Chapitre 52 - Bintou - Fondations

Notes de l’auteur : Souvenez-vous :
La zone protégée se fait attaquer par des elfes noirs. Avec l’aide des kwanzas, Bintou repousse les Tewagi, ne laissant qu’un humain dont la réaction est de la remercier. Devant elle, il se vante d’avoir anéanti les elfes noirs et les orcs. En représailles, Amadou le maudit. Quelques temps plus tard, Bintou reçoit la visite d’une princesse humaine nommée Elgarath. Elle demande de l’aide pour contrer une malédiction lancée par sa belle-mère. Gabriel ensorcelle l’anneau de la demoiselle pour qu’il diminue sa régénération naturelle et endorme son assemblage. Les saisons passent. Les kwanzas voient des elfes des bois et des elfes noirs aller chercher les orcs. Bintou est heureuse de constater qu’ils ont survécu à l’extermination. Elle observe un elfe des bois et constate qu’ils ont un assemblage aérien. Enfin, ils constatent que les elfes soignent les terres sombres. Une coopération est envisagée. Bintou a peur de la réaction des elfes et préfère les observer avant d’agir.

« Bintou ? »

La Mtawala soupira. Encore un appel de Phyllis. Elle secoua la tête. Son énervement dut être visible car Mamou lança en souriant :

- Un appel de Phyllis ?

Bintou hocha la tête.

« Tu peux venir s’il te plaît ? »

- Elle me demande de la rejoindre, indiqua Bintou.

- La dernière fois, c’était pour voir des elfes aller chercher des orcs et j’ai raté ça. Une fois, pas deux ! Cette fois, je viens ! gronda Mamou.

- Moi aussi, compléta Bassma.

Bintou haussa les épaules. Leur présence ne les dérangeait pas.

- Où est-elle ? interrogea Mamou.

- De ce côté du lac, indiqua Bintou, non loin, sur la rive un peu à l’est.

Les trois amis partirent dans la direction. Arrivés à destination, ils frémirent. Une barque amarrée portait une dizaine d’elfes.

Un homme se tenait un peu en retrait, protecteur et vu sa façon de se tenir, Bintou le tiendrait aisément en respect. Il escortait une femme.

Calme, charismatique, le port altier, cette elfe aux cheveux blonds peignés à la perfection tombant bien en dessous de ses genoux attendait patiemment. Ses yeux bleus buvaient la beauté l’entourant. Ses vêtements semblaient être en symbiose avec elle.

Bintou frémit. L’elfe portait deux dagues, dont une de métal noir, à la ceinture et sa façon de se tenir, de contrôler son centre de gravité prouvait qu’elle savait très bien s’en servir, peut-être même mieux que Bintou.

Tous les elfes se trouvaient en méditation hyper profonde active. Leur magie interdisait tout usage de celle des kwanzas. Il allait falloir la jouer fine.

- Ariane ? lança Bassma en dévisageant l’étrangère et Bintou frémit.

Elle aurait préféré que son amie se taise. Ce genre d’interférence pouvait coûter cher.

- Bonjour, dit l’elfe en ruyem. Je suis Elian, reine des elfes des bois.

Avait-elle entendu ou pas le mot prononcé par Bassma ? Si c’était le cas, elle le cachait fort bien ou alors, il ne signifiait rien pour elle.

- Bonjour. Je suis Bintou, se présenta la Mtawala dans la même langue.

- C’est un honneur de vous rencontrer.

- L’honneur est réciproque, assura Bintou.

Amadou leur parlait souvent d’Elian, la reine des elfes qui venait une fois par an à Tur-Anion, soumise au roi de Falathon, devant qui elle ne lâchait pas un mot. Il ignorait tout d’Adesis.

La solution contre le mal avait été trouvée sous la régence d’Elian. N’ayant aucune possibilité d’entrer à Adesis ou dans l’esprit des elfes, les kwanzas ignoraient l’implication exacte d’Elian dans l’histoire mais Bintou lui était tout de même redevable de porter ce miracle à bout de bras.

Bintou avait envie de l’embrasser, de l’enlacer, de la remercier, de la couvrir de cadeaux. Ses émotions confinées, elle se contenta de demander sobrement :

- Que puis-je pour toi, reine des elfes ?

- Droit au but, lança Elian. Soit.

La reine des elfes avait bien mieux à faire que papoter avec elle. Bintou ne voulait pas la retenir inutilement. Elle avait déjà fait le voyage jusqu’à la zone protégée. Bintou s’en voulut. Si elle avait fait le premier pas, elle lui aurait épargné ce long périple sur le fleuve Ruvuma, lui offrant davantage de temps pour s’occuper des soins au sol. En même temps, elle ne se voyait pas poser un pied à Adesis et risquer de mettre la corruption en colère. Non, finalement, c’était mieux que ce soit l’elfe qui ait fait le voyage.

- Il semblerait que vous et moi ayons un ennemi commun, annonça Elian.

Bintou fut totalement prise par surprise par cette phrase. Un seul groupe aurait pu représenter un danger et ils étaient morts depuis longtemps. Bintou eut soudain très peur. Les eoshen avaient-ils survécu eux aussi ?

- Vraiment ? Qui donc ? lança Bintou d’un air stoïque.

- Les terres sombres, répondit Elian.

Bintou soupira d’aise. Cela, elle ne pouvait le nier. La corruption était son ennemi, son ombre, sa punition, sa sentence, sa sanction.

- Cet endroit prouve que vous avez été en mesure de stopper son avancée, continua Elian. De mon côté, je les repousse.

Bintou resta de marbre.

