CHAPITRE 51
1.
Après un long silence, Greg m’apostrophe avec colère.
- Et pourquoi cette horreur, fabriquée par le meurtrier de Jackson, est-elle chez nous ?
Il se lève, se dirige vers la cuisine. D’un coup de pied rageur, il envoie la vache valdinguer. Je l’avais posée par terre, près des hauts tabourets.
Cette vache est un problème, je l’avais déjà bien senti dans la voiture au retour. Je l’avais installée sur le siège passager. Rapidement, son mufle tourné vers moi m’avait insupportée - l’expression d’attente de Bergaud, sa fierté dérisoire, la peur sous-jacente… ma peur ? Je l’avais tournée dans l’autre sens, mais la croupe de l’animal n’est pas une proximité plus plaisante. Finalement, je l’ai posée à plat. J’aurais peut-être dû la laisser dans la voiture en arrivant ?
Je reste silencieuse. Je ne veux pas détruire ou jeter la vache.
Quand, autour de la table ronde, j’ai raconté le déjeuner avec Bergaud, cette fois sans rien omettre pour qu’il n’y ait pas de surprises plus tard, Greg a accusé le choc en apprenant que c’est lui qui était visé, et non Jackson.
- J’avais raison, j’avais raison depuis le début, c’est moi qui aurais dû prendre cette balle !
Akira et Katsumi ont entouré Greg. Katsumi a attrapé son bras de ses deux mains, répétant les affirmations que Greg avait besoin d’entendre. Tu n’es pas Dieu. Tu ne pouvais pas savoir. Tu n’es pas responsable des décisions de ce monstre.
Greg absorbe ses paroles, hoche la tête, et se détend imperceptiblement, avant d’apercevoir la vache et de diriger sa colère contre elle.
La sculpture heurte violemment la plinthe, ricoche et fauche la petite table près de la fenêtre où nous avons disposé des tulipes. Le vase se brise au contact du sol, l’eau mêlée de morceaux de verre se répand avec les fleurs. Greg lance des jurons excédés.
- Je m’en occupe, lui dis-je.
Il est tellement furieux, je crains qu’il ne se blesse et que sa rage n’explose. Finalement, Akira et moi nettoyons, mon frère sort la serpillère pour être sûr qu’aucun débris tranchant ne soit oublié - nous marchons souvent pieds nus dans la maison et puis les chats. J’enveloppe les morceaux de verre et les emporte dans le garage où se trouve la poubelle, Akira me suit, il tient la vache par un sabot. Une fois seuls près de la voiture, il me demande à mi-voix :
- Bon, qu’est-ce qu’on fait de ça ?
Il regarde la poubelle.
- Non, il faut la garder.
- OK.
Nous regardons autour de nous, j’attrape un carton dans lequel j’ai reçu une commande récemment, la vache y disparaît, puis Akira glisse le carton au milieu d’autres containers sur l'étagère le long du mur du garage. Il se tourne vers moi.
- Ça va ? Tu t’en es drôlement bien tirée, avec Bergaud. La façon dont tu l’as questionné, convaincu… Vraiment habile. Comment te sens-tu ?
Ses paroles me font du bien, ainsi que sa main sur ma nuque.
- Je ne sais pas… Je suis… Ils sont si près… Et…
L'adrénaline éprouvée lorsque j'étais face à Bergaud a bel et bien disparu. La panique menace. Akira me serre contre lui avec des mots réconfortants. Nous retournons dans le salon, où Katsumi continue de parler à mi-voix à Greg. Il tourne vers moi son visage rendu inexpressif par l’absence de sourcils. Une froideur l’enveloppe, il m’en veut d'avoir causé la douleur de Greg.
Je ne prépare pas le dîner. Comme cela s’est déjà produit, je me sens incapable de cuisiner après cette rencontre, comme si j’étais souillée. Akira s’occupe d’assembler des restes de nos repas précédents. Je ne peux rien manger.
Nuit. Je suis couchée auprès de Greg mais j’ai très conscience de l’espace qui existe entre nous, alors que nous dormons en général étroitement serrés l’un contre l’autre. Je discerne son profil, ses yeux ouverts, puis, sans me regarder, il prononce :
- J’ai causé la mort de deux jeunes hommes qui étaient bien meilleurs que moi. Directement ou indirectement… Ils seraient encore en vie si je n’avais pas existé.
