Galabin s’éveilla avec un cri, portant la main à sa nuque où se lovait une douleur lancinante. Il repoussa la couverture qui lui masquait la vue et, ébloui, s’assit sur la paillasse sans reconnaître tout de suite les lieux. À ses côtés, Joël, les yeux bouffis de sommeil, l’imita en baillant.
– Toi aussi, ils t’ont assommé ? s’inquiéta Galabin.
– Qu’est-ce que tu racontes ? grogna Joël d’une voix ensommeillée.
– Je crois qu’on s’est fait attaquer par derrière, murmura Galabin en observant les objets étrangement familiers qui l’entouraient.
Joël éclata de rire.
– Parle pour toi. T’as commencé à crier comme un fou pour empêcher Ondine de partir. Un peu plus, et toute ma famille était au courant pour ses supers pouvoirs bizarres, alors Pépélé t’as administré une bonne dose de calmant pour cheval. Ça t’as fait faire une belle sieste. Moi, j’avais juste du sommeil à rattraper.
Galabin, rouge de honte et de colère contre sa cousine, se dirigea vers la sortie de la tente, qu’il avait enfin reconnu comme étant celle du grand-père de Joël. Spacieuse, avec un seul couchage qu’il avait apparemment partagé avec son ami une bonne partie de la journée.
– Je dois retrouver Ondine, annonça Galabin en guise d’adieu.
Joël fut sur ses talons en un instant, tentant de le raisonner.
– La journée est bien avancée, ça fait des heures qu’elles sont parties. Tu n’iras plus nulle part aujourd’hui. Attends avec moi le retour de Pépélé, il est à la yourte commune, les anciens s’y sont réunis. Il reviendra bientôt avec des nouvelles du campement.
Galabin ravala ses protestations, se remémorant douloureusement la lutte terrible qui avait débuté au petit matin. Comment allaient ses parents, son oncle ? Mais surtout, comment réagiraient-il en apprenant qu’il avait laissé sa cousine s’enfuir avec une dangereuse étrangère ?
Joël posa sa main sur son épaule en lui intimant :
– Pépélé avait raison tout à l’heure. Partir est ce qu’il y avait de mieux pour elle. Si quelqu’un d’autre avait appris ce qui lui arrive, elle courrait un grave danger.
– Personne dans notre tribu n’aurait pu s’en prendre à elle, tenta de se convaincre Galabin.
Joël laissa retomber sa main en soupirant.
– En réalité, je crois que n’importe qui ici aurait pu s’en prendre à elle. Tu sais que les adultes ne reculent devant rien pour préserver leurs enfants de la colère des dragons. Et ils seront encore plus radicaux s’il y a eu des morts aujourd’hui.
Galabin serra les dents et les poings, refusant cette possibilité. Joël était toujours si pessimiste ! Et pourtant, il se laissa tomber à genoux sur le tapis du seuil, les yeux rivés en direction du campement. Son ami vint l’y rejoindre sans un mot, et il lui fut infiniment reconnaissant de patienter avec lui, dans le silence et l’angoisse.
Quelques minutes plus tard, un bruit de galop les fit se redresser. Un cheval baie monté d’un homme élancé arrivait droit sur eux.
– C’est Darvis et Karmel ! s’exclama Galabin. Ils reviennent du camp !
Joël tendit le bras pour retenir son ami et l’entraîner à l’intérieur de la yourte de son grand-père. Pépélé leur avait demandé de ne pas bouger avant son retour, et surtout de ne parler à personne. C’est pour cela qu’ils s’étaient réfugiés ici, dans la yourte où Pépélé vivait seul.
Darvis, le troisième enfant de la fratrie des Patrisson, laissa Karmel rejoindre la harde qui paissait un peu plus loin et s’engouffra dans la yourte qu’il partageaient avec ses deux aînés. À partir de cet instant, Joël et Galabin ne tinrent plus en place. Ils tournèrent en rond, tentèrent de se rassurer en constatant que c’était long, c’était bon signe, puis dirent complètement l’inverse. Tantôt ils riaient nerveusement, tantôt ils laissaient régner un silence pesant. La nuit tombait déjà lorsqu’enfin, ils virent la silhouette frêle mais droite de Pépélé s’approcher. Ils se précipitèrent vers lui dans l’obscurité.
– Alors ? Est-ce que les dragons sont calmés ? Il y a des blessés ?
