Chapitre 57 : Mariam - Mensonge

Dracula poursuivit de narrer sa rencontre avec Stiny.

- Il n’a pas tourné autour du pot. Il m’a demandé d’où je venais. J’ai répondu de Roumanie et je lui ai raconté ma dernière vie humaine, celle de Vlad Tepes Basarab-Draculescu, prince de Valachie. Il a frémi. Avec difficulté, il m’a demandé le lieu et la période de ma naissance originelle. J’ai répondu en Égypte du temps des pharaons.

- Ce n’est pas ce que Stiny a écrit dans sa biographie ! s’exclama Mariam.

- Stiny ment dans « Passé, présent, futur ».

- Pourquoi ? interrogea Mariam en secouant la tête.

- Pour me protéger. De nombreux avertis viennent ici pour nos fêtes. L’un d’eux pourrait se rendre dans la bibliothèque et lire cette œuvre. De plus, il ne serait pas surprenant que Gilles débarque à un moment ou à un autre. Il lirait probablement cette biographie. Il a écrit la sienne. Discuter, échanger, d’un point de vue littéraire, sur la meilleure manière de raconter sa vie lui plairait, sans aucun doute.

- Je ne saisis pas.

- Par exemple : Gilles a écrit sa biographie à la première personne du singulier.

Mariam fronça les sourcils.

- Il dit « Je », précisa Lord Kerings sans se moquer. Stiny, lui, raconte à la troisième personne du singulier. Il dit « Il ». Nul doute que Gilles et son apprenti pourraient passer des heures à se battre pour déterminer la « bonne » manière de procéder.

Mariam hocha la tête. Grâce à l’explication simple de Lord Kerings, elle avait compris.

- Donc, Stiny sait qui vous êtes, comprit Mariam.

- Les grandes lignes. Les détails, tu es la seule à qui je les ai fournis.

- Les petits du seigneur Kervey savent-ils ?

- Je ne pense pas mais je peux me tromper. J’ignore si Julian a assez confiance en ses petits pour leur confier cela. Aucun d’eux ne m’en a jamais parlé, en tout cas.

Mariam montra son assentiment.

- Vous lui avez donc confié être né en Égypte du temps des Pharaons. À ses yeux, cela ne pouvait faire de vous qu’un puissant, un ennemi, comprit Mariam.

- Il s’est pétrifié de terreur. Les spectres de son mentor prenaient vie. Il a regardé autour de lui avec appréhension. Il m’a demandé qui était mon créateur. Sa réaction en entendant ma réponse a été de hurler de rire.

- Pas très sympa, en conclut Mariam.

Non pas qu’elle pensa un seul instant que Lord Kerings ait réellement été transformé par un dieu ! Elle trouvait juste la réaction du seigneur Kervey fort humiliante et pas très à propos.

- Il a réfuté les faits avant d’accepter que je puisse le penser, sans valider toutefois.

Mariam se trouvait dans l’exacte même position. Le seigneur Kervey pourrait être un allié de choix sur ce sujet-là. Elle enregistra l’information.

- Il m’a dit que je ne devais jamais plus répéter mon histoire, à personne, car ma vie serait alors en danger. Il m’a donné « Le livre des origines » à lire, et ce alors qu’il n’en avait pas le droit, cet ouvrage étant réservé aux seuls avertis.

- Il m’a proposé à moi aussi de le lire, fit remarquer Mariam.

- Et tu n’es pas censée recevoir ce genre d’informations, confirma Lord Kerings. D’Helmer demande à ses avertis de réaliser un maximum possible de désinformation, d’écrire et d’encourager des bouquins comme Twilight ou des séries comme True Blood, afin de noyer le poisson. C’est très bien que les humains nous attaquent avec de l’eau. Qu’ils ne changent surtout pas d’armes !

Mariam rit de bon cœur.

- Révéler la vérité n’est ni souhaitée ni souhaitable, comprit-elle.

- C’est ça. Pas « Le livre des origines », du coup.

Mariam comprenait.

- J’ai compris pourquoi Stiny me conseillait de me tenir à carreau et de taire mes origines. Je l’ai remercié et au moment de nous quitter, je lui ai indiqué que j’apprécierais énormément de le revoir, de discuter de temps en temps, rencontres informelles sans obligation. Il m’a proposé de venir le voir à chaque fois que je serais de passage en Angleterre, où il demeurait. C’est ce que nous avons fait et notre amitié s’est construite ainsi, sur le long terme. Mon château construit, je n’avais plus aucune raison de me rendre en Angleterre. Peu après, Stiny a déménagé en Russie et il a engendré Sam. Je venais le voir de temps en temps, l’écoutant me raconter ses déboires avec ce petit qui ne correspondait pas à sa vision de la vie en communauté.

