Nous arrivâmes jusqu’à l’orée pavée d’un petit bois en bordure de la bourgade. Ici, aucune habitation aux alentours. Il s’agissait d’un endroit plus ou moins perdu, avec rien à l’horizon que des arbres et des buissons.
Je m’y étais déjà rendu quelques fois, afin de profiter du calme de la nature. Toutefois, je ne voyais pas en quoi ce lieu était lié à l’affaire qui nous préoccupait.
Gallant se posta face à nous, et déclara d’une voix solennelle :
- C’est ici, mademoiselle, messieurs, que Bent Larsen s’est rendu afin d’achever sa dernière œuvre, celle qu’il n’a malheureusement pas pu terminer.
- Ici ? Répéta Favre. Comment le savez-vous ?
- Il suffit de voir la toile inachevée qu’il a ramené avec lui dans sa chambre. Les couleurs, les formes, tout correspond ! Appelez un spécialiste si vous voulez une preuve formelle, je suis certain qu’il confirmera mes dires. Mais ce n’est pas là la seule preuve que je possède. Je vous demanderai maintenant de bien vouloir baisser les yeux.
Interloqués, nous nous exécutâmes. Là, nous vîmes quelques tâches sombres sur le sol pavé, qui ressemblait à de la peinture rouge, presque noire. Les tâches étaient minuscules, quoiqu’éparpillées en plusieurs endroits.
- Si vous suivez ces tâches, dit Gallant, vous vous apercevrez qu’elles vous conduisent jusqu’à une ruelle non loin de l’auberge, avant de disparaître sur les chemins terreux. Il s’agit là du sang de monsieur Bent Larsen. Encore une fois...
Il se tourna vers un Favre médusé.
- ... vous pouvez appeler un spécialiste pour confirmer mes dires. Récapitulons donc la situation. Nous avons un homme qui, en début d’après-midi, décide d’aller peindre une toile. Il choisit cet emplacement précisément. Là, c’est le flou. Il se prend une balle en plein dans la poitrine. Pour une raison encore inconnue, il décide de remballer ses affaires et de retourner à l’auberge, discrètement, sans alerter personne. Il jette le pistolet sous son lit, et se laisse mourir dans l’agonie pendant plusieurs heures. Tout cela malgré une balle dans la poitrine.
Nous restâmes silencieux. Personne n’osait ne serait-ce que respirer.
- C’est ici qu’intervient ma première source, reprit Gallant. Madame, vous pouvez avancer.
Une dame en robe de gitane, qui s’était avancée derrière nous sans même que nous le remarquions, vint se placer aux côtés de Gallant. Je reconnus immédiatement Hazel Ludena. Ses traits tirés et inquiets m’alarmèrent.
- Nul besoin de vous présenter madame Ludena, déclara Gallant. Madame Ludena, racontez-leur votre témoignage, je vous prie. Le même que vous m’avez raconté lorsque je vous ai trouvé.
- Oui, jeune homme, répondit Hazel. Il devait être aux alentours de 15h30, je crois. Je me reposais dans les bois, juste ici, à l’ombre d’un arbre. Je m’apprêtais à partir pour venir prendre le café chez vous, monsieur Acampora, quand j’ai entendu un bruit qui m’a glacé le sang. C’était un coup de feu, j’en suis certaine. Je me suis figée, en alerte. J’ai d’abord pensé à un chasseur, mais cette idée m’est vite apparut comme saugrenue. Il n’y a rien à chasser, ici. Le gibier est bien trop petit pour faire usage d’une arme. C’est alors que...
Elle s’interrompit, déglutit, puis reprit.
- J’en ai entendu un deuxième. Un deuxième coup de feu, puis un troisième. J’étais complètement terrifiée. J’ai attendu longtemps, très longtemps, de peur que le tireur ne me voit et me tire dessus. J’ai dû attendre une bonne heure avant de trouver le courage de sortir du bois. Je m’attendais à trouver un corps quelconque, humain ou animal, mais c’est là que j’ai été la plus surprise. Il n’y avait rien ni personne. Pas même une douille. J’ai cru devenir folle, quand j’ai vu ces petites tâches qui me semblaient être du sang. C’est à ce moment que je me suis précipitée à l’auberge pour vous demander d’aller prévenir la police... Mais, quand je suis arrivée, la police était déjà là. J’ai vite appris que Bent était mort, et c’est là que j’ai fais le lien avec les tirs. C’était forcément lié, vous voyez. Je suis tombée sur ce jeune homme qui m’a dis faire parti de la police, alors je lui ai tout expliqué.