Je reste silencieuse. Que lui dire ? Il n’a pas tort. Je devine, dans la pénombre, que Greg me regarde. Va-t-il me reprocher la proximité qui s’est instaurée avec Bergaud pendant ce déjeuner ? J’appréhende une tirade amère.
- Après aujourd’hui, tu crois que tu pourras lui pardonner, à cet homme ? Pour ce qu’il t’a fait ?
Surprise, j’ai besoin d’un moment pour répondre.
- Je ne sais pas. Hier encore, j’aurais répondu « impossible ». Mais il m’a parlé de sa vie avant Ronan, et d’un futur sans crime… Ce n’est pas exclu qu’un jour, je puisse aller dans cette direction… Et toi ?
Greg soupire bruyamment.
- Non. Je ne peux pas. Je bloque complètement. Tu vois le paradoxe ? J’aimerais que tu pardonnes, parce que, pour moi, refuser de pardonner, c’est être captif de son ressentiment. Une prison… Et les prisons, je connais. C’est l’enfer. Pardonner libère. Et moi, je ne peux pas le faire. Je n’arrive pas. Ironique, non, de la part de celui qui écrit un livre sur le pardon ?
- Pas vraiment… Je suppose que ton livre va comporter un chapitre là-dessus, quand on n’arrive pas à pardonner ? On a souvent de bonnes raisons… Un peu comme quand on essaie d’aimer nos ennemis…
Greg se tourne vers moi. Fury, qui était installé dans le creux de son cou, surpris par le mouvement, se retrouve sur ses pattes et s’éloigne vers le pied du lit.
- Oui, on se retrouve face à ces commandements de Jésus, impossibles et incontournables… Jésus qui calme la tempête… Peut-être peut-il calmer notre colère, nos souffrances de la même façon ? Nous sommes composés de 60% d’eau, après tout… de l’eau salée, comme les océans…
Je caresse son visage, son cou. J’ai l’impression de retrouver l’homme que je veux épouser – non pas celui qui s’emporte contre une vache en bois mais lui, qui veut que je pardonne à l’homme qui a tué son frère parce que ça me serait bénéfique.
Fury est revenu s’installer près de l’épaule de Greg et je perçois la douce vibration de son ronronnement. Mon fiancé me serre contre lui. Un petit radeau de chaleur au milieu du ressac.
2.
Petit déjeuner en commun avant le départ de Greg pour l'église. Katsumi boit son café rapidement. Il va aller voir Katherine pour arrondir les angles. Elle l’a accueilli fraîchement. Elle a compris que la wifi à Semiahmoo n'avait aucun problème. Il explique à Greg qu’il l’a peu contactée parce que son esprit était tourné vers le Japon. Il honorait sa mère disparue. Il n’aurait pas été convenable d'être consolé par Katherine. Je l’entends ajouter :
- Elle me dit “pourquoi mentir ? Je ne supporte pas qu’on me mente.” Mais ce n’était pas un mensonge, pour moi. Je ne voulais pas que mon deuil alourdisse ses émotions. Par respect pour elle. Mon explication aurait pu être vraie !
Greg émet une petite onomatopée sarcastique.
- Tu pourras lui ra ppeler, à l'occasion, qu’elle m’a menti toute ma vie en prétendant être ma sœur… et qu’elle continue de me cacher qui est mon père !
Embarrassé, Katsumi rit en dissimulant son visage dans ses mains - jamais il n'osera - tandis qu’Akira apporte corn flakes, pain grillé et confitures sur la table. Katsumi a trouvé du Nato à Lakewood, la petite ville voisine où se trouve un quartier international à prédominance asiatique. Les uns et les autres se servent.
Assise près d’eux, je ne bouge pas. J’ai peu dormi, des cauchemars ont surgi avec le sommeil et je me sens nauséeuse. Je ne me suis même pas habillée, toujours dans le T-shirt dans lequel j'ai dormi, j'ai juste enfilé des leggings.
Akira m’observe mais je ne réponds pas à sa question silencieuse. Au moment où Katsumi porte du Nato à sa bouche, un long filament se déroulant entre le container et ses baguettes, je me lève rapidement et me dirige vers la petite salle de bains. J’essaie d'être silencieuse mais mes compagnons comprennent que je viens de rendre le contenu de mon estomac vide. Plutôt que de retourner à la table du petit déjeuner, je sors dans le jardin.
