrielle.
Elle appuya sa tête contre le bras du jeune homme et adressa un large sourire à la concierge. Celle-ci fondit littéralement face à ce visage d’ange.
- Au fait, je voulais vous prévenir qu’il habitera chez moi pendant quelques temps. Vous pourrez lui monter son courrier en même temps que le mien ?
- Bien entendu, affirma la vieille dame, qui ne résistait pas une seule minute à Gabrielle.
- Parfait. Sinon, vous êtes venue pour…?
- Pour vous avertir qu’il y aura une coupure de courant demain dans la soirée.
- Merci beaucoup.
Dès que la concierge s’en alla, Valentin soupira.
- Vous m’avez sauvé la vie ! Je crois que je ferai votre ménage pour le restant de votre vie !
- En parlant de ça, je ne regrette pas de vous avoir hébergé, fit la jeune femme en jetant un coup d’œil à la cuisine qui brillait de propreté. Au fait, j’ai oublié de vous dire les règles.
- Les règles ?
- Oui, les règles. Règle numéro un : pas de femmes ici.
- Oh…okay. Règle numéro deux : pas d’hommes ici.
- Ne vous inquiétez pas, vous n’en trouverez jamais dans cet appartement. Ensuite, il vous ait interdit d’inviter qui que ce soit ici, sans me demander l’autorisation. Et bien évidemment, il est interdit d’inviter les autres flics (mais il y’a des exceptions comme Berthier et Anthony). Compris ?
- Bien chef !
Gabrielle parut soudainement gênée et n’osa pas regarder Valentin dans les yeux.
- Par contre…si voulez emmener votre mère ici, vous pouvez. Et on peut aussi l’inviter à dîner et…
- Merci, fit le jeune homme sobrement. Mais dites-moi, vous faites ça par pitié ?
Si la jeune femme avait trouvé un quelconque moyen pour disparaître, elle l’aurait utilisé dans l’immédiat. Valentin vit son mal-être et se reprit rapidement.
- Ne le prenez pas mal. Merci beaucoup pour votre proposition, j’y réfléchirai. Bon, je vais à la douche, je crois que j’en ai franchement besoin ! Mais vous n’avez pas des vêtements pour moi ?
- Non, mais je vais courir vous acheter un pull, un pantalon, des chaussettes et des chaussures.
- Et des sous-vêtements, ajouta Valentin, l’œil malicieux.
- Ah oui ! Je n’y avais pas pensé, s’excusa Gabrielle, rouge de honte. C’est quoi vos tailles ?
- Prenez du 42 pour le pantalon, du 41 pour les chaussures, et du L pour le pull.
- Et bien…Je vais acheter tout ça rapidement et…
- Choisissez des beaux trucs quand même ! Je ne veux pas ressembler à un clown !
- On verra. Je ne vais pas rester trois heures dans les boutiques. En plus, je dois passer au 36 pour prendre vos uniformes.
Elle tourna les talons pour enfiler sa veste mais le jeune homme l’arrêta.
- Attendez !
Il trifouilla dans la poche de son bas de pyjama et sortit sa carte bancaire qu’il tendit à Gabrielle.
- Merde, j’ai dormi avec mes papiers et mes clés…Ouais, bon, le code c’est 2536.
- Non mais ça ne va pas Valentin ?! s’écria la jeune femme, stupéfaite.
- Mais si, ça va, je vous fais confiance. Je sais très bien que vous n’allez pas me voler ! Puis, vous n’allez pas payer mes affaires quand même !
- Il ne faut jamais faire ça voyons !
- Je vous répète que je vous fais confiance, alors maintenant, allez-y ! Vous avez plein de choses à faire ! claironna-t-il en la poussant vers la porte.
