Amandrille connaissait bien les cordes. Dans les cavernes, aucune expédition n’était entreprise sans corde, car même le nain le plus agile ne pouvait rien face à une paroi verticale lisse, comme l’eau, si perfectionniste, aimait parfois en façonner. Elle connaissait le bruit qu’une corde faisait en se tendant, elle pouvait même entendre si la main qui la tendait hésitait. Ce n’était pas le cas. Lorsque le craquement des fibres étirées se suspendit, elle sut avant qu’elle ne résonne la mélodie qu’elles allaient chanter de concert lorsqu’elles seraient brutalement relâchées. Et alors, elle plongea à terre, abandonnant au-dessus d’elle sa cape qui, plus lourde, suivit le projectile pour aller se planter dans un arbre proche. L’effet d’optique était parfait, le vieil homme venait à peine de réaliser qu’il avait manqué sa cible alors qu’elle avait déjà parcouru, ventre contre terre, la moitié du chemin qui les séparait. Derrière elle, Ondine cria, se rua vers elle, mais sur ses deux pieds, alors qu’Amandrille courait sur quatre. Les humains étaient bien trop lents. Face à elle, Galabin, Joël et le vieil homme semblaient bouger au ralenti. Ils allaient assister, impuissants, à la vengeance d’un nain à qui on a voulu prendre la vie. Dans un instant, elle serait sur eux.
Ondine cria encore, et enfonça ses deux mains dans la terre. Amandrille sentit le sol sous ses pieds s’ouvrir. Elle bondit en avant, affolée, et au lieu d’atterrir au sol sur ses quatre membres, elle atterrit dans l’eau, dans un plat monumental. Elle reprit pieds en toussant et crachant les gorgées qu’elle avait, dans sa surprise, avalées, et une fois redressée, en voyant l’eau qui lui arrivant au-dessus des hanches, elle ne put que constater qu’en un instant, l’étang avait étendu un de ses bras jusqu’à elle. Un canal la reliait maintenant à lui, et elle se tenait à son extrémité, là où il s’élargissait et s’approfondissait pour former une cuvette ronde comme un poing. Comme Ondine arrivait auprès d’elle, lui tendant une main humide, Amandrille se contenta d’ignorer son geste et de s’extirper elle-même de cette baignoire boueuse en lui faisant constater :
– J’ai grandi dans des cavernes partiellement inondées. La prochaine fois que tu veux m’empêcher de tuer quelqu’un, essaie de mettre un peu plus de distance entre moi et le rivage.
En un instant, tous semblaient avoir oublié le drame qui se déroulait quelques secondes plus tôt. Pépélé avait abaissé son arc et Joël courait vers Ondine, l’air perdu, en posant des questions inutiles :
– Ondine, c’est toi qui a fait ça ?
Depuis le point d’impact entre les mains d'Ondine et le sol, la terre avait éclaté, et des craquelures emplies d’eau claire couraient, de plus en plus nombreuses et profondes, jusqu’à la saignée plus nette et plus profonde où l’étang et Amandrille s’étaient engouffrés. Et si cela ne suffisait pas à prouver la culpabilité de la jeune fille, les mains d'Ondine gouttaient encore autour de ses pieds, comme du linge mal essoré.
– Ça rend moins d’eau que ce matin, nota Galabin en s’approchant de sa cousine pour inspecter ses mains.
Il semblait presque rassuré, ce qui n’était pas le cas de Joël, qui s’exclama :
– C’est complètement dingue ! Tu peux pas rester comme ça… Qu’est-ce qu’on va faire ? Il faut réunir les Rhjoeïh ! Ils sauront quoi faire !
– Ton copain, c’est toujours un tel moulin à âneries ? demanda Amandrille à Ondine.
– C’est un anxieux, le défendit-elle gentiment. Joël, reprit-elle en se tournant vers le garçon, avec ce qu’il m’arrive je ne peux pas rester ici. Amandrille m’escorte jusqu’aux Royaume des Grands Lacs. Il n’y a que là-bas que je ne représenterai de danger pour personne, et que je pourrai peut-être comprendre ce qu’il m’arrive.
