Adesis apparut dans toute sa splendeur. Bintou l’avait aperçue à l’aller, en remontant vers le nord depuis les marécages, mais elle était restée loin. Le shale ne la mena pas dans les terres soignées mais sur le fleuve Ruvuma vers un village sur l’eau.
- Elian est réfractaire à toute présence humaine à Adesis, expliqua-t-il.
- C’est exactement ce que nous venons réclamer, maugréa Bintou.
- Autant ne pas commencer en nous montrant désagréables dès le début, précisa le shale en fixant Bintou.
Elle hocha la tête. Il discuta avec des elfes des bois venus à sa rencontre qui partirent chercher leur reine. Elian arriva quelques instants plus tard.
- Bonjour, Bintou, lança Elian en ruyem.
- Que la lune et le soleil guident tes pas, Elian, reine des elfes des bois.
Elian tiqua l’espace d’une seconde par la langue utilisée. Bintou venait d’user de lambë, langue qu’elle ne maîtrisait pas lors de leur dernière rencontre.
- Reine des elfes, la corrigea le protecteur d’Elian toujours à ses côtés.
- Super, tu viens de l’insulter dès ta première phrase, maugréa le shale qui semblait passablement énervé de ne pas avoir été salué en premier.
- Reine des elfes ? répéta Bintou d’une petite voix aiguë en sautillant de plaisir sur place. Tu veux dire que… Tu as réussi ? Tu l’as tué ?
Elian hocha gravement la tête.
- Quel bonheur ! s’exclama Bintou, ravie. Comment as-tu fait ?
- Que la lune et le soleil guident tes pas, Elian, reine des elfes, lança le shale, mettant ainsi un terme à cet échange précis.
- Que tes nuits soient sombres, répondit Elian en amhric avant de se tourner de nouveau vers Bintou, méprisant ainsi totalement celui venu lui parler.
Il avait demandé à Bintou de le laisser mener l’échange. Qu’y pouvait-elle si la reine choisissait de se tourner vers elle plutôt que vers un elfe noir inconnu ?
- Mes sauveteurs sont venus me prévenir des évènements en cours là-haut. Ils n’ont en revanche pas su estimer les pertes tant du côté des traqueurs que des kwanzas venus leur prêter main forte ces derniers temps.
- Quelques uns ont survécu, annonça Bintou. J’ai perdu une vingtaine des miens. Les eoxans n’aiment pas la magie.
- J’en suis tellement désolée. Vous avez sauvé tellement des miens en quelques lunes seulement et voilà ce que je vous offre en retour.
- Ce n’est pas ta faute, répliqua Bintou.
- Si, totalement, la contra Elian.
Bintou lança un regard perdu tandis que le shale rongeait son frein. Il détestait clairement être dédaigné de la sorte.
- J’ai crée ce désastre en tuant Narhem. Soyez certains que je ne m’attendais pas à une telle conséquence, sans quoi je vous aurais prévenu avant de le faire.
- En quoi sa mort… ?
- Son aura imprégnait Eoxit. Ses volontés étaient respectées parce qu’il était craint, démon pouvant sortir de l’ombre à tout instant pour frapper et il était impitoyable. Il tenait à bout de bras le décret contre l’esclavage des elfes. À sa mort, les eoxans ont brisé leurs chaînes.
- Ils sont venus chercher leur bien là où ils pensent qu’il se trouve : auprès des msumbis venus les libérer, comprit le shale. C’est pour ça qu’ils les torturent sauvagement avant de les tuer. Ils veulent des réponses.
- De quoi parlez-vous ? demanda Elian.
- Les gens morts dans les oasis se sont d’abord fait torturer ? s’étrangla Bintou.
- Les eoxans sont hypnotisés par les elfes. Ils pensent que les msumbis les ont gardées près d’eux après les avoir libérées. Ils ne s’imaginent pas une seule seconde qu’ils les ont laissées partir. Leur esprit ne peut pas le concevoir.
- Ils les traqueront sans relâche, comprit Bintou. Ils veulent retrouver leur trésor.
- Les eoxans s’en prennent à votre peuple ? interrogea Elian.
- Ils ont attaqué les oasis de manière brutale et sanglante, narra Bintou, égorgeant hommes, femmes, enfants.
Bintou en avait les larmes aux yeux. Tout ça parce qu’ils cherchaient des elfes ? Des poupées à baiser ? Le sexe était la cause de tout ces malheurs ?