Gabrielle fut donc obligée de quitter l’appartement avec la carte bleue de Valentin. Elle descendit dans une rue marchande pour faire ses achats. Elle acheta un pull et un pantalon quelconque, se disant que Valentin choisirait ce qu’il voudrait quand ils reviendraient. Elle fit aussi l’acquisition d’une paire de chaussures standards et d’une amusante paire de chaussettes. Enfin, elle acheta les sous-vêtements sans regarder à quoi ils ressemblaient.
Après cela, la jeune femme se rendit au 36, quai des Orfèvres. Là, on lui donna sa fiche de paie et celle de Valentin (les salaires étaient arrivés en retard ce mois-ci) et elle se procura deux uniformes pour lui. Les deux officiers n’étaient pas obligés de venir en uniforme à leur travail, mais c’était exigé pour les grands évènements (comme les départs et les arrivés de personnes importantes). Enfin, elle passa rapidement dans son bureau pour récupérer le classeur rouge de Valentin.
Lorsqu’elle revint dans sa voiture, elle eut une grande envie de jeter un petit coup d’œil sur le salaire de son collègue de travail, et elle n’y résista pas.
- Oh mais…c’est dégueulasse ! s’exclama-t-elle, horrifiée, les yeux rivés sur la feuille.
Gabrielle se dépêcha de rentrer chez elle. Valentin l’attendait sagement, assis sur le lit-nuage. Quand elle arriva, il lui sauta dessus pour lui prendre les vêtements des bras et se rua dans la salle de bain.
- Vous n’avez pas trop de goûts pour les sous-vêtements ! s’écria-t-il depuis l’intérieur de la pièce.
- Et alors ? riposta la jeune femme, dont les joues avaient légèrement rosi.
- Vous auriez quand même pu faire un effort !
- Allez vous faire foutre ! Et dépêchez-vous, je dois vous parler de quelque chose !
Un grognement résonna dans la salle de bain et Gabrielle pouffa de rire. Valentin finit par sortir de la pièce deux minutes plus tard. La jeune femme ne prit pas la peine de l’observer et lui montra sa fiche de paie d’un air décidé.
- C’est quoi ça ?
- Mon salaire, répondit simplement Valentin. D’ailleurs, il était temps qu’il arrive ! Ça faisait deux semaines qu’on l’attendait ! Quoi ? Qu’est-ce qu’il y’a ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Pourquoi vous me regardez comme ça ? Mais arrêtez ! Vous me faites peur là !
- Il y a de la discrimination chez nous.
- Ah bon ? On fait de la discrimination ?
- Exactement. Je bosse sérieusement (même beaucoup mieux que vous), je ne manque presque jamais, je n’ai pas d’enfants à m’occuper (et je n’en aurai jamais), je suis là depuis trois ans, je fais le même boulot que vous et…je suis payée deux fois moins !
- Et alors ?
Le gifler. Le jeter par la fenêtre. Glisser de l’arsenic dans son café. Nombreuses furent les idées malsaines qui traversèrent l’esprit de Gabrielle à cet instant-là.
- Vous vous foutez de ma gueule ?!
- Non mais…attendez ! J’ai bien entendu ? Vous ne voulez pas d’enfants ? Pourquoi ?! s’écria Valentin, soudainement inquiet.
- Ne changez pas de conversation ! J’étais en train de vous parler de mon salaire…
- Ah oui…votre salaire. Mais Gabrielle, c’est normal que vous touchiez minimum 20 % de moins que moi…ce n’est pas la peine de vous mettre dans tous vos états !
- Normal ?! Non, ce n’est pas normal !
- C’est partout pareil, alors ne faites pas retomber la faute sur moi !
- Mais…
- Laissez tomber !
- Non ! Demain, vous m’accompagnez chez le commissaire, et vous allez plaider en ma faveur !
- Pardon ?!
- Vous avez bien entendu ! Vous, au moins, il vous écoutera !
- De toute façon, je ne travaille pas demain…
- Comment ça ?
- J’ai un jour de repos…
- Encore ?!
- Ça fait deux mois qu’il est posé !
- Oh c’est pas juste !
