Je sors d’une nouvelle réunion. Cela n’arrête pas depuis l’attaque. Bien que la lueur du jour commence à décliner, ma journée est loin d’être finie. Je suis à bout et ce n’est pas cette atroce migraine qui me lacère le cerveau depuis ce matin qui va arranger mon état. En passant devant mon casier, je jette un coup d’œil à l’intérieur. Une feuille a été glissée dedans. Je la parcours rapidement avant de la fourrer dans une poche de mon pantalon. Il faudra que je prévienne Tellin que nous pouvons désormais interroger les rescapés. Après un instant d’hésitation, je décide que je lui dirais plus tard. Je n’ai aucune envie de me rendre à l’hôpital maintenant. On peut bien attendre demain. Laissons-leur encore un moment de répit même si je brule de savoir ce qui s’est réellement passé. Je me masse les tempes. Décidément, ma migraine ne s’arrange pas. J’avais promis à Liam de revenir chercher Isis après la réunion, mais il faut que je me repose un peu. Je tourne les talons et quitte le QG pour me rendre dans ma chambre. J’ai besoin de calme. Une sieste me fera du bien. C’est rare que je réclame du repos à ce point. Lorsque je suis arrivée dans ma chambre, je lâche mes cheveux et me déchausse. Inutile de me changer, je repars directement après. Je règle mon réveil pour qu’il me lève dans une demi-heure. Avant de dormir, je prends une aspirine. Je me couche, mais ne ferme pas les yeux immédiatement. Je fixe le plafond. La douleur dans ma tête s’atténue quelque peu, mais reste présente. Je roule sur mon épaule et me replie sur moi-même. La tension qui m’oppresse depuis ces derniers jours se relâche légèrement. J’ai à peine clos mes paupières que je m’assoupis.
Je reviens à moi brutalement. On frappe à ma porte. Je jette un regard à mon horloge et retiens un grognement. Je n’ai dormi que dix minutes. Mon mal de crâne est encore plus violent qu’avant. Je me lève péniblement. On tambourine toujours à ma porte. Chaque coup porté résonne douloureusement dans ma tête. D’énervement, j’ouvre d’un coup sec. L’étonnement fait disparaitre instantanément mon agacement, mais l’inquiétude arrive tout de suite après.
- Qu’est-ce que tu fous là, Hans ?
Sans rien répondre, il se précipite à l’intérieur pour me serrer contre lui. Il claque la porte avec son pied sans relâcher son étreinte. Je peux entendre son cœur qui cogne irrégulièrement dans sa poitrine. Il ne dit toujours rien. Son front est pressé contre mon épaule. Mes bras pendent le long de mon corps. Je suis trop perturbée pour réagir. Pourquoi est-il là ? Il s’écarte un peu, mais reste proche. J’ouvre la bouche pour parler. Il m’empêche en m’embrassant. Je le laisse faire. Je suis heureuse de pouvoir être avec lui, mais une inquiétude me tord l’estomac. La question tourne en boucle dans mon esprit. Pourquoi est-il là ? Je recule légèrement.
- Pourquoi Hans ? C’est dangereux.
J’ignore pourquoi son silence me terrifie. Je souhaite entendre sa voix. Il affiche un certain embarras. Je m’agrippe à sa veste.
- Pourquoi ? m’exclamé-je plus fort.
Il resserre à nouveau ses bras autour de moi. Je tente de me dégager, mais il me tient fermant.
- Je voulais te voir, articule-t-il.
Le ton de sa voix me surprend. Elle semble fragile presque brisée. Il pose ses lèvres dans mes cheveux.
- Tout simplement, murmure-t-il. Lorsque l’on m’a appris que tu as été impliqué dans l’attaque, j’ai cru que je t’avais perdu.
- C’est… »
- Tais-toi ! m’ordonne-t-il.
