Chapitre 5 – Une visite nocturne

Par David.J

Une nuit d’encre. Lourde. Suspendue sur la ville. Une menace. Le noir semblait plus lourd, plus oppressant que d’ordinaire, avalant la moindre source de lumière, étouffant même les halos fatigués des réverbères, qui peinaient à percer cette masse compacte. Là où, d’habitude, la nuit dessinait des ombres, elle semblait maintenant tout absorber, gommant les contours de la ville comme un tableau en train de s’effacer.

Pas un souffle de vent, pas un frémissement. Les branches des arbres restaient figées, comme pétrifiées dans un instant suspendu, sans le moindre bruissement. Les rideaux derrière les fenêtres closes demeuraient immobiles, pas même agités par une brise discrète. Tout était statique, comme si la ville entière était sous l’emprise d’une force imperceptible, d’un état d’attente silencieux et oppressant.

L’air semblait gorgé d’un poids invisible, saturé d’une humidité stagnante. Il collait à la peau, s’insinuait dans les vêtements, alourdissait chaque respiration. Un malaise diffus, une sensation étrange d’être pris dans un étau, sans raison apparente. Quelque chose, hors de portée des sens, attendait.

Un son. Un mouvement. Une rupture.

Mais rien ne venait. Les secondes s’étiraient, muettes. La pluie, attendait quelque part dans le ciel opaque, menaçait sans jamais tomber, elle-même hésitait à troubler ce calme anormal. Les nuages formaient une chape lourde et opaque, un plafond de ténèbres qui semblait écraser la ville sous son poids, empêchant même l’air de circuler librement.

Ce silence-là n’avait rien d’ordinaire. Ce n’était pas le simple calme nocturne d’une ville endormie, c’était un silence figé, retenu, quelque chose de vivant qui observait, tapi dans les replis de l’obscurité.

Il pesait sur les immeubles, s’infiltrait dans les rues désertes, emplissait chaque recoin comme une brume invisible.

Dans son appartement plongé dans le noir, Étienne se tourna encore une fois dans son lit, incapable de trouver le sommeil. Il avait la sensation que la nuit était plus présente que d’habitude, plus pesante, elle s’accrochait à lui.

Son corps était épuisé, mais son esprit refusait de se laisser emporter. Les pensées tournaient en boucle, sans jamais se fixer, un écho sourd impossible à apaiser. Les images de la séance revenaient sans cesse : des visages hantés, des voix à peine audibles, des frissons collectifs qui n’avaient pas eu besoin de mots.

Et surtout…

Le regard de Renard.

Ce regard qui ne s’était jamais vraiment attardé, et qui pourtant avait tout vu.

Étienne essaya de rationaliser, de donner du sens à ces détails insaisissables, à ces silences pesants qui en disaient trop.

Mais il n’y arrivait pas.

Quelque chose lui échappait. Et ça le traquait.

Il fixa le plafond, les yeux grands ouverts, suivant inconsciemment les ombres mouvantes projetées par les rares phares de voitures qui passaient dans la rue en contrebas. Chaque lueur venait s’écraser contre les murs, s’étirant en silhouettes distordues qui disparaissaient en un battement de cil. Des formes fugitives. Des apparitions passagères. Son esprit, trop éveillé, traquait les moindres détails, il cherchait quelque chose à quoi s’accrocher.

Le silence aurait dû être reposant. Il aurait dû envelopper l’espace, étirer le temps, l’emporter enfin vers l’oubli. Mais il ne l’était pas.

Le bruit.

Un bruit.

Infime. Fragile. Presque inexistant.

Un son à peine perceptible, un murmure dans l’obscurité, le craquement d’un bois fatigué, le souffle d’une respiration trop discrète. Un simple rien. Une vibration qui n’aurait pas dû briser la densité muette de la nuit.

Son souffle se suspendit, son corps se figea d’instinct. Un réflexe primaire, ancré au plus profond de lui.

Son premier réflexe fut de se convaincre que ce n’était rien. Un bruit anodin. Une illusion sonore. Une déformation du silence. Un grincement du parquet qui s’adapte aux changements de température, un écho diffus venant d’un appartement voisin.

Pourtant…

Son cœur accéléra. Légèrement, subtilement, comme si son corps savait déjà ce que son esprit refusait d’admettre. Quelque chose en lui—un instinct archaïque, un avertissement primaire—lui murmurait que ce mensonge ne tiendrait pas.