Favre jeta un regard furieux sur Gallant, qui se contenta de hausser les épaules.
- Je... je m’en veux terriblement, reprit Hazel. Si j’étais sortie plus tôt, si j’avais eu moins peur, alors peut-être que le peintre serait encore vivant.
Des larmes silencieuses roulèrent sur ses joues.
- Allons, dit Gallant d’un ton conciliant. Vous n’avez rien à vous reprocher. Si vous étiez sortie de votre cachette plus tôt, vous auriez peut-être été assassinée à votre tour. Mais votre témoignage, lui, est crucial pour cette affaire. Puisque c’est ici que vous avez entendu les tirs, cela apporte une nouvelle preuve quant à la présence certaine de Bent Larsen ici, corroborée par sa toile inachevée. Plusieurs coups de feu ont été tirés, vous permettant d’abandonner la thèse du suicide. Ces trois coups impliquent que soit Bent Larsen est extrêmement mauvais tireur, soit il s’est débattu avec quelqu’un. C’est cette dernière hypothèse qu’il faut désormais privilégié.
Nous étions sans voix. Au fil de ce récit, je m’étais surpris à dévisager chaque personne autour de moi, guettant leur réaction. Mais je fus surtout surpris de ne trouver aucune réaction. A peine un froncement de sourcils, une mâchoire qui se serre, une larme qui coule.
Non, rien du tout.
Sauf Eden D’Asande sortait du lot. Le jeune homme, visiblement horrifié par la reconstituion des derniers moments de son père de substitution, fut pris de tremblements. Des sanglots lui montèrent à la gorge, et il enfouit son visage entre ses mains. Son aîné passa un bras autour de ses épaules, mais ne dit rien.
L’inspecteur Favre, jusque là resté muet, se fit alors entendre.
- A la lueur de ces nouveaux éléments, déclama-t-il, je ne peux qu’ouvrir une enquête officielle. Vous aviez raison depuis le début, mon garçon. Un suicide me paraît bien peu probable désormais. Je vous demanderai à tous de retourner à l’auberge et d’y rester jusqu’à nouvel ordre.
Nous rentrâmes à l’auberge sous l’escorte de deux policiers. Nous traînions des pieds, oppressés par un silence pesant. Hazel Ludena, elle, était partie au commissariat avec Favre pour sa déposition.
Gallant, qui marchait derrière jusqu’alors, accéléra soudain le pas, se calant sur le mien, puis me chuchota.
- A quoi pensez-vous, Monsieur l’Anglais ?
- A quoi voudriez-vous que je pense, si ce n’est à Bent Larsen ? Cette histoire me cause un choc, je peine encore à croire que tout ceci n’est pas qu’un simple cauchemar.
- Oh, mais c’est pourtant bien un cauchemar, Monsieur l’Anglais ! Un cauchemar éveillé, voilà tout.
- Est-ce que... est-ce que vous avez la moindre idée de qui a bien pu commettre ce meurtre sordide ?
- Ah, ça ? Mais j’ai déjà ma petite idée !
- Quoi ? M’écriai-je en m’arrêtant brusquement.
La procession se tourna vers moi, interloqué. Les deux agents, méfiants, firent mine de venir vers nous, mais Gallant les arrêta d’une main.
- Ce n’est rien, leur dit-il. Nous parlons simplement d’actualités politiques, vous savez comme ça ravive des tensions. Vous pouvez continuer à avancer, nous vous suivons.
Ils s’exécutèrent tous, bien que certains continuaient à nous jeter des regards indiscrets.
Gallant, lui, me jeta plutôt un regard noir.
- Allons donc ! Me reprocha-t-il dans un murmure. Vous pourriez être un peu plus discret !
- Excusez-moi, mais... si vous connaissez l’identité du coupable, alors pourquoi ne pas tout de suite l’arrêter ?
- Et sur la base de quoi ? Je n’ai rien de concret pour condamner qui que ce soit. J’ai besoin d’un peu plus de matière. On arrête pas quelqu’un sans preuve matérielle, ou au moins sans son propre aveu. Non, l’arrêter maintenant reviendrait à le faire acquitter devant un juge, ça n’aurait aucun sens. Il faut savoir se montrer patient, et alors nous obtiendrons ce que nous cherchons.
- Le coupable ?
- La vérité avant tout !
Nous plongeâmes à nouveau dans le silence, jusqu’au retour à l’auberge.
Sous ordre des agents, nous nous apprêtions à rejoindre le salon, quand nous fûmes surpris de voir un homme d’âge moyen attablé.
