Chapitre 53 : Aélya – Compagnie

- De qui souhaites-tu la compagnie ? interrogea Stan alors qu’Aélya subissait contraction sur contraction.

- Chris, annonça Aélya.

Il ricana puis cessa en constatant qu’elle ne blaguait pas. En soupirant, il sortit son téléphone tout en amenant Aélya vers une salle d’accouchement.

- Bonjour, Baptiste, dit Aélya en constatant la présence du médecin présent pour la soutenir dans cet accouchement. Ce bébé doit vraiment être important pour que vous vous en chargiez vous-même !

Il sourit.

- Je suis honorée d’être prise en charge par le meilleur médecin au monde, dit Aélya sincèrement.

- Ça va bien se passer, rassure-toi, dit Baptiste. Merci, Stan. Tu peux y aller. Chris ne devrait plus tarder.

Stan s’éclipsa. Baptiste guida Aélya. Chris arriva et Aélya se sentit immédiatement mieux. Les yeux ancrés dans les siens, elle mit au monde son enfant et…

Son enfant, pour la première fois, elle se l’appropriait, elle qui avait tout fait pour s’en éloigner mentalement se prenait son immense peine de plein fouet. Chris lui mit les bras dans le dos, la tint contre lui et murmura :

- Nous venons de te prendre ton enfant. Hurle, ma chérie ! Hurle cette peine. Ne la retiens pas. Elle te broierait.

Aélya put pleurer tout son saoul. Chris prit grand soin d’elle. Le retour sur Terre fut difficile. Aélya n’aimait pas ce monde-là. Elle avait la sensation de quitter le paradis pour l’enfer. Seul son phare l’aidait à ne pas se noyer. Il était tout pour elle. Le voir sourire l’emplissait de joie. Ses colères la plongeaient dans des abîmes de souffrance.

Durant cette année, il avait fait le tour de tous les chefs d’état sans elle si bien qu’il pouvait se permettre de se promener. De la muraille de Chine en passant par les pyramides d’Égypte, de déserts en jungles, sous un froid glacial ou des chaleurs torrides, il l’emmena partout à la découverte de la Terre, son monde, son univers, son royaume.

Le bonheur ne dura qu’une saison car Aélya, de nouveau enceinte, retrouva les fermes. Se séparer de son deuxième enfant lui fut insupportable.

- Je vous en supplie ! hurla-t-elle à Chris qui la maintenait. Pas tout de suite le troisième. Par pitié !

- Je fais ce que je veux, répliqua-t-il et Aélya sanglota misérablement dans ses bras.

Il dut l’entendre tout de même car pendant une saison entière, elle ne tomba pas enceinte.

 

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Aélya s’assit devant Chris. Il lui avait demandé de venir. Son visage était grave. Que se passait-il ?

- Il y a une vingtaine d’années, j’ai rencontré une femme qui avait été l’esclave d’un Vampire. Elle m’a raconté ce qu’il lui faisait.

Aélya fronça les sourcils. Pourquoi lui disait-il cela ?

- J’ai trouvé ça dangereux, pour notre communauté. Cette femme n’était pas brisée. Ce n’était pas une initiée non plus. Nous avons eu de la chance car libre, son chemin n’a jamais croisé celui d’un chasseur de Vampires mais dans le cas contraire, cela aurait pu très mal se terminer.

Aélya hocha la tête, signe qu’elle comprenait le contenu du message mais toujours pas sa raison d’être.

- Son récit m’a bouleversé. J’ai trouvé ce Vampire brillant. J’ai adoré. Depuis, je crève d’envie de faire pareil. Sauf qu’il faut qu’un certain nombre de conditions soient remplies pour que je puisse me laisser aller à ma satisfaction. Mon plaisir vient très largement après la sécurité de notre communauté.

- Ah… fut tout ce qu’Aélya parvint à répondre.

- Je pense que tu es en mesure de me satisfaire.

- Ah… répéta Aélya, tendue.

Il voulait lui faire ce que l’autre Vampire avait fait à son esclave. C’est-à-dire ?

- Que suis-je ? demanda Chris.

- Certainement pas un éleveur, répondit Aélya qui se doutait que Chris n’apprécierait pas d’être comparé à un berger.

