- Cours, brebis, cours, dit Chris.
Aélya partit, laissant derrière elle une Charlotte incrédule. L’environnement lui était très défavorable. Aélya préférait les villes. Certes, ce parc d’attraction y ressemblait mais il restait une pâle copie où Aélya allait devoir innover. En sortir était inenvisageable. Aélya ne disposait pas d’un véhicule, Chris ayant gardé les clés de la voiture. Faire du stop serait bien trop risqué. On pourrait ne pas le prendre avant deux heures et la vie du conducteur serait menacée. Non, Aélya préférait se terrer seule.
Elle découvrit la face cachée du parc, passant par les arrières cuisines pour masquer son odeur, par les toilettes et les stocks de produit nettoyant. Elle en déversa un dans une réserve. Elle-même eut du mal à supporter l’odeur. De quoi piquer le nez du Vampire à ses trousses. Cela ne le détournerait pas longtemps, certes, mais un peu quand même.
Elle s’éloigna dans une direction avant de revenir exactement sur ses pas en marche arrière, pour repartir dans une autre direction et agir de même. Enfin, elle partit vraiment. Ainsi, elle aurait une chance sur trois de l’obliger à rechercher sa trace ailleurs.
Un chat se prélassait au soleil. Parfait ! Aélya se blessa jusqu’au sang de son petit couteau puis caressa le chat, répandant son sang sur lui. Puis, elle le fit fuir en faisant du bruit. Le félin disparut en miaulant entre des tonneaux. La blessure sur la main de la précieuse tête de bétail se refermait déjà.
Aélya se dirigea ensuite vers une attraction aquatique, se plongeant dans le liquide afin d’y noyer son odeur. Elle accrocha sa robe trempée à un rondin d’une attraction et sortit, nue, par derrière, sans être vue par personne. Elle s’enficha dans un costume du parc, une grosse peluche. L’objet puait la transpiration de son porteur précédent. Merveilleux ! pensa Aélya.
La jeune femme se promena ensuite au milieu des gens pour revenir sur un de ses lieux de passage précédent, acceptant volontiers d’être prise en photo avec eux, jouant avec les enfants, dansant, sautillant.
Chris passa devant elle accompagné de Charlotte sans s’intéresser à la peluche le moins du monde. Aélya explosa de joie intérieurement.
Elle n’avait aucune idée du temps qui passait. Elle s’amusait avec les clients du parc avec sincérité. Être ainsi déguisée était rafraîchissant. C’était léger. Elle vit passer Chris une seconde fois. Il semblait décontenancé. Il humait l’air en grimaçant. Charlotte le suivait sans comprendre.
Au troisième passage, l’initiée n’était plus aux côtés du roi. Il avait dû laisser son boulet à la terrasse d’un restaurant pour augmenter sa liberté de mouvement. Cela ne sembla pas améliorer les choses.
- T’as gagné, dit une voix féminine près d’elle.
Aélya découvrit une femme en noir, une des filles de Chris, probablement.
- Bravo ! C’était pas gagné ! Il est fou de rage… et sautille de joie en même temps !
Aélya explosa de rire.
- Viens. On va t’enlever ça discrètement. J’ai une nouvelle robe pour toi.
Aélya retira le costume puant. La femme en noir la recouvrit d’une bombe.
- C’est pour masquer l’odeur du costume, expliqua la fille du roi. Chris ne veut surtout pas savoir comment tu as fait. Nous devons tout mettre en œuvre pour que rien ne compromette ta méthode. Il veut que le miracle se reproduise.
- Il doit être affamé, grimaça Aélya.
- Il ne te mordra pas, promit la femme en noir. Chris tient toujours parole.
Aélya put remettre une robe et la fille de Chris la mena jusqu’au roi. Il déshabilla sa nourriture des yeux puis se jeta sur elle pour l’amener derrière un mur où il la baisa furieusement.
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Chris retira ses entraves à Aélya. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : il allait lancer une chasse. Il sortit une paire de menottes classiques puis attacha la main gauche de Charlotte au poignet droit d’Aélya.
- Courez, brebis. Courez !
À ces mots, il se retourna et disparut dans la foule.
- Quoi ? Non ! Non ! Non ! s’exclama Charlotte. Oh putain de merde ! Je ne veux pas vivre ça. Tu n’as gagné qu’une fois, qu’une petite fois ! Aélya ? On fait quoi merde !