- J’en suis réellement désolée, insista Elian.
- Fort heureusement, les msumbis ont une option, un lieu de repli où ils seront en sécurité… chez eux, termina le shale.
Elian plissa les yeux, comprenant ce que cela sous-entendait.
- Pour y parvenir, ce côté-ci du fleuve est beaucoup plus accueillant que la rive en face, tu en conviendras aisément, lança le shale en désignant les marécages d’un mouvement de tête.
Elian grimaça. Son protecteur gronda. Ils comprenaient enfin la raison réelle de la présence de Bintou en ce lieu. Ils avaient cru avoir devant eux quelqu’un leur demandant des comptes et voilà que finalement, ils désiraient une faveur. Bintou constata que si la reine semblait d’accord, ça n’était pas du tout le cas du protecteur. Or, elle savait qu’il cachait son jeu. Il gouvernait avec Elian. Elle suivrait son avis. Bintou se tourna ostensiblement vers l’elfe masculin.
- Les msumbis ne toucheront à rien, ne consommeront pas vos plantes ou vos animaux, ne boiront pas votre eau, ne feront pas de feu et ne monteront aucun camp.
- Aucun humain ne peut réaliser une telle marche d’une seule traite, la contra le protecteur.
- La magie les soutiendra, assura Bintou.
- Il te reste assez de magiciens ? demanda Elian.
- Oui, largement, répondit Bintou. Grâce à toi et lui.
Elian se tourna vers le shale, semblant le voir réellement pour la première fois. Il soupira d’aise. Enfin Bintou le présentait officiellement.
- C’est un eoshen, un magicien elfe noir, si tu préfères, précisa Bintou qui supposa qu’Elian n’avait, comme les elfes noirs de la caste des sauveteurs, jamais entendu ce terme auparavant.
- Parce qu’il existe des elfes magiciens ? s’exclama Elian.
Comment pouvait-elle poser une telle question, elle dont l’assemblage rayonnait autour d’elle ?
- Évidemment ! s’écria Bintou abasourdie par cette réflexion.
- Nous avons réussi à survivre au massacre, oui, annonça calmement le shale. Nous aidons les msumbis à avancer.
- Pourquoi ? demanda Elian.
- Lorsqu’ils arriveront, ils seront suivis de près par les eoxans, continua le shale en ignorant la question de la reine.
- Tu veux dire que les eoxans vont venir… à Adesis ? s’étrangla le protecteur. Notre protection est notre discrétion.
- Plus maintenant, rétorqua Elian. Nous ne devons plus nous cacher. Nous devons montrer notre force. En nous terrant, nous montrons notre faiblesse.
- Nous ne sommes pas prêts… commença le protecteur.
- Ils ignorent notre nombre, notre force, notre puissance. L’ignorance les rend aveugles.
- Sommes-nous capables de repousser les eoxans ? Combien sont-ils ? demanda le protecteur.
- Les eoxans sont portés par un fanatisme hors du commun, expliqua le shale. La perte des elfes touche l’intégralité de la population d’Eoxit, rompant les codes habituels. Tout le monde, paysan, noble, pauvre, riche, artisan, bourgeois, jeune, vieux, s’est fait retirer une elfe. Faisant fi de leurs différences, ils se sont alliés contre leur ennemi commun : les msumbis.
- Ils sont nombreux, en conclut le protecteur.
- Mais peu entraînés et mal armés, termina Elian.
- S’ils nous trouvent maintenant, insista l’elfe noir à côté de Bintou, nous sommes en position dominante en choisissant le lieu et le moment exact. Ils pensent suivre des faibles opprimés. Tomber sur des elfes armés jusqu’aux dents et prêts à défendre leur territoire risque de les surprendre.
- Ils se contenteront de revenir plus tard, mieux préparés et mieux armés, répliqua Elian et Bintou eut l’impression de s’entendre parler.
- J’en doute, répliqua le shale. Narhem se vengeait. Son immense rage l’amenait à réaliser des actes ahurissants. Les eoxans n’ont pas cette colère. Ils ne veulent pas détruire Adesis. Ils veulent posséder des elfes. Pendant que vos sauveteurs libéreront des elfes à Eoxit, il y a fort à parier que des groupes d’humains viendront jusqu’à Adesis pour y subtiliser des elfes. La question est : y parviendront-ils ?
- Ils viendront de toute façon, c’est ce que tu dis, comprit Elian et le shale hocha la tête. Leur venue est pour nous l’occasion de sortir les crocs.