- Vous le savez, en conclut Elian.

Bintou garda le silence et celui-ci fut une réponse à lui tout seul.

- Mes soigneurs rencontrent une difficulté, annonça Elian.

Bintou ouvrit grand ses oreilles. La reine exposait enfin la raison de sa visite. Son protecteur, debout à un pas derrière elle, fronça les sourcils. Il semblait en désaccord avec sa reine.

- Une fois les terres débarrassées du mal noir, reste à redonner vie à la parcelle libérée. Au nord, on peut aisément supposer la faune et la flore très ressemblante à celle au nord du fleuve Vehtë. Vers le sud, en revanche…

Elian balaya d’un regard lent le paysage magnifique qu’exposait la zone protégée avant de plonger ses yeux dans ceux noirs de Bintou.

- Vous aimeriez avoir accès à la nature présente ici, comprit Bintou.

« Négocie ! » lui cria Faïza.

« Nous avons tenu cet endroit dans ce but ! » répliqua Gabriel. « Donnons-lui tout ce qu’elle veut ! Puisse-t-elle faire renaître nos graines et mener nos troupeaux vers les plaines où ils puissent paître. »

- Mes herboristes et mes nilmocelva sauront utiliser ce trésor à bon escient, assura Elian.

Bintou ne comprit pas le mot « nilmocelva » mais ne demanda pas d’explication.

- Je n’en doute pas, commença Bintou.

« Négocie ! » hurla de nouveau Faïza. « Putain, ne leur donne pas contre rien ! »

La communauté se déchira soudain, entre pour et contre, la toile fut envahie de commentaires. Bintou coupa son lien télépathique afin de réfléchir posément.

- Mais ? demanda Elian.

Bintou ne dit rien. Que pouvait-elle demander en échange ? Les elfes possédaient-ils quoi que ce soit qui pourrait les intéresser ? Leur demander d’enseigner à Bassma l’art de la méditation hyper profonde ? Ils ne savaient probablement même pas ce dont il s’agissait.

- Tenir cette barrière doit être éreintant, souffla Elian. Nous pourrions vous offrir notre aide.

Bintou pâlit. Voilà une proposition qui ne se refusait pas. Si Bintou pouvait être libérée de ce fardeau… Elle se tourna vers Mamou, cherchant son soutien, n’osant se rebrancher sur la toile de peur d’être ensevelie sous les hurlements. Il hocha la tête. L’échange lui convenait.

- Cela me convient, annonça Bintou et la reine sourit d’aise.

Elle ouvrit la bouche pour parler mais Bassma la prit de vitesse.

- Où est Ariane ?

Bintou grinça des dents. Elle aurait préféré que son amie n’empêche pas la reine des elfes de s’adresser à elle. Même Mamou tiqua.

- Ma mère est morte, annonça Elian qui transperçait la magicienne des yeux en retour.

- J’en suis navrée, dit Bassma dont le visage exprimait une intense tristesse. Comment… Que… A-t-elle… Je veux dire… Pardon, je suis trop curieuse. Je…

- Vous l’avez connue ?

- Non, dit Bassma, pas vraiment, non.

- Votre mère était reine avant vous ? demanda Bintou, aidant ainsi son amie.

- Ma mère a été la première reine des elfes, annonça Elian. Elle a posé les fondations de notre relation avec les falathens.

À qui les elfes étaient aujourd’hui soumis. Bintou sentit des reproches sourds dans cette phrase. Elian avait un compte à régler avec sa mère et son décès rendait toute mise au point impossible. La reine des elfes allait devoir vivre avec ce poids toute sa vie.

- Je suis heureuse que la première rencontre entre la dirigeante des magiciens du sud et la reine des elfes des bois se soit aussi bien passée, annonça Elian.

- J’approuve, dit Bintou.

- J’ai maintenant une demande personnelle à formuler, lança Elian.

Le protecteur se tendit d’un coup, les bras crispés, tremblant légèrement. Il n’approuvait pas du tout. La reine fit mine de l’ignorer mais il ne faisait aucun doute qu’elle l’avait vu réagir.

- Je vous écoute, proposa Bintou, curieuse de savoir ce que l’elfe blonde pouvait lui vouloir qui n’ait aucun rapport avec son titre de reine.

- Il y a bien longtemps, vous avez ensorcelé un anneau pour Elgarath, princesse de Falathon.

Bintou s’en figea de stupeur. Elle en oublia de respirer un instant. Cette elfe était bien mieux informée qu’elle ne le pensait. Comment quiconque pouvait savoir cela ?

- Accepteriez-vous d’apposer le même sortilège à une flèche ?

La demande prit totalement de court la Mtawala. Elle réfléchit un instant, se souvenant des cours de Gabriel puis répondit :

- Non. Le sort ne peut être posé que sur un matériau pur. L’anneau d’Elgarath était en argent. Le bois ou l’acier ne conviennent pas.

- Le métal noir ? proposa Elian.

- C’est un alliage, répliqua Bintou.

- Le métal noir pur ? insista Elian.

- Vous avez accès à un tel trésor ?

Elian choisit de ne pas répondre à cette question. Bintou réfléchit avant de conclure :

- C’est possible en théorie mais cela demanderait une immense quantité d’énergie… que même moi je doute de posséder.

- Parce que la flèche est trop grande ? Il suffit d’ensorceler seulement la pointe.

- Ce n’est pas une question de taille mais de forme. L’anneau est rond. Le sortilège est projeté vers l’intérieur, permettant que seul celui qui le passe soit touché. La quantité d’énergie requise pour bâtir un tel sort est infime. Pour ensorceler une flèche, il faudrait l’attacher pour qu’il ne s’en enfuit pas – car il n’aura pas envie d’y rester. En même en imaginant que je réussisse, vous n’en voudriez pas.