Aélya leva les yeux au ciel. Midi sur les champs Élysées en plein mois de juillet. L’endroit était bondé.
- On peut prendre le risque de rester là, annonça Aélya.
- Quoi ? s’étrangla Charlotte.
- Il ne frappera pas ici. Il tient trop à son invisibilité. C’est très passant. Regarde ! Des gens se filment avec leurs portables ou font des selfies. Le risque d’apparaître par hasard sur l’un de ces clichés est énorme. Chris ne fera jamais cela. On s’assoit à une terrasse et on boit. Pendant cinq heures.
- T’es malade ! Tu vas parier là-dessus ? Il veut te traquer. Si tu es là où il t’a laissée, il n’y a pas de chasse ! Il va détester et je ne veux pas le mettre en colère, s’écria Charlotte.
- Soit. Tu veux faire quoi ? Tu veux aller où ? Il faudrait commencer par nous séparer parce que ça, dit Aélya en levant son poignet droit, obligeant Charlotte à faire de même, signifie que quand Chris me mordra, tu seras aux premières loges.
Charlotte blêmit.
- On va dans un magasin de bricolage, lâcha Charlotte.
L’initiée partit en courant, obligeant Aélya à faire de même. Charlotte ne lui laissa pas la possibilité d’en placer une. Dans une petite droguerie au coin d’une rue parisienne, Charlotte trouva un coupe boulon. Elle le décrocha, l’enficha autour de la chaînette et appuya de toutes ses forces. Rien ne se produisit.
- Ce n’est pas du fer, ou de l’acier ! s’exclama Aélya. Tu crois quoi ? Ce truc est directement venu des laboratoires de Baptiste. Rien ne permettra de nous séparer. Rien ! Il nous veut lier pour cette chasse. Si tu veux éviter de vivre ça au premier rang, il faut réussir à lui échapper. C’est notre seule option.
- On fait quoi ? On fait quoi ? hurla Charlotte terrorisée.
- Il faut changer d’odeur, nous mêler à la foule pour brouiller ses sens. Les Vampires chassent avant tout avec leur nez. Ça doit être notre principale considération. D’habitude, je change de vêtements mais avec cette merde, c’est impossible.
- Il suffit de déchirer nos vêtements et de mettre des tuniques, répliqua Charlotte.
Aélya constata avec joie qu’elle semblait enfin penser dans le bon sens.
- Putain ! Ça va nous faire perdre un temps considérable ! maugréa Charlotte. On a déjà perdu un bon quart d’heures à tenter de retirer les menottes.
- On ressort par derrière, dit Aélya. Les poubelles sentent souvent beaucoup. C’est toujours bon à prendre.
Charlotte la suivit dehors. À peine s’engagèrent-elles dans la ruelle qu’une camionnette noire s’arrêta devant eux. Trois hommes en sortirent pour les attraper et les faire rentrer, sans même leur laisser le temps de réagir.
- Qu’est-ce que vous ? commença Aélya.
- Chut ! dit un homme en mettant un tampon odorant sur son nez.
Chloroforme ! Cela n’existait-il pas que dans les films ? Aélya perdit connaissance. Elle s’éveilla dans l’obscurité. Les sursauts lui indiquèrent qu’elle se trouvait toujours dans le véhicule en mouvement.
- Charlotte ? appela-t-elle, ses yeux s’habituant à la pénombre.
Au bout de sa menotte, l’initiée dormait.
- Charlotte ! s’écria Aélya en la secouant.
Rien à faire. Elle dormait à poings fermés. Seul son métabolisme rapide avait permis à Aélya de s’en remettre aussi vite. Le véhicule stoppa.
- Faites gaffe ! L’une des deux est réveillée ! s’exclama une voix depuis l’avant du véhicule.
- Impossible ! La dose aurait…
- Je l’ai entendue, ok ! Fais pas chier et sors ton flingue !
Aélya se figea de terreur. La porte s’ouvrit, dévoilant quatre hommes armés, un pistolet braqué sur elle. Aélya leva sa main gauche pour se protéger, la droite restante au sol, maintenue par les menottes.
- On vient te sauver, précisa l’un d’eux. Ne t’inquiète pas. Nous avons l’habitude de faire ça. Ils ne te retrouveront pas. Tu n’auras plus jamais à subir leurs morsures.