Mariam sourit.

- Stiny a très vite engendré Richard, se retrouvant avec deux petits non au contrôle sur les bras mais il rayonnait ! Il est fait pour être créateur. Richard a adhéré à son mode de vie. Il a attendu un peu avant de rajouter Abraham, mais pas tant que ça non plus. Sam n’était pas encore tout à fait au contrôle et Richard venait tout juste de cesser de drainer ses victimes à chaque morsure.

Mariam ne comprit pas cette réflexion mais se garda de couper Lord Kerings. L’heure tournait et elle voulait entendre la fin !

- De mon côté, vivre seul dans mon château en Transylvanie m’était agréable mais le monde me manquait alors je décidai de reprendre mon activité commerciale. J’avais aimé retapé des demeures alors j’ai recommencé.

- La vie était douce.

- Plutôt, oui, admit Lord Kerings. Mes fantômes me hantaient toujours mais ils pesaient moins. Voir Stiny allégeait un peu ma peine. Voyager, échanger avec de nouvelles personnes, réussir de belles négociations…

- Facile quand on charme !

- Je n’utilisais jamais mon pouvoir.

- Pourquoi ? demanda Mariam.

- J’avais perdu Tristan à cause d’eux. Les utiliser ne donnait jamais rien de bon. Je préférais m’en passer.

- Que Stiny s’en serve ne vous dérangeait pas ?

- Il fait ce qu’il veut, répliqua Lord Kerings en haussant les épaules. J’ai eu de mauvaises expériences qui me rendent prudent. Ce n’est pas son cas.

- Vous n’hésitez plus à charmer aujourd’hui, fit-elle remarquer en pensant à elle-même dans l’hélicoptère, mais également à la femme russe léchant le sang de sa fille sur les doigts du démon.

- Uniquement quand l’intérêt est faible. J’étais agacé de ta logorrhée. Te faire taire ne risquait pas de changer la face du monde. Quant aux fêtes, elles existent pour qu’on s’y amuse, non ?

- Pas de conséquence, comprit Mariam.

- Aucune, confirma Lord Kerings. Pour les affaires ou le cœur, je ne charme pas mais je n’interdis à personne de le faire. Ceci dit, ça dépend ce que tu mets sous le terme « Charme ».

- Comment ça ?

- Quand un Vampire se choisit une identité, il prend son apparence et donc, son odeur. Or les phéromones ont une importance cruciale dans les relations humaines et ce n’est pas pour rien si les expressions « avoir quelqu’un dans le nez » ou « ne pas pouvoir piffer quelqu’un » existent. C’est vraiment une question d’odeur.

Mariam indiqua qu’elle comprenait. Il poursuivit :

- Ainsi, mon identité actuelle peut ne pas convenir à mon interlocuteur, faisant capoter la négociation. Dès que je le constate, je modifie mon odeur afin de ne plus lui être désagréable.

- Mais pas agréable non plus, supposa Mariam.

- Exactement. J’évite de repousser sans chercher à attirer non plus. Une sorte de neutralité. Ça m’évite de devoir rattraper un mauvais départ purement olfactif. Convaincre l’autre reste fait à l’ancienne.

- Et ça marchait bien ?

- Plutôt, dit Lord Kerings. Ceci dit, je ne fais pas ça pour l’argent, même si cet hélicoptère me coûte une blinde en carburant.

Mariam rit.

- Il est tard, Mariam. Tu as besoin de sommeil. On continuera demain.

Elle pensa « Oui, papa » mais se contenta de sourire, ravie. Elle se leva, le laissant dans la salle derrière elle.

- Bonne nuit, my lord, lança-t-elle.

- Repose-toi bien, Mariam, répondit-il.

Cette fois, Mariam dormit vraiment très bien. Au petit-déjeuner, elle se sentait en pleine forme. Les patrons échangeaient sur les affaires de la journée. Messieurs Richard Quern et Abraham Sternam se trouvaient en compagnie de leurs poules. Mariam entendit monsieur Lawzi parler russe mais n’y prit pas garde, supposant qu’il s’adressait à l’une des deux blondes.

- Mariam ? l’appela Lord Kerings.

Elle se tourna vers Dracula, surprise qu’il lui adresse la parole. Décidément, cela devenait une habitude !