Gabrielle se laissa tombée sur le canapé, désespérée. Valentin jeta un coup d’œil sur le classeur rouge qu’elle avait posé sur la table.
- C’est mon classeur ça, remarqua-t-il.
- Oui.
- Vous avez fouillé dans mes affaires.
- Oui, et ?
- Et c’est très malpoli.
- Excusez-moi, mais on en parlera plus tard. Là, il faudrait qu’on aille faire les courses.
- Comme vous voudrez, mais si vous voulez mon avis, ce classeur -que vous avez feuilleté sans mon autorisation- montre pourquoi je suis mieux payé que vous.
- Ça va, hein ! N’en rajoutez pas une couche !
- On y va ? demanda Valentin, pour changer de sujet.
Ils passèrent une heure entière au supermarché. Pendant que Gabrielle achetait la nourriture, Valentin valdinguait dans les rayons à la recherche de rasoir, mousse à raser, brosse à dent, déodorant, shampoing, gel, peigne et parfum. Il avait même fait un gros caprice à la jeune femme pour qu’ils achètent de la tapenade et du Nutella. Ensuite, ils se rendirent dans un snack pour manger un peu, et firent tous les changements d’adresse qui leur étaient indispensables. Enfin, ils firent le tour des magasins pour agrandir la garde-robe de Valentin. Lorsqu’ils eurent fini toutes leurs courses, ils rentrèrent chez Gabrielle. C’était le soir, et la nuit commençait à tomber.
- Pouh, je suis fracassé…soupira le jeune homme en montant les escaliers, trois énormes sacs dans chaque main.
- Et moi, ratatinée…ajouta Gabrielle.
- Et moi, je suis hyper crevée à force d’attendre, et j’ai froid aux fesses ! T’as vraiment aucune pitié pour une pauvre photographe qui a failli ne plus revoir Paris de sa vie entière !
Valentin et Gabrielle sursautèrent, surpris. Jessica était assise sur la dernière marche de l’escalier, devant la porte de l’appartement. Elle portait un petit blouson, une mini-jupe et une grande sacoche bleue marine qui devait sûrement abriter son appareil-photo.
- Oh qu’est-ce qu’il fait là lui ? Il te suit à la trace ? Tu veux que je lui pète sa gueule ? demanda-t-elle en fixant dangereusement Valentin.
- Non, Jessica. Mais c’est une longue histoire. Viens, on rentre d’abord.
La jeune femme se pressa d’ouvrir la porte et ils s’engouffrèrent tous dans l’appartement.
- Bon, explique-moi !
- Il va habiter quelques temps chez moi. Son appart’ a pris feu.
- Ne confondez pas ! s’exclama Valentin, outré. Mon appart’ n’a pas pris feu ! Quelqu’un a mis le feu à mon appart’ ! Nuance !
- En gros, son appart’ est en cendre.
- Ah ouais, je vois…donc, ça s’est arrangé entre vous deux ?
- Euh…hésita Gabrielle, un peu perdue.
- Cool ! s’exclama Jessica en sautant au cou de Valentin. J’étais certaine que ce mec aurait été un super copain si tu n’avais pas été là !
- Je dois le prendre comment ?
- Comme tu veux, mais maintenant, c’est mon pote !
Gabrielle soupira. Elle ôta son écharpe et sa veste sans écouter Jessica qui ne s’arrêtait plus de parler.
- Ouais, comme je vous disais, j’ai failli ne plus revenir à Paris. Ce matin, j’ai pris le bateau qui traversait la ville pour pouvoir prendre une série de photos. Tu vois, je l’ai pris aux environs de la Grande Bibliothèque, et tu sais, j’ai descendu tout le long de la Seine. Et au bout d’un moment, je me rends compte qu’on avait dépassé le Parc des Princes et qu’on avait quitté Paris. En fait, le bateau continuait tranquille sa route ! J’te jure, il ne voulait plus jeter l’ancre ! Tu vois, à cette heure-ci, je serais au Havre ou pire ! J’aurais peut-être été jetée dans la Manche !