- Exactement, confirma le shale.
Elian hocha la tête.
- Des archers, des Tewagi, quelques ours, des loups, des lynx, des pumas… peut-être même des lions en provenance de M'Sumbiji… Voilà de quoi effrayer les eoxans, proposa le shale. Vous savez faire, sans aucun doute.
Elian acquiesça. Elle lança un regard à son protecteur et Bintou constata que certains elfes s’éloignaient. Pourtant, aucun son n’avait été audible. Étaient-ils télépathes ? Étrange pour des gens pensant que la magie n’existait pas chez les elfes.
- Lorsque les anciens passeront sur Adesis, je te les présenterai, proposa le shale. Il y a fort à parier qu’ils reviendront bientôt vers toi pour négocier des traités de voisinage.
- Bintou me les présentera, précisa Elian. C’est normal que la Mtawala s’en charge.
Bintou constata le regard transperçant de la reine sur l’eoshen. Il disait clairement « Sauf si tu me dis enfin qui tu es et pourquoi tu te considères comme un grand ». Le shale l’ignora superbement.
- Acceptes-tu le passage des msumbis sur Adesis ? insista-t-il.
Elian le transperça des yeux puis se tourna ostensiblement vers Bintou et attendit.
- Acceptes-tu le passage des msumbis sur Adesis ? demanda la Mtawala.
- Oui, selon les conditions énoncées précédemment, à savoir aucun arrêt et pas de contact avec la faune et la flore d’Adesis.
- Je te remercie profondément, annonça Bintou. Je te présenterai les anciens dès qu’ils seront là et nous reviendrons vers toi dès que nous serons suffisamment installés.
- C’est avec grand plaisir que je discuterai avec vous, assura Elian.
La reine salua à peine Bintou, ignora totalement l’eoshen avant de s’éloigner.
- Elle n’a pas apprécié que tu repousses ta profession de foi, indiqua Bintou.
- Elle attendra, gronda l’eoshen. J’ai autre chose à faire pour le moment.
Bintou sourit.
- Merci, Bintou, continua-t-il. Tu as permis à cet échange de bien se passer.
- De rien, assura-t-elle.
- Retournons en arrière. Je veux aider.
Bintou grimaça. Soutenir, elle aurait aimé le faire aussi. Détachée du shen, elle se sentit inutile et détestait cela.
- Tu n’as pas eu besoin du shen pour assurer le bon déroulé du voyage de ton peuple vers ses terres, indiqua-t-il.
- Toujours à lire mes pensées ? lança-t-elle en souriant.
- Pas besoin. Je te connais assez.
Elle sourit.
- Je suis heureux de te retrouver, indiqua-t-il avant de s’éloigner.
Bintou fut touchée en plein cœur.
- Ce n’est pas en me disant ça que je vais retrouver l’usage du shen, tu le sais, n’est-ce pas ?
De dos, il choisit de ne pas lui répondre. Elle lui tira la langue avant de le suivre vers les msumbis en fuite.
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Le transfert fut rapide. Bintou se sentit de trop. Elle se trouvait près de lui tandis qu’il caressait des centaines d’épaules, redonnant force et vigueur à un oasis entier à lui tout seul. Si Bintou avait eu accès au shen, elle aurait pu aller faire de même un peu plus loin.
Son impuissance la rongeait de l’intérieur. Son incapacité à réfréner ses émotions la rendait folle. Son palais mental fuyait de partout. Tous les verrous avaient sauté. Elle tentait d’écoper, de boucher les trous, en vain.
Comme promis, Bintou présenta les anciens à Elian avant de les accompagner jusqu’à leurs nouvelles terres. Le mont Namuli ne faisait pas partie des territoires protégés alors les anciens allaient devoir se trouver un nouveau quartier général.
À peine le peuple msumbi intégralement passé, il lui demanda de le suivre.
- Comment vont les elfes ? demanda Bintou.
- Ils ont aisément repoussé les eoxans, ne t’inquiète pas pour eux. Ils ont de la ressource. Elian n’a pas envie de se battre mais elle sait le faire quand c’est nécessaire.
Il l’amena jusqu’à une plage au sud du lac Lynia et lui tendit la main. Elle la saisit volontiers, frissonnant à son contact. Voilà qui éloignait encore sa capacité à manier le shen.