Dans ce lieu non sécurisé, le terme « Vampire » lui était interdit. Elle aurait bien tenté « Dieu » comme le pensaient les initiés mais n’étant pas certaine de la manière dont Chris voyait les choses de ce point de vue, elle ne tenta pas.

- Le roi ? proposa-t-elle, sûre que ce n’était pas ce qu’il attendait.

- Essaye encore, proposa-t-il, amusé.

- Je ne sais pas, dit Aélya.

- Que suis-je, Aélya ? répéta-t-il en sortant ses dents.

La frayeur qui saisit la jeune femme la cloua sur place.

- Que suis-je ? insista-t-il. T’ai-je jamais demandé de me donner ta gorge ? Non, je veux la prendre, pas qu’on me l’offre.

- Vous êtes un chasseur, un prédateur.

Il rangea ses dents, signe qu’elle avait bien répondu.

- De ce fait, ça ne te semblera pas illogique que je me mette en chasse, lança-t-il. Viens là.

Aélya se plaça devant lui. Sous son regard ahuri, il lui retira ses entraves, toutes, sans exception.

- Je veux que ça soit réel. Je ne veux pas d’un simulacre. N’aies crainte. Mes filles te protègent. Elles ne te quitteront pas d’une semelle. Je te laisse deux heures d’avance.

À ces mots, il sortit son téléphone. Aélya resta immobile, déconcertée.

- Tu perds du temps, annonça-t-il.

- Je ne comprends pas.

- Vingt, dit-il.

- Vingt quoi ?

- Vingt litres de sang. C’est ce que je vais te prendre. J’enlève un litre par tranche de dix minutes que je passerai à te chercher, au-delà des deux heures d’avance.

Aélya secoua la tête, incertaine d’avoir saisi.

- Si tu parviens à rendre la traque assez intéressante pour me perdre une heure, je ne te prendrai que quatorze litres de sang. Deux heures, huit litres. Trois heures, deux litres. Trois heures trente, je ne te mords pas. Fuis, ma brebis, fuis. Le grand méchant loup arrive.

Aélya comprit enfin et elle blêmit. En tremblant, elle recula et quitta l’hôtel en courant. Arrivée dehors, elle calma son cœur battant. Il avait dit deux heures d’avance. Elle avisa son téléphone. Nul doute qu’il pourrait la suivre à la trace avec ça. Elle le posa sur un muret et s’éloigna. Les filles de Chris le récupéreraient pour éviter qu’il ne tombe entre les mains de n’importe qui.

Aélya monta dans un bus qui l’emmena dans une autre section de San Francisco. Comment échapper à un Vampire vieux de quatre cent mille ans ? Elle n’en avait pas la moindre idée.

- Putain de bordel de merde ! Fais chier !

Elle changea plusieurs fois de moyens de transport pour se retrouver en dehors de la ville et les crocs se plantèrent dans sa gorge, buvant, encore, et encore, et encore, et encore… Aélya perdit connaissance tant le prélèvement fut brutal.

Le réveil le fut plus encore. Aélya voyait trouble.

- Cinq minutes. C’est tout ce que ça m’a pris pour te trouver. Tu sais, j’ai beau ne pas aimer la technologie, je sais m’en servir. Suivre tes achats par carte bancaire n’a pas été très difficile. C’est ma carte après tout.

Aélya gémit.

- Nul doute que tu feras mieux la prochaine fois.

Aélya sanglota. Parce qu’il y aurait une prochaine fois ? Il l’aida à se redresser et lui donna à manger à la becquée. Le repas avalé, elle retomba dans un profond sommeil. Au réveil, elle dévora de quoi nourrir quatre américains obèses devant un Chris amusé.

- Aélya ? dit-il tandis qu’elle mangeait. Je suis satisfait. Tu as essayé. C’est tout ce que je te demande. Tu as le droit d’échouer, tant que tu essayes.

Aélya sourit. Elle avait contenté sa statue vivante.

- Boire vingt litres en une fois est particulièrement agréable, assura Chris. Si tu pouvais échouer à chaque fois, ça serait super.

