Chapitre 51 : Aelia

Par Talharr

Aelia :

Elle se tenait droite face à eux. La tour scintillait au loin, dressée sur la pointe d’un chemin entouré par la mer. De taille moyenne, sombre et brillante.
La troupe d’Aelia s’était arrêtée sur une colline boisée, près d’un point d’eau. Ils atteindraient la tour le lendemain, en milieu de journée. C’était leur dernière soirée d’accalmie.

Le silence pesait sur le camp. Les guerriers restaient à l’affût du moindre mouvement. Ses amis chuchotaient à voix basse. Aucun sourire, aucun rire.
La sensation d’être suivis était encore plus pesante en cet endroit, comme si des milliers d'yeux les observaient dans la pénombre.

Assise près du feu, elle contemplait les flammes danser, pensant à Lordal, à Madame Ilara, à Maître Saltar, à ses parents. Et à Malia. Je vengerai ta fille.
C’était sa promesse depuis son départ du comté. Jamais cette image de la petite fille égorgée ne l’avait quittée. Mais allaient-ils réussir à arrêter l’effusion de sang avant que Drazyl n’ait tout détruit ? Cette pensée la glaçait. Un échec, et toute la Terre de Talharr sombrerait.

Gabrielle et Céleste vinrent s’asseoir près d’elle pour préparer le repas. Brethin, le père de Draiss, déposa un sanglier encore ensanglanté avant de rejoindre son fils. En les observant tous, Aelia sentit son cœur se serrer davantage. Reverraient-ils leurs familles ?

     — Lia, tout va bien ? demanda Céleste, ses yeux bruns inquiets.

Des cheveux châtains en tresse, des taches de rousseur illuminant son visage doux, une tunique noire et rouge. Arnitan a de la chance d’avoir une sœur aussi jolie.
Aelia n’avait pas passé beaucoup de temps avec elle, mais cela suffisait à voir en Céleste une jeune femme au grand cœur, toujours soucieuse des autres, surtout de son frère. Sa gaieté et ses taquineries étaient le portrait craché d’Arlietta, ce qui avait rapproché les deux jeunes femmes.

     — Aelia ? insista Céleste en passant sa main devant ses yeux.

     — Désolée. J’étais perdue dans mes pensées. Tout va aussi bien que possible quand on sait que le destin du monde se jouera demain, et qu’il repose entre nos mains.

Gabrielle découpait le sanglier, posant les morceaux sur une grille improvisée.

     — C’est compréhensible. Arnitan doit être dans un sacré état, lui aussi. Surtout après sa déclaration contre Calir, dit-elle doucement.

     — Je n’y avais pas pensé ! Je vais aller le voir, s’écria Céleste en se levant.

     — Non, jeune fille. Les légumes ne vont pas se couper tout seuls.

L’apprentie souffla et se rassit.

     — Où est-il ? demanda Aelia.

Il fallait qu’elle lui parle avant ce qui les attendait. Ils survivraient, elle en était convaincue. Mais ce goût d’inachevé lui restait en travers de la gorge. Il avait failli m’embrasser…

     — Au petit étang, avec Brelan, répondit Gabrielle.

Céleste lança à Aelia un regard suppliant, comme si elle comptait sur elle pour aider son frère. Jamais je ne pourrai l’abandonner, pensa la jeune comtesse.

Elle se releva, laissant le froid remplacer la chaleur du feu, grelottant jusqu’à l’étang. Brelan s’approcha d’elle, le visage sombre.

     — Je suis content de te voir. Je n’ai rien pu tirer de lui. Il a peur, comme nous tous. J’espère que tu trouveras les mots, dit-il.

Aelia fut surprise de le voir ainsi renoncer face à son disciple. Il s’éloigna, la laissant seule. Arnitan était assis au bord de l’eau, jetant des cailloux dans l’étang. Elle s’installa à ses côtés. Leurs regards se perdaient dans le lointain, protégés par quelques arbres qui gardaient le silence.

     — Nous allons enfin découvrir la vérité. Quel dieu se dresse contre nous, le but exact…

     — Et peut-être notre fin, coupa Arnitan.