Elle grimpa par-dessus le lac, montant sur un escalier invisible, confiante en sa capacité à les maintenir tous les deux aussi hauts. Finalement, une terre volante apparut. Petite, elle ne proposait que deux bâtiments en pierre dans le style de L’Jor, sans étage.
À l’instant où Bintou posa le pied sur le sol dur, il lâcha sa main avant de répondre à des dizaines d’eoshen le submergeant d’informations. Elle n’écouta pas, préférant rejoindre Faïza et Atumane qui se trouvaient également là, toujours accompagnés de Fratel et Mil’s.
- Ça s’est bien passé ? demanda-t-elle.
- Parfaitement, répondit Faïza. De votre côté aussi : il a réussi à convaincre Elian.
- J’ai réussi à convaincre la reine des elfes, la corrigea Bintou. Lui… Comment dire… C’est tendu entre eux.
Faïza sourit.
- Félicitations, lança-t-elle en accompagnant ses mots d’un clin d’œil.
- C’est quoi ici ? demanda Atumane.
- Moi, je me demande surtout comment ils font pour faire voler un truc aussi énorme, précisa Faïza. C’est immense et ils ne sont qu’une poignée… à peine une vingtaine et encore ! Fratel et Mil’s nous surveillent, Ju’ul ne peut plus accéder au shen et il y a deux qui encadrent Amadou qui se trouve dans ce bâtiment, là-bas.
Bintou enregistra l’information.
- Vous êtes là depuis longtemps ? interrogea Bintou.
- On vient d’arriver, comme toi, précisa Atumane. D’ailleurs… J’ai le droit de me barrer ? demanda-t-il à Fratel.
- Non, indiqua l’eoshen.
- J’ai le droit de me promener ?
- Si tu veux, indiqua-t-il en haussant les épaules.
- Mais tu vas me suivre partout.
- C’est ça.
- Ça ne te fait pas chier ?
- C’est ma mission, répondit calmement l’eoshen.
- Et tu dois me suivre à la trace jusqu’à ce que… ? interrogea Atumane.
- Il me dise d’arrêter, dit l’eoshen en désignant le shale du menton.
Bintou sourit. Cette conversation énervait Atumane alors que l’eoshen restait parfaitement stoïque.
- Et ça te dirait de combler agréablement ce temps ? susurra Faïza à Mil’s.
- Non, répondit-il fermement mais calmement.
Faïza n’avait pas l’habitude de se faire rembarrer de la sorte. Bintou ne put s’empêcher de rire. Faïza lui envoya un regard noir.
- Quoi ? s’exclama Bintou. Honnêtement, c’était couru d’avance.
- Pourquoi ?
- C’est un elfe noir. Évidemment qu’il allait refuser.
- Je croyais que les elfes passaient leurs journées à baiser, répliqua Faïza.
- Les elfes des bois, oui. Chez les elfes noirs, seuls les reproducteurs en ont le droit.
- Cela me plairait beaucoup de coucher avec toi, indiqua Mil’s à Faïza.
Bintou en avala de travers. Elle dut tousser bruyamment pour s’en remettre.
- Quoi ? s’exclama Bintou, ahurie.
- C’est juste que ma mission est de te surveiller et que l’activité que tu proposes est incompatible avec son bon accomplissement, indiqua Mil’s. Repropose-moi quand elle aura pris fin et ma réponse changera.
- Elle prendra fin à quel moment exactement ? Je dois faire quoi pour que tu me lâches la grappe ? lança Faïza, passablement énervée.
L’eoshen sourit. Visiblement, il connaissait la réponse mais n’avait aucune envie de la lui révéler.
- Putain ! Il m’énerve !
Bintou rit. Constatant que le shale était enfin tranquille, elle se rapprocha de lui.
- Je t’autorise à reprendre ton activité, indiqua-t-il.
Sans attendre, Bintou se mit à genoux et supplia à nouveau, sans relâche, qu’il l’accepte comme apprentie.
- Je dois me mettre à genoux pour que ta mission prenne fin ? lança Faïza en constatant l’attitude de son aînée.
- Pas devant moi, indiqua Mil’s.
Faïza le transperça des yeux puis dévisagea le shale avant de lever les yeux au ciel.
- Ben t’es pas prêt de voir ta mission prendre fin, gronda-t-elle. Je ne suis l’esclave de personne.
- Évidemment que Bintou n’est pas mon esclave, souffla le shale. Elle a cessé de l’être à l’instant où elle a choisi de partir et ne le sera plus jamais.