Aélya ne comprenait rien. Qui étaient ces hommes ? Ils portaient des jeans et des vestes en toile épaisse sur des tee-shirt passe-partout. Chaussures de sport aux pieds, aucun ne dépassait quarante ans. Les traits tirés, ils semblaient appartenir à la catégorie des gens dormant peu. Le corps fin, Aélya n’aurait pas été surprise qu’ils passent une bonne partie de leur journée dans une salle de sport. Trois étaient caucasiens. Le dernier africain.
- Sors ! ordonna celui de gauche, un flingue braqué sur elle.
- Je ne peux pas ! s’exclama Aélya en montrant les menottes.
Un coup de feu fit hurler Aélya.
- Tu l’as manqué ! hurla le black qui tira à son tour.
- Il résiste aux balles ! C’est quoi cette merde ?
- On les emmène ensemble !
- Putain c’est la merde. Faut se grouiller. On perd du temps là !
Ils semblaient à la fois professionnels et brouillons, calmes et terrorisés. Ils avaient la mort au trousse et le savaient très bien. Deux d’entre eux empoignèrent Charlotte. Celui devant elle lui releva la tête et s’exclama :
- Mais c’est la princesse Charlotte Elizabeth Diana de Cambridge !
- Quoi ? dit son pote.
- C’est la petite-fille du roi d’Angleterre ! Quoi ? Je suis fan de magazine people anglais, et alors ?
- Il a raison, dit un autre en montrant l’écran de son téléphone portable. C’est bien elle !
- Qu’est-ce qu’elle fout là ?
- Ça ne peut pas être la princesse ! répliqua un autre mec en montrant son propre téléphone. Elle est actuellement en direct à la télévision, regardez !
Derrière le roi d’Angleterre, sur une estrade présidentielle, on pouvait voir Charlotte s’ennuyer, un sourire diplomatique aux lèvres.
- Oh putain ! s’exclama le fan de people. C’est une initiée !
La tête de Charlotte étant plus basse que son corps, le pendentif venait de glisser hors de son débardeur.
- Mais alors, l’autre, c’est ? s’exclama un homme. Contactez le centre ! On a une cible ! Priorité absolue et certitude maximale. Putain ! Dézinguez moi cette princesse. Et toi !
Il arma son pistolet et tira en pleine tête. Le sang de Charlotte gicla un peu partout. Aélya hurla, incrédule. Elle vit, dans un cauchemar ahurissant, l’homme se saisir d’une machette et trancher la main de Charlotte.
- Te voilà libérée de ton boulet, annonça-t-il à Aélya. Viens ! Ne la pleure pas. C’était une salope qui les vénérait. Qu’ils crèvent tous ces fanatiques débiles !
Aélya, choquée, se laissa emmener. Sa robe était maculée du sang de Charlotte. Elle revoyait en boucle le cerveau de sa dame de compagnie repeindre le sol et sa main tomber lourdement sur le sol. On la poussa dans une voiture.
- On va te sauver ! répétait le mec sur le siège passager. Tu ne seras plus jamais chassée.
« Mais je ne veux pas être sauvée ! pensa Aélya. J’étais bien. Je veux retourner aux fermes. Où m’emmènent-ils ? Je veux retrouver Chris. »
On la tira hors de la voiture. L’esprit en vrac, elle ne lutta pas contre ces hommes armés qui la tiraient fermement. Elle monta quelques marches et on la fit s’asseoir.
- Décollage dans deux minutes ! hurla le pilote.
- Grouille-toi putain ! Ils sont sur nos basques ! On est déjà hors délai !
L’appareil grinça puis se mit à rouler. Aélya eut un haut le cœur au décollage. Sur les navettes, un système de compensation gravitationnelle évitait ce genre de problème.
- Comment tu t’appelles ? demanda l’homme assis en face d’elle.
- Aélya, répondit-elle.
- Aélya comment ?
- Aélya, répéta-t-elle.
Elle n’était qu’un animal. Les bêtes ne portent pas de nom de famille.
- Farid ! Viens faire un prélèvement ADN pour identification !
Prélèvement ? Ce mot la fit s’éveiller. Elle repoussa l’homme qui s’approchait, une seringue à la main.
- Je vais juste te prendre un peu de sang pour comparer ton ADN et retrouver ton identité. Notre base de données est complète. On te retrouvera, ne t’inquiète pas.
- Ne me touchez pas ! hurla Aélya.
- C’est juste une goutte !
- Non ! s’écria Aélya en le repoussant de toutes ses forces.