- Que puis-je pour vous, my lord ? interrogea-t-elle.

- Anthony vient de faire une réflexion salace à ton encontre.

Mariam se tourna vers le coupable. Il affichait un sourire ravi. Aucun remord ne transparaissait. Mariam constata que les autres convives se désintéressaient de l’échange, continuant à petit-déjeuner comme si de rien n’était.

- Monsieur Lawzi a le droit de le faire, indiqua Mariam en haussant les épaules.

- Il a sous-entendu que nous avions couché ensemble, gronda Lord Kerings.

- Grand bien lui fasse, répliqua Mariam. Il a le droit de penser ce qu’il veut.

Monsieur Lawzi afficha un regard victorieux. Les autres restaient toujours aussi concernés par leurs tartines.

- Je me demande d’où peut bien lui venir cette idée, grogna Lord Kerings.

- Tu lui as préparé une tisane, intervint le seigneur Kervey.

- Et puis les mots « Pas besoin de le dire. Je sais » ne peuvent pas se référer à autre chose que « Je t’aime », poursuivit monsieur Lawzi. Après cela, vous êtes allés vous enfermer dans la salle vidéo où vous passez toutes vos soirées et où Sam a trouvé Mariam endormie un matin. Il ne faut pas être grand devin pour…

- Je comprends pourquoi vous échouez, le coupa Mariam.

Monsieur Lawzi plissa les yeux d’incompréhension.

- Vous n’avez pas la moindre idée de la complexité du panel émotionnel. Vous ne pourrez jamais contrôler ce dont vous ne soupçonnez même pas l’existence.

Le palefrenier en fut bouche bée. Un silence de mort envahit la salle. Seul Lord Kerings se permit un petit sourire.

- Est-ce que Sam a attendu ce matin pour venir vous faire son compte-rendu ou bien a-t-il couru directement dans la salle de jeux ? interrogea Mariam.

Cela ne pouvait venir que de lui. Les autres, occupés à jouer au billard dans la seconde salle insonorisée du château, n’auraient pas pu les entendre. Que Sam ait toujours une oreille collée à sa cuisine n’étonna pas Mariam une seconde.

- Il a débarqué comme un chien dans un jeu de quille, indiqua Abraham. Il m’a fait peur cet imbécile. J’ai raté mon tir et ils ont refusé d’admettre que j’avais été déconcentré.

- Tu as raté. Les conditions extérieures ne changent rien, gronda Richard.

- Seigneur Kervey ? interpela Mariam.

- Oui, Mariam ? répondit son patron.

- Puis-je disposer ?

- Oui. Merci, Mariam.

Mariam salua d’une petite courbette puis se rendit en cuisine.

- Je suis désolé, dit Sam. Je n’aurais pas dû rapporter cette conversation privée. Je…

Mariam le fit taire en posant délicatement ses doigts sur sa bouche.

- Il est ton créateur. Ils sont tes frères. Je comprends.

Elle retira ses doigts et il sourit, hochant la tête de contentement. Leur amitié ne serait pas entachée à cause de cela.

Le dîner fut aussi sobre qu’à l’habitude. Mariam rejoignit la salle vidéo une fois la salle à manger et la cuisine propres et rangées. Elle s’assit à sa place au bout de canapé, prêt de Lord Kerings installé dans son fauteuil. Elle ne plaça pas sa main dans celle de son interlocuteur, ce qui lui valut un regard intéressé.

- Monsieur Lawzi m’a mis le doute, indiqua-t-elle, alors je préfère en être certaine. Est-ce que vous m’aimez, my lord ?

- Les grecs définissaient quatre types d’amour : Éros, Philia, Storgé et Agapè. J’ai souvent ressenti Éros, lors de mes premières vies. C’est l’amour romantique. Je ne ressens pas cela pour toi et je crois que cela m’est impossible depuis Hélène.

Mariam soupira d’aise.

- Philia, c’est l’amour amical. C’est ce que tu ressens pour Sam et réciproquement. C’est ce que je ressens pour Stiny et réciproquement, enfin, je l’espère. Je ne lui ai jamais demandé.

- Ça ne se demande pas vraiment. Ça se ressent.

- Contrairement à Éros où le « Je t’aime » attend une réponse.

Mariam en convint. Lord Kerings poursuivit :

- Je ne ressens pas cela pour toi non plus.

Mariam sourit. Cela lui semblait parfaitement évident.

