Une multitude d’expressions passe sur le visage d’Elena. Le désarroi, la tristesse, la colère.
- Est-ce ma faute ? demande-t-elle d’une voix éteinte.
Je n’arrive qu’à secouer la tête de gauche à droite. Les mots ne sortent pas. Je refuse qu’elle culpabilise. C’est moi qui ai voulu savoir, c’est moi le seul fautif. Elle ne doit jamais connaitre la vraie raison qui a poussé Tellin à agir de la sorte. Un air lugubre assombrit davantage ses traits. Elle se relève brutalement pour claquer la porte qui est restée grande ouverte. Elle frappe le mur des deux poings tout en jurant. Pour ma part, je suis complètement vide. Je me redresse en position assise. Mon arme est toujours dans ma main. Je la contemple pensivement. Je pourrais en finir maintenant. Elena semble avoir lu dans mon esprit. Elle revient vers moi d’un pas pressé et m’arrache l’arme des mains. Je n’ose pas la regarder. J’y verrais du reproche et elle aurait parfaitement raison. Bien que je ne doive pas, je lui en veux de m’avoir arrêté. Je sais aussi que mon attitude est lâche et cela me rend malade. Je me relève, mais retombe immédiatement après. Le sol tangue. Je ferme les yeux pour calmer la nausée qui me submerge. Depuis que Tellin m’a injecté cette horreur, mon état se dégrade d’heure en heure. C’est un miracle que j’ai pu tenir dans la chambre d’Elena. J’ignore combien de temps, il me reste et cela me terrifie. Ma compagne s’accroupit à mes côtés. Je déglutis péniblement.
- Pourquoi m’en as-tu empêché ? murmuré-je.
J’attrape ma tête dans mes mains.
- Pourquoi ? m’exclamé-je, à nouveau d’une voix instable.
Elle pose ses deux paumes de part en part de mon visage et me force à la regarder.
- Parce qu’il existera toujours une autre solution.
J’aimerais l’affirmer aussi, mais j’ai bien peur que cela soit impossible. J’ignore ce qu’est réellement le projet 66, mais une chose est sûre, il se propage dans tout mon corps. Je le sens qui disperse son venin. C’est douloureux au point d’en perdre la tête. Après une nouvelle tentative, j’arrive à me remettre debout. Elena passe son bras sous le mien comme pour me soutenir. J’ai à peine fait quelques pas qu’un haut-le-cœur me prend. Je repousse ma partenaire et cours dans la salle de bain où je crache dans le lavabo. Elena me suit de près. Elle émet un cri. Je remarque le sang qui recouvre la surface de la bassine. Je sors un mouchoir et m’essuie la bouche calmement.
- Il faut aller voir Vincent ! s’écrie Elena avec une voix qui monte dans les aiguës.
- Il ne pourra rien faire, répondis-je en gardant toujours mon sang-froid.
- Il aura forcément quelque chose.
- Qu’est-ce que tu en sais ? craché-je.
La douleur m’empêche d’avoir les idées claires. Elena se décompose. Je continue sur le même ton :
- J’y suis allé, figure-toi. Je n’ai eu droit qu’à de la morphine, rien d’autre.
Je lui montre la bouteille déjà à moitié entamée dans l’armoire. La jeune femme me fixe interdite. Je suis secoué d’une nouvelle quinte de toux. Le sang sort à nouveau. Elena pose ses mains sur mon bras. Je me dégage. Malheur pour moi, je croise son regard, son regard plein de pitié.
- Fous-moi la paix ! hurlé-je.
La douleur me lacère le cerveau. Je vois trouble, cela tourne. J’ai du mal à respirer. Je m’effondre au sol, mes ongles plantés dans le crâne. On empoigne mes mains pour les écarter le plus possible de mon visage. Je me débats. Un tissu humide est plaqué sur mes narines. Je me calme quelque peu. Je remarque que ma tête est posée sur les genoux d’Elena. Elle me caresse la joue du bout des doigts.
- Ça va mieux ?
Pour toute réponse, je me mets à sangloter. Non, cela ne va pas et cela n’ira jamais plus. Je me redresse péniblement et enlace Elena comme un enfant qui cherche un réconfort auprès de sa mère. Pourquoi a-t-il fallu que cela tombe sur moi ?
"Elle ne doit jamais connaitre la vraie raison qui a poussé Tellin à agir de la sorte." La, Hans est un peu delirant. Elena est trop intelligente, elle connait Tellin trop bien pour ne pas comprendre qu'il a voulu eliminer Hans par jalousie.