- Pourquoi ?

- Parce que quiconque toucherait la flèche…

- Ou même se trouverait à proximité, la contra Mamou et Bintou acquiesça.

- Quiconque se trouvant proche de la flèche subirait les effets du sortilège, y compris l’archer, qui y perdrait toute capacité à tirer à l’arc.

La réponse ne fut pas du goût de la reine, pas du tout même. Son regard se fit noir et Bintou sentit que son interlocutrice perdait patience. La main droite d’Elian se mit à trembler. Elle se contenait mais Bintou sentait qu’elle ne tarderait pas à craquer.

- Je ne cherche pas à m’opposer. Je vous explique simplement, tenta de la rassurer Bintou.

L’état de son interlocutrice s’aggrava malgré cela. Elian respira plusieurs fois pour tenter de se calmer mais sa tension générale prouvait qu’elle échouait.

- Très bien. Je vais devoir aller droit au but, annonça la reine des elfes.

- Elian ! gronda le protecteur qui désapprouvait maintenant ouvertement.

La blonde ignora l’interruption.

- Retirez votre putain de malédiction !

Elian venait de changer de ton. Plus de demandes polies mais un ordre. Bintou voyait la rage dans les yeux de son interlocutrice alors elle ne lui en tint pas rigueur.

- Elian ! gronda plus fort le protecteur. Arrête !

Dans le regard de la reine, Bintou lut une rage immense, une violente haine, qui lui était destinée. Bintou ne comprenait pas ce qui pouvait motiver une telle émotion à son égard. Qu’avait-elle fait pour mériter cela ?

- Vous l’avez maudit, siffla Elian. Libérez-le que je puisse…

Le protecteur s’avança et fit taire sa reine d’une main sur sa bouche. Bintou savait que la femme aurait pu, d’un geste simple, mettre son protecteur à terre. Elle le surpassait nettement. Pourtant, elle ne fit rien, acceptant l’intervention musclée.

- Pardonnez ma reine, je vous prie, dit le protecteur. Ce sujet lui tient à cœur.

Bintou constata qu’une larme coulait sur la main du protecteur. Que la reine fut en proie à une violente souffrance était une évidence. Bintou compatissait. Elle l’aiderait volontiers mais…

- Je ne comprends pas, admit-elle volontiers.

Elian gronda en tremblant tandis que le protecteur raffermissait sa prise.

- Bonjour, Bintou. Je m’appelle Curunir, annonça un elfe en rejoignant la rive depuis la barque. J’ai été ambassadeur des elfes auprès des falathens pendant un long moment. Je vais prendre le relai, si cela te convient, finit l’elfe en se tournant vers le couple enlacé.

Elian resta figée. Le protecteur hocha la tête et Curunir se tourna vers Bintou pour poursuivre l’échange. Il venait d’obtenir le droit d’une autorité qu’il reconnaissait mais pas celle de la reine. Bintou comprit que le protecteur n’en était pas un. Il gouvernait avec la reine, couple uni dans l’adversité, se soutenant, intervenant l’un auprès de l’autre selon les besoins.

Bintou aurait aimé être dans la même situation, ne pas être seule au pouvoir, pouvoir partager un peu de ce poids avec quelqu’un.

- Vous avez maudit un homme nommé Narhem Ibn Saïd, annonça Curunir.

Bintou fit la moue. Elle entendait ce patronyme pour la première fois.

- C’est l’homme qui est censé avoir anéanti les elfes noirs, celui qu’Amadou a tissé, murmura Bassma à Bintou. Amadou m’a dit avoir lu son nom dans son esprit. Il me l’a dit, une fois, je ne sais plus trop pourquoi… On… discutait…

On baisait, comprit Bintou. Confidences sur l’oreiller. Amadou avait dû se vanter.

- Vous ne connaissez pas le nom de celui que vous avez maudit ? suffoqua l’ambassadeur elfe.

- Il ne méritait pas une telle considération, gronda Bintou à qui revivre ce souvenir déplaisait.

Ce jour-là, elle avait appris la mort de l’amour de sa vie. Les émotions enfermées tambourinaient pour sortir mais la serrure solide tiendrait.

- Certes, admit l’elfe. Seriez-vous assez aimable pour défaire ce que vous avez fait ?

- Je ne comprends pas, avoua Bintou et la reine grogna à cette réponse. Qu’espérez-vous que je fasse ?

- Que vous retiriez la malédiction qui pèse sur Narhem Ibn Saïd, prononça lentement l’elfe blond. C’est la langue que j’utilise qui vous pose problème ? Vous souhaitez que j’en change ?

- Non, dit Bintou. Je comprends vos mots. Je ne saisis pas…

Bintou se tourna vers Mamou et Bassma qui haussèrent leurs épaules. Eux non plus ne comprenaient pas. Bintou osa une entrée dans la toile. Elle était silencieuse. L’incompréhension était totale.

Curunir se tourna vers sa reine et prononça des mots dans une langue inconnue de Bintou. Le protecteur lui répondit et Curunir se tourna de nouveau vers la Mtawala.

- Cette malédiction peut-elle être retirée ? demanda l’ambassadeur.

Bintou secoua la tête pour s’éclaircir les idées, tentant de tout remettre à plat, en vain. Non, décidément, rien n’avait de sens.

- Vous ne pouvez pas la retirer, comprit l’elfe abattu par une telle nouvelle.

