Favre prit place d’un côté du bureau, et moi de l’autre. Gallant resta debout à droite de l’inspecteur, les mains dans les poches. L’agent de police qui nous avait suivi se positionna à gauche de son supérieur, les bras croisés, la mine grave.
Je me sentais mal à l’aise. C’était évidemment la première fois que j’étais soumis à un interrogatoire, et l’idée même que chacune de mes réponses soit scrutée et décortiquée me déplaisait fortement.
- Monsieur Laon, commença Favre. Vous avez déclaré à Gallant être venu ici pour vous ressourcer, c’est cela ?
- Oui, c’est cela...
Sachant que la deuxième partie de mes propos allait être révélé, je décidai de prendre les choses en main.
- Et aussi parce que mon père m’a ordonné de me trouver une femme.
Gallant hocha lentement la tête, un léger sourire aux lèvres.
- Pourquoi cela ? Demanda Favre.
- Il est assez malade, et il possède une grosse fortune en héritage. Il a juré de me mettre sur son testament seulement si j’étais en mesure de... de lui fournir une descendance. Il veut être certain d’avoir un jour des petits-enfants avant de me verser une seule livre de son héritage.
Je rougis malgré moi, pestant contre cette violence faite à l’encontre de ma vie privée.
- Était-ce vraiment un hasard que d’avoir choisi cette bourgade comme lieu de repos ? Questionna Gallant.
- Euh... Et bien... C’est que...
Je me passai une main sur la nuque, nerveux à l’idée de tout leur dévoiler.
- Un de mes amis est déjà passé par ici, il y a quelques mois... Il avait remarqué une charmante jeune femme, encore célibataire... Alors, je me suis dis...
- Que vous pourriez tenter votre chance avec Isabella Acampora ?
- Oui, c’est cela... Je sais, cela paraît puérile et indigne d’un gentleman que de sauter sur la première dame venue, sans rien connaître d’elle ! Mais... c’est que... J’ai besoin de cet héritage, vous comprenez ? Jusqu’alors, je possédais tout ce que je voulais, alors je n’ai jamais eu besoin de travailler. Si mon père ne m’offre pas son héritage, je serai complètement fauché !
- Pourquoi ne pas simplement chercher un travail ? Demanda Favre avec dédain.
- Monsieur, j’ai passé mon enfance à tomber malade au moindre rhume. J’avais la santé fragile, et cela ne fait que depuis quelques années que mon corps s’est endurci. Une gouvernante me donnait des cours à la maison, alors je n’ai reçu qu’une éducation globale, je n’ai aucune spécialisation. Qui voudrait embaucher un garçon comme moi, sans aucune connaissance spécifique, et qui ne possède rien si ce n’est un peu d’argent ? Non, je comptais plutôt demander à Isabella de venir avec moi en Angleterre.
- Vous ne lui en avez pas encore parlé ? S’enquit Gallant.
- Non, je n’ai eu que l’occasion d’en parler à monsieur Acampora. Mais je crois que lui-même a dû en parler à Isabella, car depuis ce moment où j’ai tout avoué à son père, elle se comportait de manière différente. J’ai l’impression qu’elle était ... plus distante envers moi.
- Qu’a répondu monsieur Acampora ?
- Il était aux anges. Il s’est montré ravi à l’idée que sa fille intègre la bonne société anglaise. Je n’avais plus qu’à demander directement à Isabella, mais je craignais qu’elle refuse.
- Pourquoi aurait-elle refusé ?
- Et bien...
Agité sur mon siège, je baissais les yeux pour ne pas soutenir leur regard inquisiteur.
- Isabella était amoureuse de Bent Larsen. Ce n’était une surprise pour personne. Elle lui faisait les yeux doux, en profiter pour le toucher à la moindre occasion, venait l’aider même quand il n’en avait pas besoin... Oui, Isabella était folle amoureuse de lui.
- Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? S’indigna Gallant. Lorsque je vous ai demandé de me parler des occupants, c’était le moment de me prévenir !
- C’est que... je craignais que vous ne suspectiez mademoiselle Isabella. Être accusée du meurtre de celui qu’on aime, c’est bien trop atroce à supporter.
