Chapitre 6 : Arrivée au manoir

Par Rouky

Nous longeâmes l’allée qui menait jusqu’au Manoir des Paridés. Fleuri et entouré d’arbustes, le chemin de terre amenait directement jusqu’à l’entrée de l’habitation.

Marchant à quelques pas derrière nous, Alva Blom ne cessait de jeter des coups d’œil à droite et à gauche, semblait prête à sauter à la gorge du premier venu. Pas de doute, avec elle, notre protection était assurée.

A ma droite, Thomas gardait les yeux rivés au sol, les mains dans les poches de son pantalon. Il n’avait pas prononcé une seule parole dans le train qui nous avait amené jusqu’ici.

- Est-ce que... tout va bien ? Lui demandai-je.

- Oui, répondit-il d’un air mélancolique.

- Pourquoi est-ce que tu me mens ? Je vois bien que ça ne va pas.

- Ce n’est rien, je suis juste un peu fatigué...

- Je t’avais dit de rester à la maison, le réprimandai-je. Les médecins ont dit qu’il te fallait du repos. Tu n’aurais pas dû venir...

- Et te laisser affronter le crime tout seul ? Certainement pas...

- Alva Blom est là pour me protéger. Tu n’avais pas à t’en faire.

- Te laisser avec une criminelle qui travaille pour un autre criminel ? Et puis quoi, encore ? Non, hors de question que je te laisse seul avec... elle.

Il mima un air de dégoût, que je trouvais tout à fait charmant. Je passais un bras sous le sien, provoquant sa surprise, et nous entrâmes dans le Manoir qui faisait aujourd’hui office de musée.

Nous passâmes quelques officiers de police, leur montrant la lettre de Jacques Barnet qui nous offrait un laissez-passer, et entrâmes dans la demeure.

Plusieurs personnes, de toute évidence des bourgeois et de riches collectionneurs, s’agglutinaient dans le vaste hall, acceptant de temps à autre un verre que leur amenait des serveurs. Il faisait chaud, avec tout ce beau monde collé les uns aux autres. Je vis Thomas desserrer sa cravate, le visage blanc comme un linge.

Plusieurs affiches étaient placardés sur les hauts murs, avec pour titre “La Mésange D’Ambre, trésor national”.

- A partir de maintenant, nous devons faire attention, dit Alva en se rangeant à nos côtés. Les soldats du Vicaire peuvent être n’importe où. Ils peuvent autant intenter une action en plein jour qu’une fois la nuit tombée.

Son accent nordique renforçait son air déjà redoutable. Je hochai la tête pour approuver.

En haut des larges escaliers, une femme vêtu d’une robe jaune bouffante fit son apparition, et parla d’une voix assez forte pour que tout l’assemblée prête attention à son discours.

- Mesdames et messieurs, bienvenus au Manoir des Paridés ! Je m’appelle Viviane Dubois, et je suis la conservatrice de ce musée. C’est avec un immense honneur que nous accueillons, le temps de quelques jours, une relique tout à fait spectaculaire : La Mésange d’Ambre ! Sculptée en 1473 par le célèbre Richard Ravin à la Cour du roi Louis XI, cette statuette directement gravée dans de l’ambre est haute de 50 millimètres. Son créateur a dû user de talent et de précision pour créer ce bijou historique qui vaut des centaines de milliers de francs.

Thomas et moi-même échangeâmes un regard interloqué. 50 millimètres ? Il serait si facile de voler ce trésor tant sa taille était ridicule !

Viviane Dubois continua longtemps de parler de son musée et de ses trésors, mais nous n’y prêtions plus vraiment attention. A la place, nous observions tous ceux qui nous entourait, à la recherche du moindre individu suspect. Mais, hormis quelques officiers en civil facile à débusquer, rien ne sortait de l’ordinaire.

Une fois le discours terminé, les gens se rassemblèrent dans une salle qui, à ma surprise, était encore plus vaste que le hall. Se mouvant ainsi dans la foule, Thomas respirait avec difficulté. Je voulu lui parler, quand je la vis.

Là, au milieu de la pièce, posée un écrin rouge et protégée par une vitrine, La Mésange d’Ambre trônait fièrement. Elle était en effet minuscule, pouvait aisément tenir dans ma paume.

Cette visite se déroula sans aucune accroche. Nous passions de salle en salle, avec à chaque fois la voix de Viviane Dubois pour nous décrire les chefs-d’œuvre auxquels nous faisions face.

Cette excursion dura plusieurs heures quand, enfin, nous fûmes libres de nous mouvoir à notre guise dans le manoir, avec pour seule interdiction l’accès à la pièce contenant la Mésange.

Un bal dansant pris place dans le hall, ponctué par des cocktails et des fruits de mer. Les femmes donnaient leur main à de riches magnats, qui les accompagnèrent sur la piste de danse, effectuant des valses au rythme des violons.

Je m’approchai de Thomas, et constatais qu’il était toujours aussi pâle, des gouttes de sueur perlant à son front. Il fermait et rouvrait les yeux rapidement.

- Est-ce que tout va bien ? Demandai-je. Que t’arrive-t-il ?