Je ravale les paroles que je m’apprêtais à dire. Le temps s’écoule. Aucun de nous ne bouge. Nous ne le voulons pas. Mon anxiété est toujours présente. Même si Hans souhaitait me voir, il n’aurait jamais pris un tel risque. Lui qui me rappelle sans cesse la prudence. Quelque chose cloche. Il m’embrasse à nouveau. Ses ongles s’enfoncent dans mon épaule. Il me fait mal. J’arrive à me dégager. Il me fixe perplexe. Je ne peux pas m’empêcher de lui demander :
- Tu es sûr que ça va ?
- Bien sûr ! s’exclame-t-il surpris.
Il m’a répondu sans hésiter, mais beaucoup trop hâtivement. Enfin, c’est ce qui m’a paru. Une nouvelle douleur dans ma tête me fait grimacer. Cela n’échappe pas à mon compagnon qui fronce les sourcils.
- Ce serait plutôt à moi de te demander si tu vas bien, me reproche-t-il.
- Une simple migraine, je suis fatiguée.
Les yeux d’Hans passent de moi à mon lit puis il semble comprendre.
- Pardon de t’avoir réveillé. Couche-toi, cela atténuera sans doute la douleur.
Les rôles se sont de nouveau inversés. J’ai retrouvé ma position de faiblesse.
- Ne change pas de sujet, rétorqué-je.
- Je t’assure que je vais bien. Couche-toi, insiste-t-il.
Je finis par obéir, car c’est ce que réclame inlassablement mon corps. Le jeune homme s’assoit à mes côtés, sa main posée dans la mienne. Toute mon attention est concentrée sur ce contact. Personne n’est là pour nous déranger. Je devrais en profiter pour questionner Hans. Quelque chose me trouble, mais pour le moment, je n’ai aucune envie d’y penser. Être avec lui me fait tellement plaisir. Je ressens, pour la première fois depuis longtemps, un sentiment de paix. Soudain, mon réveil nous fait sursauter. Je le coupe rageusement. Je soupire, je vais devoir retourner bosser. Je pose ma tête sur l’épaule d’Hans. Il réaffirme sa prise sur mes doigts.
- Quand pourrons-nous nous revoir ? murmuré-je.
Sa main se crispe. Un certain temps s’écoule avant qu’il me réponde :
- Je l’ignore, nous trouverons bien.
Il se lève et m’attire contre lui pour m’embrasser longuement. Lorsqu’il s’écarte, je le retiens.
- Hans la prochaine fois soit plus prudent.
Il me sourit.
- Tu n’auras plus à t’inquiéter pour ça.
Cette phrase me surprend. Avant que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, il ouvre la porte. Il se retourne une dernière fois.
- Où dois-tu aller ? me demande-t-il.
- Dans mon bureau. Et toi ?
- Moi aussi. Il vérifie que la voie est libre, puis déclare. J’y vais le premier, attends quelques minutes avant de partir.
Je lui attrape la main avant qu’il ne s’en aille. J’ignore pourquoi, je veux le retenir à ce point.
- Hans, fais attention, s’il te plait.
Il pose ses lèvres sur mon front.
- Toi aussi.
Sur ce, il quitte la pièce. Un frisson me traverse l’échine. Mon inquiétude est revenue. Hans n’était pas comme d’habitude. Ses paroles, son attitude, tout clochait. En temps normal, il ne serait jamais venu. Il a affirmé qu’il était préoccupé avec l’attaque, mais il savait parfaitement que j’allais bien. Il n’ignore pas qu’il en faut plus pour me déstabiliser. Je dois me faire des idées, mais je n’arrive pas à calmer cette crainte en moi. J’ai la désagréable impression qu’il me cache quelque chose. Je dois en avoir le cœur net. Je sors de ma chambre.
D’un pas le plus tranquille possible, je me rends au QG. Malchance pour moi, à peine mon pied est posé à l’intérieur que je tombe sur Tellin.
