Chapitre 5 : « Vous n’avez pas l’air bien triste. »

Notes de l’auteur : Tw : Ce chapitre contient des détails supplémentaires sur l’état du corps du chapitre précédent et évoque le sujet du viol.

Le commissariat est froid et silencieux. Les murs bleu ciel sont partiellement délavés, et le lambris en bois qui tente de leur apporter un peu de chaleur échoue lamentablement. Le lino gris qui recouvre le sol porte la marque des nombreuses personnes qui se sont assises sur les chaises disposées dans ce couloir. Il n’y a même pas de salle d’attente.

Par moments, on entend une porte s’ouvrir, un vague éclat de voix, le bruit d’une machine à café. L’attente semble interminable dans ce lieu étouffant et anxiogène.

Gwen est assise sur une chaise inconfortable. Ils veulent l’interroger sur la mort de Josias. Tous ses amis, sa famille, ses professeurs ont été convoqués. L’affaire est sérieuse du fait de la violence de la mort. Un psychopathe est en liberté, et personne ne sait s’il risque de recommencer.

Cela fait maintenant quatre jours que le corps de Josias a été retrouvé. Le lycée n’a pas rouvert. Gwen n’a pas osé refaire de rituels. Elle est seule, dans ce couloir pesant. Les enquêteurs n’ont pas accepté que ses parents soient présents, et Gwen n’aurait de toute façon pas voulu.

Un grincement, un changement de luminosité, une porte ouverte.

Un homme lui fait signe d’entrer. Il est de taille moyenne, les cheveux bruns et les yeux marrons. Il n’a pas de barbe, pas de moustache, pas de pipe au coin des lèvres. Rien chez lui ne fait penser au cliché de policier que Gwen avait en tête. Il lui demande sa carte d’identité, et la fait asseoir.

« Vous voulez un thé ? Un café ? Un chocolat ? »

Gwen secoue la tête. L’homme lui sourit et tente de la rassurer.

« Mademoiselle, détendez-vous. Nous essayons juste de reconstituer l’emploi du temps et la vie de Josias, pour comprendre ce qui lui est arrivé. Nous ne soupçonnons personne, et ceci n’est qu’une formalité. Je sais bien que le choc est difficile, mais je vais vous demander de faire l’effort de répondre à quelques questions, pour le bien de l’enquête. »

Gwen hoche la tête. L’homme lui parle d’un ton légèrement infantilisant, et elle décide de ne pas lui faire confiance. Il farfouille dans quelques papiers, puis commence à pianoter sur son clavier tout en lui posant des questions.

« Il me semble que vous êtes une ancienne petite amie de Josias, c’est bien ça ? »

Gwen trouve enfin la force de parler. Sa voix est rauque, sa gorge nouée. Son esprit est complètement vide

« Oui. Oui, c’est bien ça. »

Le policier lui jette un coup d’œil en coin, l’air étonné. Il plisse les lèvres, comme s’il hésitait à poser sa prochaine question. Il soupire et se tourne vers Gwen.

« Alors vous étiez proche de lui. Pourtant, vous n’avez pas l’air bien triste. Quelqu’un que vous connaissez vient d’être sauvagement assassiné. »

Son ton est empli de jugement et de reproches. Il semble presque peiné. Il n’est probablement pas habitué à intervenir dans des affaires de meurtre. Ou peut-être est-il simplement quelqu’un de très sensible. Est-ce qu’il la soupçonne déjà ?

Gwen soutient son regard sans afficher aucune émotion.

« Josias est un connard fini. Il ne méritait probablement pas tout ça. Et encore, je n’en suis pas sûre. Toujours est-il que c’est un connard fini. Je suis choquée, mais pas triste. »

Le policier reste quelques secondes à l’observer en clignant des yeux, puis se tourne à nouveau vers son écran et pianote pendant un long moment. Il recommence enfin à poser ses questions.