Joël enchaînait les questions tandis que Galabin répétait :
– Vous avez des nouvelles de ma famille ?
Mais Pépélé balaya toutes leurs questions de la main sans interrompre sa marche.
– Pas ici, grogna-t-il.
Ce n’est qu’une fois que Pépélé les eut tous réunis au centre de sa yourte, agenouillés autour de thé à la menthe et d’épais biscuits au beurre, qu’il consentit à leur répondre :
– Nous comptons une trentaine de blessés, parmi lesquels ton cousin Bernie, mais seul le cas du cadet des Fratinel est inquiétant. Son armure a été transpercée par deux griffes, les plaies qu’il a au ventre sont profondes. Pour les autres, ce ne sont qu’écorchures et côtes brisées. Ils se rétablirons.
Galabin souffla dans un sourire qu’il ne put réprimer. C’était terrible pour le jeune Melkior Fratinel, mais il était tellement rassuré que ses parents et son oncle soient saufs ! Cependant, son soulagement fut de courte durée, car Pépélé continua :
– Ce n’est pas le combat le plus sanglant que nous ayons eu à mener, mais personne n’a été dupe. La situation ne connaissait aucun précédent. Les dragons ont perdu leur calme d’une seconde à l’autre, sans que rien ne puisse l’expliquer, et se sont également calmés subitement, environ une heure plus tard. Si la situation avait dû se prolonger, tous nos hommes seraient à terre à l’heure qu’il est. Et personne ici, à l’exception de nous trois, ne sait l’expliquer. Je ne pourrai pas vous décrire le degré d’angoisse, la tension qui régnait entre les anciens et les Rhjoeïh. La bonne entente qui nous lie habituellement a été rompue à maintes reprises, alors que chacun cherchait à tout prix un coupable. D’après les sorciers, seul le bruit de l’eau est capable d’éveiller ainsi les dragons, et si au début de la réunion l’idée était de faire le tour des familles pour s’assurer qu’aucune gourde n’était percée, cela à vite dégénéré en foire aux accusations : qui est le plus maladroit, qui garde de l’eau en cachette durant la nuit, qui troque de l’eau contre des suppléments de calva…
Pépélé s’interrompit pour tremper son biscuit dans le thé et le porter à sa bouche, tout en secouant la tête de désapprobation.
– Une belle bande de vieux gâteux, marmonna-t-il.
Galabin posa sa tasse en clamant l’innocence de sa cousine :
– Ils cherchent qui a pu commettre une faute, mais Ondine n’y est pour rien, elle ne contrôle pas ce qui lui arrive. Ils peuvent l’entendre !
De colère, Pépélé faillit recracher sa gorgée de thé.
– Je te l’ai dit ! Ils sont terrifiés par l’idée que l’un d’eux ait eu la maladresse de renverser sa gourde, s’ils apprenaient que ta cousine est capable de créer un abreuvoir en plein centre de l’enclos, ils en perdraient tout ce qu’il leur reste de dents et de cheveux.
– Mais…
– Galabin, l’interrompit Joël avec douceur, je sais que tu veux aider Ondine, mais eux, ce qu’ils cherchent, c’est un coupable. Ils ne la verront pas comme autre chose.
Galabin sonda longtemps le regard de son ami et celui de Pépélé, pour ne rien garder de la certitude dans laquelle il s’était entêté. Aucun d’eux n’avait l’intention de ramener Ondine au campement. Comme s’il lisait dans ses pensées, Pépélé finit par lui asséner :
– Ondine ne reviendra pas. Rien de ce que tu puisses faire ne la fera revenir. Parce qu’elle est maligne. Il en va de sa vie, et elle le sait.
Entre deux battements de cœurs, la vie de Galabin prit fin, tout son avenir tel qu’il l’avait non pas rêvé, pas même imaginé, mais juste laissé venir à lui comme une évidence, expira. Tout son être se scinda en deux parts jusqu’alors indissociables, tandis qu’il se représentait d’un côté ses parents et son oncle, qu’il imaginait paniqués devant le désordre de la yourte familiale, et d’un autre sa cousine, s’éloignant à travers champ. Quoi qu’il fasse, quoi qu’il décide, il était et resterait absent d’un de ces deux tableaux.
