Chapitre 53 - Le Prêtre de l'Aube

Notes de l’auteur : Hello, hello !
Je suis un peu moins présente ces derniers temps, je travaille sur un autre projet qui me prends pas mal de temps et qui parle SF et musique, mais je n'oublie pas Némésis ! (D'ailleurs, on approche de la fin de la première partie)
Je serais également en vacance la semaine prochaine donc il y aurait peut-être un peu d'attente pour le prochain chapitre !
A bientôt =D

Quelque part dans le somptueux palais de Sectra, la capitale où s’établissaient les Rois des Piques, un homme se tenait immobile, la tête plongée dans une bassine d’eau glaciale. De petites bulles d’air s’élevaient régulièrement de sa bouche et de son nez jusqu’à en crever silencieusement la surface. Depuis plusieurs minutes, il luttait contre l’envie de s’extraire du bienfaisant liquide pour reprendre son souffle. Un spasme le parcourut, puis le Prêtre de l’Aube agrippa plus fort les bords de la bassine et extirpa violemment son visage de l’eau. Il inspira bruyamment, tentant de reprendre son souffle avec difficulté.

À certains endroits, il pouvait sentir l’eau ruisseler sur sa peau, et à d’autres, la sensation disparaissait complètement. C’était une impression étrange à laquelle il ne s’était toujours pas habitué, comme si une partie entière de son visage n’existait plus. En un sens, c’était le cas, il ne ressemblerait plus jamais à celui qu’il avait été autrefois. Il leva lentement une main pour toucher le nouveau relief de sa joue, puis se regarda dans le miroir face à lui.

La peau était encore tendre et rose à l’endroit où le roi l’avait brûlé, mais il pouvait s’estimer heureux de ne pas avoir perdu son œil. Son front, son arcade sourcilière et la partie supérieure de sa joue étaient bien différents de ce que la nature lui avait offert. À présent, la peau donnait l’air d’avoir fondu pour se solidifier dans une autre forme, laissant parfois des crevasses ou des boursouflures qui n’auraient pas dû être là.

Le Prêtre de l’Aube grimaça. Déjà, la légère sensation de brûlure revenait, comme si un feu invisible dormait sous sa peau. Comme si l’Affinité du Roi de Piques continuait à crépiter à l’intérieur de sa chair. Il tendit le cou sur le côté et écarta délicatement son col. La pression sur sa gorge avait elle aussi laissé des marques, mais bien moins profonde.

Il attrapa le tissu propre posé près de la bassine et entreprit de se tamponner doucement le visage pour y chasser les dernières gouttes d’eau. Bientôt, il serait en mesure de se servir de son insignifiante maîtrise de l’Affinité pour tenter de réduire légèrement les cicatrices, mais pour l’heure, il devrait se contenter de cette apparence. Un semblant de rire s’échappa de ses lèvres, si cela continuait ainsi, il ne tarderait plus à perdre les derniers espaces de son corps dénués de cicatrices.

Une grimace déforma son visage lorsque le tissu glissa sur sa peau abîmée. Malgré tout, il était suffisamment chanceux pour être encore en vie, même si cela n’avait tenu qu’à un fil. En silence, il ferma les yeux et remercia les Divinités de veiller sur lui.

Trois coups retentirent à la porte de la salle d’eau et le sortirent de sa rêverie. Le Prêtre de l’Aube regarda l’onguent dans sa main, la seule chose qui permettait d’atténuer la douleur de son visage, hésita et le reposa. Ses assistants avaient pour ordre de ne le déranger sous aucun prétexte, sauf pour deux conditions. Il espérait que ce ne soit pas une convocation du roi, mais le rendez-vous qu’il attendait avec tant d’impatience depuis son arrivée.

Il quitta la pièce et pénétra dans le salon. C’était une salle de belle taille aux grandes et étroites fenêtres, aux meubles élégants et raffinés, le tout faisant partie d’un grand appartement que le roi lui avait assigné. Au vu de la pièce richement décorée, il aurait pu penser qu’il était considéré comme un invité de marque si leur entretien avait été quelque peu différent. Mais le Prêtre de l’Aube n’était pas dupe, ce n’était qu’une prison dorée.