Aélya grimaça. De son côté, ça ne l’était pas du tout, agréable. Le soir, elle chercha dans son téléphone – qu’elle avait retrouvé sans surprise sur sa table de chevet – les méthodes possibles pour échapper à un Vampire. Elle reçut des dossiers complets marqués « Arènes / Secret » auxquels elle eut accès sans aucune difficulté.

Elle y apprit de nombreuses techniques basées sur le changement d’odeur, les brouillages sensoriels, les brouillards. Elle y lut que la préparation importait. Ainsi, Aélya compléta son sac à main et de chasse en chasse, la gazelle gagna du terrain sur le lion, le comblant de joie.

 

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- Je me sens seule, annonça Aélya lors d’un dîner en tête à tête avec Chris. J’adore nos moments à deux, précisa-t-elle, mais vous êtes souvent occupé. Ce n’est pas un reproche, mais une simple constatation. Vous avez énormément allégé les contraintes.

- C’est le moins que l’on puisse dire. Les dix mètres sont loin derrière nous.

Aélya ricana. Elle pouvait maintenant s’éloigner de dix kilomètres.

- De ce fait, je peux me promener mais…

- Tu aimerais avoir de la compagnie, je comprends.

- Les fermes me manquent.

- Tu n’aimes pas y aller.

- Je n’aime pas la raison pour laquelle j’y vais. Et puis, vous n’y êtes pas.

Il rit.

- Là-bas, au moins, j’ai des amies à qui parler, souffla Aélya.

- Tu as besoin de compagnie, répéta Chris. Hum…

Il réfléchit puis son visage se barra d’une grimace dégoûtée.

- Qu’y a-t-il ? demanda Aélya qui n’aimait pas voir son amant mal.

- J’ai une solution mais…

Il soupira.

- Quoi ? demanda-t-elle.

- Rien. Tu vas avoir ce que tu demandes. Laisse-nous juste le temps de la faire venir.

- Quoi donc ?

- La compagnie demandée, répondit Chris dans un sourire crispé.

Il se leva pour se rendre à son rendez-vous avec le premier ministre anglais. Aélya passa la journée à visiter les musées de Londres, Big Ben et le London Bridge. Elle dégusta six fish and chips puis se rendit au Buckingham Palace avant de terminer par la visite de l’abbaye de Westminster.

En fin de journée, elle retourna à l’hôtel pour dîner avec Chris. La soirée fut chaude entre les deux amants. La nuit l’enveloppa de douceur.

Trois petits-déjeuners furent nécessaires à combler son appétit d’ogre. Avec elle, Chris n’avait pas besoin de faire croire de manger. Elle dévorait à elle seule pour plus que deux personnes. De l’extérieur, le compte y était.

Chris téléphonait. Aélya se préparait à sortir lorsqu’on frappa à la porte de la chambre d’hôtel.

- Aélya ! Va ouvrir ! lança-t-il depuis la pièce voisine.

Une charmante brune aux yeux marron joliment vêtue se tenait là. Jupe droite arrivant juste en dessous des genoux, collants couleur chair, escarpins aux talons modérés, chemisier opaque, Aélya estima qu’elle avait une vingtaine d’années. Son maquillage discret mettait en valeur un visage mignon que ses cheveux bruns très bien coiffés faisaient rayonner.

- Bonjour, dit-elle. On m’a demandé de venir ici.

- Aélya ! Charlotte ! Venez ici !

Les deux femmes se regardèrent, étonnées. La dénommée Charlotte entra, gênée et suivit Aélya dans la pièce voisine. Chris, à moitié dans le dressing, lança :

- C’est ta dame de compagnie.

Aélya observa la demoiselle qui lui rendit le regard de côté.

- Dame de compagnie ? répéta Aélya, abasourdie.

Elle avait indiqué se sentir seule oui mais pas au point de…

- Vous avez payé quelqu’un pour m’occuper ?

- Je ne suis pas payée ! s’exclama la dénommée Charlotte qui, apparemment, prit mal l’idée même d’être rétribuée pour sa présence dans cette chambre d’hôtel.

On aurait dit qu’Aélya venait de la traiter de pute. Chris sortit sa tête du renfoncement, tenant triomphalement une chemise mauve. La réaction de Charlotte prit Aélya par surprise. La demoiselle tomba à genoux en murmurant un « Majesté » empli de dévotion. Aélya en resta bouche bée.