Le regard de Faïza fut brûlant.
- Alors pourquoi est-elle à genoux ? gronda-t-elle.
Bintou allait répondre mais d’un geste, il lui intima de se taire alors elle garda le silence.
- Ce n’est pas ton esclave mais quand tu ordonnes, elle obéit, fit remarquer Faïza.
- Ça s’appelle le respect, gronda Mil’s, choqué par la réflexion de Faïza.
- Le respect ? s’étrangla Faïza. Je devrais respecter un eoshen, c’est ça ? Pourquoi ? Vous vous croyez supérieurs à nous ?
- Personne ne te demande de respecter un eoshen, répliqua Mil’s.
Faïza cligna plusieurs fois des yeux. Elle ne comprenait visiblement pas. Elle haussa les épaules, leva les yeux au ciel puis soupira avant de lâcher l’affaire. Elle se dirigea vers Atumane avec la claire intention de partager un moment intime avec lui, escorte ou pas. Atumane sembla réceptif et le couple disparut derrière un arbre. Les deux eoshen en charge de leur surveillance restèrent à la parfaite distance, convenable tout en étant proches.
- J’accepte ta demande, indiqua-t-il finalement. Tu peux te relever.
Bintou avait envie de lui sauter au cou de joie.
- Ne franchis pas la ligne, gronda-t-il.
Bintou se leva en restant sur place, se mordant la lèvre inférieure, les yeux brillants, le cœur battant à mille à l’heure.
- Commençons par te rendre ton accès au shen, dit-il.
- Tu n’es pas arrivé… murmura-t-elle.
Il sourit pleinement avant de redevenir grave.
- Bintou, arrête de lutter, souffla-t-il.
Elle plongea son regard dans le sien. Il dut y lire son incompréhension car il compléta :
- Les émotions font partie de toi… Pire que ça : elles sont toi. Tenter de les repousser est comme vouloir te tuer. Bien sûr que tu échoues. Personne ne peut réaliser un tel miracle. Tu te souviens : aucune émotion n’est mauvaise. Accepte-les. Ne les contiens pas. Laisse-les se déverser. Hurle, pleure, crie si besoin. On peut utiliser le shen tout en riant. Comment peux-tu vouloir aider le peuple sans empathie ? Pour soutenir une famille en difficulté, il faut ressentir leur douleur, partager leur peine mais également leurs joies et leurs rires. Cela fera de toi une meilleure magicienne. Ne les repousse pas. Écoute-les. Comprends-les. Accepte-les.
Bintou secoua la tête. C’était trop dur. Comment réaliser un tel miracle ?
- Je n’ai pas dit que c’était facile, précisa-t-il, mais c’est la clef de la réussite. Tu es tes émotions. Les rejeter, c’est te repousser toi-même. Le shen ressent ta haine de toi-même et fuit. Fais la paix avec tes sentiments, tous, et il reviendra.
Bintou en avait les larmes aux yeux. Elle aimerait tant réussir. Elle ignorait comment réaliser un tel miracle.
Il se tourna vers un eoshen qui attendait patiemment à quelques pas de là. Bintou s’éloigna pour se rendre au bord du terrain volant, dévoilant le lac Lynia des centaines de pas plus bas. La vue était splendide, apaisante. Les larmes se tarirent mais pas le flot d’émotions qui inondaient toujours l’esprit de Bintou.
- Je peux t’aider, si tu veux, dit un eoshen en apparaissant près d’elle. Je m’appelle Ilyam.
- Que tes nuits soient sombres, Ilyam, dit Bintou. Tu vas m’aider à faire quoi ?
- Que tes nuits soient sombres, Bintou. À gérer tes émotions, précisa Ilyam. Je suis passé par là aussi. Tu veux bien essayer ma méthode ?
Bintou hocha la tête. Il lui proposa de s’asseoir sur un rocher en face de lui et elle accepta. De sa sacoche, il sortit une petite amphore au large bec. Bintou s’en saisit. Il attrapa ensuite un petit caillou sur le sol et le lui montra.
- Ceci représente ton émotion principale du moment. Es-tu capable de l’identifier ? Tu peux tout dire. Personne d’autre que moi n’écoute.
Bintou grimaça. Son émotion principale, elle la connaissait très bien. La dire à voix haute, en revanche, c’était hors de question. Personne d’autre n’écoutait ? Elle en doutait fortement.