- Ça n’aurait pas été une grosse perte…
- Val’, je t’ai entendu ! Je croyais que t’étais mon pote !
- Je plaisantais.
- Certes ! Bon, je disais quoi au juste ? Ah oui ! Je suis donc allée voir le capitaine, et je lui ai demandé de faire demi-tour. Et là, il m’a dit non ce couillon ! Finalement, j’ai tellement gueulé qu’il m’a ramenée à Paris. Tu sais où il m’a jetée ?
- Non.
- Chez vous ! Au quai des Orfèvres !
- Il avait le droit ? demanda Gabrielle.
- Je ne pense pas mais il ne m’a pas demandé mon avis ! Il a jeté une corde, et moi avec !
Valentin et Gabrielle éclatèrent de rire. Jessica avait un don pour raconter ses aventures et elle le savait. Les personnes qui l’écoutaient pensaient avoir vécu les péripéties avec elle.
- Et donc voilà, toute perdue que j’étais, je me suis dit « peut-être que Gabrielle aura la bonté de me préparer un petit thé bien chaud » alors je suis venue ici ! Et je dois avouer que tu m’as bien bananée parce que j’ai poireauté deux heures et demi devant la porte ! Ton voisin du dessus m’a même fait un plan drague !
- Mon voisin du dessus ? Mais il a 58 ans !
- Raison de plus pour me plaindre ! Val’, arrête de rire, c’est pas marrant ! Et sinon voilà, au passage, j’ai trouvé ça dans une boutique et je te l’ai acheté !
Jessica ouvrit sa sacoche et en sortit un haut roulé en boule. Jamais vêtement n’avait été autant froissé.
- Il a fait un sacré voyage, remarqua Gabrielle. Sympa, merci Jessica, j’adore le rayé !
- Bon, faudra que tu le repasses, m’enfin…Oh, faut que je vous montre mes photos ! J’ai trois pellicules complètes sur les vues de la Seine que j’ai prise aujourd’hui !
La photographe fouilla à nouveau dans sa sacoche et sortit son appareil-photo. Valentin remarqua qu’il ne ressemblait en rien aux appareils standards et que la jeune femme avait dû le payer une fortune.
- C’est mon père qui me l’a offert pour mes 18 ans, expliqua Jessica devant l’air étonné du jeune homme. C’est un appareil de professionnel. Avec ça, j’étais la première de ma section. Et comme y’avait que des mecs dans ma classe, tu penses bien qu’il y’avait des jaloux…
- Tu es en train de dire que les hommes sont jaloux des femmes ? demanda Valentin, vexé.
- Bien entendu. Mais heureusement que c’est pas tous, sinon on perdrait les pédales !
- En plus, elle a raison, approuva Gabrielle.
- Attendez…
Jessica ouvrit son appareil-photo et saisit la pellicule. Elle la déroula sèchement jusqu’à ce que le film touche le sol, puis elle leva les photos vers la lumière. Valentin prit le bout de la bande et examina les clichés en même temps qu’elle.
- Alors…fit-elle, la tête penchée le plus possible. Là, c’est la Maison de la Radio, tu vois. Je l’ai prise deux fois parce que la première était floue. Là, c’est la Statue de la Liberté… Bon, elle est plus petite que la vraie… Ici, tu vois, on voit Notre-Dame…
L’inimitable bavarde décrivit toutes les photos qu’elle avait prises tout au long de la journée et Valentin reconnut qu’elle avait un don pour la photographie.
- Je vais les développer cette semaine, si Philippe veut bien me laisser la chambre noire. Il faut toujours qu’il la monopolise ! expliqua-t-elle, une heure plus tard. Enfin, je pense que mon patron sera content. Théoriquement, oui. Sinon, je démissionne.