- Rien... Enfin, c’est que... je n’apprécie pas la foule. Je... je me ne me sens pas très bien, quand il y a autant de monde autour de moi...

- Inspire lentement. Ne te concentre pas sur eux.

- Plus facile à dire qu’à faire...

Sans crier gare, je lui pris la main et l’emmenais au milieu de la piste, sous le regard médusé de quelques galants hommes et bourgeoises demoiselles. Je posais une main sur l’omoplate de mon jeune associé, et le guidais pour effectuer une valse au même rythme que les autres danseurs.

Thomas me regardait avec de grands yeux effarés. Plus grand que lui, j’inclinais légèrement la tête pour plonger mon regard dans le sien.

- Ai-je désormais toute votre attention ? Souris-je.

- Que fais-tu ? Les gens nous regardent...

Je fis claquer ma langue de mécontentement.

- Je t’ai dis de ne pas te concentrer sur eux ! Ne regarde que moi, et inspire lentement et longuement.

Il baissa la tête et obéit. Je l’entendis ainsi respirer par trois fois, avant qu’il ne relève les yeux vers moi. Il se laissait facilement guider par mes pas, et je m’efforçais moi-même de ne pas prêter attention aux murmures qui s’élevaient autour de nous.

- Pourquoi fais-tu cela ? Demanda Thomas.

- A défaut d’être bagarreur, je suis très bon danseur. Je voulais seulement te faire partager quelques pas, et te faire oublier cette anxiété.

- Mais que faisons-nous, maintenant ? Concernant la Mésange, je veux dire... Peut-être que le Vicaire aura pris peur, en voyant tous ces policiers, et qu’il aura changé ses plans. Il n’y a peut-être personne ici qui compte s’emparer de ce trésor.

- J’en doute. La Mésange vaut beaucoup trop cher pour qu’il baisse les bras. Et, honnêtement, je pense que la présence de la police ne lui fait ni chaud ni froid.

- Alors que faisons-nous ?

Je me pinçais les lèvres, réfléchit en toute hâte. En voyant passer Viviane Dubois non loin de nous, je dis à Thomas :

- Suis-moi. Nous allons tâcher d’en apprendre plus.

Je le pris par le bras et le traînais à ma suite. Un passage s’ouvrit naturellement devant nous.

Nous suivîmes la conservatrice du musée dans les jardins fleuris. En nous voyant arriver vers elle, Viviane Dubois haussa un sourcil, mais j’eu vite fait de la rassurer en me présentant. En entendant mon nom et celui de Thomas, son visage s’illumina.

- Vous ! S’exclama-t-elle. C’est vous qui avez failli mettre la main sur celui qu’on appelle le Vicaire, à Paris. Comme je suis heureuse de vous savoir ici. Ainsi, peut-être le Vicaire abandonnera-t-il tout espoir de s’emparer de la Mésange !

N’osant pas lui briser ses vaines espérances, j’entrai dans son jeu.

- Oui, madame, peut-être. Nous aimerions vous poser quelques questions, afin d’être au mieux préparé en cas de problème.

- J’y répondrai volontiers.

- Combien de personnes ont accès à la pièce abritant la Mésange d’Ambre ?

- Combien ? Voyons voir... Six... Sept... Oui, sept personnes y ont un accès sans restriction. Il s’agit de mon équipe personnelle, qui agit sous mes ordres. Nous travaillons d’arrache-pied pour obtenir une exposition de la Mésange depuis des mois ! Mais, tenez, les voilà justement qu’ils arrivent.

Thomas et moi nous retournâmes. Cinq personnes étaient en train de venir dans notre direction. Viviane Dubois nous présenta aussitôt à son équipe, qui eurent tous l’air surpris en entendant parler de la présence de détectives.

- Enchanté, dit une femme en tendant la main. Je m’appelle Anne Prillé, c’est moi qui veille aux bons soins de la Mésange, et qui fait attention à tout ce qui la concerne directement. Personne n’y touche sans mon aval.

Anne Prillé était une jeune femme à la longue chevelure noire, une courte robe jaune en dentelle mettant en valeurs ses jambes bien en chair.

Voyant que je détaillais la dame, un homme, qui devait être du même âge qu’Anne Prillé, me dévisagea de ses yeux bleus, et posa sa main sur la hanche de le jeune employée. Ses cheveux bruns étaient soigneusement coiffés en arrière et, quand il parla, sa voix grondait, sourde et grave.

- Je me nomme Octave Leroy, pesta-t-il. Je suis le fiancé d’Anne.

- Et quel est votre rôle auprès de la Mésange ? Demandai-je.

Il dû prendre ma question pour un affront personnel, car ses yeux se firent encore plus assassins.

- Monsieur Leroy, m’expliqua Viviane d’un air gêné, est notre mécène. C’est notamment grâce à lui que nous avons pu accueillir la Mésange en ces lieux. Ce manoir est avant tout la demeure de monsieur Leroy.

- Je vois, fis-je en fronçant les sourcils.