- Nous connaissons tous la difficulté de ce moment et la respectons, précisa Ilyam. Personne n’écoute. Tu peux parler sans risque. Je serai le seul à entendre et cela restera entre toi et moi.
Bintou leva les yeux sur Ilyam. Ces gars-là possédaient un fort esprit de groupe et de cohésion. Nul doute que le respect de l’intimité de chacun faisait partie d’une règle tacite mais acceptée de tous.
Bintou regarda autour d’elle avec appréhension puis se détendit, acceptant de croire l’eoshen. Cela la rassura un peu et désormais, l’impossibilité de parler ne venait plus de l’extérieur, mais d’elle-même. Le dire à voix haute, c’était l’admettre et l’admettre, c’était lui lâcher la bride. Or elle voulait retrouver l’usage du shen, pas le perdre encore plus.
Il avait dit qu’elle devait au contraire accepter ses émotions, qu’elle faisait fausse route en cherchant à les contrôler. Comment les accepter ?
Ilyam dut sentir sa difficulté car, avec un petit sourire, il attrapa un petit caillou, le plaça dans la paume de sa main gauche dirigée vers le haut et proposa :
- Je vais essayer de deviner ce que tu ressens. Si j’ai raison, tu prends le caillou. Ça te va ?
Bintou ne put s’empêcher de sourire en retour. Passer par le jeu, via un défi, c’était intelligent. Elle reconnaissait une astuce de formateur et l’accepta volontiers. Être de l’autre côté ne faisait pas de mal, après tout.
Ilyam allait se planter de toute façon. Il ne la connaissait pas. Il ne pourrait pas déterminer ce qu’elle ressentait. C’était impossible. Elle ne risquait donc pas grand-chose.
- Je l’aime, dit-il.
Il n’avait pas besoin de préciser vers qui se tournait cette émotion. C’était une évidence. Bintou bouda tout en prenant le caillou. Comment avait-il pu déterminer cela ? Était-elle si transparente ? Ilyam lui envoya un petit clin d’œil. Il ne la jugeait pas, ne la critiquait pas, ne se moquait pas. Il semblait juste ravi d’avoir bien saisi le nœud du problème.
- Maintenant, annonça Ilyam en redevenant grave, et c’est très important que tu le comprennes : l’amphore, c’est toi. En mettant le caillou dedans, tu ne vas pas te débarrasser de cette émotion. Au contraire, tu vas l’accepter, admettre que tu la ressens, lui permettre d’exister.
Bintou eut l’impression que le caillou lui brûlait les doigts. Elle n’arrivait pas à le dire alors il lui proposait un geste, plus aisé à réaliser. Et pourtant, ce ne fut pas simple.
- Quand tu te sens prête, tu mets le caillou dans l’amphore, indiqua-t-il.
Son visage se couvrit de larmes. Elle ne pouvait pas. Pourquoi ne pouvait-elle pas ? Il s’agissait uniquement d’un stupide caillou à mettre dans une simple amphore de terre cuite ! Ça ne devrait pas être si difficile ! Et pourtant, elle n’y parvenait pas. Elle voulait. Elle le voulait tellement ! Sa main refusait de bouger.
- C’est peut-être parce que tu es en dualité, proposa Ilyam.
Il prit l’amphore et la posa devant Bintou avant de récupérer un autre caillou par terre, qu’il plaça cette fois dans sa main droite.
- Comme tout à l’heure, je propose. Si j’ai raison, tu prends le caillou dans ton autre main.
Bintou hocha la tête en grimaçant. Voilà maintenant qu’il se proposait carrément d’aller au-delà de ses émotions. Bintou ne ressentait qu’un violent et profond amour pour le shale. Non pas qu’elle refusait d’admettre qu’elle ressentait autre chose, mais il s’agissait bien de son émotion principale, ce qui était le but de l’exercice. Ilyam supposait qu’un autre sentiment, de même force, l’empêchait d’accepter celui-là. Bintou ne voyait pas bien lequel.
- Je le hais, dit-il.
Bintou s’en figea de stupeur. Pendant un long moment, elle fut perdue. Ressentait-elle cela ? Avait-il raison ? Le haïssait-elle ? L’évidence s’empara d’elle. Oui. Elle lui en voulait : de ne pas l’avoir formée, de ne pas l’avoir protégée, de l’avoir laissée partir, de l’avoir laissée seule, de lui avoir laissé penser qu’il était mort. Elle le détestait de toutes ses forces.