« Depuis combien de temps étiez-vous séparés ? »

« Ça va maintenant faire deux semaines. »

« J’ai cru comprendre que cette séparation avait été violente ? »

Gwen grimace lorsque ce souvenir lui revient.

« Disons qu’il a décidé que c’était une bonne idée de m’humilier devant tous ses potes et une partie du lycée. Donc non, ça ne s’est pas très bien passé. »

Le policier lève les yeux au ciel, puis pianote de nouveau en silence. Il boit une gorgée de café dans une tasse Capricorne, puis reprend ses questions.

« Connaissez-vous sa nouvelle petite amie ? »

Gwen secoue la tête.

« Je sais juste que c’est une collégienne et qu’elle s’appelle Julie. Mais je ne l’ai jamais vue. »

« Quand avez-vous vu Josias pour la dernière fois ? »

Gwen frissonne, et reste de longues minutes sans répondre. Le policier attend patiemment en remuant son café à l’aide d’une petite cuillère. Gwen finit par extraire les mots de sa gorge. Elle s’entend parler d’une manière quasiment automatique.

« Samedi dernier, dans l’après-midi. Nous avions rendez-vous chez lui à quatorze heures. Je crois que je suis partie vers seize heures. »

« Et qu’avez-vous fait ? »

Encore une fois, les mots ne viennent pas. C’est le vide à l’intérieur d’elle. Plus rien ni personne dans son cerveau n’a de réponse à cette question. Elle sent une vague de panique monter dans son abdomen. Le sang grésille à ses oreilles, et la nausée revient. Pour ne pas se laisser submerger, elle s’emmure complètement. Elle bloque une partie d’elle-même, et une autre Gwen prend le relai. Elle parle tout de même avec difficulté.

« Nous avons eu une relation sexuelle. »

Le policier semble hésiter, comme s’il n’était pas sûr d’avoir compris.

« Excusez-moi, mademoiselle, mais… j’ai l’impression que ça ne s’est pas très bien passé. Je me trompe ? »

« Je n’ai jamais dit que c’était consenti. »

Encore une fois, l’homme prend quelques secondes de réflexion. Il plisse les yeux, se racle la gorge, puis semble conclure qu’il a bien compris ce que Gwen veut dire.

« Et vous n’en avez parlé à personne ? »

Gwen l’observe un instant, les yeux ronds. À qui aurait-elle pu en parler ? Et pourquoi ? L’idée ne lui est même pas venue. À qui aurait-elle pu déballer toute sa vie comme ça ? À la police ? Pour quoi faire ? Elle sait qu’ils n’auraient rien fait. C’est à elle de gérer ses problèmes. Gwen hausse les épaules.

« Je crois que mon cerveau n’a pas du tout assimilé ce qu’il s’est passé. Je n’ai même pas pensé à en parler. »

Les mots sortent tout seuls. Ils sont d’une effroyable honnêteté. Le policier ne cherche pas à en savoir plus. Seul son cas l’intéresse.

« Est-ce que vous en voulez à Josias ? Est-ce que vous auriez aimé qu’il meure ? »

Gwen sent l’agacement prendre le pas sur son malaise.

« Oui, évidemment, mais ça ne veut pas dire que j’aurais été capable de le faire. Vous croyez vraiment que j’ai torturé et tué un homme de mes propres mains, puis que je suis entrée par effraction dans mon lycée pour le suspendre à plusieurs mètres du sol ? Vous croyez vraiment que j’ai la force physique et mentale de faire ça, alors que je n’ai même pas encore vraiment réalisé ce qu’il m’a fait ? »

« Non. Non, bien sûr que non, mademoiselle. Je n’ai jamais dit ça. »

Le policier hoche la tête d’un air entendu. Mais Gwen n’y croit pas. Elle sait qu’elle a le motif parfait. Elle est abasourdie. Comment aurait-elle pu mettre tout cela à exécution ? Plus rien n’a de sens. Les questions continuent.