- Viens ensuite Storgé, l’amour familial, qui n’a rien à voir avec les liens du sang. Il s’agit simplement d’éprouver les sentiments liés à un groupe social basé sur la communication, la confiance et le respect. C’est ce que je ressens pour toi.

- Et réciproquement, murmura Mariam. Cela me rassure beaucoup.

- Laisse Anthony croire que le seul amour qui existe est Éros et ait confiance en toi. Je me répète car tu ne possèdes pas une mémoire parfaite : tu es épatante.

Mariam gloussa en rougissant.

- Et la dernière ? demanda-t-elle.

- Agapè ? C’est l’amour inconditionnel. Il n’est pas incompatible avec les trois autres. C’est aimer sans rien attendre en retour. C’est l’amour du Dieu des chrétiens pour l’Homme. C’est ainsi que, selon les chrétiens, nous sommes censés nous aimer les uns les autres. C’est un amour inconditionnel et sans limite.

- C’est ce que vous ressentez pour Hélène, Pyrame et Tristan.

- Je suppose. Ça y ressemble, en tout cas. Et non, je ne ressens pas cela pour toi.

Mariam sentit un poids quitter ses épaules.

- J’en suis très heureuse. Les gens pour qui vous ressentez Agapè, il leur arrive des bricoles pas super agréables. Je préfère autant.

- Je n’ai pas fini de raconter, précisa Lord Kerings.

- C’est vrai. Vous en étiez à avoir terminé de construire votre château en Transylvanie mais vous avez quand même repris votre activité immobilière parce que vous aimez trop le monde pour le quitter très longtemps.

- Vraiment très perspicace, s’amusa Lord Kerings.

Mariam le trouvait beaucoup moins lointain et triste. Ces discussions lui faisaient vraiment beaucoup de bien.

- Un peu avant le début du 20ème siècle, mon contact clair de notaire en Angleterre est mort. Il m’a fallu m’en trouver un autre. Un jeune homme, Jonathan Harker, a attiré mon attention. Brillant malgré son jeune âge, il possédait un talent incroyable. Il parvenait à trouver des pépites, à convaincre les acheteurs les plus récalcitrants, à rassurer les indécis. Il était fiable et organisé. Il connaissait la loi sur le bout de doigts. Nous nous entendions à merveille. Nous nous rencontrions toujours à son bureau. J’avais déjà gagné des millions grâce à lui lorsque notre réunion a été troublée par une entrée inattendue. Mina, la fiancée de Jonathan, entra. Elle venait apporter son chapeau à Jonathan. Il l’avait oublié. Geste simple et adorable d’une femme concernée.

- Agapè, supposa Mariam et Lord Kerings acquiesça.

- Pourquoi dois-je subir cela, encore, et encore, et encore ? Je l’ignore. Je suis maudit, voilà tout. Il était hors de question de charmer Mina. J’ai essayé de la séduire, à l’ancienne, mais elle était totalement hypnotisée par Jonathan. J’ai convié ce dernier, mon meilleur associé depuis des générations, à me rejoindre dans mon château, sous un prétexte totalement fallacieux. Sur place, j’ai tout fait pour le pousser au suicide, espérant consoler la veuve. J’ai failli réussir. J’ai fini par réaliser ce que je faisais. Mina était heureuse avec Jonathan. Je ne voulais que son bonheur.

- Amour inconditionnel sans besoin de réciprocité.

Lord Kerings acquiesça.

- J’ai laissé partir Jonathan. Je l’ai suivi jusqu’en Angleterre afin de vérifier que tout se passerait bien. J’ai constaté que Mina allait bien. Je suis reparti dans les Carpates. Les fantômes m’ont hanté plus fort que jamais. Mina, si proche et inaccessible, envahissait mes moindres pensées. J’ai tourné en rond. J’errais dans les couloirs.

- Vous finissez toujours pas revenir vers le monde, s’amusa Mariam.

- Cette fois, c’est le monde qui est venu à moi.

- Comment ça ?

- Une petite vingtaine d’hommes armés de pieux en bois, de fourches, d’arbalètes aux carreaux d’argent, d’armes à feu avec des cartouches en argent elles aussi, de croix chrétiennes et d’eau sanctifiée.

- Des chasseurs de Vampires ? Comment savaient-ils où vous trouver ?