- Charlotte, tu es ici pour accompagner Aélya. C’est ta mission. Tu dois tout faire pour que ses moments loin de moi lui soient agréables. Tu as compris ?

- Oui, Majesté, répondit-elle humblement.

- Bien, disparaissez, maintenant. Je dois me préparer et votre présence me gêne. Sortez !

Charlotte se releva gracieusement, d’un geste souple et élégant, avec un port de tête digne d’une reine. Aélya finit de mettre ses chaussures, attrapa son sac à main et les deux femmes se retrouvèrent dans l’ascenseur.

- Charlotte, donc, dit Aélya. D’accord. Ce n’est pas du tout comme ça que j’imaginais ça, mais…

- Tu t’ennuies, c’est ça ? lança Charlotte. Je dois t’occuper.

- En journée, Chris préfère quand je ne suis pas là. Les chefs d’état sont nerveux en ma présence.

Charlotte hocha la tête.

- Tu connais Londres ? lança la demoiselle.

- J’ai visité Big Ben, l’abbaye de…

- Sans déconner ? T’as dû te faire chier. Je vais te faire découvrir des endroits beaucoup plus sympas !

Elles arrivèrent dehors.

- On prend un taxi. T’as de quoi payer ? Parce que moi…

Charlotte désigna son propre corps en haussant les épaules. Aucun sac. Aélya sortit sa carte bleue du sien. Charlotte s’en saisit, le regard brillant.

- Tu as une carte dorée ! s’exclama-t-elle.

- Euh… oui, répondit Aélya, intimidée.

- Tu as une carte dorée ! s’écria Charlotte en hurlant et en sautant sur place. Oh la vache ! Putain ! On va pouvoir s’éclater. Ah ! Trop bien ! Viens !

Aélya découvrit une toute autre partie de Londres, pleine de fête, de nourriture, d’alcool – auquel elle ne toucha pas, n’y ayant pas droit – de musique. Attablée devant un café à une terrasse devant la Tamise, Aélya osa :

- Charlotte, comment connais-tu l’identité de Chris ?

- Je suis une initiée, répondit Charlotte en sortant le pendentif jusque-là caché sous son chemisier montant haut.

- Ah, répondit Aélya.

- Et toi ? Je veux dire… Tu ne portes pas de collier et c’est clair que tu n’es pas un… Enfin que tu es humaine quoi.

- Je ne suis pas un homo sapiens sapiens, si c’est ça que tu veux dire, précisa Aélya. Je suis de la nourriture.

- Tu… quoi ? s’exclama Charlotte, clairement perdue.

- Je suis la nourriture de Chris. Il se nourrit de moi, insista Aélya en caressant sa carotide parfaite devant le regard perdu de l’initiée.

La dernière morsure datait du mois dernier. Les marques avaient disparu depuis longtemps.

- Pourquoi ? demanda Charlotte.

- Parce que j’ai bon goût, répondit-elle.

- Ah d’accord.

- Charlotte ? Ça ne te fait pas chier de me tenir compagnie ? Je veux dire… Tu avais forcément une vie avant, non ?

- Ouais, répondit-elle. Je me rendais à la fac. Une voiture s’est arrêtée à côté de moi. Un mec en est sorti et m’a dit « Monte, initiée ». Du coup, je suis montée.

Aélya frémit. Initiée, mot magique permettant d’obtenir tout et n’importe quoi de l’un d’eux.

- À l’intérieur, une femme m’a ordonné de lui donner mon sac alors je le lui ai offert. Elle m’a transpercée du regard, a humé l’air profondément puis a fermé les yeux et sous mon nez, elle s’est métamorphosée en moi. Elle est sortie et a repris mon chemin.

- Un… vient de prendre ta place ? comprit Aélya. Oh Charlotte ! Je suis tellement désolée !

- Pourquoi ? Je vais côtoyer le roi. C’est le plus beau jour de ma vie !

- Mais ils viennent de te priver de ta vie juste parce que j’ai dis que je me sentais seule ! C’est horrible !

- Non, c’est merveilleux, répliqua Charlotte. Plus besoin d’étudier, de bosser, de faire des ronds de jambe. Ma place, je la lui laisse volontiers. Celle-là me convient parfaitement.