Je respire l’air frais du matin, retrouve lentement mon équilibre intérieur. La porte-fenêtre émet son habituel glissement derrière moi. Akira apparait, me tend le téléphone portable que j’utilise pour communiquer avec Bergaud.
- Tu as reçu un message, je crois.
Bergaud veut sans doute que nous fixions une date proche pour nous revoir avant son départ. Je pense à Aemouna, au message si insatisfaisant que j’ai envoyé hier soir à Milo. Oui, il faut qu’on parle, vite.
Mais le message n’est pas de lui. C’est Guillain. Il est bref.
FYI. Helmut ? Mes sources me disent que c’est lui.
Il a inséré un lien vers le site web du News Tribune. Je lis le titre d’une nouvelle qui vient d'être affichée “Macabre découverte au petit matin sur la plage de Titlow. Un corps mutilé trouvé par des pêcheurs.”
3.
« Est-ce un crime rituel ? » demande la jeune journaliste, s’adressant à la caméra.
Les trois chaînes locales ont chacune envoyé leur reporter à Titlow. Le corps a été flouté. Comment savoir si ce nuage gris est l’homme avec lequel j’ai déjeuné hier…
Nous apprenons que la victime a été trouvée, une plaie béante à la poitrine.
“Son cœur a été arraché, l’organe retrouvé dans les galets…”
Le cameraman fait un gros plan sur deux couteaux, les armes du crime. L’un deux est petit, avec une lame courbée.
- C’est lui, dis-je d’une voix à peine audible.
Mes trois compagnons se tournent vers moi. Moment de silence.
- Tu es sûre ? demande Greg.
- Oui, c’est le couteau qu’il a utilisé pour sculpter la vache. Il me l’a montré. Je reconnais le manche, la lame.
- Et puis le cœur, ajoute Akira. Il a insisté sur le fait qu’il te donnait son cœur, n’est-ce pas ? Si Ronan a organisé ce meurtre, ce cœur arraché a un sens bien précis…
Je hoche la tête lentement. Oui, ce meurtre contient un message personnel. Katsumi intervient.
- Tu sais ce que ça veut dire, L’ouverture des hostilités.
Il est debout et me considère gravement avant de poursuivre.
- Il l’a tué “à cause” de toi. Tu es sur sa liste à présent. Je connais cette mentalité, c’est celle de mon père.
- Ils vont s’attaquer à elle ? demande Greg d’une voix tendue en posant une main protectrice sur mon bras.
Je ferme les yeux, accablée.
- Me détruire, ce sera la dernière étape. C’est de Ronan qu’il s’agit. Il va s’en prendre à vous d’abord. Supprimer ceux que j’aime.
Long silence, finalement rompu par Akira.
- Bon, autour de la table tout le monde. Nous avons des décisions à prendre.
5.
En quelques phrases, Akira décrit un plan pour notre protection. Manifestement, il s’est préparé pour cette éventualité. Il explique que nous allons faire installer, dès aujourd’hui, un système d’alarme dernier cri. Il se tourne vers Greg : il veut proposer à Katherine l’installation du même système “à mes frais”. Il corrige aussitôt, en me jetant un regard, “à nos frais”. Ensuite, une rapide inspection s’imposera désormais avant de monter dans nos voitures respectives pour détecter une bombe possible.
Il passe la parole à Katsumi, qui a des connaissances surprenantes en la matière. Celui-ci nous explique que nous devons désormais avoir des voitures méticuleusement propres. A chaque usage, nous devrons observer tout changement, le moindre détail qui ne colle pas. Laisser quelques morceaux de papier dans une séquence précise sur un siège permet de détecter si quelqu’un est entré dans le véhicule. Toujours regarder sous la voiture.
- Je fais ça depuis longtemps, ajoute-t-il comme si c’était l’habitude la plus naturelle du monde. Vu ma famille…
Il se tourne vers moi.
- Tu as remarqué, quand nous prenions la voiture pour aller quelque part ?
Je n’ai rien vu. Je pensais qu’il se penchait pour ramasser un objet. Akira reprend la parole.