Lorsqu’elle s’arrêta de parler, il faisait nuit noire dehors.
- Bon, je vais rentrer ! décida Jessica.
- Et ton thé ?
- C’est pas grave, la prochaine fois !
- Mais tu ne veux pas manger avec nous ?
- Non, ça ira ! J’ai des lasagnes au frigo !
- Tu ne veux pas qu’on te ramène ?
- Mais non, arrête Gabrielle ! Je ne crains rien, tu sais que je suis une aventurière moi !
- C’est ce qui m’inquiète justement !
- Voyons, ne vous faites pas autant de soucis pour elle, c’est une grande fille maintenant, rassura Valentin.
- Merci de prendre ma défense mon vieux !
Deux bises plus tard, Jessica avait disparu dans la cage d’escalier, avant que Gabrielle ne puisse dire quoique ce soit.
- Elle est incorrigible…soupira la jeune femme.
- C’est l’heure de l’apéro ! claironna Valentin, en sortant une bouteille de pastis du panier qui servait pour les courses.
- Sans moi.
- Oh allez ! Un petit fond !
- Non merci.
Le jeune homme renonça et entreprit la tâche de ranger les courses dans les placards de la cuisine, tandis que Gabrielle essayait de trouver de la place pour les affaires de Valentin dans l’armoire. Après cela, ils préparèrent un repas simple qu’ils partagèrent tout en regardant le journal télévisé. En commençant à vivre ensemble, ils avaient pris de nouvelles habitudes qui leur seraient difficile d’oublier lorsque Valentin quitterait l’appartement…
Le lendemain matin, quand Valentin se réveilla, Gabrielle avait déjà décampé au 36. Il mit un moment à se lever, appréciant de plus en plus la chaleur et le confort du lit-nuage. Une fois debout, il prit son petit-déjeuner et fit le lit. Il rangea la cuisine et alla prendre sa douche. Lorsqu’il ressortit de la salle de bain, il ne savait plus quoi faire. Il s’ennuyait. La concierge vint le voir avec le courrier, et ils manquèrent de se disputer. Dès qu’elle fut partie, il pensa qu’il devait profiter de sa journée de repos pour rendre visite à sa mère. Il sortit donc de l’appartement.
Quant il se trouva dans la rue, il se rendit compte que sa voiture était encore garée devant son ancien appartement. Deux solutions : s’y rendre à pied ou prendre le métro. Valentin, étant un grand feignant, qui moins fait du sport mieux se porte, opta pour la seconde solution. Malheureusement, il lui fallut marcher jusqu’à la station de métro qui se trouvait à plus d’un kilomètre.
Lorsqu’il fut en possession de sa voiture -quel plaisir de retrouver une partie de son patrimoine qui n’a pas brûlé, il se rendit chez sa mère, en banlieue parisienne. Il resta à son chevet jusqu’en fin d’après-midi. Après lui avoir donné l’argent pour son loyer (il finançait l’appartement de sa mère), il rentra chez Gabrielle, où il se hâta de préparer le souper. La jeune femme rentra une heure plus tard, accompagnée d’Anthony.
- Je l’ai invité à dîner, lui expliqua-t-elle timidement.
- Tant mieux ! Anthony, ce soir, tu vas goûter la cuisine made in Cuistot Val’. Tu vas voir, ça va être délicieux.
- Tu m’inquiètes là ! T’es sûr que c’est pas empoisonné ?
- Ne me tente pas…plaisanta Valentin.
- En tout cas, ça sent bon ! s’exclama Gabrielle, en s’approchant vers la casserole. C’est quoi ?
Elle s’agrippa au bras du jeune homme pour apercevoir le plat qu’il concoctait.
- Sauté de porc façon Valentin ! s’exclama le cuisinier. Une vraie merveille ! Et la sauce, je ne vous raconte pas ! Goûtez-moi ça !
Il saisit une cuillère en bois et la trempa dans la casserole. Une fois pleine, il l’approcha des lèvres de Gabrielle.