« Vous faites partie des personnes qui ont vu le corps, si je ne me trompe pas ? »

« Oui, j’ai vu le corps. »

« Qu’avez-vous pensé, quand vous l’avez vu ? Est-ce que ça vous a rappelé quelqu’un ? Quelque chose ? »

Gwen secoue la tête. À quoi une scène pareille pourrait bien lui faire penser ? Aucun livre ni aucun film de sa connaissance ne contient quelque chose de ce genre. À la réflexion, la position christique du corps de Josias peut à la limite évoquer un message satanique, mais Gwen sent qu’elle n’arrangerait rien en mentionnant cette vague intuition. Le policier continue.

« La situation dans laquelle le corps a été retrouvé nous fait penser que le coupable connaissait Josias. Le fait de lui crever les yeux, de l’humilier ainsi… ce n’est pas anodin. Le lieu de la découverte du corps est aussi parlant. Connaissez-vous quelqu’un, dans le lycée, qui voudrait humilier ainsi Josias ? Enfin, à part vous, du coup. »

Gwen ne relève pas la provocation, et se contente de répondre.

« Non, je ne connais personne qui serait capable de faire ça. Et Josias a probablement blessé d’autres filles, mais personne ne me vient en tête. »

« Que savez-vous de ses autres anciennes petites amies ? »

« Rien, ou presque. Je sais juste qu’elles existent. »

Le policier se gratte la tête puis se lève pour se refaire un café. Il semble se laisser le temps de réfléchir. Le bruit de la cafetière empêche brièvement toute discussion, et Gwen en profite pour respirer un peu. Elle sent bien que cet interrogatoire ne va pas dans le bon sens, alors même qu’elle essaie d’être aussi honnête que possible.

L’homme revient, sa tasse pleine.

« Vous êtes certaine qu’absolument personne n’est au courant des événements de samedi dernier ? »

Gwen hausse les épaules.

« Le frère de Josias… je ne connais pas son nom… était là. Mais, vraiment, je ne pense pas que… tout ça ait un rapport avec sa mort. »

Le policier soupire et pose les coudes sur son bureau, les mains jointes et l’air sérieux.

« Écoutez, mademoiselle… L’autopsie a permis de déterminer que Josias a.. comment dire ça d’une manière correcte… qu’il a ingéré son propre pénis avant de mourir. Nous pensons évidemment qu’il y a été forcé. Vous comprenez donc que ce détail apporte un lien supplémentaire avec votre… situation. »

Gwen est secouée d’un haut-le-cœur, et sent la nausée reprendre le dessus.

« Je… Vous croyez vraiment que j’aurais pu faire ça ? »

La tête lui tourne. Elle n’est pas certaine de pouvoir terminer l’interrogatoire sans s’évanouir. Elle tente de bégayer.

« Excusez-moi… je… je ne me sens pas très bien. »

« Respirez, mademoiselle, j’ai presque fini. Concentrez-vous. Peut-être avez-vous un ange gardien ? Un petit copain ? Un parent ? Un ami qui aimerait vous venger ? »

Gwen respire difficilement et répond à travers un brouillard qui se fait de plus en plus dense.

« Je n’ai pas d’amis. Je n’ai pas de copain. Je ne dis rien à mes parents. »

« D’après nos premières estimations, il est probable qu’il y ait au moins trois personnes impliquées dans les tortures, la mise à mort, ainsi que la disposition du corps. Une personne seule, même très musclée, aurait eu du mal à mettre ce scénario en place. »

Gwen tente de secouer la tête, puis s’immobilise, le mouvement faisant dangereusement tanguer les murs de la pièce. Elle s’entend lointainement répondre.

« Je ne connais personne qui pourrait faire ça. »

« Avez-vous été en lien avec Josias après samedi, seize heures ? Par message peut-être ? Sur les réseaux sociaux ? »

« Non, rien. »

Gwen sent ses forces la quitter. Elle n’est plus sûre de pouvoir répondre par plus que quelques mots. Une chaleur désagréable l’envahit.