Lord Kerings choisit d’ignorer la question pour poursuivre son récit :

- Ils scandaient « Dracula », version légèrement modifiée de Vlad Tepes Basarab-Draculescu, prince de Valachie. « Draculescu », répéta-t-il. Je ne comprenais pas. Ne voulant pas tuer ces pauvres gens innocents, j’ai fui, regardant une seconde fois ma demeure brûler. J’ai fait quelques recherches et j’ai découvert l’existence d’un roman nommé « Dracula » écrit par un dénommé Bram Stoker.

Mariam fronça les sourcils.

- J’ai reconnu sans difficulté la plume de mon ami.

- C’est le seigneur Kervey qui a écrit Dracula ?

- Je ne sais pas, admit Lord Kerings. J’ignore si Bram Stoker a été une de ses identités humaines, s’il a écrit le livre avant de l’envoyer au dénommé Bram Stoker ou s’il a influencer cet auteur. Toujours est-il que l’ouvrage indique l’emplacement exact de la demeure de Dracula.

- Pourquoi le seigneur Kervey a-t-il fait cela ?

- Je suis allé lui poser la question. Il s’est confondu en excuses. Il n’avait pas imaginé que des chasseurs de Vampires prendraient le livre tellement au pied de la lettre qu’ils iraient sur place. Il voulait seulement me protéger des avertis en m’offrant une identité. J’avoue avoir eu du mal à le croire. Il m’a proposé l’hospitalité chez lui. J’ai accepté. Ici ou ailleurs, cela se valait bien. Il a organisé une soirée où il m’a invité. Je lui ai répliqué que je n’étais pas un averti, qu’ils allaient me massacrer.

- Vous n’auriez pas gagné en cas de combat ?

- Non, répondit Lord Kerings. Les avertis forment un groupe solidaire où ils se connaissent tous. Si Stiny est largement plus jeune que moi, ça n’est pas le cas de pas mal d’avertis. Mon ami m’a assuré que je ne risquais rien, grâce à lui. Ses amis sont arrivés. Ils m’ont observé mais sans plus. Lorsque tous les invités furent arrivés, Stiny a demandé le silence. Il a commencé par présenter Anthony, qu’il venait tout juste de transformer, la veille de mon arrivée en fait.

- Très jeune, confirma Mariam.

- La soirée était pour lui, afin qu’il comprenne ce que « s’amuser » signifie pour un Vampire.

- Je vois.

- Ensuite, Stiny s’est tourné vers moi et a annoncé qu’après de longues et minutieuses recherches, il avait trouvé Dracula. La foule en est restée muette puis elle a sifflé d’admiration. Ils ont tous voulu me serrer la main, recevoir un autographe, me parler, m’entendre raconter des anecdotes. Stiny m’a proposé de faire une petite représentation afin d’exhiber mes pouvoirs. L’assemblée en a été stupéfaite. Les avertis sont repartis les yeux brillants. Ils ont raconté comment Dracula est un Vampire extraordinaire.

- Aucun d’eux ne s’est rendu compte que Vlad Tepes avait vécu en Europe bien avant la découverte de l’Amérique ?

- Ils ne se sont même pas posés la question. J’ai été introduit par Stiny, l’apprenti de Gilles d’Helmer. Cela a suffi pour éviter toutes questions.

- Vous êtes une célébrité chez les humains et chez les Vampires, comprit Mariam.

- Sans avoir rien demandé, remarque bien. J’aurais préféré conserver mon château en Transylvanie mais j’entends que Stiny n’avait pas envisagé ce dégât collatéral. Ceci dit, ce ne sont que des pierres et du bois. Que mon existence soit acceptée des avertis vaut la perte. Gilles est complètement fou. S’il tournait son regard vers moi, il me tuerait par pur principe de précaution.

- Sa haine contre les puissants qui ont tenté de le tuer s’entend mais pourquoi la dévier sur vous ?

- Il est fou. Je suis resté chez Stiny, profitant de cet endroit pour me ressourcer. C’était la première fois que je vivais en compagnie de mes congénères. J’ai trouvé ça reposant : pouvoir être moi-même, sans me cacher, sans faire semblant. Je me suis senti apaisé. Nous ne sortions presque jamais du château. Stiny était très occupé à materner Anthony. J’ai un bon souvenir de ces années. Puis Stiny a reçu l’appel de Gilles, comme tous les avertis.

- L’appel de Gilles ?

- Il venait de rencontrer Malika la traîtresse qui le prévenait de l’imminence d’une guerre menée par les puissants visant à exterminer les Vampires. La communauté nous indiquait l’emplacement d’un refuge sûr où attendre la fin de la tempête. Je relus le message, comprenant que je ne pourrais pas m’y rendre.

- Pourquoi ?