- Alors, c’est empoisonné ? s’informa Anthony.
- Non, mais c’est dégueulasse…
- Comment ça « c’est dégueulasse » ?! rugit Valentin, grandement vexé.
- C’est dégueulasse ! Comment faites-vous pour réussir aussi bien une sauce ?!
Le jeune homme mit quelques minutes à comprendre. Gabrielle semblait jalouse de Valentin qui réussissait les sauces mieux qu’elle.
- Secret secret ! susurra-t-il, l’œil malicieux. La tradition veut que la recette se transmette de mère en fils et de père en fille. Je ne vous dirai jamais comment je fais.
- Mais si je veux transmettre la recette à mon fils ?
- Je croyais que vous ne vouliez pas d’enfants ! De toute façon, non…c’est non ! Mon père n’a jamais su la recette et il ne s’est jamais plaint !
- Mais moi, je me plains !
- C’est pas mon problème ! Ma mère me tuerait si jamais je disais quoique ce soit ! La tradition, c’est la tradition !
- Je veux savoir !
- Non, j’ai dit !
- Vous savez que vous me faites délirer tous les deux ? interrompit Anthony, amusé par la scène.
Gabrielle s’arrêta de secouer le bras de Valentin et celui-ci releva la tête. Ils regardèrent leur élève, étonnés.
- D’abord, vous ne pouvez pas vous voir. Et après, Val’ vient habiter ici.
- C’est parce qu’elle me l’a proposé ! Rien de délirant !
- Ouais mais c’est marrant, on dirait un petit couple.
- Ta gueule, menaça Valentin.
- Arrête Anthony, supplia Gabrielle, agacée.
- Et en plus, y’a qu’un lit, continua l’élève, de plus en plus sadique.
- Y a aussi un canapé sur ta droite.
- Ouais mais bon, y a bien un jour où l’un d’entre vous va s’en lasser…
- Et moi, je me lasse de tes conneries.
- Valentin, calmez-vous.
- C’était juste une petite parenthèse, fit innocemment Anthony, en souriant de toutes ses dents. Bon, on mange ? J’ai la dalle !
Ils s’assirent tous autour de la table et Gabrielle alluma les bougies, car la coupure d’électricité n’allait pas tarder à avoir lieu. Effectivement, dix minutes plus tard, les trois flics se retrouvèrent dans le noir.
- J’ai bien fait de mettre les bougies.
- Ouais, j’espère que ça ne durera pas longtemps ! On n’a plus la télévision ! rouspéta Valentin.
- Tiens, au fait Val’ ! s’exclama Anthony.
- Quoi ?
- Ils ont ouvert une enquête sur l’incendie de ton appartement.
- Cool ! C’est qui qui s’en occupe ?
- Les flics du quatrième étage.
- Ah…fit-il, déçu.
- Vous ne pouvez pas tout faire, reprocha Gabrielle.
- Oui mais bon…si je retrouve ce petit con, je le bute.
- En parlant de ça, votre classeur…
- Ah oui, vous avez fouillé dans mon classeur. J’avais oublié.
- Mais c’est quoi exactement ? s’enquit la jeune femme.
- C’est un classeur que je tiens pour savoir qui j’ai mis en prison. Je suis sûr que le mec qui a foutu le feu à mon appart’ est dans ce classeur. Je souligne en rouge ceux qui me font des grosses menaces et qui sont capables de les exécuter. Et voilà.
- T’es bien organisé, dis donc ! remarqua Anthony, émerveillé.
- Ouais mais faudra que je le remette à jour. Si Camille apprend qu’il y’a son nom dedans, elle fera de moi de la chair à pâté.
- C’est qui Camille ?
- Une copine.
- Une amie dans votre classeur de criminels ? s’étonna Gabrielle.
- Elle est devenue inoffensive. Maintenant, elle ne bousille que les moustiques.