- Tu cherches quelqu’un ? s’enquit-il.
- Oui, toi, mentis-je. L’hôpital m’a contacté pour m’apprendre que les blessés sont réveillés.
Un mince sourire apparait sur les lèvres de mon supérieur.
- Tant mieux, nous irons demain matin les interroger.
Sa réaction m’étonne. J’étais persuadée qu’il aurait voulu y aller dès aujourd’hui. Son comportement après me laisse tout aussi perplexe.
- Au fait, tu n’as pas vu Wolfgard ? Je viens de son bureau, mais il n’y était pas. J’ai besoin de son rapport de l’attaque.
- Aucune idée. Demande à son frère, dis-je en haussant les épaules.
Le sourire du major s’élargit.
- Il l’ignore également.
Qu’est-ce qui lui prend ? Il commence sincèrement à devenir oppressant concernant ma relation avec Hans. À l’évidence, il garde de gros doutes nous concernant. Cela ne m’arrange pas du tout. Toutefois, ce qu’il vient de dire à propos de Hans m’inquiète.
- Je ne peux pas t’aider. Je ne le vois plus, me sentis-je obligé de préciser, mais je compris tout de suite que c’était une erreur de ma part.
- On ne sait jamais, me répond-il toujours le sourire aux lèvres.
Il me salue et s’éloigne. Une sueur froide me parcourt. Où est Hans ? Il aurait déjà dû être dans son bureau. Je sors du QG et me dirige vers la salle d’entrainement. Il doit être là-bas. Je souhaite me tranquilliser. Le lieu est désert. Mon angoisse se fait plus forte. Pourquoi suis-je à ce point préoccupée ? Il a dû rencontrer quelqu’un ou se rappeler quelque chose à faire. Rien d’inhabituel en soi. Pourtant je repars au pas de course à sa recherche. C’est de la folie, mais je veux savoir. Je traverse toutes les pièces où il serait probable de le trouver, mais il n’est nulle part. Une évidence me percute, sa chambre. Il doit être là-bas. Je me dépêche de m’y rendre. Lorsque je suis devant sa porte, je m’apprête à frapper, mais je me retiens au dernier moment. Je pose ma main sur la poignée et l’abaisse discrètement. La porte s’ouvre. Je passe ma tête à travers. Hans se trouve dos à moi au milieu de la pièce. L’inquiétude qui me serrait la poitrine disparait instantanément. J’ai paniqué pour rien comme d’habitude. Je me prépare à repartir sans faire de bruit, mais mon regard est interpellé par un objet que mon compagnon tient en main, son arme. Avant de comprendre ce qui se passe, celui-ci soulève son bras et pose le canon sur sa tempe. Mon esprit ne fait qu’un tour et je m’élance vers lui. Le coup part. Je suis sur lui. Je le fixe, désespérée, certaine de le trouver mort à mes pieds, mais il n’en est rien. La balle s’est logée dans le plafond. Hans m’observe incrédule.
- Elena, articule-t-il hésitant.
Je le frappe puis lui empoigne le col de sa veste.
- Pourquoi ! hurlé-je
Je me sens trahie. Il m’avait promis de ne pas m’abandonner, de rester à mes côtés. Une grimace de douleur déforme ses traits.
- C’est fini, déclare-t-il la voix brisée.
- Hans ? l’appelé-je, perdue.
- C’est fini, répète-t-il.
Je le secoue.
- Parle bon sang ! Qu’est-ce qui t’a pris ?
Hans émet un sanglot étouffé.
- Pardonne-moi Elena, c’est Tellin.
Le temps semble s’être arrêté. J’ai peur de comprendre. Je revois mon supérieur quelques instants plus tôt, son comportement étrange et ses soudaines questions sur Hans.
- Quoi, Tellin ? demandé-je d’une voix tremblante.
- Il m’a injecté le projet 66, me répond-il au bord du désespoir.