Chapitre 54 : Rhazek

Par Talharr

Rhazek :

Lordal. C’est donc ici que tu te caches, mère.

La cité dressait ses murs sombres contre la montagne dont on avait extrait les pierres de Vaelan. Des étendards frappés d’un ours dressé sur un pic flottaient tout le long des murailles.
Devant les portes, une foule de soldats en armure bleue et rouge. Au moins l’ennemi sera reconnaissable, songea Rhazek avec un sourire.

Assis sur son fidèle Kelrim, il haranguait ses troupes. Il y prenait goût. Pourtant, peu d’entre eux reprirent son cri. Il ne pouvait les blâmer : Malkar avait pris le contrôle de son corps, imposant des décisions douteuses. Rhazek faisait comme si rien ne s’était passé. Il en voulait au dieu, mais il avait aussi goûté à une puissance qu’il n’aurait jamais imaginée. La guerre était là, et il voulait la remporter. Pour que Drazyl redevienne un royaume puissant. Pour devenir celui qui unirait les peuples.

Mais il n’oubliait pas son autre mission : tuer sa mère et son amant. Elira les avait trahis. Elle devait être punie. Mère, tu vas rejoindre ton bâtard de fils !

Le face-à-face entre les deux armées s’éternisa. Les nuages roulaient au-dessus d’eux, lourds de menace. Chaque éclair résonnait comme une explosion contre les tympans enfermés sous les casques.

    — Un Choriste, environ quinze mille hommes. La victoire ne devrait pas nous échapper, dit Mirla.

    — Devrait ? Tu n’en es pas sûr ? répliqua Rhazek en le foudroyant du regard.

    — Pardon… Je me suis mal exprimé. Nous allons l’emporter, c’est une certitude.

    — On ne peut jamais en être certain. Une bataille se gagne sur le courage, la détermination, la stratégie.

Du côté de Drazyl il y avait des guerriers aguerris, mais aussi des vieillards et des enfants. Sur ce point, Vaelan avait l’avantage. Rhazek avait aussi des créatures, des Zarktys, des Dralkhar, des Crazstyr et des catapultes. Et, face à eux, ce Choriste : un risque majeur.

Il inspira profondément. Ses pensées stratégiques lui revenaient. La précédente bataille avait été une folie : foncer tête baissée. La pire des erreurs.

La pluie commença à tomber, fine, puis plus lourde. Le jour faiblissait, avalé par les nuages. Les éclairs illuminaient les armures ruisselantes.

    — Erzic ! appela Rhazek.

Le mage s’approcha, le regard toujours aussi défiant.

    — L’ennemi n’est pas nombreux. Nous frapperons leur flanc gauche. Pendant que mes guerriers tiendront cette ligne, toi et les tiens détruirez le Choriste. Il causera trop de pertes s’il n’est pas neutralisé.

Erzic réfléchit un instant.

    — Je suis d’accord.

    — Avez-vous suffisamment de magie pour masquer vos troupes ?

Le mage hocha la tête.

    — Je t’enverrai un signal. Ne frappe pas trop tôt.

    — J’attendrai. Mais ne tarde pas, le puits de magie est faible sur ces terres.

Rhazek retourna vers ses rangs. Sa voix éclata au-dessus du tonnerre :  

    — La terre tremblera aujourd’hui ! Nous sommes de Drazyl ! Nous ne craignons ni bataille ni homme ! Écoutez le tonnerre gronder ! Que nos épées s’abreuvent de leur sang !

Les doutes s’effacèrent aussitôt. Les boucliers tintèrent, un rugissement parcourut les rangs.
En face, le silence. L’armée adverse se tenait figée, laissant le tonnerre répondre à leur place.

Rhazek se plaça en première ligne, épée levée. Mirla à ses côtés. Dans les rangs, les vieillards tremblaient, les enfants serraient leurs armes, les guerriers eux-mêmes avaient peur. Odeur familière : celle de la bataille. Dans quelques instants, la peur céderait à l’instinct de survie.

La pluie s’intensifia, faisant teinter les casques. Quelques points lumineux apparurent dans les rangs ennemis. La lumière contre les ténèbres. Mais nous sommes la lumière.

    — Nous sommes arrivés aux portes de notre liberté ! s’écria Rhazek. Nous allons enfin reprendre la place qui nous revient ! Malkar combattra avec nous ! En avant, guerriers de Drazyl ! Que vos boucliers vous protégent !

Son Kelrim bondit vers l’ennemi. Les cris de guerre jaillirent derrière lui. Une volée de flèches faucha les moins chanceux.

Le plan semblait fonctionner : presque toute l’armée de Vaelan s’était massée face à eux. Des lanciers attendaient, prêts à encaisser le choc des Crazstyr.
Les monstres rugissaient, impatients de déchiqueter, de broyer, de dévorer.

Nouvelle pluie de flèches. Des cris d’agonie.

Encore quelques mètres. Rhazek n’entendait plus que le martèlement de son Kelrim.

Il donna un petit coup à son destrier pour qu’il ralentisse légèrement, laissant passer un demi-millier de Crazstyr.

Il ralentit d’un coup de genou, laissant les Crazstyr déferler. L’effroi se peignit sur les visages ennemis quand les bêtes se jetèrent sur eux, brisant les rangs, dévorant les chairs.

Rhazek entra lui aussi dans la mêlée. Chaque coup d’épée résonnait dans ses oreilles, porté par le grondement du tonnerre.
Puis le chant s’éleva : le Choriste. Chaque note frappait comme une arme invisible. Mais il était trop tôt pour donner le signal à Erzic.

Sur les murailles, des silhouettes se découpaient. Lordal n’avait pas encore révélé toutes ses forces.

La bataille dura des heures. Le sang se mêlait à la pluie. Rhazek fut blessé deux fois, légèrement, mais il continua à frapper, implacable. Le chant du Choriste fauchait les vies, les catapultes de Drazyl répondaient par des pluies de feu aussitôt étouffées par l’averse. Les Crazstyr tombaient par dizaines. Les enfants, les vieillards, tous se battaient, désespérés, pour prolonger leur souffle d’un instant.

La folie humaine, soufflée par les dieux, songea Rhazek.

Enfin, l’armée de Vaelan s’étiola. Le Choriste, isolé, continuait son chant funèbre. Rhazek leva son bras.
Le signal.

Il était temps de mettre fin à cette musique de mort.

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