Je tournai la tête vers l’homme à côté de Leroy. Souriant comme si cette situation plutôt gênante l’amusait, il possédait des yeux marron rieurs, et des cheveux blonds ébouriffés. Il était le plus grand de ses compères, mais paraissait aussi le plus jeune. Je lui aurai donné la fin vingtaine.

Quand il vit que je l’observais, il s’empourpra, et baissa les yeux sur ses souliers. Il sortit une grosse montre à gousset et fit mine de regarder l’heure.

- Et vous, qui êtes-vous ? Lui demandai-je.

Cette fois, c’est Anne Prillé qui intervint.

- Il s’appelle Laurent Lecomte. C’est notre stagiaire. Il s’occupe de ... corvées, si l’on puis dire. Mais inutile de vouloir communiquer avec lui, il est muet.

En entendant cette phrase, le dénommé Laurent releva la tête, et me fixa avec appréhension. Je hochai lentement la mienne, avant de passer au personnage suivant : une femme en robe verte et à la chevelure bouclée et rousse.

- Jade Fleury, dit-elle avant même que je puisse la questionner. Je suis historienne. J’ai longtemps étudié l’histoire de la Mésange, c’est même moi qui ait permit de retrouver sa trace, après des siècles où on l’avait cru disparut. Quant à mes collègues, je vous présente Killian Faure, notre secrétaire...

Elle se tourna vers un homme aux cheveux blonds et aux yeux marron, tout comme Laurent Lecomte. Killian Faure me salua rapidement d’un geste du menton, mais ne m’adressa pas la parole.

- Et Calixte Argyre, reprit Jade, est le vigile qui garde l’entrée de la pièce où repose la Mésange. Mais, évidemment, ce n’est pas parmi nous que vous le trouverez actuellement.

- Je vous remercie pour toutes ces informations, dis-je. S’il y a quoi que ce soit qui vous paraît suspect, je vous prie de tout de suite venir me trouver. Je ferai au mieux pour que cette Mésange reste sur son écrin, je vous le promets.

- Les promesses des policiers, on sait ce qu’elles valent, cracha Octave Leroy.

Je ne répondis pas. Je saluais Viviane Dubois, puis reparti vers l’entrée du manoir, où attendait Alma Blom. Le soleil était en train de descendre à l’horizon, et les premiers visiteurs commençaient à s’en aller.

J’avais presque oublié la présence de Thomas, tant il était resté silencieux pendant tout cette conversation. Je me tournais vers lui, et fut surpris de constater à quel point il était encore pâle. Il avait le souffle court, et sa main droite était portée sur sa poitrine, non loin de là où l’avait percuté la balle.

- Thomas ! M’écriai-je en m’approchant de lui. Est-ce encore l’effet de la foule qui t’agite autant ?

- Non, tout va bien, souffla-t-il. J’ai juste besoin de m’assoir quelques minutes. Je suis un peu fatigué.

- Tu as surtout besoin de rentrer ! Je vais demander à Alva de te raccompagner à la maison. Tu ne dois pas te ménager autant, alors que tu es encore en convalescence.

- Hors de question que je te laisse ici, avec tous ces criminels qui rôdent...

- Il y a aussi plusieurs policiers. Tout ira bien, je te le promets.

Thomas me regarda avec insistance.

- S’il te plaît, l’implorai-je. Tout va bien se passer, je te le jure. Alva va te raccompagner à la maison.

- Jusqu’à la gare, si tu y tiens, mais pas jusqu’à la maison. Premièrement, je n’ai pas envie de me retrouver seul avec cette criminelle. Et deuxièmement, je veux qu’elle reste avec toi autant que possible.

- Et risquer que tu t’évanouisses sur la route ? Certainement pas ! Laisse-la au moins t’accompagner pour le voyage du retour. De là, tu pourras rentrer à la maison seul, tandis qu’elle reprendra le train. Fais très attention à toi.

- C’est surtout à toi de faire attention, grommela-t-il. Promet-le moi, que tu feras attention.

- Je te le promets, Thomas.

Alva ne se gêna pas pour faire comprendre son mécontentement quand nous lui fîmes par de nos intentions. Mais, à ma grande surprise, elle accepta rapidement de raccompagner Thomas jusqu’à Paris, avant de venir à nouveau me rejoindre au manoir.

Quand ils furent partis, la nuit était déjà tombée. Tous les visiteurs étaient partis. Ne restait plus que l’équipe qui s’occupait de la Mésange, quelques officiers de police, et moi-même.

Avant de rentrer au manoir pour y enquêter davantage, je restais un instant dans les jardins, seul, profitant de l’air frais. J’adulais la campagne si reposante par rapport au tumulte de la capitale. Ce silence, c’est ce qui me manquait terriblement, depuis que Thomas m’avait arraché au sud de la France.

Inspirant longuement par le nez, je ressentis soudain une terrible douleur à l’arrière du crâne, et m’écroulais en avant, mordant la poussière à pleine dents.

Je me retournais rapidement sur le dos, faisant face à la menace.

Quelle ne fut pas ma surprise de voir le rival de Thomas Laon se tenir debout à mes pieds, le visage furieux. Comment s’appelait-il, déjà ?

Ah oui ! Red Sharp.

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