- Nous allons aussi trouver un gilet pare-balles pour Katsumi. Pour nous trois, se faire tirer dessus, ce n’est pas fatal. Bon, ça, c’est le volet défensif de notre situation, pas trop difficile à mettre en place. Nous devons nous concentrer sur l’aspect offensif.
Il sort d’un dossier une série de photos, les place sur la table. Nous découvrons, sous plusieurs angles, une villa spacieuse en briques rouges entourée d’arbres, perchée sur une petite colline. Akira a engagé un professionnel pour filer Bergaud après notre déjeuner. Trop dangereux d’exposer Greg à nouveau.
- C’est là que Bergaud est allé. Notre détective dit que c’est son lieu de résidence, avec ses associés. Enfin, c’était. La villa se trouve non loin de Gig Harbor, de l’autre côté du Narrows bridge.
Les photos ont été prises avec un téléobjectif car une grille en fer forgé et un mur en protègent l’accès. On devine un chemin asphalté qui monte jusqu'à un garage, au-dessus duquel un balcon prolonge probablement le living room.
- Nous devons trouver un moyen de faire cesser cette menace une bonne fois pour toutes. Comment ? C’est le moment d’activer notre imagination. Semblables : parlez à vos Familiers et Familières. Même si vous ne les voyez pas autour de vous. Rien ne dit qu’ils ne peuvent pas nous entendre. Leurs suggestions sont les bienvenues.
Une idée me vient à l’esprit.
- Et si je partais ? Si je quittais le pays ?
Que ma présence soit à présent un tel danger pour ceux que j’aime est insupportable. Je poursuis :
- Je pourrais retourner en Thaïlande, ou, je ne sais pas… Madagascar ?
Greg émet une onomatopée, serre mon poignet. …
- Ou un coin perdu aux USA ? suggère-t-il. Ce continent est grand.
Akira secoue la tête lentement.
- J’y ai pensé. Malheureusement, ça ne changera rien. A notre époque, la Terre n’est plus assez vaste. Où que tu sois, tu resteras en contact avec nous, en tout cas c’est ce que Ronan assumera. Il décidera sans doute de nous attaquer l’un après l’autre… pour te faire revenir.
Dévastée, je réalise ma situation : le dos au mur, aucune issue de secours, pour moi ou ceux que j’aime, en danger à cause de moi. Je peux à peine respirer.
Akira pose la main sur mon genou.
- Tu n’es pas seule. Nous allons nous sortir de cette situation, tous ensemble.
Après ce conseil de guerre, les trois hommes vont parler à Katherine. Greg appelle Libby pour la prévenir de son retard. Akira embrasse mon front. D’un regard, il me demande de rester à la maison, de ne pas m’exposer. Que craint-il ? Je suis trop assommée par les nouvelles du matin pour prendre la moindre initiative.
6.
Recroquevillée sur le divan, Alpha enroulée près de ma tête, j’entends, à travers la torpeur qui m'enveloppe, Greg entrer par la porte du garage.
- J’ai apporté de quoi déjeuner, dit-il en posant un sac en papier brun sur la table.
- Déjeuner ? Déjà ? Tu ne devais pas aller travailler ?
Une expression inquiète apparaît sur le visage de mon fiancé.
- Ma chérie, je suis allé à l'église ce matin. Là, c’est le début de l'après-midi. Tu as dormi tout ce temps ?
Je ne crois pas m’être assoupie pourtant, entièrement absorbée par des pensées venues de très loin. Je reste silencieuse tandis que Greg sort du sac en papier un container de soupe au poulet et un pain aux olives. Je n’ai aucune envie de manger mais sa sollicitude me touche. Après quelques gorgées et une bonne bouchée de ce pain, la saveur des olives me réveille et je m’enracine de nouveau dans la réalité du moment. Greg me demande soudain :
- Est-ce que tu es triste, quelque part, que ce Bergaud soit mort ? Enfin, détruit, comme vous dites.
La question me prend de court.
- Tu peux me le dire, si c’est le cas, poursuit mon fiancé, les yeux fixés sur son propre bol de soupe.