Du coin de l’œil, il remarqua ses trois assistants qui attendaient patiemment dans le salon, prêts à exécuter le moindre de ses ordres sans discuter. Il fit signe à l’un d’eux de servir à boire, puis se dirigea vers la jeune femme qui lui tournait le dos, occupée à regarder à travers l’une des grandes fenêtres de la pièce. Comme à son habitude, la princesse était vêtue de noir. Elle portait une longue robe qui moulait son corps à la perfection et dont la dentelle fine truffée de petites pierres précieuses habillait élégamment son buste et son cou. Ses épaules pâles étaient nues, mais de longs gants couvraient une partie de ses bras, rehaussés çà et là par quelques bagues et bracelets à l’orfèvrerie délicate. Ses longs cheveux noirs étaient rassemblés en une coiffure structurée pour dégager sa nuque. Elle avait la nonchalance et la grâce d’une reine.

À son approche, Seknä se retourna et lui offrit son sourire le plus charmeur, interrompu seulement une fraction de seconde par la surprise qu’elle eut en découvrant le visage du prêtre.

— Mon pauvre prêtre, le roi ne vous a pas raté. Vous êtes totalement défiguré.

Elle grimaça d’une manière qui lui était propre, sans perdre un seul instant l’éclat de sa beauté.

— Ma Dame, la salua-t-il en s’inclinant. Je suis ravi de vous voir, vous me comblez de votre présence.

Seknä le fixa un instant et hocha la tête, satisfaite. Sans attendre qu’il ne se redresse, elle traversa le salon d’un pas gracieux et léger, puis s’installa délicatement dans l’un des fauteuils. Ces derniers étaient rassemblés au centre de la pièce, entre deux canapés de velours pourpre. Le Prêtre de l’Aube lui emboîta le pas et choisit une place face à elle. L’un de ses assistants leur proposa les verres qu’il venait de préparer, s’inclina et rejoignit l’extrémité de la pièce pour y attendre de nouvelles instructions. Seknä observa longuement la couleur rubis qui tournoyait entre ses doigts, emprisonnée entre les parois de verre, avant de porter le liquide à ses lèvres.

— D’après ce que l’on raconte, votre entretien avec Sa Majesté a été un réel désastre, souffla-t-elle.

Sa voix ne trahissait pas une once d’émotion. Elle le regardait attentivement, guettant la manière dont il allait réagir à sa remarque.

— Tout ne s’est pas passé comme prévu, en effet.

— C’est fâcheux.

Le Prêtre de l’Aube resta silencieux. Il sentait le regard de Seknä braqué sur ses brûlures, comme si elle y cherchait quelque chose ou qu’elle tentait d’en mémoriser le moindre contour. C’était la marque de son échec. Au bout d’un moment, elle détourna enfin les yeux, but une longue gorgée de vin et un étrange sourire éclaira ses traits.

— Cela dit, il vous aime bien.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? demanda le prêtre, peu convaincu.

La jeune femme rejeta la tête en arrière et un court rire cristallin s’échappa de ses lèvres.

— C’est simple, vous êtes en vie. Tâchez donc de ne plus tomber en disgrâce.

Le Prêtre de l’Aube déglutit bruyamment et inclina la tête.

— Je ferais mon possible, ma Dame.

— Bien. Avant toute chose, dites-moi, quelles sont les dernières nouvelles de Lignis ? Votre présence ici ne tient certainement pas au hasard.

— Le Duc Erkhän brûlait de vous rejoindre à la capitale. J’ai jugé bon de l’en dissuader.

Un étrange sourire étira les traits de la princesse.

— Voilà donc la raison de votre venue. Il est intelligent, mais il n’a jamais su faire preuve de patience.

Il acquiesça doucement, c’était le moins qu’on puisse dire et c’était justement l’une des grandes sources d’inquiétude du prêtre.

— Oui. Malheureusement comme vous pouvez le voir le roi ne m’accorde pas la possibilité de me déplacer à loisir. J’ai peur que sans nouvelles d’aucun de nous, le Duc décide de prendre les choses en main. J’espérais donc votre visite imminente.

— En effet, c’est un problème, lui accorda Seknä, la mine légèrement contrariée. Pour l’instant, il vaut mieux qu’il demeure à l’écart. Quand lui avez-vous transmis des nouvelles pour la dernière fois ?