Il avait pris son secouement de tête pour un « non ».

- Attendez ! On ne se comprend pas, dit rapidement Bintou. Reprenons depuis le début. Je suppose que vous connaissez Narhem Ibn Saïd parce que des survivants elfes noirs vous en ont parlé mais quoi qu’ils aient pu…

- Non, intervint Elian que son protecteur avait lâché mais Bintou n’aurait su dire quand. Je le connais parce que je suis obligée de plier le genou devant lui à chaque solstice d’été.

- Quoi ? s’exclama Bintou avant de faire signe aux elfes d’attendre.

« Amadou ? Putain ! Tu n’aurais pas oublié de nous dire un truc par hasard ? » lança Bintou en conversation privée.

« Quel genre de truc ? » demanda Amadou qui n’était pas au courant de ce qui se passait, ne suivant pas les échanges publiques de la zone protégée, trop occupé de son côté.

« Du genre que le roi de Falathon est le mec que tu as maudit, par exemple ! »

« Des mecs, j’en ai maudit pas mal » répliqua Amadou. « Mais le roi actuel de Falathon, je ne l’ai jamais touché ni même rencontré. Je n’en ai jamais ressenti le besoin. »

« Comment s’appelle-t-il ? »

« Le roi de Falathon ? Allard Moïland, pourquoi ? »

- Pourquoi pensez-vous que j’ai maudit le roi de Falathon ? interrogea Bintou innocemment.

- Il n’est pas le roi de Falathon, répliqua Elian. Il est roi des elfes noirs, d’Eoxit et de Falathon.

Roi des elfes noirs ? répéta Bintou en pensées. Comment ? Quoi ?

« Amadou ? Celui qui s’est vanté d’avoir exterminé les elfes noirs était-il leur roi ? »

« Vu qu’il avait tué le roi précédent, oui, mais honnêtement, il ne méritait pas un tel titre. »

Bintou ferma les yeux. Si on devenait roi en tuant le précédent et que Narhem vivait encore, alors il portait effectivement ce titre.

- Amadou confirme que c’est bien lui, dit-elle en direction de Bassma et de Mamou. Il est encore en vie. Il est… roi…

- Des elfes noirs, d’Eoxit et de Falathon, et comme il tient les troliens et les elfes des bois par les couilles, cela fait de lui le maître du monde… grâce à vous, cracha Elian.

- Je voulais qu’il souffre, qu’il paye… Comment a-t-il fait pour devenir roi malgré la fidélité à la terre ? s’exclama Bintou. Je voulais qu’il vive dans la misère et la peine !

- Il est doué, indiqua Elian. Il use de manipulation, de paroles, de chantage, de menaces et paye des mercenaires. Il a profité de son immortalité pour apprendre.

- Immortalité ? répéta Bintou abasourdie. J’ai juste augmenté sa longévité… doublée, peut-être triplée mais pas davantage.

Bintou mentait un peu en disant cela. Après tout, c’était Amadou qui l’avait fait et pas elle, mais le moment n’était pas aux longues explications.

- Vous avez triplé la durée de vie d’un mec bourré au Fenshy, lança Elian.

« Fenshy ? Quelqu’un a-t-il la signification de ce terme ? » interrogea Bintou.

« Il fait partie de la base de données, comme alambic, mais sans traduction » annonça Amadou. « Il n’existe pas d’équivalent, dans aucune des langues que nous parlons. »

Bintou grimaça.

- Voudrais-tu bien… retirer ta malédiction ? insista Elian.

- Je ne peux pas diminuer ses capacités de régénération, si c’est cela dont tu parles. Le fil est attaché. À moins de le couper… et j’ai dans l’idée qu’il ne se laissera pas faire.

- Il te suffit d’utiliser tes pouvoirs, fit remarquer Elian.

- Ce sort nécessite un contact physique, annonça Bintou.

- Ah ouais… Bon courage pour l’approcher…

« Je peux le faire sans problème » indiqua Amadou et Bintou le crut.

- Nous pouvons vous en débarrasser, annonça la Mtawala.

- Me débarrasser de quoi ? Le tuer vous voulez dire ? Non ! Surtout pas ! s’exclama Elian.

Bintou ne comprit pas. La reine des elfes voulait-elle que Narhem meure ou pas ?

- Quiconque tue Narhem devient roi des elfes noirs. M’est avis qu’elle brigue le poste… lança Mamou calmement en désignant l’elfe blonde du menton.

- Si Amadou s’en charge, commença Bintou.

- Il devient roi des elfes noirs, continua Mamou.

« Euh… non merci » assura Amadou.

- Ce qui obligera sa Majesté à le combattre pour le tuer, finit Mamou. Dis-moi, Bintou, qui gagnerait ?

La Mtawala observa l’assemblage aérien d’Elian. Contre ça, le tissage d’Amadou ne servait à rien. Comment attraper l’air à mains nues ? Bassma avait eu son assemblage grillé en tentant d’entrer dans l’esprit de la mère de cette elfe. Amadou ne s’y frotterait pas. Le combat se ferait donc sans magie. Bintou grimaça. L’issue d’un tel duel n’avait rien d’évidente.

- Pouvez-vous le rendre mortel sans le tuer, afin de me laisser le combattre à la loyal ? interrogea Elian.

- Si Amadou coupe son fil principal, Narhem mourra, annonça Bintou. Non, nous ne pouvons pas.

- Pouvez-vous le forcer à porter l’anneau d’Elgarath ?

- Le… Parce qu’il existe toujours ?

- Pourquoi aurait-il disparu ?