Grand et fin, vêtu d’un costume sombre et onéreux, l’homme affichait une mine abattue, tourmentée, les yeux rougis par des larmes. Sa ressemblance avec Bent Larsen me frappa immédiatement, et je ne pu m’empêcher de m’exclamer :
- Monsieur Baltus Larsen, est-ce bien vous ?
L’homme hocha lentement la tête, nous dévisageant tour à tour.
- Oui, répondit-il. Je suis le frère aîné de Bent. Vous êtes ?
Je lui déclinai mon identité, ainsi que celles de mes autres compagnons. Je notai que Gallant ne pouvait cacher une certaine surprise à la vue du nouvel arrivant. Il ne cessait de froncer les sourcils, se posant visiblement tout un tas de questions.
Les agents de police se mirent en retrait, mais gardèrent l’oreille attentive.
Henry servit un café à Baltus, tandis qu’Isabella s’installa près d’une fenêtre, le regard perdu vers l’horizon. Eden D’Asande demanda la permission de se reposer un peu dans sa chambre, ce qui lui fut accordé. Dorian, lui, resta debout dans un coin, les yeux rivés vers Slavomir. Le peintre tchèque, qui avait senti ce regard pesant, s’assit à l’extrême opposé du jeune homme.
- C’est horrible, commença Baltus après une gorgée de café. Mon frère, je n’arrive pas à y croire... Qui... qui l’a vu pour la dernière fois ? Quels ont été ses derniers mots ?
- C’est difficile à dire, expliquai-je. Nous l’avons tous plus ou moins aperçu en train de remonter dans sa chambre, mais personne ne lui a parlé.
- La dernière chose qu’il m’ait dite, raconta Isabella en se détachant de la fenêtre, c’est qu’il avait chaud, et qu’il sortait pour peindre...
- Toujours fidèle à lui-même, constata Baltus avec un sourire triste. A chaque lettre qu’il m’envoyait, il me parlait de ses nouvelles toiles, et comment il avait été inspiré...
- Pardonnez-moi de vous interrompre, dit Gallant, mais n’étiez-vous pas censé être à Paris ? Il est impossible que vous ayez été prévenu du décès de votre frère il y a quelques heures, et que vous apparaissiez soudainement ici en aussi peu de temps ! Soit vous n’étiez pas à Paris, soit... vous n’étiez pas à Paris. Mais alors, où étiez-vous donc ?
- Qui êtes-vous, jeune homme ? Demanda Baltus en s’empourprant.
- Je suis le détective Isen Gallant, pour vous servir. J’enquête sur le meurtre de votre frère.
- Un détective ? Un meurtre ? On m’a dit qu’il s’agissait d’un suicide !
- Cette information est désuète. Il s’agit d’un meurtre, monsieur Larsen.
Gallant s’assit en face de Baltus, juste à côté de moi. Alors, il expliqua en quelques mots la sordide histoire et ses derniers rebondissements. Nous pouvions voir le visage de Baltus se décomposer au fil du récit, pour ne devenir qu’un visage reflétant une souffrance et une tristesse profonde.
- Quelle horreur, murmura-t-il une fois l’histoire terminée. C’est impossible... Vous voulez dire... que le meurtrier est ici, dans cette auberge ?
- Ou la meurtrière, bafouilla Gallant en évitant soigneusement les regards noirs de Henry et d’Isabella. Mais, monsieur Larsen, vous n’avez toujours pas répondu à ma question. Où étiez-vous, si ce n’était à Paris ?
- Je... J’étais dans un village à une heure d’ici, environ...
- Que faisiez-vous si près d’ici ? Vous comptiez rendre visite à votre frère ?
- Qu’est-ce donc que tout ceci, détective ? Un interrogatoire ? Comme ça, en public ?
- Vous sentez-vous agressé, monsieur ? Si vous n’avez rien à cacher, vous ne voyez donc aucun inconvénient à répondre à mes questions.
- Comment ! S’indigna Baltus en se levant. Vous m’insultez, jeune homme ! Je n’ai rien à cacher ! Je ne suis coupable de rien !
- Mais personne ne vous a accusé de rien, monsieur, répondit Gallant en se levant à son tour. Vous ne souhaitez donc pas répondre à mes questions ?
- Non, je refuse ! Je ne parlerai qu’à l’inspecteur chargé de cette affaire.
- Bien, monsieur, comme vous voudrez. Alors, attendons l’inspecteur.
- Vous êtes complètement fou, jeune homme ! S’exclama Baltus.
- Oui, je suis bien d’accord sur ce point là, approuva Henry en sirotant son café.