- En fait, c’est très confus. Ce n’est pas de la tristesse. Cet homme m’a fait trop de mal,… Et même dans notre dernière conversation, il ne regrettait rien ! Jackson mort par erreur, les vies de Carol et de Cooper ruinées… ça ne le perturbait pas le moins du monde ! Son seul regret, c'était le gâchis de sa propre vie. Ce qui me… comment dire… ce qui me mine, c’est que je n’ai pas pu lui faire dire où se trouve Aemouna, et maintenant c’est trop tard. Et puis, c’est vrai, peut-être qu’il aurait pu changer… devenir un allié, un jour. Mais c’était encore très illusoire.
- Tu ne m’as jamais demandé pourquoi je l’avais frappé en prison…
Nous échangeons un regard, sans cesser de manger. Je réponds finalement :
- Je pense que tu avais de bonnes raisons.
Il hoche la tête, avale sa bouchée avant d’articuler :
- Oui.
7.
Katsumi n'aime pas porter son gilet pare-balles. Il l’oublie souvent, ou l’emporte avec lui sans l’enfiler. Il ne se sent pas menacé. Je l’ai entendu expliquer à Greg que nous sommes au 21 siècle, et commettre des meurtres est bien plus difficile et risqué qu’au Moyen Age, d'où remontent mes souvenirs de Ronan. Comme je souhaite qu’il ait raison. Mais il ne connaît pas Ronan.
Et, soit dit en passant, je ne crois pas que Katsumi soit très féru de Moyen Age.
Cet après-midi, je ramène un large marché pour rester à la maison sans avoir à sortir pendant un délai raisonnable. Je me sens si vulnérable à l’extérieur de ces murs. Akira et Katsumi sont à Seattle, ils s’approvisionnent en peintures, couleurs et toiles. Greg ne va pas tarder à rentrer de l’église.
J’ai appris à désarmer l’alarme en arrivant et tout de suite regarder l’enregistrement de la caméra pour vérifier que personne ne s’est approché en notre absence.
Mais, lorsque j’ouvre la porte en provenance du garage, le silence m’accueille, à la place de la sonnerie intermittente que le code secret doit interrompre. Ai-je oublié de l’enclencher à mon départ ? Je sais que non. Silence… puis un gémissement. Je me précipite, le cœur battant. Où sont les chats ?
Je les cherche et quand j’arrive dans la cuisine, c’est à mon tour de pousser un cri de détresse. Alpha se débat, trois de ses pattes emberlificotées par une ficelle attachée aux deux poignées de cabinet qui se font face. J’attrape des ciseaux et la libère. J’aimerais la réconforter mais elle se sauve, paniquée. Elle semble boiter d’une patte mais elle se déplace vite, j'espère qu’elle n’est pas sérieusement blessée.
Et Fury ? Affolée, je regarde autour de moi et écoute… Soudain, un bruit de griffes contre une paroi me fait sursauter. J’ouvre la porte du four et Fury jaillit. Le four est éteint, Dieu soit loué mais l’animal se sauve, terrifié. Il va probablement rejoindre sa mère sous notre lit.
Quelqu’un est entré chez nous, malgré l’alarme, a attrapé les chats. Je me précipite sur le moniteur. La caméra a cessé de fonctionner - l’écran devenant obscur - avant d’enregistrer le moindre mouvement.
J’ai du mal à respirer… Je me tourne vers la petite cuisine. La porte du four est restée grande ouverte, et je vois des papiers, déchirés par Fury, qui s’y trouvent encore. Je les attrape - ce sont des photos, un peu floues, dans un cadre que je reconnais tout de suite : Trinity, le matin où Greg prêchait. Les photos représentent les membres de sa famille, après le service, dans le hall et sortant du bâtiment, chacun entouré d’un cercle tracé au feutre rouge. Je suis au milieu d’eux, souriant à Amy, parlant à Vilma, Greg à mes côtés.
La menace est claire : tes chats, tes amis sont cuits.
Ronan a-t-il envoyé un homme de main ? Est-il entré chez moi ? L’imaginer entre mes murs me hérisse. Au-delà de la répulsion, la réalité de notre affrontement me saisit : nous quatre sommes de vaillants amateurs face à des professionnels, avec des siècles d'expérience et les équipements les plus modernes. Ils n’ont eu aucun mal à désactiver notre alarme avant d'être même vus par la caméra.