Jamais Galabin n’avait-eu à dire adieu à quelqu’un qu’il aimait. Et jamais il n’aurait cru qu’il pourrait lui être plus difficile de dire adieu à Ondine, que de prononcer les mots suivants :
– Alors, dit-il pourtant, d’une voix chancelante, je pars aussi.
Pépélé hocha la tête sans paraître un tant soit peu surpris, tandis que Joël se cachait le visage de ses deux mains.
– Il vous faudra partir avant l’aube, dit Pépélé. Je couvrirai votre absence autant que je le pourrai, mais la disparition de trois enfants et de quatre chevaux ne passera pas inaperçue bien longtemps. Plus vous serez loin quand la vérité sera découverte, plus vous serez en sécurité. Le clan doit prendre la route en fin de matinée, après une rapide enquête suite aux évènements d’aujourd’hui. Je vois mal comment on pourrait prendre la décision d’envoyer des cavaliers à vos trousses en pleine migration.
Galabin et Joël commencèrent à protester de concert. Jamais il n’avait été question qu’ils partent tous les deux ! Les interrompant d’un grognement, le grand-père demanda durement à son petit fils :
– Joël ! Regarde-moi dans les yeux et promet-moi que tu ne passeras ni les trois prochains mois, ni les trois prochaines années à larmoyer dans mes jambes en regrettant de n’avoir pas suivi tes amis.
– Je… je n’ai pas le droit… je dois… Il faut que je réfléchisse, conclut Joël après avoir difficilement surmonté ses balbutiements.
– Tourr ! Depuis que tu sais marcher c’est tout ce que tu sais faire, réfléchir, angoisser, prendre les mauvaises décisions puis me faire perdre mon temps parce qu’il faut te consoler. Ce soir, écoute tes tripes plutôt que ta tête, et quand tu auras entendu ce qu’elles ont à te dire, surtout ne vient pas me répéter ce que sais déjà.
Sur ces déclarations, Pépélé leur avait fait quelques recommandations pour la nuit, puis avait quitté la tente. Il se rendait auprès des parents de Joël pour les prévenir de la présence de leur fils chez lui et pour réunir discrètement quelques-unes de ses affaires. Le lendemain, avant même que le jour soit levé, les garçons trouveraient devant la yourte deux chevaux scellés, chargés, et trois grands sacs de vivres et de vêtements.
Joël n'a pas l'air bien vaillant mais on l'aime bien quand même (ça m'a fait sourire l'excuse d'Ondine "c'est un anxieux", j'ai trouvé que rien que cette phrase donnait beaucoup de profondeur à leur petit couple). Mais je confirme que je pense Galabin un peu amoureux de la cousine ! C'était très beau cette image de gouffre entre la cousine et le reste de sa famille, et le choix de Galabin est assez surprenant. J'ai hâte de voir ce que ce personnage va révéler de lui-même au cours de sa quête, et si Joël va sortir de son anxiété et apprendre à sauter à pieds joints dans la vie.
Au chapitre précédent, j'ai trouvé l'esquive d'Amandrille très réussie et découvert un certaine dureté dans son caractère que je n'avais pas perçue plus tôt, et qui rend le personnage encore plus complexe et intéressant.
Il y a une petite chose qui m'a gênée sur ce chapitre par contre : Pépélé a essayé de tuer Amandrille, Amandrille a voulu lui rendre la pareille, et tout est retombé avec les démonstrations de magie d'Ondine. Je ne sais pas dans quelle mesure c'est normal, ce pouvoir, dans cet univers (on dirait que les chamans s'inquièteraient plus de l'eau que du pouvoir en lui-même), mais je me suis étonnée que les deux qui se battaient à mort oublient aussi vite leur rancœur et leur méfiance l'un envers l'autre, et passent tout de suite à autre chose. Après, le récit n'est pas obligé de passer en point de vue interne sur tous les personnages et de développer la complexité des émotions de chacun, mais de l'extérieur, ça m'a paru un peu rapide comme changement d'état d'esprit.
Voilà mes retours, c'est toujours avec beaucoup de plaisir que je lis cette histoire, en tout cas, merci de la partager :D
A vite, vite !
Petite coquille ici : surtout ne vient pas me répéter ce que sais déjà. -> viens
À bientôt :)
Bon par contre Joël, soit un homme non de dieu !!! coup de pied dans le derrière, avance non di dious !!! ( je le motive xD)
Ah t'as bien compris le style de Pépélé pour faire bouger ce grand gaillard !