Elle cria et l’homme armé en face d’elle tendit un cheveu à son comparse :
- Tiens ! Utilise ça. Le sang, c’est difficile quand on a été mordu.
Il semblait parler en connaissance de cause. Aélya, vit, terrifiée, Farid disparaître dans la salle voisine.
- Les toilettes ? demanda-t-elle.
L’homme armé fit un geste vague vers le côté opposé. Aélya s’y enferma, consciente qu’au moment où les résultats de l’analyse ADN tomberaient, tout basculerait. Elle se mit à genoux, joignit ses mains et murmura :
- Chris, je vous en prie ! Sauvez-moi ! Sauvez-moi de ces monstres ! Ils ont assassiné Charlotte. Ils l’ont abattue de sang froid, pour l’unique raison qu’elle vous vénérait. Ils l’ont tuée à cause de sa religion. Sauvez-moi ! Sauvez-moi ! Chris ! Je vous en prie !
Comme s’il pouvait apparaître par enchantement, arrêter la course de cet avion par la simple force de sa volonté, forcer ces gens à la laisser tranquille à distance. Elle répéta sa prière avec ferveur. Il n’y avait plus que cela. De l’autre côté de la cloison, elle entendit Farid s’exclamer :
- Oh putain !
- Quoi ?
Des bruits de pas précipités.
- Elle est où ?
- Aux toilettes, pourquoi ?
- Elle n’est pas humaine !
- Quoi ? C’est un Vampire ?
- Non ! Pire ! C’est une de leur création !
- Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
- Cette chose représente un bond technologique de près de deux mille ans en avant. En l’étudiant, nous pourrons guérir le cancer, le SIDA, l’obésité, toutes les maladies au monde. Elle contient une science inimaginable.
Des bruits de pas passèrent près d’elle et continuèrent après.
- Bernard ! Changement de cap. On va à Perle !
L’avion vira de bord.
- Ils ne laisseront pas leur bien leur échapper de cette manière ! Ils ne lâcheront pas l’affaire, prévint Farid. Nous venons de leur voler un bijou précieux. Ils vont venir le chercher. Ils mettront toutes leurs forces dedans.
- On est mort, comprit l’autre.
- Je m’en fous de mourir si mon sacrifice permet de sauver l’humanité, dit Farid. Pour le moment, il faut s’assurer qu’il ne pourront pas nous trouver. Viens m’aider ! Il faut la déloger de là-dedans !
- Pourquoi ? Elle s’est enfermée ! Elle ne risque pas de nous emmerder !
- Et si elle a un mouchard dans ses vêtements ou ses chaussures ? T’y as pensé à ça ?
- Tu vires parano !
- C’est un trésor inestimable ! répéta Farid qui criait maintenant. Ils ont dû la barder d’émetteurs. Il faut les ralentir dans leur poursuite. Quoi que nous fassions, ils nous trouveront. Notre but est juste de les ralentir le plus possible, de leur mettre des bâtons dans les roues. Chaque seconde offerte à nos scientifiques sauvera des millions de vie. Aide-moi à la déloger !
Aélya, en larmes, à genoux, les mains jointes, répétait inlassablement son mantra, comme si prier pouvait la protéger, comme si Chris pouvait l’entendre, tel Zeus au sommet de l’Olympe.
Des coups sur la porte la firent raffermir ses paroles. Ils tentaient clairement de la casser. Elle sentit le souffle de la balle frôlant sa carotide.
- T’es malade ? On ne tire pas dans un avion !
- Aux grands maux les grands remèdes !
La porte s’arracha et quatre bras la saisirent brutalement, retirant ses ballerines, déchirant sa robe.
- Putain ! Les menottes ! s’exclama Farid. Il faut les lui retirer ! T’as une pince ?
- Ce truc résiste aux balles. Merde ! C’est con de devoir s’en débarrasser. Si ça se trouve, on en tirerait des infos aussi !
- Il y a trop de risque qu’ils puissent le suivre.
- Attrape l’autre côté des menottes.
Aélya fut maintenue brutalement au sol, le bras à plat. Elle hurla alors qu’une intense douleur explosait dans son poignet.
- Maintenant, jette ça en dehors de l’appareil !
Farid disparut et le poids sur les épaules d’Aélya disparut. Elle se recroquevilla, le moignon de son bras dégoulinant d’un liquide rouge pâteux. Elle continuait à murmurer sa prière.
Farid revint.