L’unique sourcil du Prêtre de l’Aube se fronça par réflexe et se transforma aussitôt en une grimace de douleur.

— Il y a de nombreuses semaines, lors de mon arrivée.

Une ombre passa sur le visage de la princesse. Seknä soupira et se massa les tempes, certainement soucieuse des réactions imprévisibles que pouvait parfois avoir le Duc.

— C’est un miracle qu’il ne soit pas encore là, dit-elle d’un air préoccupé. Rassurez-vous, je vais faire ce qu’il faut pour qu’il reste dans sa cité. Bien, maintenant que cette question est réglée, parlons de la suite de nos projets. Je sors d’une entrevue avec notre cher roi et il sait que je suis ici. Je lui ai dit que je souhaitais vous rencontrer afin de me faire une idée sur vous et sur votre église.

— Et que lui direz-vous ?

— La vérité. Que j’ai été séduite par votre discours et que j’aime la façon dont vous nous vénérez, nous les élus. Que j’admire votre résolution à vouloir servir notre roi malgré les blessures qu’il vous a infligées, et croyez-moi, il n’y sera pas insensible.

Le Prêtre de l’Aube acquiesça doucement, oui c’était sans doute la meilleure chose à faire, et de toute façon, mieux valait ne pas tenter de mentir au roi. Mais réagirait-il vraiment comme elle le disait ?

— Je l’espère, répondit-il.

— Je vous l’assure. D’ailleurs, vous ne tarderez pas à être convoqué. Vous l’intéressez, n’en doutez pas, mais méfiez-vous si vous abordez le sujet de ses fils, le roi est parfois très susceptible. Laissez-moi donc me charger de ça.

Le Prêtre de l’Aube hocha la tête en signe d’assentiment. En effet, mieux valait ne pas revenir sur le sujet. S’il voulait réussir la mission qui lui avait été confiée, la première étape était de rester en vie. Seknä but une autre longue gorgée de son vin et le leva pour signifier qu’il était presque vide, aussitôt l’un de ses assistants se précipita pour le rafraîchir. Le prêtre profita de ce court silence pour poser une question qui le taraudait depuis l’arrivée de la jeune femme.

— Ma Dame, confessa-t-il, je suis chanceux d’avoir un allié de votre envergure au palais, mais pour quelle raison n’êtes-vous pas retournez dans votre cité ?

Voilà, c’était dit. Il savait que la famille de la princesse vivait isolée dans la cité de Redgem, sur les hauteurs des Cimes Éternelles. Plus ou moins bannis de la capitale depuis un peu plus de dix ans, la famille maternelle de la défunte reine Pällas s’était vue interdite l’accès à la capitale par le roi Ëkhyr après la mort de celle-ci. Seknä n’y était revenue que récemment, quelque temps avant d’être fiancée au défunt prince Ka’ÿr. Le Prêtre de l’Aube n’avait aucune idée de comment elle était parvenue à entrer dans les bonnes grâces du roi, mais il était impressionné par l’ambition et les talents de persuasion de la princesse, malgré son jeune âge. Il savait cependant aussi que le temps lui manquait. Pour l’instant, elle était au sommet de son art et de sa beauté, mais elle se rapprochait dangereusement de la moitié de la vingtaine, qui était déjà un âge avancé pour une femme non mariée. Si elle perdait trop de temps, elle devrait se contenter d’un mariage avec un noble moyen, ou pire, de retourner à Redgem. Seknä était un joyau bien trop précieux pour le laisser se ternir de la sorte.

— Voyez-vous, répondit la princesse en le regardant droit dans les yeux, comme je m’y attendais le roi envisage de me fiancer au nouveau prince. Mais ce n’est pas la seule raison qui fait que le roi tolère encore ma présence ici. Disons que je sais me rendre indispensable. Bien évidemment, je n’ai pas encore donné ma réponse pour ce nouvel arrangement, je suis encore trop bouleversée par la mort de mon ex-fiancé, le défunt prince héritier.

Un immense sourire carnassier déforma la beauté des traits de Seknä.

— Vous avez donc la possibilité de devenir reine sans le Duc Erkhän, murmura le prêtre.