Ce disant, elle leva la main et se commanda un autre café. Aélya en resta muette de stupéfaction. Le serveur arriva avec deux nouveaux cafés, réveillant un peu Aélya.

- Comment es-tu devenue initiée ? demanda Aélya.

- On l’est tous dans la famille depuis des générations, depuis que Chris a aidé notre ancêtre Jacques VI à réunir les couronnes d’Angleterre et d’Écosse.

- Chris a quoi ? Qui ?

- Depuis, à dix ans, notre famille nous informe. La vérité nous est dévoilée, loin des mensonges des livres d’histoire. Le vrai déroulement des évènements nous est expliqué. À dix-huit ans, on devient officiellement initié. Cela fait deux ans que je porte le collier.

Elle semblait particulièrement fière d’elle, comme s’il s’agissait d’un accomplissement fantastique.

- C’est super, dit Aélya. Je suis contente pour toi.

Elle n’en pensait pas un mot mais ne voulait pas contredire sa dame de compagnie.

- Tu penses réellement que Chris est un dieu, n’est-ce pas ?

- Oui, dit Charlotte. Il l’est. Il nous a tous crées.

De fait, ce n’était pas Chris qui avait crée Aélya mais Baptiste et cette dernière ne le considérait certainement pas comme un dieu. Un savant fou, peut-être, mais sans plus.

Ceci dit, Aélya ne contredit pas non plus l’initiée là-dessus. Après tout, Charlotte semblait heureuse d’être là. Le reste n’avait aucune importance.

En fin d’après-midi, les deux femmes retournèrent à l’hôtel.

- La journée a été agréable ? demanda Chris.

- Excellente, assura Aélya.

- Parfait. Charlotte vivra donc un jour de plus.

Aélya frémit. Le roi avait-il dit cela sur un ton humoristique ou bien était-ce sincère ? Aélya fut incapable de le déterminer. La seule réaction de Charlotte fut de sourire pleinement, apparemment ravie de l’échange. On frappa à la porte.

- Charlotte ! Va t’en occuper ! ordonna Chris d’une froide. Aélya, viens-là ma chérie !

Sa voix s’était attendrie pour devenir érotique et passionnée.

Aélya se plaça volontiers sur les genoux du roi pour un câlin accompagné de nombreux baisers tandis que Charlotte mettait sur la table les mets apportés par le serveur depuis les cuisines. Aélya gloussa sous les caresses appuyées de son amant. Charlotte resta parfaitement silencieuse et discrète.

Aélya dégusta le repas à genoux aux pieds du roi dans sa paume offerte. Elle ronronna de plaisir. Charlotte ne se vit rien offrir. Elle attendit sagement, sans rien demander. Elle n’aurait que les restes froids et cela ne sembla pas la déranger. Alors qu’Aélya léchait les doigts remplis de crème du roi, elle fronça les sourcils puis dit timidement :

- Pardonnez-moi si ma question est déplacée mais… Pourquoi vous ne faites pas en sorte que tous les terriens soient comme elle ? Je veux dire… Elle vous reconnaît selon votre titre, non ?

Le visage de Chris se ferma instantanément.

- Elle me prend pour Dieu, répliqua Chris en russe, probablement pour que Charlotte ne le comprenne pas. Elle me rend responsable des maux de la Terre et attend de moi que je les résolve ! C’est intolérable !

Charlotte leva des yeux incrédules sur le roi, ne comprenant pas l’objet de sa colère soudaine. Aélya resta tétanisée devant cette réplique froide et cinglante du roi. Jamais Aélya ne l’avait vu aussi haineux. Elle n’avait pas peur. Il n’avait pas sorti les dents. Il était juste très en colère.

- Je ne les ai pas crées et même si je l’ai fait par hasard en baisant, cela me rend-il responsable de leurs erreurs, de leurs exactions, de leurs pêchés ? Pourquoi devrais-je réparer leurs conneries ?

Aélya comprit qu’elle n’aurait pas dû poser cette question. Elle venait de le mettre hors de lui.

- Ils attendent de moi que j’exauce leurs prières, continua Chris, fou de rage. C’est le monde à l’envers. C’est à eux de faire en sorte que mes désirs se réalisent, pas l’inverse. Ce sont des fanatiques extrémistes, prêts à tout pour l’expansion de leur religion, que nous contenons difficilement.