     — Notre fin ? Tu crois qu’on va mourir ? dit-elle, la voix tremblante.

     — Je ne sais pas. Je ne sais plus…

     — Je t’interdis de penser cela ! Nous allons survivre. Sans nous, qui sauverait ce monde et ceux que nous aimons ?

     — Lia… nous ne sommes pas seuls en Terre de Talharr. D’autres reprendront le combat, répondit-il, las.

     — Que t’arrive-t-il ?! s’emporta-t-elle en le secouant par l’épaule.

Il se laissa faire. Puis leva vers elle un regard noyé de larmes.

     — Je… je me sens coupable. Comme si je n’avais aucun cœur, comme si j’avais tout raté…

     — Coupable ? Je pensais que tu avais enfin compris que tu n’y étais pour rien !

     — Ce n’est pas ça.

L’intensité de ses yeux bleus la fit vaciller.

    — C’est à propos de toi. De Gwenn. De sa famille.

De moi ?

Elle le fixait, sans un mot.

    — J’avais juré de ramener Gwenn à sa famille. J’ai échoué encore. J’ai réussi à briser cette chaîne, mais une autre s’est formée, improbable. Mon cœur est tiraillé.

Aelia sentit son cœur s’emballer. Qu’allait-il dire ? Une pointe de peur naissait en elle.

    — Je l’aimais. Et je l’aime encore. Plusieurs fois j’ai cru la voir, me suppliant de reprendre ma vie en main. Au début je refusais cette voix. Alors je t’ai repoussée, Aelia.

Ces mots furent comme des flèches. Ses mains moites, sa poitrine serrée.

    — Je ne veux pas que tu te sentes coupable, Arnitan, souffla-t-elle.

Il ferma les yeux, inspira longuement, et avoua :

    — Et pourtant… les sentiments que je croyais perdus sont revenus de plein fouet. Dès que tu approches, mon cœur s’accélère. Et quand…

Il ne finit pas. Leurs lèvres entrèrent en contact. Elle ne le savait pas mais c’était la seconde fois qu’on le coupait ainsi.

Leurs marques s’illuminèrent, se reflétant dans l’eau. Un halo les enveloppa. Au-dessus d’eux, une hirondelle piailla.
Ils restèrent longtemps enlacés, les mains d’Arnitan sur son dos, une chaleur incandescente chassant le froid.

Lorsqu’ils se séparèrent, ils souriaient, légers, débarrassés de leurs peurs.
Les étoiles brillaient plus fort, comme pour approuver cette union. Magnifique, pensa-t-elle.

Ils avaient choisi leur chemin : garder leur passé, mais embrasser l’avenir avec envie.

     — Hors de question de mourir. Découvrons la vérité et battons-nous, dit-il.

Le revoilà, pensa-t-elle en souriant.

     — Choisissons simplement la vie, répondit-elle.

Ils s’allongèrent, main dans la main, les yeux vers les étoiles.

Je suis l’Hirondelle, celle qui guide et protège le Loup. Je ne savais pas si un jour j’en aurais été capable, mais aujourd’hui je n’ai plus de doutes. Je suis une magicienne. Je le protégerai, lui et les autres.
Le destin était scellé. Plus de marche arrière possible.
Que les dieux s’y tiennent : les élus ne céderaient plus.

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Scribilix
Posté le 22/09/2025
Haaaaaa bha voilà, enfin. Comme toujours il leur a fallut leur temps mais la scène est bien amenée. Meme si ils sont toujours pas arrivés à cette tour XD.
De toute façon c'est surement l'un de leurs derniers temps calme avant la tempete.
A la prochaine,
Scrib.
Talharr
Posté le 22/09/2025
😭🤣 mais la tour est là ça y est. Il fallait que je garde cette petite patte émotion et que le chemin ne paraisse pas trop court. Mais ca y est tu es dans la dernière ligne droite et tout va bientôt se passer dans la même journée.
C'était en effet le dernier moment de calme 😁
Merci encore d'être là et j'espère que les derniers chapitres seront a la hauteur aha
A plus ! ^^
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