- C’est fait, annonça-t-il. Il faut la fouiller davantage en profondeur.
- Que veux-tu dire ?
- Tu m’as très bien compris. Tiens-la moi !
- Putain, Farid ! Tu déconnes là !
- Tu veux qu’ils nous retrouvent dès maintenant ? Tu sais ce que je ferais à leur place ? Je ferais exploser l’avion ! Un missile et paf, c’est fini ! Si tu crois que la tuer les gêne, tu te goures. Ce qu’ils ne veulent pas, c’est qu’on étudie leur création. Qu’elle soit détruite ne les dérange pas.
Les hommes la saisirent et la violèrent de leurs doigts, la fouillant brutalement. Aélya ne cria pas. Elle priait sans relâche.
- C’est bon. Elle est clean. Qu’est-ce qu’elle dit ? demanda Farid.
- Elle appelle un dénommé Chris à l’aide.
- Ça doit être l’un d’eux, supposa Farid.
- Putain ! J’aime pas ça ! C’est mal !
- Cette chose n’est pas humaine.
Aélya fondit en larmes. Que les Vampires se permettent de la rabaisser, elle le comprenait, mais eux ? Même l’humanité ne lui reconnaissait aucun droit.
- Atterrissage dans deux minutes. Tenez-vous ! Ça va remuer ! annonça le pilote depuis le cockpit.
- Ben c’est pas trop tôt ! s’exclama Farid en se tenant à ce qu’il pouvait.
- C’est mal. Elle prie, putain de merde. Elle prie.
- Arrête de la prendre en pitié ! On va tous mourir de toute façon ! Nous comme elle. Le seul objectif, maintenant, est de faire en sorte que notre sacrifice soit utile. Aide-moi à la faire sortir !
Dehors, il pleuvait à verses. Comment le pilote avait-il pu atterrir convenablement dans de telles conditions météorologiques ?
- C’est quoi ça ? s’exclama un homme en blouse blanche en voyant arriver Aélya, nue, ensanglantée, hagarde, entourée de deux hommes qui la traînait.
- C’est le plus gros jackpot du monde mon gars ! Tu vas être célèbre ! Mort, mais célèbre !
Aélya fut couchée sans ménagement sur une table chirurgicale. Elle ne se débattit pas. Elle priait. Ils l’attachèrent.
- Fais ton truc, doc. Dès que t’as quelque chose, n’importe quoi, on transmets sur toutes les ondes, dans toutes les directions, sans discrimination.
- Ils retrouveront la source du signal ! s’étrangla le médecin.
- On sait, dit Farid. Prépare ta dose de poison, doc ! C’est le grand jour !
Le médecin se saisit d’une aiguille et d’un flacon.
- Pas le temps pour l’anesthésie ! s’exclama Farid. Ils seront sur nous d’un instant à l’autre ! Chaque seconde compte !
Le doc posa sa seringue et attrapa un autre instrument.
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- Putain, Farid ! C’est de la torture ! trembla-t-il tout en tenant Aélya pour l’empêcher de bouger alors qu’elle hurlait à plein poumons.
- Cette chose va sauver l’humanité alors ferme ta gueule !
- Je suis désolé, Aélya, murmura-t-il à son oreille. Je suis tellement désolé. Je vais pourrir en enfer pour ça.
Aélya l’entendit prier en arabe. Son Dieu à lui le sauverait-il plus que celui d’Aélya ? Les hurlements d’Aélya retentirent longuement dans la salle d’opération.
- Doc ! Tu fais quoi ? s’exclama Farid.
- Je suis épuisé. Cela fait dix heures de suite que je l’étudie. Je n’en peux plus. Il faut faire une pause.
- C’est hors de question ! hurla Farid. T’as déjà fait des gardes plus longues que ça ! Tu gardes tes miches ici !
- Les conditions ne sont pas…
Farid sortit son flingue et le pointa sur le doc.
- Fais ton travail où je t’explose la cervelle ici et maintenant !
Aélya hurla alors qu’il lui ouvrait le ventre sans remords. L’autre gars priait toujours, écho aux murmures d’Aélya.
- N’importe qui subissant cela serait mort depuis longtemps, par arrêt cardiaque ou manque de sang, dit le docteur en secouant ses mains trempées de rouge. Elle vit toujours. C’est ahurissant. Son corps est parfait. Elle pourrait subir une explosion nucléaire et s’en sortir.