Valentin s’arrêta de parler et en profita pour se resservir. Il constata avec plaisir que Gabrielle et Anthony n’avaient fait qu’une bouchée du contenu de leur assiette.
- Au fait, de notre côté, on devrait recevoir les analyses ADN du cheveu dans la semaine, raconta la jeune femme. C’est sûrement un homme qui était dans ce placard. On ira le trouver, et on l’interrogera. Si c’est lui qui a poussé cet homme par la fenêtre…
- Mais bien sûr que c’est lui, s’entêta Valentin. Qui voulait vous que ce soit d’autre ? La force ténébreuse et invisible ?
- Arrêtez de vous moquer de moi ! s’énerva Gabrielle, agacée. Anthony, tu n’en veux plus ?
- C’est ça, changez de sujet quand vous savez que j’ai raison !
- Non, j’en veux plus, je crois que j’ai trop bouffé… Mais je pense que je vais venir plus souvent…affirma l’élève, en tapotant sur son ventre. Si Sophie cuisinait comme ça, je serais un homme comblé…
- Non mais attend, ne cale pas tout de suite ! Y’a encore la salade niçoise après ! intervint Valentin, paniqué.
- Oh misère…tu vas nous sortir tous les plats provençaux ou quoi ? Mon estomac ne mesure pas deux mètres !
- Ne dis pas ça ! Je vous nourris simplement comme il le faut !
- Tu parles ! Il m’a obligée à acheter de la « tapemachin » ! expliqua Gabrielle en haussant les épaules. Comme si c’était indispensable !
- Tapenade, corrigea Valentin. En plus, vous avez adoré !
- Ce n’était pas vraiment le terme auquel je pensais…
- Inculte ! Vous n’avez vraiment aucun goût ! Vous ne connaissez pas la vraie gastronomie !
Gabrielle soupira. Valentin se vexait facilement. Cela en était désespérant.
- Bon, vous voulez la manger cette salada niçoise ? Que je sache si j’aurais beaucoup de vaisselle ou pas ! rumina le jeune homme. De toute façon, si vous ne la mangez pas aujourd’hui, vous la mangerez forcément demain !
- Ah ! Que c’est bon d’avoir un homme à la maison qui cuisine et qui lave la vaisselle, pas vrai Gabrielle ? lança Anthony.
La jeune femme ne répondit pas parce qu’elle savait que son élève avait raison. C’était bien d’avoir un homme à la maison, surtout si cet homme n’était autre que Valentin. Malgré leur estomac presque plein, ils mangèrent quand même la salade niçoise, et au moment du dessert, l’électricité revint.
Gabrielle était contente. Le repas s’était très bien passé. Ce qui avait été le plus agréable, ce n’était ni le sauté de porc de Valentin, ni sa salade niçoise. C’était le fait que ça avait été un repas entre amis. Tout simplement.
Valentin m'a tout l'air d'un grand gamin avec un sale caractère... J'adore :)) Gabrielle n'est d'ailleurs pas bien loin derrière, surtout au contact de Valentin en fait ^^
Ah et quand même... Le grand retour de Jessica ! Elle a vraiment une sacrée personnalité, l'histoire du bateau, j'essaie encore de m'en remettre XD J'aime ce personnage. Mais ce n'est rien à côté d'Anthony ! Lui, je le vénère, tant ses repliques font mouche à chaque fois XD
Donc, au cas où tu ne l'aurais pas encore compris, je suis devenue accro en quelques jours. T'as réussi ton coup ;))
Tu découvriras au fur et à mesure les passés respectifs de Valentin et Gabrielle...et vers la fin, un autre côté de Jessica... Ils se donnent tous des airs, comme ça, hein... Anthony, lui, reste fidèle à lui-même et à ses photocopies. ^^
Bon, je ne sais plus trop quoi dire à part un "merciiii" ! ^^ Et je te fais un gros Kâlin aussi ! ^^ Mouwak !