Chapitre 5 : Traître lettre

Par Rouky

Red Sharp se massa les tempes, la migraine ne l’ayant pas quitté depuis son passage à tabac. Il n’avait pas pu se traîner jusque dans un hôpital, craignant qu’on ne lui pose des questions, ou que ses collègues émettent des suspicions à son égard.

Il était donc rentrer chez lui, la lettre de Saint-Cyr précieusement gardé dans la poche de son veston. Une fois à l’abri dans son petit appartement, plongé dans la souffrance et la solitude, il avait collé une poche de glace contre son nez brisé, ses paupières gonflées. Puis il avait fait sa valise, et s’était dirigé vers la gare. Arrivé sur les côtes, il embarqua pour la France, puis encore un train jusqu’à Paris. Il n’avait eu aucun mal à se faire comprendre, parlant parfaitement le français. Il était parvenu à obtenir un billet qui l’amena jusqu’au Pays de la Loire, avant d’y trouver une voiture qui l’accompagna au Château des Saint-Hubert.

Il n’avait pas eu le loisir de fermer l’œil une seule fois durant ce long voyage. D’une part à cause de la douleur qui n’avait eu de cesse de le tirailler, et d’autre part dû à l’angoisse de rencontrer le comte De Guise en personne.

C’est à la suite de ces péripéties qu’il se trouvait désormais assis dans le bureau du comte, face à face avec l’homme aux yeux et aux cheveux blancs.

Ambroise De Guise était en train de lire la lettre de Saint-Cyr, les sourcils froncés.

Red Sharp avait l’impression de suffoquer dans ce bureau aux fenêtres fermées et aux rideaux tirés, éclairée seulement par quelques lanternes, et par le feu de la cheminée qu’on avait allumée malgré la chaude température extérieur.

Il se massa à nouveau les tempes, desserra légèrement sa cravate.

Au bout d’un temps qui lui sembla interminable, Ambroise De Guise releva la tête vers lui. Red Sharp déglutit, mal à l’aise face à ce regard inquisiteur. Le comte lui parla lentement en français, comme s’il avait affaire à un enfant.

- Saint-Cyr vous a-t-il laissé lire cette lettre, mon garçon ?

- Non, monsieur, balbutia Sharp. Je ne lis en aucun cas les correspondances de monsieur Saint-Cyr. Je n’ai nullement pris connaissance de cette lettre, monsieur.

- Oui, de toute évidence. Je ne pense pas que vous seriez aussi... calme, si vous aviez lu son contenu au préalable.

Red Sharp haussa les sourcils, interloqué. Ambroise De Guise lui offrit un sourire chaleureux, puis tendit la lettre.

Sharp s’en empara d’une main tremblante, en lu rapidement les grandes lignes. Il hoqueta de surprise en voyant apparaître le dernier paragraphe :

“Si l’inspecteur Red Sharp parvient à vous ramener le Vicaire, considérez cela comme un gage de réconciliation. Faites ce que bon vous semble de ce receleur qui s’est comporté comme un traître à l’égard de nos affaires. Qui plus est, considérez également la présence de cet inspecteur comme un cadeau de ma part. Jetez-le en pâture à vos Saint-Hubert ou essayez-vous à l’escrime sur lui, je n’en ai ai que faire. Ne m’étant plus d’aucune utilité, je vous l’offre comme un présent pour vous défouler sur sa personne. Si toutefois vous ne vous sentiez pas de l’exécuter, renvoyez-le simplement à Londres, où je m’occuperai personnellement de décapiter ce soldat”.

Red Sharp laissa tomber la lettre. Il porta la main à sa bouche, pris d’une soudaine envie de vomir.

Ambroise De Guise rit doucement, comme pour ne pas briser l’ambiance fragile du bureau. Il prit un cigare qu’il alluma, remplissant la pièce d’une fumée étouffante.

En proie à une angoisse croissante, le corps de Red Sharp fut pris de tremblements. Alors Saint-Cyr comptait bien l’exécuter ? Et sa famille, alors ? Était-elle en danger ? Saint-Cyr les avait-il déjà condamné ?

- Qu’allez-vous faire, mon garçon ? Demanda tranquillement le comte.

- Je... je ne sais pas, bafouilla l’inspecteur. Je l’ignore... Je ne peux pas rentrer à Londres...

- En effet. Ce serait vous passer la corde au cou.

- Mais, ma famille... Je ne peux pas les laisser... Je dois leur écrire, les prévenir du danger...

- Vous voulez un conseil, mon garçon ?

Le comte se pencha en avant, esquissa un sourire.

- Jehan ignore que vous êtes dans la confidence de sa missive. Le savoir, c’est le pouvoir. Vous savez quelque chose que lui ignore, c’est à dire que vous êtes au courant de sa trahison, quand lui vous croit encore fidèle à son organisation. Profitez au mieux de cet instant, car il risque de ne pas durer. Je doute qu’après cela, vous m’apportiez le Vicaire, je me trompe ?

Red hocha lentement la tête, confirmant les soupçons du comte.

- Oui, c’était évident, reprit De Guise. Qu’allez-vous donc faire ?

- Je... je dois... je dois trouver le Vicaire...

- Ah, vraiment ? Ce traître ? Pourquoi vouloir tout de même aller à sa rencontre ?

- Il est le seul qui puisse m’aider à affronter Saint-Cyr. Il l’a déjà fait par le passé, et il continue toujours de le faire. Il sait comment... disparaître de la société. Je suis désolé, monsieur, je sais qu’il a agi en traître à votre égard, mais...

- Je comprends, mon garçon, ne t’inquiète pas. Mais, tu sais, je n’en veux pas réellement au Vicaire. C’est à Saint-Cyr que j’en veux, car c’est lui qui s’est montré incapable de gérer la folie de ses hommes, et qui agit en traître envers ses propres subordonnés. Tu sais quoi ? Je vais même t’offrir un indice précieux, mon garçon. Veux-tu savoir où se trouve le Vicaire ?

Red Sharp hocha vigoureusement la tête, réveillant une terrible migraine.

Le comte tira une bouffée de cigare, avant de révéler :

- La Mésange d’Ambre, une précieuse relique datant de la Cour de Louis XI, va être exposé ce soir au Manoir des Paridés, non loin de Paris. Et je suis certain que ce précieux objet est convoité par le Vicaire. Il enverra un de ses hommes pour aller cueillir son futur trésor. Il ne prendra pas le risque de s’y rendre lui-même. La police est aussi certaine que moi que la Mésange constituera le prochain butin de ce fantôme, c’est pourquoi elle placera plusieurs agents en civil pour cueillir notre homme. Mais toi qui es inspecteur, tu ne devrais pas rencontrer de soucis pour te rendre là-bas à ton tour, et pour enquêter. Si tu prends le prochain train, tu devrais arriver au Manoir des Paridés en début d’après-midi.

- Pourquoi... Pourquoi m’aidez-vous, monsieur ?

- Parce que, moi aussi, je veux voir s’écrouler l’empire de Saint-Cyr.

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