- Transmets ce que tu peux. Transmets tout !
Une alarme retentit soudain.
- Ils sont là ! dit le doc avant de prendre une seringue et de se l’injecter précipitamment.
Il s’effondra.
- Merde ! s’exclama Farid avant d’appuyer frénétiquement sur un ordinateur.
- Ça ne sert à rien ! dit l’autre. S’ils sont là, ils brouillent nos émissions. Tue-moi, s’il te plaît !
Farid leva son arme, explosa la tête de son compagnon avant de mettre le canon de son pistolet dans la bouche et de tirer. Un jeune homme blond aux yeux bleus portant un sourire doux et suave s’approcha d’Aélya. Il lui sourit puis dit :
- Mon credo ? La destruction.
Il lui injecta un produit dans le cou puis injecta un autre flacon dans sa propre gorge. Il tomba au sol, le sourire sur les lèvres.
- Aélya !
- Chris ! murmura-t-elle péniblement en réponse.
- Par les ancêtres ! Que t’ont-ils fait ? C’est une véritable boucherie ! Contacte Baptiste ! Elle a besoin de soins d’urgence. Je la ramène dans les laboratoires.
Elle se sentit soulevée et emmenée. Quelques gouttes d’eau tombèrent sur son front puis elle reconnut le froid blanc d’une navette. Les lattes du plafond défilaient. La douleur la maintenait en vie. Elle aurait incapable d’en définir la provenance : partout. Elle n’était plus que cela : souffrance.
- Putain ! Elle est dans un sale état ! gronda Baptiste. Ils ont arraché un morceau de sa colonne vertébrale. Elle n’a plus de foie, ni de rate, ni d’ovaire. On lui a pris quatre dents et transpercé l’œil droit. Quant à sa main, n’en parlons pas. Je ne suis pas magicien ! Une main, ça ne repousse pas !
- Fais au mieux, demanda Chris. Peux-tu la soulager ? Elle semble souffrir atrocement !
- On lui a retiré des organes et sa colonne vertébrale à vif ! Bien sûr qu’elle souffre ! Rien ne pourra la soulager !
- Peux-tu la sauver ? murmura Chris d’une voix tremblante.
Aélya sentit la main du roi prendre la sienne. Baptiste avait-il répondu par geste ? Aélya serra la main de son amour dans la sienne et il répondit tendrement. Plus rien d’autre ne compta que ce contact. Il était venu. Il l’avait sortie des griffes de ces monstres.
- Baptiste ! s’exclama un homme en entrant en trombe dans la pièce. Le bétail… Il est en train de mourir.
- Comment ça ?
- Ils tombent tous, les uns après les autres. Ils suffoquent, leurs yeux s’injectent de sang puis ils meurent, le tout en moins de cinq minutes. C’est une hécatombe !
- C’est une arme biologique ! siffla Baptiste en désignant Aélya.
- Ils l’ont contaminée ? s’exclama Chris en serrant sa main plus fort.
« Mon credo ? La destruction. » avait dit le jeune homme blond avant de lui injecter un produit. Dans un dernier élan et alors que tout était perdu, ils avaient tiré leur dernière cartouche. Elle venait de faire mouche. Ils étaient morts mais dans leur sillage, ils venaient d’emporter toutes les bêtes des Vampires.
Aélya ne comprenait pas. Pourquoi exterminer le bétail ? Grâce à eux, les Vampires ne se nourrissaient plus des terriens. Les chasseurs de Vampires auraient dû être contents au contraire. À moins qu’ils ne souhaitent que les Vampires reviennent en force pour obliger les dirigeants du monde à réagir, à s’armer, à contre-attaquer. Ils voulaient que les Vampires réagissent, rompant ainsi leur invisibilité. Ils s’attendaient à une contre offensive et s’en réjouissaient. Ils venaient de larguer une bombe, espérant qu’il s’agirait de la première pierre d’une guerre mondiale.
Ces humains venaient de rencontrer une autre espèce et leur première réaction avait été de l’annihiler. Ils venaient de réaliser un génocide sur une population dont le seul tort était d’appartenir au camp adversaire.
Aélya ressentit plus que jamais sa nature d’animal. Les humains venaient de détruire les réserves nutritionnelles de leur ennemi afin de les affaiblir, physiquement et psychologiquement. Les Vampires s’étaient crus hors de portée pendant des millénaires dans leur palais lointain. Les humains venaient de prouver leur capacité à les atteindre malgré tout. L’impact serait énorme. Les chasseurs de Vampires venaient sans aucun doute de remporter une sacrée victoire.