- Parce que les falathens haïssent la magie et qu’il s’agit d’une relique d’un autre âge. Pourquoi voulez-vous forcer Narhem à le porter ?

- Afin de le rendre mortel.

- Pourquoi deviendrait-il mortel en portant l’anneau d’Elgarath ? interrogea Bintou ahurie.

- Parce que c’est la fonction de ce bijou. Il annule les malédictions.

- Non, assura Bintou. Il a été conçu spécialement pour Elgarath et sa malédiction à elle. Vu sa conception et ce que vous m’avez appris sur Narhem, la bague n’aura que peu d’effet sur lui.

- Je ne comprends pas, admit Elian. Vous voulez dire que lorsqu’il porte l’anneau, Narhem n’est pas mortel ?

- Sa régénération naturelle est diminuée mais d’une façon ridicule par rapport à ce dont il dispose.

- Si j’avais enfoncé ma dague dans son cœur ce jour-là, il ne serait pas mort ? grinça Elian.

- Je ne sais pas, avoua Bintou.

- Pourquoi l’anneau annule-t-il une malédiction et pas l’autre ? interrogea le protecteur qui s’adressait à Bintou pour la première fois.

- Il annule quelle malédiction ? demanda Bintou, perdue.

- La fidélité à la terre, expliqua le protecteur.

- Si Narhem a une haute régénération, alors le port de l’anneau n’empêchera pas le tissage de s’activer.

- Je ne comprends pas ce que vous venez de dire, admit Elian.

- Pourquoi pensez-vous que l’anneau annule la fidélité à la terre ? interrogea Bintou qui aurait été très surprise que ce fut le cas.

- Parce que j’en ai été témoin, indiqua Elian. Alors qu’il portait l’anneau, ses troupes avançaient sur Falathon. Ils sont morts à l’instant où Narhem a retiré l’anneau.

Bintou fit la moue, soupira puis comprit qu’une explication serait nécessaire.

- La fidélité à la terre se nourrit de l’esprit de son porteur, indiqua Bintou.

- Qu’est-ce que cela signifie ? interrogea le protecteur.

- Comment le tissage peut-il savoir quelle terre est à qui ? Je veux dire… Il arrive que deux personnes différentes revendiquent le même territoire. Parfois il y a des terrains neutres ou d’autres bizarreries du genre. Comment la magie peut-elle choisir ? Elle est neutre. Elle n’a pas à donner son avis. Elle ne peut pas trancher. La malédiction de Narhem tire sa réponse de l’esprit même de son porteur.

- Une terre est à Narhem s’il la considère comme sienne, comprit Elian. Il suffit qu’il pense sincèrement un territoire comme étant le sien pour qu’il le soit aux yeux de sa malédiction.

- C’est ça. Ce jour-là, continua Bintou qui ignorait à quand ces mots faisaient référence, Narhem a passé l’anneau et en le faisant, il a dû…

- Se sentir le maître du monde, souffla Elian en ricanant.

- Permettant ainsi à ses plus fidèles sujets de passer outre les frontières, continua Bintou. En le retirant…

- Il a cessé de se considérer ainsi, tuant ses hommes. C’est parce qu’il a cru au pouvoir de cet anneau qu’il a fonctionné ?

- C’est ça, dit Bintou.

- Pour Elgarath aussi c’était de la poudre aux yeux ? s’enquit le protecteur. Je veux dire… Cet anneau est vraiment magique ou c’est juste une vaste blague ?

- Il est vraiment ensorcelé, indiqua Bintou légèrement vexée par la remarque.

- Quel est son effet ?

- Il retire exactement la quantité nécessaire pour permettre à Elgarath d’enfanter sans mourir. C’était une humaine classique à très faible régénération alors la quantité est ridiculement faible. Si vous le portiez, vous ne sentiriez qu’à peine la différence.

- Narhem aussi, comprit Elian.

Bintou acquiesça.

- Je suis… sincèrement navrée de ne pouvoir vous aider davantage. J’aimerais. Je hais cet homme. Le mal qu’il m’a fait…

« Bintou ! Gare à tes émotions ! Je ne suis pas là pour prendre le relai ! » gronda Faïza.

Bintou serra fort la cage afin qu’elle reste bien close.

- Des elfes se présenteront bientôt afin de visiter vos terres - en espérant qu’ils y trouvent leur bonheur - pendant que d’autres déploieront l’aide promise, siffla Elian d’une voix sourde et amère.

La reine avait eu ce qu’elle voulait. La personne repartait sans rien. Bintou en avait mal pour elle mais que faire ? Bintou n’avait pas la solution.

Elian, accompagnée de son protecteur, retourna jusqu’à sa barque, immédiatement suivie par l’ambassadeur et les elfes repartirent vers le nord.

Bintou se tourna vers Mamou et Bassma. Elle était dégoûtée de le savoir toujours en vie.

- Je trouve que ça ne s’est pas trop mal passé, lança Mamou, faisant ricaner Bassma et Bintou. Ça aurait pu être bien pire ! Elle a un sacré sang-froid et une excellente maîtrise d’elle-même.

- Son protecteur et elle forment un couple intéressant, annonça Bassma. C’est rare de voir une telle symbiose entre deux êtres. Ils se complètent admirablement et se portent une confiance à toute épreuve.

- Ce qui en fait des adversaires redoutables, continua Bintou.

- Sans aucun doute. Fort heureusement, nous sommes alliés, termina Mamou.

- Pour le moment, murmura Bintou. Elle sait ce qu’elle veut et est prête à sortir les crocs si besoin. Je me demande à quel point elle est consciente du pouvoir qu’elle possède.