Terriblement triste et dévastée, elle saisit le caillou.
- Tu as le droit d’aimer et de haïr, de pleurer et de rire, d’avoir peur et d’être courageuse, d’être joyeuse et triste, comblée et frustrée.
Mais si elle le détestait, comment le prendrait-il ? Ne risquait-elle pas de le perdre ? Elle craignait tellement qu’il s’éloigne s’il savait…
- Tu viens de passer à l’émotion suivante, dit-il. Tu peux mettre ces deux cailloux dans l’amphore.
Bintou constata qu’il avait raison. En tombant, ils firent un petit bruit aigu et Bintou se sentit mieux, comme si un énorme poids venait de disparaître… et soudain, un second tsunami la renversa, un ouragan de terreur, une tornade d’angoisse.
Il prit un caillou et le lui tendit.
- Et si tu le disais toi-même ? proposa-t-il. C’est rigolo de deviner et d’avoir raison mais l’exercice fonctionne carrément mieux quand ça vient de toi.
- J’ai peur, admit-elle en le prenant.
- Développe. Peur de quoi ?
- De le perdre, de me perdre, de sa colère, de lui faire de la peine, d’être rejetée, de lui déplaire, de ne pas être à la hauteur, de le décevoir, d’être déçue, énuméra-t-elle et chaque mot la libérait.
- Tu as le droit, indiqua-t-il. Tu as même le droit de te trouver stupide d’avoir peur.
Elle sourit à cette remarque.
- Et ce n’est pas parce que tu trouves débile ces angoisses que tu dois les repousser pour autant, précisa-t-il. Elles font partie de toi. Il faut que tu les acceptes. Ça ne veut pas dire non plus que tu dois y succomber et passer tout le reste de ta vie à pleurer, à te figer de terreur dans l’inaction ou à fuir.
- Je dois les accepter pour travailler dessus et avancer, comprit Bintou et il hocha la tête.
Elle plaça le caillou dans l’amphore et son esprit s’apaisa, pour repartir de plus belle vers une immense tristesse. Bintou saisit le caillou et exprima son ressenti avec confiance. Il écoutait sans juger. Il la guidait avec douceur sans critiquer. Il ne s’immisçait pas dans son esprit. Il la laissait évoluer à sa guise, l’aidant à se positionner au mieux.
Dix-sept cailloux plus tard, Bintou savait que le suivant serait le dernier. Elle le saisit, regarda Ilyam dans les yeux et souffla « Je te suis reconnaissante » avant de le lâcher dans l’amphore et soudain, l’assemblage de l’eoshen apparut sous ses yeux. Elle ne put l’observer en détails car son esprit fut envahi par les pensées courant sur la toile.
« Bintou ! Enfin ! Tu es de retour ! » hurla Gabriel.
Les appels lui sautèrent au visage. Ils voulaient tous avoir de ses nouvelles.
« Je vais très bien, rassurez-vous.»
« Ravi de te revoir parmi nous » assura Mehmet. « Gabriel est au bord de l’explosion. Il hurle à longueur de journée. Devoir concilier les êtres humains et les trésors lui demande des efforts incommensurables. »
« Je suis sûre que tu t’en sors très bien, Gabriel » lança Bintou. « J’ai toute confiance en toi. Tu vas y arriver. »
« Merci, Bintou » lança Gabriel froidement avant de disparaître de la toile.
Il avait sûrement mieux à faire que de bavarder.
« La barrière tient bon », annonça Mehmet. « Les elfes... »
« Je te remercie, Mehmet, mais ton rapport attendra. J’ai mieux à faire pour l’instant », indiqua Bintou tandis que le shale approchait, Faïza, Atumane, Fratel et Mil’s sur les talons.
« Oh bien sûr ! Pardonne-moi. Je te laisse tranquille ».
Enfin, les appels cessèrent et Bintou fut un peu en paix. Son regard tomba naturellement sur Ilyam et elle frémit. Il n’avait pas de fil principal. Son assemblage de tissu volait autour de lui. Il puisait dans une réserve d’énergie capable d’emmagasiner un stock important et qui était, pour l’heure, presque vide. Son moi intérieur non relié, à peine visible au niveau de sa colonne vertébrale, ne le remplirait jamais. Pour que cet homme utilise la magie, il fallait que l’énergie vienne de quelqu’un d’autre. Sa communauté lui avait permis de survivre aussi longtemps, à n’en pas douter.