- Le crime passionnel, cela ne vous dis rien ? Enfin bref... Et Bent Larsen ? Était-il amoureux d’Isabella ?
- Je l’ignore, c’était assez ambigu. Il ne la repoussait pas, mais il ne répondait pas non plus à ses gestes et tendres paroles.
- Que pensait monsieur Acampora de tout cela ?
- Je... je n’en suis pas sûr. Je l’ai entendu se disputer avec Isabella, il n’y a pas si longtemps. Je n’ai pas bien compris de quoi il en retournait, je vous avoue ne pas m’être attardé pour saisir leur propos. Il agissait d’une affaire privée, après tout. Suite à cela, j’ai aperçu monsieur Acampora se diriger vers la chambre de Bent Larsen. Mes connaissances s’arrêtent là, car je suis descendu au salon pour prendre le café.
- Je vois, reprit Gallant. Je vous remercie pour ce précieux témoignage, Laon. Vous pouvez repartir dans le salon, et demandez à monsieur Acampora de nous rejoindre, je vous en prie.
*
- Alors, monsieur Acampora, dit Favre, par où commencer ?
- Peut-être par l’arme qui a disparu de votre chambre ? Suggéra Gallant.
- Quoi ? S’écria Henry, qui venait à peine de s’assoir. Non, non, je ne vois pas de quoi vous parlez...
- Allons, monsieur Acampora, Dorian D’Asande a laissé échapper cette information, donc inutile de démentir. Et je suppose que si je vais dans votre chambre, cette arme ne sera plus là, n’est-ce pas ? Car elle est actuellement sous le lit de Bent Larsen.
- ...
- Votre silence vous accuse plus qu’il ne vous sauve, Monsieur Acampora.
- Bon, d’accord ! S’emporta le maître de maison. Oui, mon arme a disparu. Oui, c’est visiblement celle qui a servi à tuer Bent. Mais je vous jure que je suis innocent ! Pourquoi lui aurai-je fais du mal ? Tout cela n’a aucun sens ! Je n’ai aucun grief contre lui !
- Au contraire, monsieur.
- Quoi ? Qu’insinuez-vous ?
Favre observait la scène avec attention, comme une partie de Ping-Pong où chacun se renvoi la balle. Il ne perdait pas une miette du spectacle.
Gallant se pencha en avant sur le bureau, les yeux rivés dans ceux du père.
- Je connais tout des sentiments de votre fille, monsieur Acampora. Elle aimait Bent Larsen passionnément. Elle l’adulait, c’est pourquoi sa mort la frappe de plein fouet. Elle l’aimait terriblement, et sans doute voulait-elle fuir avec lui... car vous refusiez cette relation.
- C’est... c’est absurde ! Ma fille n’aimait guère ce peintre...
Sa voix mourut sur le dernier mot, son regard fuyant se posa sur ses mains qu’il n’avait de cesse de triturer.
- Dîtes-nous la vérité, monsieur Acampora, insista Gallant. Votre fille aimait Bent Larsen, mais vous, vous ne supportiez pas l’idée qu’elle parte avec un homme pauvre qui ne doit son salut qu’à la générosité de son frère. Vous vous êtes disputés avec elle à ce sujet, n’est-ce pas ?
- Je... Je ne le détestais pas, ce garçon, entendez-moi bien. Je l’appréciais beaucoup, j’acceptai même d’entreposer ses toiles dans mon grenier ! J’appréciais autant sa personne que son art, je vous le jure !
- Comment avez-vous réagi quand vous avez compris que votre fille l’aimait ?
- Je... je ne pouvais pas l’accepter.
Le regard de l’homme devint dur, et il soutint celui, interrogateur, du détective.
- Il était hors de question que ma fille se marie avec un homme de sa condition ! Je lui laissai une auberge florissante comme héritage, alors pourquoi vouloir fuir avec un bohémien qui ne possédait rien ? J’étais fou de rage à cette idée. D’autant que monsieur Laon avait proposé de lui demander sa main ! J’en ai parlé avec Isabella, mais elle refusait de m’écouter ! Elle n’avait d’yeux que pour Bent, et ne voulait même pas consentir à devenir une dame de la bourgeoisie anglaise ! Elle n’a rien voulu entendre !
