Chapitre 52 - Je vais bien

Par Keina

C’était Angie qui avait couvert ses arrières, comme toujours.

Elle était arrivée dans sa chambre accompagnée de Soufia, qui avait cessé de lancer de grands regards enamourés vers Ianto et se révélait, au contact d’Angie, loquace et rigolote.

(Il en était soulagé, mais un peu intrigué aussi. Comment avait-il pu, deux ans de suite, passer ainsi à côté de sa personnalité quand, en l’espace de quelques minutes, une Angie râleuse et caustique suffisait à la faire sortir de sa coquille ?)

Angie avait accepté la requête de Ianto. Prenant à partie l’ensemble de l’équipe soignante à propos de l’absurdité du terme « infirmerie » pour ce qui ressemblait nettement à un hôpital (et mériterait une meilleure considération), elle lui avait permis de fausser compagnie aux infirmiers, ses vêtements dans une main et ses chaussures dans l’autre, tandis qu’ils s'échauffaient et fomentaient la grève.

Il n’en pouvait plus de l’atmosphère confinée de la petite chambre, de sa blouse d’hôpital qui le grattait horriblement et des machines qui prétendaient veiller sur sa santé. Il était un Gardefé, nom d’une pipe ! Qu’est-ce qui pourrait bien lui arriver, ici, au Royaume Caché ?

Alors, une fois dans le couloir, il s’était enfermé dans une remise, avait enfilé à la hâte jean et t-shirt et s’était esquivé vers le cercle de transport le plus proche, luttant contre l’air glacial de l’extérieur.

Il fallait qu’il trouve Jack. Il fallait qu’il lui parle. Mais avant ça, il devait prendre quelque chose, quelque chose qui pourrait permettre à Jack de mieux comprendre. Peut-être.

 

C’était agréable de rentrer chez soi. Malgré le froid qui avait envahi les pièces, il avait l’impression d’être parti la veille. Il s’était pourtant passé tant de choses depuis ce moment ! L’exploration des mondes, le retour au Royaume pour découvrir enfin le monde qu’il cherchait, le piège tendu par le Collectionneur, et ces longs jours de captivité, en compagnie de son autre lui…

On lui avait raconté, par le détail, l’intervention coordonnée du Royaume Caché et de l’UNIT. Après son départ, Kat avait parlé à Beve, évidemment, qui en avait parlé à Jane, qui avait tout de suite compris que quelque chose clochait, qu’il était absent depuis trop longtemps. Ils avaient constitué une équipe d’intervention (à laquelle Angie et Andrew avaient tenu à se greffer, faisant valoir leur expérience d’agent actif), puis avaient puisé dans les informations de la Logistique pour contacter l’UNIT, et, à défaut du Docteur… Jack Harkness.

Jack avait accepté de se joindre à l’expédition pour le sauver.

Il avait accepté.

Pourquoi ?

Tout ça n’avait aucun sens.

Pourquoi participer à son sauvetage, puis l’ignorer ensuite ?

Ianto résista à l’envie de s’affaler sur son canapé et dormir (encore – il avait l’impression de passer sa vie à dormir, ces derniers temps), passa dans sa chambre (où son lit l’appelait avec plus de force encore) et ouvrit le tiroir de sa table de chevet.

Le petit carnet revêtu de cuir était toujours là.

Soudain, il hésita. Il y avait toute son intimité là-dedans, et il n’était plus vraiment sûr d’avoir envie que Jack lise certains passages.

Il le prit entre ses mains, le feuilleta, et finit par le poser sur le dessus du lit. Il irait lui parler d’abord. Pour le journal, il verrait ensuite.

Il ne s’attarda qu’un instant dans la cuisine. Il aurait bien pris un café, mais estima finalement que son estomac, qui se réhabituait doucement à la nourriture solide, aurait encore du mal à l’accepter. À la place, il engloutit un grand verre d’eau, le reposa dans l’évier et, enfin, repartit en direction de l’entrée.

Il enfila un blouson, s’efforçant de réfléchir où chercher Jack en premier lieu. Il se sentait encore faible, et ne s’imaginait pas parcourir tous les couloirs du Château. Le plus logique était d’aller voir Hedda, Ada, Ida ou Edna, les quatre concierges qui se répartissaient la tâche de consigner les entrées et sorties de l’ensemble des résidents du Royaume.