- Tous les avertis seraient réunis au même endroit, Gilles y compris. J’étais une célébrité. J’attirerais énormément l’attention, y compris celle du maître des lieux et lui ferait le lien, sans aucun doute. J’ai demandé à Stiny la permission de rester ici. Après tout, un château au fin fond des montagnes russes attirerait peu l’attention. Il a accepté en précisant que sa famille et lui resteraient avec moi. Nous nous sommes retrouvés seuls ici. Les autres sont partis. Nous sommes restés enfermés pendant toute la guerre.

- Quatre ans, supposa Mariam qui pensait à la première guerre mondiale.

- Tout le monde n’est pas d’accord sur les dates exactes. La majorité prend comme commencement le jour où les puissants et les chasseurs de Vampires ont scellé leur accord. Grâce à Malika, nous savons que cette rencontre a eu lieu en 1908. Quant à la fin de la guerre, c’est encore plus flou. Si tu demandes à Gilles, il te dira qu’elle court toujours. La majorité des avertis prend 1946 comme date de fin, juste après que le dernier des quatre puissants de base soit allé rejoindre l’organisation de Malika qui le protège de Gilles.

- Presque quarante ans, compta Mariam en penchant la tête.

Elle trouva ça sacrément long.

- La communauté des avertis s’est fissurée. Gilles a trahi la confiance des siens. Juliette lui a tourné le dos. Stiny est venu vers moi pour m’annoncer, fier de lui, qu’une nouvelle compétence venait d’être découverte et qu’il allait falloir la travailler : les Vampires pouvaient contrôler leur apparence !

Mariam fronça les sourcils. Découverte ? Il lui sembla que Lord Kerings le faisait depuis bien longtemps.

- Comme Stiny a constaté que je ne réagissais pas, il en a logiquement conclu que je le savais déjà. Je lui ai dit « Ben oui, tu savais pas ? ». Il a été passablement agacé.

- Vous n’aviez jamais changé d’apparence devant lui ?

- Non, pourquoi faire ? Je le faisais face à des humains mais pour lui, je gardais la même tête, plus pratique pour être reconnu. Il m’en a beaucoup voulu mais honnêtement, je n’ai pas imaginé un seul instant qu’il l’ignorait.

Mariam rit.

- Le message annonçant la nouvelle compétence comportait également les nouvelles règles.

- Nouvelles règles ? répéta Mariam.

- Les humains nous croyaient tous morts, exterminés dans une guerre sanglante ayant coûté la vie à de nombreux chasseurs de leur côté. Le but était de les confirmer dans cette croyance. Hors de question de se donner en spectacle. L’invisibilité devint le maître mot. Tous les membres de la communauté devaient faire en sorte de devenir indétectables. Des humains furent formés à nous trouver. Nos adversaires, grâce aux puissants, savaient désormais tout de nous. Plus d’eau bénite ou d’ail. Nos sherva – chercheurs de Vampires – en opposition avec « Chasseur de Vampires », précisa Lord Kerings, reçurent le savoir et la permission d’user de toutes les ressources humainement disponibles pour dénicher l’un de nous. Ils gagnent une récompense à chaque dénonciation correcte.

- Qu’arrive-t-il aux Vampires désignés ?

- La première fois, un simple avertissement. À la deuxième, la visite d’une conseillère qui donne des pistes pour devenir transparent. La troisième dénonciation entraîne la mort.

- Quoi ? frémit Mariam.

- Les humains doivent nous croire disparus. On ne lutte pas contre un incendie éteint. Si on trouve des braises, on s’acharne dessus et on commence à craindre et à ouvrir les yeux. Cette invisibilité existe pour protéger la communauté. Je trouve ça plutôt bien.

- Vous avez été dénoncés, comprit Mariam. On vous a conseillé de faire venir un humain au château.

- Perspicace, comme d’habitude, la félicita Lord Kerings.

- Si un sherva tourne les yeux vers vous aujourd’hui, il ne trouvera rien de suspect.

- Grâce à toi. Merci, Mariam.

- Mon plaisir, my lord.

Lord Kerings déshabilla Mariam des yeux puis lança :

- Bon, tu me montres Iznogoud ?

- Vous et votre mémoire parfaite !

- Tu as trouvé la publicité avec la marmotte ?

- Oui, dit-elle en sortant une tablette neuve, achat réalisé peu de temps auparavant et qui lui donnait toute satisfaction.

Ils finirent la soirée ainsi, devant les écrans, à augmenter leurs références communes.

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