- Elle est terrifiante, concéda Bassma. J’aurais tellement aimé lui en demander bien davantage, obtenir des détails sur Ariane mais elle est impressionnante. Lui parler demande un certain courage.

- Pour devenir reine des elfes noirs, elle doit tuer un être immortel, rappela Mamou. N’importe qui aurait laissé tomber l’idée depuis longtemps. Elle, non. Elle s’accroche et vient jusqu’à exiger d’une magicienne surpuissante qu’elle retire sa malédiction. Bon, il s’avère que « un » ce n’est pas toi qui a maudit Narhem et « deux » cela ne peut être défait mais elle a tenté quand même !

- Reste à voir comment cette alliance va se construire, dit Bintou. À nous de rester prudents, de nous montrer accueillants tout en défendant notre zone. Il va falloir marcher sur des œufs, apprendre à vivre avec ces êtres si différents de nous, à accepter leurs différences, leurs forces et leurs faiblesses.

 

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« Bintou ? La délégation elfique arrive sur le lac » annonça Phyllis en accompagnant le message d’une localisation précise.

La Mtawala en resta muette d’admiration pendant un instant. Le message était complet, précis et concis. Phyllis avait enfin réussi.

- Vous voulez voir les elfes à l’œuvre ? lança Bintou.

Bassma et Mamou se levèrent d’un bond en hochant la tête. Les trois amis arrivèrent au moment où l’embarcation elfique accostait. Une corde accrocha la barque de laquelle tous les elfes descendirent. L’un d’eux s’approcha de Bintou et elle en frémit. Son assemblage aérien était tellement fin qu’elle peinait à le voir. Il ne faisait qu’un avec le shen, littéralement. Serait-elle un jour capable d’atteindre une telle perfection ?

- Bonjour, Bintou. Je m’appelle Ceïlan, se présenta-t-il dans un ruyem parfait. Je suis le maître herboriste d’Adesis. Je n’ai que peu de temps à accorder à cet endroit, je le crains. Le soin aux terres sombres absorbe une grande partie de mon emploi du temps.

- Bonjour, Ceïlan. Soyez le bienvenu. Je ferai tout mon possible pour que votre présence soit la plus rentable possible.

- Je vous en remercie. J’aimerais parcourir la frontière dans son intégralité.

- Elle est immense. Cela va prendre…

- Plus nous parlons sans bouger et plus ce sera long, sans aucun doute.

Bintou désigna la rive opposée du lac à l’embouchure du fleuve.

- Elle commence là, indiqua la Mtawala.

- Ce lac est trop peu profond, indiqua Ceïlan. Une installation permanente est impossible. Il faudra réaliser des norias. Commencez dès maintenant.

Deux elfes hochèrent la tête. Ils remontèrent sur la barque et s’éloignèrent en ramant. Ils s’arrêtèrent au milieu du lac, jetèrent quelques objets dans l’eau, refirent de même un peu plus loin avant de repartir vers le fleuve pour finalement disparaître à l’horizon.

- Plus à l’est se trouve un immense lac beaucoup plus profond, indiqua Bintou. Il est au milieu de la zone mais les deux sont reliés par…

- Quelqu’un pourrait-il y emmener deux de mes compagnons ?

Bintou lança un appel mental puis hocha la tête.

- Gabriel les rejoindra en cours de trajet. Il les trouvera, ne vous inquiétez pas. Il leur suffit juste de partir dans cette direction.

- Parfait. Allez-y, ordonna Ceïlan et deux elfes de plus s’éloignèrent, à pied cette fois.

- Je vous mènerai moi-même le long de la barrière, annonça Bintou.

- Si vous voulez.

Il ne semblait pas y accorder la moindre importance. Durant la marche, à plusieurs reprises, il laissa des hommes sur place pour continuer avec le reste du groupe. Personne ne prit de pause, ne s’arrêta la nuit, ne but ou ne mangea. À l’arrivée à l’océan, Ceïlan était seul avec les magiciens.

- Merci. Je vais pouvoir rentrer à Adesis. Mes hommes ont reçu leurs instructions, indiqua Ceïlan avant de se diriger plein nord, sans suivre la frontière, espérant traverser la zone protégée.

Bintou ne le voyait pas de cet œil. Elle tenait à protéger son territoire. De plus, elle ne pourrait pas l’y accompagner, devant rester en contact permanent avec l’eau afin de pouvoir projeter.

- Je préférerais qu’on prenne le même chemin qu’en sens inverse, annonça-t-elle.

- Cela triplerait le temps de trajet, répliqua Ceïlan, prouvant qu’il possédait un excellent sens de l’orientation. De plus, la traversée m’apportera énormément d’éléments quant à la faune et la flore disponibles sur votre territoire et dont nous pourrions avoir besoin sur les terres nouvellement soignées.

Les deux arguments se tenaient. Laisser Ceïlan à Bassma et Mamou seuls lui déplaisaient. Bien sûr, des kwanzas pouvaient les rejoindre mais Bintou aurait préféré suivre le maître herboriste.

« Bintou, tu peux arrêter de projeter » annonça soudain Mehmet dans son canal privé.

- Quoi ? s’exclama Bintou.

- Que se passe-t-il ? lança Mamou.

- Mehmet me libère de ma mission.

C’était impossible. Mamou devait toujours projeter pour remplacer Bintou. Les autres kwanzas ne parvenaient jamais à tenir la barrière seuls. Or Mamou était là, devant Bintou. Il ne projetait pas.

- J’en suis ravi pour vous mais je dois vraiment rentrer, insista Ceïlan.