Je remarque une photo prise ailleurs : la maison où Bergaud habitait. Une des photos prises par notre détective privé, que Akira nous a montrées. Nos papiers ont été fouillés. En tous petits caractères, quelques mots :
Louison, viens nous voir, parlons. Vendredi 14 heures.
Une onde glacée me parcourt à nouveau. Vendredi, c’est dans deux jours.
Louison, le prénom maudit que je portais pendant ma captivité, que j’avais réussi jusqu’à aujourd’hui à ne pas écrire.
Ronan aurait pu tuer mes chats et il en avait certainement envie - attraper mes compagnons à fourrure et les étrangler sous mes yeux était un de ses passe-temps favoris. Il disait que c’était “notre petit jeu”. La haine que j'éprouvais à l'époque, mêlée de détresse impuissante, est encore présente dans mes entrailles.
Mais il a eu l’intelligence d’en rester à un avertissement, me laissant dans la peur de ‘ce qui aurait pu être’. Une façon discrète aussi de cacher l’intrusion aux autres habitants de la maison.
Si je ne réponds pas à sa convocation, il passera aux actes. Son ressentiment est immense. Moi qu’il trouvait nigaude et lâche, je me suis échappée et son ami Victoric n’a pas survécu. Puis, des siècles plus tard, j’ai convaincu son ancien compagnon Bergaud de le quitter.
Il va me faire payer mes actions, me détruire - et je lui fais confiance, ce sera horrible. Il sait que je viendrai pour protéger ceux que j’aime. Et quand il me verra sur le point d’expirer pour la dernière fois, il chuchotera à mon oreille qu’il va, malgré tout, assassiner mes proches. Ainsi je disparaitrai persuadée que mon sacrifice n’aura servi à rien. Mais cet homme rationnel ne se donnera pas le mal de concrétiser ses paroles. Pourquoi faire alors que je ne serai plus là pour en souffrir ?
Je me laisse tomber sur le sol de la petite cuisine comme je l’avais fait après ma dispute avec Greg, il y a une éternité. Les photos m’entourent. Je pose la main sur ces visages que j’aime tant. Je souris. Une grande paix m’envahit.
Je sais ce que j’ai à faire. Je me lève, ouvre le tiroir pour saisir le téléphone portable, et j’appelle mon frère. Pas Akira, l’autre frère.
On passe à l'action! Beaucoup d'émotions, la nouvelle de la mort de Bergaud ne reste pas longtemps une bonne nouvelle quand on se rend compte que c'est un avertissement, la tension monte et c'est le paroxysme de l'angoisse quand on se rend compte que les mesures de protection qu'ils ont prises ne sert à rien. Je me demande vraiment quelle décision va prendre Max, le suspens est insoutenable!!!
Ce Ronan est un salaud!!!!!!
Tu rends très bien la terreur et l'angoisse de Max, notamment à propos de son ancien prénom, c'est très bien vu!
(désolée c'est un peu en vrac, mais ce chapitre est ouf je suis complètement prise!!!)
A très bientôt !!
Wow excellent chapitre, l'histoire passe clairement un tournant. Les ennuis de la relation entre Greg et Max repassent au second plan devant l'arrivée d'une menace bien tangible et d'un antagoniste qui s'annonce redoutable. On devine bien que les mesures prises par le petit conseil seront insuffisantes face à Ronan et la fin de chapitre le confirme.
Toute la mise en scène avec les chats est vraiment excellente, une très belle manière d'esquisser la menace et un moyen intelligent pour Ronan de semer de la confusion / peur. J'aime beaucoup l'analyse de Max qui semble très clairvoyante sur son plan.
Très bonne chute ! L'appel de Max laisse présager un nouveau personnage d'importance. La question est de savoir si nous l'avons déjà rencontré dans les flashbacks où si nous allons découvrir quelqu'un de nouveau.
Petite remarque :
"Tu pourras lui ra ppeler" -> rappeler
Un plaisir,
A bientôt !
J'ai tellement de travail IRL en ce moment que j'ai beaucoup moins de temps pour l'ecriture.
Oui, tu as tout a fait raison, c'est un tournant avant la ligne droite finale. C'est reconfortant que le chapitre te plaise! Tes reactions lors des chapitres precedents m'ont d'ailleurs influence pour les interactions entre Greg et Max.
Merci encore ! A tres bientot.