Galabin intervient, manifestement atteint dans sa fierté grégaire :
– Joël a raison. Nos Rhjoeïh ont rencontré les chamans les plus savants des quatre coins du monde, personne ne peut mieux comprendre qu’eux ce qu’il se passe.
– Ah oui ? Et tu peux me dire ce qu’un prophète de la sécheresse connaît à l’eau ? demanda Ondine avec calme, tout en secouant ses mains pour en chasser les dernières gouttes d’eau.
– Nous pouvons résoudre ce problème ensemble, insista le garçon. Ce matin, quand l’eau s’est mise à jaillir de tes mains, on ne savait pas comment réagir, mais la prochaine fois on sera préparés. Et je suis sûr qu’on trouvera une solution. En attendant, tu pourras rester ici, à l’écart du campement.
– Galabin ! le héla Pépélé, qui se tenait encore un peu à l’écart du groupe mais ne perdait pas une miette de leur échange. Tu peux me dire ce que tu as ressenti quand tu as vu l’eau sortir des mains d'Ondine ?
Malgré l’effervescence du moment, le respect qu’il devait à Pépélé obligea Galabin à réfléchir sérieusement à la question, et à répondre le plus honnêtement possible :
– Terrifié. Impuissant.
Ondine hocha la tête, se joignant à son verdict.
– Alors maintenant, reprit Pépélé d’une voix tremblante, essaie d’imaginer ce qu’un vieux chaman paranoïaque, à l’affût de la moindre humidité ambiante depuis son plus jeune âge, et bercé par des histoires atroces sur l’éveil de dragons, pourrait ressentir.
Un long silence s’installa, durant lequel les deux seules choses qui s’agitèrent furent le jeune poulain et la tête de Joël, semblant se débattre tous deux avec leurs multiples tentatives de compréhension d’un monde encore trop complexe et trop effrayant, mais dont ils voulaient désespérément faire partie.
Galabin, poings serrés, air farouche, avait l’air de couver une rage mauvaise, dont toutes les retombées étaient destinées à Ondine. Lorsqu’il s’adressa enfin à elle, ce fut avec une autorité froide :
– Tu ne peux pas partir. Ta place est avec les tiens !
Redressant son menton, Ondine lui répondit d’une voix tremblante mais déterminée :
– Oui, nous sommes d’accord. Alors adieu. Je retourne parmi les miens.
Comme il n’y avait plus rien à ajouter, elle tourna les talons, et Amandrille la suivit sans un mot après avoir décroché sa cape de la flèche qui la clouait à un arbre. Car ses pensées actuelles ne convenaient absolument pas à un moment aussi grave : alors que sous ses yeux, une famille se déchirait dans la douleur, elle, vivait un rêve. Elle partait en voyage par-delà les Montagnes Calleuses, et si cela ne suffisait pas à faire son bonheur, elle avait pour compagnon de route une humaine fière et puissante. Elle porta à ses lèvres la brûlure en forme de goutte de sa main, comme l’avait fait Desreum, comme l’avait fait Mirnos, et à son tour elle sentit la chaleur qui s’en dégageait. Et, malgré sa culpabilité vis-à-vis des nains encore prisonniers dans la suite de Desreum, elle remercia le soleil d’être venu jusqu’à elle.
Je vais revoir cette phrase
J'ai juste relever une petite répétition (deux fois le mot "air" dans la même phrase( ma BL fait la chasse aux miennes lol) :
"Galabin, poings serrés, air farouche, avait l’air de couver une rage mauvaise, dont toutes les retombées étaient destinées à Ondine. Lorsqu’il s’adressa enfin à elle, ce fut avec une autorité froide :"
Eventuellement, la reformuler ainsi : "Galabin, poings serrés avec une expression farouche, semblait couver une rage mauvaise, dont toutes les retombées étaient destinées à Ondine. Lorsqu’il s’adressa enfin à elle, ce fut avec une autorité froide :"