- Alors, vous êtes allez voir Bent Larsen directement.
- Oui, dans sa chambre. J’ai simplement discuté avec lui, je lui ai exposé les faits ainsi que mon refus. Et là, là...
- Là ? Répéta Favre.
Acampora sourit tristement.
- Là, Bent Larsen m’a rit au nez. Un rire sincère que je n’avais jamais entendu de sa part. Il m’a dit qu’il trouvait cela très flatteur de la part d’Isabella, mais que lui ne ressentait absolument aucun amour pour elle. Il ne l’aimait pas, messieurs, ce qui résolvait grandement mon problème. Lorsque j’ai expliqué cette confession à Isabella, elle n’a malheureusement pas voulu me croire... Elle s’est mise à pleurer toutes les larmes de son corps, la pauvre, et elle refusait de me parler. Elle m’a évité depuis ce jour là. Aujourd’hui, j’avais prévu de lui demander ce qu’elle pensait finalement de l’offre de monsieur Laon, mais cette tragédie est arrivée avant qu’on en parle. Mais, vous voyez, je n’avais aucune raison de vouloir tuer ce pauvre homme ! Quand il est revenu, j’ai remarqué qu’il n’avait pas l’air d’aller bien, je l’avoue... Mais j’avais encore le sang chaud à cause de cette histoire de cœur, alors je ne suis pas venu le voir. Je m’en veux terriblement pour ça, peut-être aurai-je pu le sauver en allons le voir plus tôt... Mais je ne l’ai pas tué, messieurs, je vous dis la vérité !
- Ou bien vous nous mentez, accusa Gallant.
- Quoi ? Pourquoi vous mentirai-je ?! S’écria Henry.
- Pour vous protéger. Ou pour protéger votre fille.
- Mais puisque je vous dis la vérité !
- Votre vérité, monsieur. Mais celle-ci m’a bien assez éclairé pour que je vous relâche. Vous pouvez rejoindre le salon... et appelez votre fille, je vous prie.
Henry Acampora lui décocha un terrible regard noir, puis s’en fut. Moins de deux minutes plus tard, Isabella entrait dans le bureau, et s’assit en posant ses mains sur ses genoux.
- Que voulez-vous savoir ? Demanda-t-elle simplement.
- Eh bien, jeune fille, commença Favre, nous voulons tout savoir.
- Mon père m’a dit quelques mots en venant me chercher. Je sais donc que vous avez eu vent de mon penchant pour monsieur Larsen. Que vous dire de plus ? Oui, j’étais folle amoureuse de lui. Je l’aime... l’aimais. Mais, malheureusement, aux dires de mon père, Bent ne m’aimait pas.
- Aux dires de votre père ? Répéta Gallant.
- Oui, que voulez-vous ? Mon père m’a affirmé avoir appris cela de la bouche même de Bent. Mais, pour ma part, Bent n’a jamais confirmé ou infirmé son amour pour moi, ce qui me permettait encore de rêver quant à la possibilité de notre relation. Mais la question de savoir si je pouvais un jour posséder son cœur ne se pose plus, désormais.
- Toutes mes condoléances, jeune demoiselle. Perdre un être cher, c’est une chose terrible.
- En effet. D’autant plus terrible quand il a été assassiné.
- Vous convenez donc finalement qu’il ne s’est pas suicidé ?
- Avec tous les éléments nouveaux que vous avez apporté, seul le coupable serait assez fou pour maintenir l’hypothèse du suicide... Mais je ne pense pas qu’il soit assez bête pour aller à l’encontre de l’opinion général. Non, il sera obligé de reconnaître qu’il s’agit bel et bien d’un meurtre, comme nous tous.
- Vous avez tout à fait raison, mademoiselle. Mais dîtes-moi, que pouvez-vous nous dire sur monsieur Laon ?
- Lui ? S’exclama Isabella. Ah, je vois, mon père vous a donc aussi raconter la proposition de notre invité... Monsieur Laon est un jeune homme tout ce qu’il y a de plus adorable, je le pense sincèrement. Seulement...