Aélya resta bouche bée devant ce terrible réquisitoire. C’était peu dire que Chris haïssait les initiés.

- Je ne suis pas un putain de dieu ! hurla Chris en tapant du poing sur la table et son contenu fit un bond avant de retomber en tintant. Ai-je exterminé des peuples entiers sous un prétexte religieux uniquement pour m’approprier les richesses de mon voisin ? siffla Chris d’une voix cinglante. Ai-je jamais condamné à mort une femme parce qu’un homme l’avait violentée ? Ai-je déversé des déchets toxiques dans les océans ? Ai-je fait exploser des atolls entiers pour tester une bombe nucléaire ? Suis-je responsable de la destruction de millions d’espèces vivantes ?

Aélya n’osait plus croiser le regard du roi. À genoux, elle priait pour qu’il s’éloigne et déverse sa colère sur quelqu’un d’autre.

- Ces humains-là ne m’obéissent pas pour la bonne raison, en conclut Chris. Ils s’agenouillent en espérant quelque chose en échange. Je n’ai rien à offrir. Je veux recevoir sans contrepartie. Je ne dois rien, à personne. Je suis le maître du monde.

À ces mots, il se leva et quitta la pièce dans un mouvement gracieux et charismatique. Aélya soupira d’aise en entendant la porte de la chambre se fermer. Il était parti se défouler plus loin. Charlotte s’avança vers Aélya.

- Ça va ? Qu’est-ce qui vient de se produire ?

- J’ai posé la mauvaise question, dit Aélya en avalant difficilement sa salive.

Elle leva les yeux sur Charlotte. Elle représentait tout ce que Chris détestait et elle allait devoir se trouver près de lui en permanence. Cela pouvait-il bien se passer ?

- Charlotte ? Qu’attends-tu de Chris ?

- Qu'il résolve les problèmes, annonça Charlotte sans détour. Il est notre sauveur. Il est notre passé, notre présent et notre avenir. Il est celui qui élèvera l'humanité au rang supérieur. Il l'a déjà fait par le passé et il recommencera. La preuve !

- Quelle preuve ? demanda Aélya.

- Tu es la prochaine évolution ! Tu l’as dit : tu n’es pas un homo sapiens sapiens. Chris est déjà en train de créer notre version améliorée ! Je suis tellement heureuse de pouvoir voir cela de mes propres yeux. C’est un rêve qui se réalise !

Aélya n’en revint pas. Rien n’allait.

- Mais enfin, Charlotte, il faut espérer que je ne sois pas la prochaine évolution de l’espèce humaine !

- Pourquoi ?

- Parce que j’ai été créée pour être de la nourriture de qualité, résistante aux maladies, à la durée de vie augmentée, capable de supporter des prélèvements de vingt litres de sang sans broncher. L’évolution permet aux espèces de se prémunir contre leurs prédateurs, pas de leur plaire davantage !

Charlotte fronça les sourcils. Elle ne comprenait visiblement pas.

- La prochaine évolution devrait être un humain dont le sang serait empoisonné et tuerait son consommateur. Ça, ça serait une évolution correcte, qui irait dans le bon sens. Moi, je suis tout l’inverse ! Je ne suis qu’un animal, de la nourriture dont ils disposent à volonté.

- Chris est Dieu. S’il pense que tu es notre avenir, alors tu l’es. Jamais je ne remettrai sa volonté en doute. J’ai confiance en lui. Il sait ce qu’il fait. L’avenir sera radieux quand le monde entier sera enfin entre ses mains.

« Le monde entier est déjà entre ses mains » pensa Aélya mais elle garda cette réplique pour elle.

- Ne dis jamais devant lui que Chris est Dieu, d’accord ? demanda Aélya.

- D’accord, répondit Charlotte, surprise.

- Promis ?

- Promis, oui, assura Charlotte.

Ça ne rassura pas totalement Aélya mais peut-être ainsi Charlotte vivrait-elle quelques belles années. Aélya se promit ne plus jamais aborder ce sujet, ni avec sa suivante, ni avec Chris. Ce thème-la serait banni à tout jamais.

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