Il n’avait pas pu s’empêcher de penser à voix haute. C’était elle qui l’avait recruté, ils partageaient les mêmes avis au sujet des élus et des impurs et il rêvait de l’aider à gagner en pouvoir. Elle lui avait fait rencontrer Erkhän et il avait été émerveillé par son Affinité et par son aura, il devait monter sur le trône. Mais le Vicomte de Vornatus et la princesse Seknä ? Il grimaça devant le dégoût que lui inspirait une telle chose.

— Soyez sérieux, voulez-vous, trancha la voix glaciale de la jeune femme. Avez-vous déjà rencontré le Vicomte de Vornatus ? C’est un avorton arrogant sans la moindre once d’intelligence, et cruel avec ça. Le roi ne lui permettra jamais de devenir prince héritier et je ne pourrais donc jamais vraiment être reine. De plus, insinueriez-vous que je pourrais me satisfaire d’un homme sans aucune Affinité ?

Elle avait craché ses derniers mots comme si cette seule pensée était la pire des abominations. Le Prêtre de l’Aube se voûta sous le poids de son regard, coupable d’avoir eu une telle pensée, mais soulagé que cette possibilité la révulse.

— Bien sûr que non, ma Dame. Un diamant tel que vous mérite un partenaire à sa hauteur.

— Je le sais bien, opina Seknä en chassant sa remarque d’un geste. Vous avez le même avis que moi là-dessus.

Le prêtre redressa doucement la tête.

— Que comptez-vous dire au roi ?

— Je vais refuser sa proposition. Je lui dirais que le Vicomte n’arrive pas à la cheville de mon fiancé défunt et que j’ai été touché par vos propos. Que j’aimerais me lier à un affilié pour que je puisse donner naissance à des enfants aux pouvoirs prodigieux qui ne vivront que pour servir Sa Majesté en souvenir de son fils. Peut-être même que je lui dirais que je regrette de ne pas avoir eu le temps de lui donner un descendant élu de la Divinité de la Flamme.

Un éclat brilla dans le regard du prêtre.

— Ainsi, il pensera avoir plus d’importance pour vous que le trône. C’est astucieux.

— Et l’idée de me lier à son autre fils finira par s’imposer à son esprit, poursuivit Seknä. Cependant, il faudra encore le convaincre de le désigner héritier du royaume.

C’était là qu’il était censé intervenir. Il devait aider la princesse à convaincre le roi de l’intérêt que représentait le Duc Erkhän pour le royaume. Mais la princesse oubliait quelque chose d’essentiel.

— Vous oubliez que le roi à une nouvelle femme et qu’elle est encore fertile.

Seknä leva le menton avec arrogance et tourna son regard vers les grandes fenêtres, fuyant les yeux de l’homme d’Église.

— Oui, nous devrons surveiller ça de près.

Il insista.

— Cela dépendra avant tout de la volonté des Divinités. Nous ne pourrons pas toucher à des élus, souligna-t-il.

Le Prêtre de l’Aube avait beau vouloir faire du Duc de Lignis un roi, il tenait à rappeler à la jeune femme que certaines choses ne pouvaient être remises en question.

— Pour l’instant, ne vous inquiétez pas de cela, s’exaspéra la princesse. Votre priorité est de vous faire accepter par le roi, sinon vous ne pourrez jamais le convaincre que le Duc Erkhän est une bien meilleure option pour l’avenir du royaume. Ensuite, il ne nous restera qu’à provoquer la chute du Vicomte.

— Vous pouvez compter sur moi, ma Dame. Je ne laisserais pas un insecte aussi insignifiant se mettre en travers de notre route.

— Bien. J’ai encore beaucoup de choses à régler avant de faire route pour Lignis. À mon retour, je veux que vous soyez dans les bonnes grâces de Sa Majesté.

Il la regarda se lever avec la grâce innée d’une reine et ses yeux reflétèrent toute l’adoration que la jeune femme lui inspirait. Seknä le remarqua sans doute, car son sourire s’élargit et étincela sur sa peau pâle. Qu’il serait doux de vivre dans un royaume où cette église prospérerait et où les élus seraient considérés comme des dieux, lui avait-elle confié un jour. C’était l’une des nombreuses choses pour laquelle il la vénérait. Mais ce qu’ignorait le Prêtre de l’Aube, c’était que pour un tel monde, Seknä était prête à tout, et elle ne laisserait certainement par un nourrisson de sang royal la priver de ses rêves, qu’il soit un élu ou non.

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