- C’est ma faute, lança Chris.
Dans la salle d’opération, le silence total se fit.
- Ils ont utilisé ma plus grande faiblesse. Face à cette chose même pas humaine, j’ai craqué. Je n’ai pas pu résister à ses supplications muettes et je l’ai emmenée avec moi, sur Terre. Rien ne serait arrivé si je l’avais laissée ici, à sa place, dans les fermes.
Aélya en aurait pleuré, si ses yeux en étaient encore capables. Il lui caressait tendrement la main tout en disant ces horreurs. Il s’en voulait des sentiments qu’il ressentait pour elle. Il les accusait d’être responsables de tout ça. Elle serra plus fort sa main et il répondit tendrement à la pression.
- Nous avons assez de sang en stock pour tenir cinq ans, annonça une femme.
- La prochaine génération verra son vieillissement accéléré. Nous pourrons commencer les prélèvements dans cinq ans, assura Baptiste. Nous tiendrons. Dracula devra se rationner un peu, c’est tout.
- Plus jamais ça, gronda Chris. Baptiste, cette prochaine génération, tu la fais bleue, verte, mauve ou orange, avec des cornes, des ailes ou une queue, je m’en fous, mais elle ne devra pas ressembler à des humains. Je les aime trop. Ils sont ma faiblesse.
- Nous travaillerons cela ensemble, mon frère, car tes goûts évoluent. Entre un homo erectus et l’homme moderne, la morphologie a beaucoup changé sans que cela te dérange. Tu t’habitues vite.
- Alors je ne devrai jamais entrer dans les fermes… jamais.
- Dracula fait régulièrement sortir sa nourriture des fermes pour s’en nourrir au palais. Le but est d’offrir un animal à chacun, à terme. Leurs propriétaires pourront en user à volonté.
- Ils sortiront, comprit Chris. Je vais devoir fermer mon cœur.
Aélya vit une larme couler sur le visage du roi. Ce fut la chose la plus horrible au monde aux yeux de la mourante sur la table d’opération.
- Nous scinderons les fermes. Au lieu d’un grand complexe, nous en ferons plusieurs petits, annonça Baptiste. Ainsi, une maladie ne se répandra pas. Les conditions sanitaires seront drastiques. Tout elfe sortant ne rentrera plus.
- Elfe ? répéta Chris.
- Peau bleue, yeux violets, oreilles pointues. Les laboratoires ont validé ces traits là et le nom – à cause des oreilles pointues. Nous ne pourrons pas faire mieux. Si on s’éloigne trop de l’espèce humaine, le sang perd ses qualités. Nous avons essayé d’en synthétiser ou d’utiliser des animaux – singes, vaches, chevaux. En vain. Il faut que ça soit des êtres humains.
- Aélya n’est pas humaine. Elle a vingt-sept paires de chromosomes, répliqua Chris.
- Et son sang est délicieux. Nous même ne comprenons pas encore tout, admit Baptiste.
Chris hocha la tête.
- En faire des êtres différents physiquement des humains est une bonne idée. Cela évitera que les humains tentent de les « sauver » s’ils découvrent leur existence, mais également que leurs propriétaires se baladent dans la rue avec, risquant une exposition involontaire.
- Les elfes ne devront jamais aller sur Terre, annonça Chris.
Baptiste leva les yeux sur son frère.
- Tu souhaites en faire une loi ? demanda-t-il, incertain.
- Non, ça rentre déjà dans le cadre de la troisième loi de sécurité, que je viens de briser moi-même, admit Chris.
- On fait tous des erreurs, mon frère. Ce n’était pas volontaire de ta part. Tu fais tout pour réparer tes torts et tu fais en sorte que cela ne se reproduise pas. Tu mérites ton propre pardon.
- Cela prendra du temps, annonça Chris.
- On met toujours beaucoup de temps à se pardonner à soi-même, le rassura Baptiste.
- Mon frère ?
- Oui, Chris ?
- Tu veux bien faire quelque chose pour moi ?
- Bien sûr !
- Tue-la.
Aélya vit Baptiste prendre un injecteur et y placer un flacon tandis que Chris caressait toujours la main de sa nourriture. Le visage du roi se couvrit de larmes. La seringue transperça la peau du cou et le liquide se répandit. Toute douleur disparut.