- Il n’y a pas que lui, déclara Dorian en coulant un regard vers Slavomir.
Le peintre s’empourpra.
- Qu’insinuez-vous par là ? Demanda le peintre.
- Vous savez très bien, répondit Dorian en s’écartant du coin contre lequel il était appuyé. De nous tous, c’est à vous que profite le plus ce crime. Avec un tel concurrent en moins, c’est évident que vous parviendrez à remplir vos poches plus facilement ! Vous devenez ainsi le fameux rival du peintre suicidé, quelle belle publicité cela vous fait ! Vous qui l’avez toujours détesté et méprisé, vous en voilà enfin débarrassé !
- Vous avez perdu l’esprit ! Je n’ai jamais touché à un seul cheveu de Bent Larsen ! S’emporta le Tchèque. Je suis innocent, je le jure !
- C’est ce que vous continuez de proclamer, mais je sais bien que c’est faux !
J’ouvris la bouche pour intervenir, mais Gallant me serra discrètement le bras, comme pour m’en dissuader. Ses prunelles sombres observaient les deux hommes avec ferveur, ne voulant rien rater du spectacle.
- Et comment aurai-je pu le tuer ? Répliqua Slavomir. Je n’ai pas d’arme, moi ! Et puis, je n’ai pas quitté ma chambre de toute l’après-midi.
- Vous n’auriez qu’à eu subtiliser celle de M’sieur Acampora ! S’écria Dorian. Et puis, c’est facile de sortir sans se faire repéré ! Cette après-midi, tout le monde était occupé à sa propre affaire, chacun dans son coin, donc personne pour voir les faits et gestes de chacun !
A la mention de l’arme, Gallant fronça les sourcils en direction d’Henry. Celui-ci s’en aperçut, et devint soudain rouge comme une pivoine.
- Messieurs, arrêtez ! Ordonna Baltus. Je comprends que vous vous sentiez oppressés par cette situation délicate, mais s’énerver ne réglera en rien cette affaire ! Nous nous devons de rester calme !
Alors que Dorian ouvrait la bouche pour rétorquer, la porte s’ouvrit, et l’inspecteur Favre fit son entrée, accompagné de trois nouveaux agents.
Il observa rapidement chacun d’entre nous, s’étonna un instant de voir Baltus Larsen, puis se tourna vers Henry.
- Monsieur Acampora, disposez-vous d’une petite pièce que nous pourrions emprunter ?
- Euh... Oui, il y a un bureau à côté des cuisines. Assez grand pour trois ou quatre personnes.
- Parfait, c’est justement ce qu’il nous faut ! Monsieur Laon, vous pouvez me suivre ?
- Pourquoi cela ? Demandai-je d’un ton inquiet.
- Nous allons procéder à des interrogatoires. Chacun d’entre vous y passera.
L’inspecteur se tourna vers Gallant.
- Jeune homme, si vous voulez bien me suivre également, votre assistance pourrait m’être utile.
- Ce serait avec plaisir, répondit Gallant.
J’étais un peu pris ces derniers jours, ce qui explique le délai depuis le dernier commentaire…
L’histoire prends ici un peu d’ampleur c’est sympa!. Juste une ou deux petites remarques: formelle tout d’abord. Il n’y a toujours pas de majuscule aux incises (oui je sais c’est pénible à corriger donc je comprends 😉) et quelques fautes d’orthographe/syntaxe (je cite de mémoire mais faire partie, un verbe mal accordé juste avant, et Eden D’asande QUI sortait du lot)
Deuxièmement je pense que tu gagnerais à distinguer plus les voix des personnages/ leurs réactions. Ça permettrait de les différencier plus facilement et de peut-être les connaître mieux. Typiquement beaucoup font juste rougir, une réaction à une accusation dépend vraiment de chacun de nous, je trouve. Un autre exemple: je changerais la manière de parler de la bohémienne, à mon avis on doit y sentir ses origines, ses racines…
Mais sinon, on se retrouve à suspecter tout le monde ça c’est bien réussi! Et c’est quand même l’essence d’un policier!
Bien joué! Corrige juste les maladresses et ce sera pas mal…
Ah ah ne t'inquiète pas, je connais souvent le même problème !
Oui oui je sais, je promets de m'occuper un jour des majuscules aux incises ! XD Merci pour les fautes d'orthographe et de syntaxe, je vais régler ça au plus vite.
Merci pour tes recommandations, je compte bientôt réécrire l'histoire alors je prends tout ça très à cœur, merci beaucoup ! ^^