« Qu’avez-vous fait la nuit de samedi à dimanche ? »

« J’ai dormi. »

« Vos parents peuvent-ils le confirmer ? »

« Oui. »

« A quel étage habitez-vous ? »

« Quatrième étage. »

« Qu’avez-vous fait la journée de dimanche ? »

Cette question est plus complexe que les précédentes. Gwen fait un effort démesuré pour former de simples phrases.

« Je me suis levée tard. J’ai donné rendez-vous à Emma, une amie d’enfance, dans l’après-midi. J’ai mangé dehors, au Fournil de la Place. Puis j’ai rejoint Emma. Nous avons bu un Bubble Tea. Nous avons discuté. Je suis rentrée chez moi vers dix-huit heures, et j’y suis restée. »

« Pouvez-vous nous donner les coordonnées de cette Emma ? »

Gwen déverrouille son téléphone, ouvre ses contacts et montre son écran au policier. Elle reste ainsi quelques secondes, le temps qu’il puisse noter les informations.

« Nous autorisez-vous à consulter l’historique de vos messages envoyés et reçus, ainsi que l’historique de vos appels ? »

« Oui. »

Elle n’a rien à cacher. Il n’y a rien de compromettant dans ce qu’ils pourraient trouver. Les questions s’enchaînent, lui donnant chaque fois un peu plus le tournis.

« Qu’avez-vous fait la nuit de dimanche à lundi ? »

« J’ai mal dormi. »

« Pourquoi être arrivée au lycée en avance, ce lundi ? »

« Pour ne pas croiser Josias. »

« Avez-vous aperçu tout autre comportement suspect ? Quelque chose d’inhabituel ? »

Le visage de Lucine lui revient avec force. Son regard perçant, son sourire amusé. Lucine n’avait jamais agi ainsi. Est-ce qu’elle est mêlée à tout ça ?

Ce simple souvenir lui coupe le souffle. Elle est aspirée par l’image de Lucine d’une manière presque surnaturelle. Elle sent ses poils se hérisser sur la chair de ses bras. Un frisson lui parcourt l’échine. C’est comme si Lucine était là, à côté d’elle, une main sur son épaule.

« Non, rien d’inhabituel. »

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petite_louve
Posté le 02/02/2021
Coucou ! =D

Rohlalala... Mais ce policier, j'ai envie de le pousser par la fenêtre, il ne lui laisse même pas le temps de respirer et d'encaisser les informations, il n'a aucune compassion pour ce qui est arrivé à Gwen, enfin c'est l'impression qu'il donne.
Tes dialogues sont très réalistes et tes descriptions nous plongent vraiment dans cet interrogatoire. Si c'est plutôt gore, je trouve que ce chapitre est vraiment très réussi !

A très vite !
Aline Prov
Posté le 08/02/2021
Hello ! Merci beaucoup pour ton passage et pour ton commentaire ! :)

Je suis contente que l'histoire continue à te plaire, et j'espère qu'il en sera de même pour la suite !

Je devrais enfin pouvoir me remettre à l'écriture et à la lecture bientôt, donc la suite arrive ! \o/
Sklaërenn
Posté le 06/01/2021
Quel c***** ce policier. Je lui collerais ma main dans la tronche, même si je comprends qu'il ne néglige aucune piste. La pauvre, la voilà suspecte sans le vouloir :/ En tout cas, je ne sais pas si Lucine est vraiment mêlée à tout ça, mais c'est bien trash c't'histoire ^^"
Aline Prov
Posté le 06/01/2021
Hello !

Merci pour ton passage et pour ton commentaire :)

Et oui, l'histoire est assez trash... Je t'avoue que ça fait un moment que j'hésite à la passer en 18+, mais j'ai l'impression que 16+ est suffisant... Bref, je m'interroge ^^'
Sklaërenn
Posté le 06/01/2021
En dehors du passage concernant Josias, le reste est plus dans le +16 effectivement, à voir par la suite. En tout cas, moi ça ne me dérange pas ;)
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