Les secondes s’étirèrent.

Son oreille, tendue vers l’obscurité, chercha une confirmation. Un autre signe.

Etienne refusait de lâcher prise.

Puis il l’entendit.

Crac.

Un bruit net. Précis.

Pas un son flottant. Pas un craquement aléatoire.

Un bruit réel. Un bruit intentionnel.

Cette fois, il en était certain.

Ce n’était pas dans sa tête.

Il se redressa lentement, chacun de ses muscles tendu sous la pression. Son corps, crispé par une alerte invisible, réagissait avant même qu’il n’ait pris la moindre décision.

Ça provenait du salon.

Ou peut-être…

De la fenêtre.

Une vague glaciale s’infiltra dans sa colonne vertébrale. Un frisson long, lent, venu du plus profond de son instinct.

Son regard glissa vers son réveil digital.

1h22.

Un instant, il hésita.

Devait-il allumer la lumière ?

Non.

Il savait que ce serait une erreur.

Lentement, avec une précaution instinctive, il repoussa la couverture et se redressa sur le bord du lit.

Pieds nus, il se leva.

Ses mouvements étaient calculés, contrôlés, chaque pas mesuré pour ne pas faire grincer le parquet sous son poids.

L’obscurité ne lui était pas étrangère. Il avait grandi avec. Il l’avait traversée mille fois sans y prêter attention.

Mais cette nuit, elle semblait différente.

Plus épaisse. Plus dense.

Presque… vivante.

Il avança lentement, glissant une main contre le mur pour se repérer dans le noir. Chaque ombre lui semblait plus longue, plus menaçante. Une présence invisible se déplaçait au même rythme que lui, juste hors de son champ de vision.

Arrivé près du salon, il s’arrêta net.

Son souffle se coupa.

Son regard tomba sur la fenêtre.

Elle était entrebâillée.

Il était pourtant certain de l’avoir fermée avant de se coucher. Il s’en souvenait distinctement. Il l’avait verrouillée. Il en était sûr. Pourtant, elle était là, entrouverte, laissant s’infiltrer une brise glaciale qui n’aurait pas dû être.

Ses doigts se resserrèrent légèrement tandis que son regard scrutait la vitre, cherchant… quelque chose.

Un mouvement. Une distorsion. Une faille.

Et c’est alors qu’il la vit.

Ou crut la voir.

Une silhouette.

De l’autre côté de la fenêtre.

Figée.

Attentive.

Son cœur manqua un battement. Une forme humanoïde, juste là, dissimulée dans la noirceur. Trop floue pour être réelle. Trop nette pour être un simple jeu d’ombres.

Un visage ? Non…

Pas exactement. Plutôt une présence. Une anomalie dans la trame du réel. Ça ne devrait pas exister.

Il cligna des yeux.

Rien.

Le vide total.

Là où il aurait juré voir une silhouette, il n’y avait que la nuit, paisible et silencieuse.

Sa gorge était sèche. Ses tempes pulsaient.

Une sueur froide perla sur sa nuque.

Il avança prudemment. Chaque pas, lourd, calculé. Son corps hésitait, comme si s’approcher était une erreur.

Mais il posa quand même sa main sur le rebord de la fenêtre.

La vitre était gelée.

Bien plus qu’elle n’aurait dû l’être.

Il inspira profondément. Son souffle se refléta sur le verre.

Et pendant une fraction de seconde…

Il aperçut une empreinte.

Minuscule.

Presque imperceptible.

Comme si quelqu’un… avait posé ses doigts sur la surface avant de disparaître.

Un battement sourd résonna dans sa poitrine.

Brusquement, il rouvrit la fenêtre.

L’air froid de la nuit s’engouffra, mordant sa peau.

Ses yeux fouillèrent l’obscurité.

La rue était déserte.

Aucune trace de mouvement.

Aucune empreinte sur le rebord.

Juste le vent nocturne, caressant les façades des immeubles voisins.

Un vide anormal.

Son cœur battait trop vite, trop fort.

Il referma la fenêtre d’un geste brusque, verrouilla le loquet avec une force excessive. Comme si cela pouvait suffire.

Ses doigts tremblaient légèrement.

Rationaliser.

C’était juste un jeu d’ombres.

Une illusion due à la fatigue.

Rien d’autre.