- Seulement ?
- Je ne sais pas... Il m’a l’air de garder beaucoup de mystères en lui. Il parle très peu de lui-même ou de ses rêves. Il vit toujours dans le paraître, ne laisse rien transparaître. Ce que j’aimais chez Bent, c’est que lui vivait pour de vrai. Il voyageait, découvrait, apprenait. Ses toiles reflétaient son vécu, ses ambitions, ses tourments... Il était simplement plus... humain. Monsieur Laon, lui, vit dans une société où l’on ne dévoile pas ses sentiments, où toute liberté est entravée par le qu’en-dira-t-on. Non, ce n’est décidément pas une vie pour moi.
- Monsieur Laon savait-il que vous comptiez refuser ?
- Non, j’avais prévu de lui dire tout cela ce soir...
Gallant hocha la tête, grave. Favre, qui laissait le détective menait l’interrogatoire, se contentait d’observer la jeune demoiselle pour y détecter le moindre signe de mensonge.
- Dîtes-moi, reprit Gallant, avez-vous un quelconque soupçon, aussi infime soit-il, sur qui que ce soit dans l’auberge ?
- C’est que, monsieur le détective, je ne suis pas du genre médisante...
- Ah ! C’est donc que vous avez des soupçons ! Racontez-moi tout. Je vous jure que rien de ce que vous direz ne sortira de cette pièce.
- Il y a... il y a bien Slavomir Beran qui paraît le plus suspect. Il avait une dent contre Bent, ça sautait aux yeux. Bien que Bent recevait de l’argent de son frère et que peu de ses toiles se vendaient, cela le rendait tout de même plus riche que Slavomir. Et ça, ce maudit Tchèque ne pouvait pas le supporter.
Isabella avait lancé cette dernière phrase avec tant de mépris que Gallant fronça les sourcils.
- Vous ne portez pas monsieur Beran dans votre cœur, je me trompe ?
- C’est un être malveillant ! Toujours là en train de médire ou d’insulter ce pauvre Bent, de le rabaisser devant tout le monde, de pester contre ses toiles, d’insulter son art... S’il s’était bien s’agit d’un suicide, ça ne m’aurait pas étonnée que Slavomir en soit la cause indirecte ! Quand bien même il s’agisse d’un meurtre... Non, vraiment, cela ne m’étonnerait pas que Slavomir soit coupable. Il haïssait Bent du plus profond de son âme. Il était jaloux, voilà tout.
- Bien, mademoiselle Acampora, je vous remercie. Auriez-vous l’amabilité de... demander à monsieur Beran de nous rejoindre ?
- Avec plaisir, si cela vous permet de l’inculper.
Alors je suis un peu emprunté. Je t’explique: au niveau du fond c’est bien construit, logique, surprenant même. On a vraiment cette caractéristique du policier de pouvoir accuser tout le monde c’est top! Et on comprends bien les motivations potentielles de chaque personnage!
Au niveau de la forme, par contre, ça me semble un peu uniforme, les personnages n’ont pas de façon de parler particulière… C’est dommage parce que, sans entrer dans le cliché, une scène comme ça c’est une fantastique opportunité de caractériser chaque personnage de manière implicite: tics de langage, accent, manière de présenter la situation… Là les dialogues sont des exemples de réthorique, mais tout le monde n’est pas Cicéron, surtout sous stress!
En espérant ne pas être trop sévère (comme dit, la construction brute tient plus que la route…)
Timothée
Merci pour ton commentaire ! Toutes les critiques sont bienvenues, ne t'en fais pas d'être "trop sévère" ^^
D'autant que c'est une critique qui revient souvent, alors il faut vraiment que je m'occupe de ce problème de la forme ! Puisque c'est dans mes projets littéraires de réécrire cette histoire, je prends toutes les critiques pour être au taquet lors de la réécriture !
Donc encore merci pour ton commentaire ^^
- et peut-être des coquilles: "Elle lui faisait les yeux doux, en profiter pour " => en profitant/ en profitait...
- jour là=> jour-là? (peut-être, mais maintenant j'ai un doute^^)
Merci pour ces remarques, je vais vite les corriger !😁