Ou peut-être devrait-il se fier d’abord à son instinct, et partir en direction des Grands Salons, où il trouverait sans doute Andy, qui l’aiderait à trouver Jack ? Angie lui avait révélé qu’ils avaient passés beaucoup de temps ensemble l’un et l’autre… Ianto sentit au creux de son estomac un léger pincement de jalousie, qu’il balaya tout de suite. Après tout, il n’avait aucun droit sur son Imagineur.

Tout à sa réflexion, il ouvrit sa porte d’entrée sans y songer… pour tomber nez à nez avec son capitaine qui se tenait prêt à toquer, un poing levé dans le vide. Il était nimbé d’une aura scintillante, la même qu’il avait observée à travers les yeux de son double, si longtemps auparavant.

Ianto cilla.

— Angie m’a donné ton adresse, fit Jack l’air de rien. Il fronça les sourcils : je crois qu’elle est en train de déclencher une révolution dans votre infirmerie. Il faudrait peut-être prévenir Beve, ou Kat, non ?

Ianto ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à dire. Les mots s’étaient tout bonnement enfuis de son cerveau, et il n’y restait plus que du néant. Jack le détailla avec un regard inquiet. L’aura qui l’entourait s’estompa doucement à mesure que Ianto la regardait, et finit par disparaître tout à fait.

— Pourquoi toi, tu n’es pas à l’infirmerie, d’ailleurs ? Ils t’ont déjà laissé sortir ?

— Je…

Il déglutit, et fit quelques pas en arrière pour laisser entrer Jack.

— Je suis parti te chercher.

Jack entra à grand pas, jeta un œil au salon et reporta son attention sur Ianto, visiblement nerveux.

— Tu n’aurais pas dû sortir si vite.

— Je vais bien. J’avais besoin d’air. Mon chez-moi me manquait.

Nouveau regard circulaire pour observer l’environnement.

— Intéressant…

— Qu’est-ce qui est intéressant ?

Ianto se sentait perdu. Et inquiet. Il n’avait pas anticipé… ça.

— Tu as installé tes meubles de la même façon.

Jack secoua la tête, comme pour chasser une idée parasite, et se tourna à nouveau vers lui. « De la même façon ». La remarque se répandit en un courant glacé dans le corps de Ianto. De la même façon… que l’autre, sous-entendu. Il tressaillit, le souffle court.

— C’est bien ce que je disais : tu n’aurais jamais dû sortir de l’infirmerie, reprit Jack d’une voix soucieuse en examinant son visage exsangue.

— Je vais bien ! rétorqua Ianto.

Il était maintenant agacé, peut-être même en colère. Jack était là, chez lui, et tout ce qu’il avait à dire, c’était pour le comparer à l’autre ? Non, bien sûr que non, ça n’allait pas. Mais pas pour les raisons qu’il croyait.

Soudain, le ton de Jack se fit plus rude, autoritaire.

— Non, tu ne vas pas bien, Ianto ! Regarde-toi : tu n’as plus que la peau sur les os. On t’a torturé pendant plusieurs jours. Crois-moi, je sais ce que c’est. Tu ne vas pas bien du tout.

Il le regarda dans les yeux et le força à s’asseoir sur le canapé. Ianto voulut se relever mais la poigne ferme du capitaine le maintenait. Il fronça des sourcils, la vision soudain trouble. Jack avait peut-être raison : il n’aurait pas dû sortir si vite de l’infirmerie. Son esprit s’embrumait et son corps peinait à lui répondre. Il s’efforça malgré tout de rassembler ses idées.

— Pourquoi tu es là, Jack ?

— On a à parler, toi et moi. Mais pas maintenant. Maintenant tu dois te reposer.

Ianto voulut protester, se relever, il ne tarderait pas à se sentir mieux, il était un Gardefé après tout !

Au lieu de cela, il sentit sa tête atterrir doucement sur les coussins du canapé, aidée par Jack qui guidait ses mouvement, et ses yeux se fermèrent.

Plus tard, oui, ils parleraient.

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