Mais alors…

Pourquoi cette sensation persistante ?

Pourquoi cette impression oppressante ne disparaissait-elle pas ?

Il recula lentement. Ses yeux balayèrent la pièce.

Les ombres projetées par la lumière lointaine des réverbères lui parurent plus étirées.

Déformées.

Hostiles.

Puis, quelque chose changea.

Un détail infime.

Mais suffisant pour glacer son sang.

Son souffle s’arrêta net.

L’image dans la vitre.

Toujours là.

Une silhouette.

Qui lui ressemblait en tout point.

Et pourtant…

Non.

Il plissa les yeux.

Quelque chose clochait.

Son propre double, figé dans le verre, le fixait.

Identique.

Et pourtant… faux.

Un frisson parcourut sa colonne vertébrale.

Son reflet… attendit.

Puis bougea.

Une seconde trop tard.

Infime.

Mais bien réel.

Puis, lentement, il leva la main.

Étienne resta immobile.

Ce n’était pas lui.

Et pourtant…

La silhouette derrière le verre venait de le faire.

Un sourire. Lent. Tordu.

À croire qu’il imitait un humain pour la première fois.

Son sang se figea.

Il pivota brusquement, le souffle court.

Rien.

Le salon était vide.

Ses doigts étaient glacés.

Il revint lentement vers la vitre.

Son reflet… normal.

Imitant parfaitement ses gestes.

De la manière dont il aurait dû le faire depuis le début.

Son cœur battait trop fort.

Il recula.

Il fit demi-tour, revint dans sa chambre, verrouilla la porte derrière lui.

Comme si un simple bout de bois pouvait le protéger.

De quoi, au juste ?

Il s’assit sur son lit.

Son regard était vide.

Sa respiration trop saccadée.

Fatigue extrême.

Stress.

Hallucination.

C’est ce qu’il se répéta en boucle.

Mais au fond de lui…

Une certitude insidieuse.

Une idée qui s’infiltrait comme du poison.

Quelque chose l’avait vu cette nuit.

Et il savait.

Au plus profond de ses entrailles.

Ce n’était que le début.

Soudain, une pensée le frappa.

Un détail qu’il devait vérifier.

Son souffle court, il se leva précipitamment.

À pas feutrés, il retourna vers la fenêtre.

Juste pour regarder.

Juste pour être sûr.

Son reflet était là.

Immobile.

Figé.

Un battement de silence.

Puis…

Son reflet cligna lentement des yeux.

Étienne se figea.

Puis… un murmure.

Un souffle glacé.

Trop proche.

Un murmure venu de nulle part.

Ne ferme pas les yeux.

Étienne ne trouva pas le sommeil. La pluie commença à tomber, d’abord en fines gouttes dispersées, puis en un rideau continu qui s’écrasait contre les vitres, dessinant des traînées mouvantes sur le verre. Chaque goutte projetait des ombres étranges sur les murs, des silhouettes distordues qui semblaient s’étirer et se reformer dans l’obscurité.

Le clapotis irrégulier contre les fenêtres rythmait son attente, accentuant cette impression oppressante d’être observé. Il resta allongé, le regard fixé au plafond, incapable de chasser cette sensation invasive qui s’infiltrait sous sa peau.

Puis, son téléphone vibra. Un son strident, hors de propos. Un cri étranglé.

Il jeta un coup d’œil à l’écran: 2h05.

Il sut, avant même de décrocher.

Un autre corps.

Une autre nuit sans répit.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Cherry Fig
Posté le 13/04/2025
Franchement, je déconseille la lecture de cette histoire à une heure trop avancée de la nuit.
C'est vraiment un mélange original, entre le thriller et le fantastique, et même si je ne suis pas fan d'habitude, là tu m'as vraiment conquise
David.J
Posté le 13/04/2025
Merci Cherry Fig !
Ton message me fait super plaisir. Ravie que le mélange t’ait plu!
sakumo91
Posté le 26/03/2025
Va t'il y passer ? Où Va t'il survivre à cette épopée... Je vais lire la suite demain pour laisser germer mes idées mais c'est difficile de me retenir.
David.J
Posté le 27/03/2025
C’est exactement ce que j’espérais provoquer! Prends ton temps pour laisser germer tes théories… mais je te préviens, la suite ne va pas te ménager. À très vite pour la suite de l’épopée !
Vous lisez