- Sil vous plaît, juste un instant ! demanda Bintou et l’elfe soupira en retour.

« Mehmet ! Explique-toi ! »

« Les elfes tiennent la barrière »

« Comment ça, ils tiennent la barrière ? »

« Je ne sais pas ce qu’ils ont fait mais c’est bon, ils tiennent la barrière à eux tout seul. Tu peux arrêter de projeter. Tout le monde peut arrêter de projeter ».

- Tu es blême ! Raconte ! Qu’est-ce qu’il a dit ? lança Mamou inquiet.

- Que les elfes ont tenu leur promesse. Ils ont réalisé leur part du marché. À nous de faire la nôtre.

Bintou cessa de projeter et le mal resta à sa place.

- Plus aucun kwanza ne projette, annonça Bintou.

La peine était enfin terminée. Elle était libre. Mamou et Bassma se tournèrent vers l’elfe, ahuris. Ceïlan ne montrait que de l’agacement face à ce contre-temps.

- Voulez-vous que nous vous amenions à un point de stockage ? interrogea Bintou.

- Un point de stockage ? répéta Ceïlan. C’est quoi ?

- Vous n’allez pas regretter ce contre-temps, je vous le promets.

- Soit, dit Ceïlan.

Il partit volontiers, seul, avec trois magiciens, au milieu d’un territoire inconnu. Il ne manquait pas de cran ni de courage et encore moins de confiance en lui. Il portait un arc mais celui-ci avait la corde défaite comme tout archer qui se respecte. Son carquois à la ceinture était alourdi de quelques flèches. En dehors de cela, il n’avait aucune arme, aucun outil et Bintou aurait été bien en peine de déterminer l’origine du vêtement.

Pourtant, elle avait appris auprès de Gabriel à reconnaître la nature. Elle connaissait désormais par cœur chaque élément de la zone protégée, son origine, ses fonctionnalités, ses caractéristiques. Ce tissu ne ressemblait à rien qu’elle connaissait. Malgré une attention soutenue, elle n’y trouva ni couture, ni imperfection.

- Ton regard envers lui devient gênant, prévint Mamou au bout d’un moment en mbamzi.

- Son habit me turlupine, répondit Bintou en usant de la même langue, supposant que l’elfe ne la parlait pas.

- Seulement son habit ? rétorqua Bassma. Pas le fait qu’il n’ait pas besoin de dormir, de manger, de boire, qu’il voit la nuit, que son arc ne porte aucune trace de couteau, sans parler de son carquois ou de ses flèches. Il n’y a rien de compréhensible dans cet être. Son assemblage est-il à la hauteur du personnage ?

- Totalement, dit Bintou. Il se répand autour de lui. J’ai du mal à trouver la limite. Je crois que nous sommes dans son aura mais sans certitude.

- À cette distance ? s’étrangla Bassma. Oh la vache !

- C’est impressionnant, lança Mamou. Tu crois qu’il est conscient de son potentiel ?

- Non seulement il en est conscient mais il l’utilise, précisa Bintou. Il est connecté à la nature qui l’environne, tout le temps. Il m’est impossible d’imaginer la quantité d’informations qu’il reçoit à chaque instant à travers ce lien mais c’est incommensurable. Il ne se plaint pas de notre faible vitesse de marche.

- Il a même ralenti, constata Bassma.

- Je crois qu’il est submergé. Trop d’informations à recevoir en même temps. Tout est nouveau pour lui ici. C’est un enfant ouvrant ses yeux sur le monde.

- Un enfant d’une puissance incroyable ! insista Mamou. Il est connecté à la magie de manière passive, à l’écoute mais tu crois qu’ils savent manier la magie de manière consciente pour réaliser des actions ?

- Je ne sais pas, admit Bintou. C’est une bonne question.

- Assez pour brûler un assemblage, grinça Bassma.

- Ariane ne l’a probablement pas fait exprès, tenta de la rassurer Bintou.

- Ma mère semble importante pour vous, dit l’elfe en ruyem.

Il avait probablement perçu le prénom au milieu des sons incompréhensibles du mbamzi.

- Votre mère ? Vous êtes le frère d’Elian, supposa Bintou et l’elfe hocha la tête.

- Elian m’a dit que votre mère avait été reine des elfes, dit Bassma ravie de pouvoir enfin avoir cette conversation.

- Pour son plus grand malheur, gronda Ceïlan.

La remarque glaça Bassma, lui faisant perdre tout sourire.

- Pourquoi ? demanda-t-elle d’un ton inquiet.

- Cela l’a exclue du groupe, indiqua Ceïlan. C’est inévitable quand on gouverne, je suppose, même si Elian s’en sort un peu mieux.

- Je suppose, en effet, dit Bintou qui ne considérait pas elle-même comme une kwanza.

Mamou et Bassma lui jetèrent un regard gêné en retour.

- A-t-elle vécu heureuse ? s’enquit Bassma.

- Je ne crois pas, dit Ceïlan. Elle a sacrifié sa vie pour son peuple. Elle nous a sauvés. Elle mérite notre respect et nos remerciements les plus sincères. En revanche, je doute qu’elle ait jamais trouvé le bonheur, même dans sa période douce avec mon père. Elle était trop… différente.

- Différente ? répéta Bassma.

- Trop de choses inexpliquées, trop de mensonges, de non-dits, indiqua Ceïlan. Elle se tournait volontiers vers les humains… ou les elfes noirs d’ailleurs là où nous sommes très renfermés sur nous-mêmes. Elle n’a jamais dit où ni comment elle avait appris à parler le ruyem, et ce n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de questions sans réponse.

- Tu as peut-être réussi, finalement, dit Bintou à Bassma en mbamzi.

Bassma haussa les épaules. Ariane étant morte, cela resterait un mystère de plus.

- En cela, Elian lui ressemble beaucoup, continua Ceïlan et son ton laissait entendre qu’il le regrettait.

- Nous sommes arrivés, indiqua Bintou. Bonjour, Liyr !

- Bonjour, Bintou ! Salut, Mamou ! Salut, Bassma. Bienvenu à vous, finit la naturaliste en se tournant vers l’elfe.

Ceïlan ne la calcula pas. Il resta figé, immobile et muet, fixant le trésor que gardait Liyr.

- Qu’est-ce qu’il… commença Liyr.

- Il observe, c’est tout, ne t’inquiète pas, la rassura Bintou en mbamzi.

- Je crois que je pourrais bien m’entendre avec lui, murmura Mamou et Bintou rit.

Les deux hommes avaient certainement énormément de choses en commun, dont une passion intense pour la nature.

« Et moi donc ! » compléta Gabriel depuis l’autre côté de la zone protégée. « Ces gars sont incroyables ! Ils ont senti le trésor caché ici. Je ne comptais pas spécialement le leur montrer. Il était un peu plus loin sur le chemin vers le lac Viktor. Ils s’en sont rendus compte immédiatement ! Ils ont fait comme lui avant de repartir vers la mission de départ. Ils n’ont rien touché. Ils sont juste restés debout, immobiles et muets tout un après-midi. C’est tout. »

- Cela va lui prendre toute la nuit, annonça Bintou à voix haute. Vous devriez vous installer.

Mamou, Liyr et Bassma firent un feu, chantèrent, mangèrent et partagèrent un agréable moment intime à trois. Au lever du soleil, l’elfe n’avait toujours pas bougé.

- Je crois qu’il apprécie le détour, ricana Mamou.

- Il semblerait, répondit Bintou en riant.

- Pourrais-je avoir ça et ça ? demanda-t-il soudain en désignant deux endroits très spécifiques du trésor.

Liyr lui proposa de s’approcher afin de préciser sa requête. Lorsque les graines demandées furent trouvées, Liyr se tourna vers Bintou.

- Tu peux les lui donner. C’est notre part du marché.

- Il en fera bon usage ? murmura Liyr, terrorisée à l’idée de perdre un trésor gardé depuis aussi longtemps.

- Je pense que oui, indiqua Bintou. Il va falloir apprendre à faire confiance.

Liyr en avait les larmes aux yeux. Difficile de lâcher son précieux.

- Ils tiennent désormais la barrière, rappela Bintou. De plus, regarde-le : il est seul avec nous. Ils ont fait le premier pas. Il nous suffit juste de suivre. Liyr : donne-les lui sans crainte. Il fera renaître ces deux plantes dans des conditions optimales, crois-moi !

Liyr tendit les sachets en tremblant à l’elfe qui s’en saisit avant de les accrocher nonchalamment à sa ceinture.

- Merci beaucoup, dit Ceïlan. De combien d’entrepôts comme celui-là prenez-vous soin ?

Liyr se tourna vers Bintou. Devait-elle répondre la vérité ou mentir ?

« Dis-lui la vérité. Il faut créer de la confiance entre eux et nous » précisa Bintou.

- Vingt-sept, annonça Liyr.

Ceïlan enregistra l’information puis annonça :

- Nous pouvons repartir.

Ils rejoignirent le lac Tanga où l’attendaient d’autres elfes. Ils n’échangèrent pas un mot, montant dans la barque pour repartir vers le nord.

- Ils sont télépathes ? proposa Mamou. Je trouve étrange qu’ils ne se parlent pas.

- Ils ne veulent simplement pas parler devant nous, proposa Bassma.

- Il leur suffit de s’exprimer dans leur langue ! répliqua Mamou.

- Ils ignorent ce que nous savons ou pas, indiqua Bassma. Ils se montrent prudents.

- C’est réciproque, siffla Bintou.

Mamou et Bassma sourirent en retour. Cela, personne ne pouvait le nier. Les premières fondations venaient d’être posées mais cette alliance mettrait beaucoup de temps à se mettre en place.

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blairelle
Posté le 11/09/2023
Après la brève rencontre Bintou-Narhem et les longues histoires Narhem-Elian, voici une froide collaboration Bintou-Elian. Pas trop de surprises sur ce coup, sauf peut-être le fonctionnement de l'anneau d'Elgarath qui n'a rompu la malédiction de la terre que parce que Narhem était convaincu qu'elle était brisée. Bon bah maintenant il va falloir convaincre Narhem qu'il n'est plus roi de rien... Ça m'a l'air mal parti.
Les elfes qui ont pris le relai des kwanzas, c'est grâce au wiha, pas grâce à leurs pouvoirs seuls, n'est-ce pas ?
(Et j'aime bien le nom du wiha... Wiiiiiii hahahaha !)

Elle a un sacré sans-froid => sang-froid
de nous montrer accueillant => accueillants
Nathalie
Posté le 11/09/2023
On apprend quand même qu'en fait, l'anneau d'Elgarath ne sert strictement à rien. Des années de lutte (d'un côté et de l'autre) pour que dalle. Ca fout les boules, non ?

Les elfes se sont contentés de jeter des graines de Lyma dans l'eau, la transformation en Wiha. Leurs pouvoirs permettent juste d'accélérer la pousse de la plante et donc, la quantité de graines. C'est les deux qui permettent une action aussi rapide.

Merci pour les coquilles.
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