- Merci, Ilyam, lança le shale.
- Merci ? répéta Ilyam, abasourdi. Je m’attendais à me faire engueuler.
Bintou lui lança un regard interrogateur.
- Il n’aime pas que les eoshen interfèrent dans ses leçons, précisa-t-il. Il aurait dû faire cela lui-même. Je me suis dis que tu aurais du mal à exprimer cela à voix haute devant lui.
Bintou hocha la tête.
- Je te rappelle que tu n’es pas un eoshen, Ilyam, gronda le shale. J’ai toujours encouragé mes apprentis à collaborer.
- Tu n’as pas le droit au titre ultime parce que tu n’as pas trouvé ton moi intérieur ? supposa Bintou.
Ilyam blêmit. Qu’elle puisse savoir cela le stupéfiait.
- Tu veux que je te le montre ? proposa-t-elle.
Ilyam resta figé, en oubliant presque de respirer. Il se tourna vers le shale, cherchant du soutien.
- Tu fais comme tu veux, précisa le shale. Ce sera ton choix. Tu es libre d’accepter ou de refuser.
Ilyam se retourna vers Bintou.
- Tu peux me le montrer ? demanda-t-il, ahuri.
Bintou hocha la tête tandis que Faïza riait de la réaction de l’elfe noir.
- Oui, oui, je veux bien… carrément !
- Bien, alors, médite, le plus profondément possible.
L’elfe noir fronça les sourcils avant de fermer les yeux.
- Non, je ne veux pas que tu te relaxes, répliqua Bintou qui voyait par les fils en surbrillance dans l’assemblage qu’Ilyam augmentait sa réserve de régénération naturelle. Je veux que tu médites…
- Je ne comprends pas, avoua-t-il.
Bintou soupira. Ces termes étaient clairs pour les kwanzas. Il allait falloir tout expliquer aux eoshen. Ilyam se tourna vers le shale, qui, en réponse, haussa les épaules.
- Je veux que tu médites, répéta Bintou comme si elle parlait à un enfant demeuré. En connexion avec le shen.
- Je ne comprends pas, répéta-t-il.
Bintou soupira puis demanda :
- Tu veux bien que je te touche ?
Ilyam fit la moue. L’idée lui déplaisait franchement. Pourquoi voulait-elle poser la main sur lui ? Quelle était cette manière d’enseigner la magie ? Jamais le shale n’avait réalisé de contact physique pour lui faire passer de message !
- Euh… oui… euh…
- Là, indiqua-t-elle en désignant l’épaule gauche. Je peux te toucher à cet endroit ?
Il sembla rassuré par le lieu désigné et hocha plus franchement la tête. Bintou manipula doucement l’ancrage, le faisant sursauter.
- Détends-toi. Je ne vais pas te faire de mal, le rassura-t-elle.
- Ju’ul ne peut plus utiliser la magie après que l’un de vous l’ait touché, répliqua Ilyam.
- Je pourrais te faire la même chose, précisa Bintou. Je ne le souhaite simplement pas. Laisse-toi faire et suis-moi. C’est cette méditation-là que j’attends.
Elle caressa l’ancrage. Après à peine un instant, il repoussa sa main avec douceur pour annoncer :
- J’ai compris ce que tu veux mais c’est stupide. Cette méditation-là va dans le sens inverse de ce que je veux. C’est de mon moi intérieur dont il s’agit, pas de ma capacité à manipuler la magie. Ça, je sais le faire !
Faïza et Atumane sursautèrent. L’insulte envers leur mentor venait de les faire se hérisser ! Bintou garda son calme et ne rembarra pas son interlocuteur. Elle se contenta d’un profond silence et de le fixer, attendant qu’il s’exécute. Il se trémoussa, se tortilla puis finalement rendit les armes.
- Bon d’accord, soupira-t-il avant de fermer les yeux pour méditer.
- Le plus profondément possible, s’il te plaît, demanda Bintou.
L’eoshen s’enfonça doucement. Bintou profita de ce moment d’attente pour se tourner vers son ancien maître, savourant son assemblage de soie fine, son corps parfait, buvant sa beauté, appréciant de pouvoir le faire tout en gardant le lien avec le shen. Elle se sentait tellement bien, en accord avec elle-même. Elle se laissa bercer tandis qu’il lui souriait volontiers en retour.
- C’est bon, non ? lança Faïza.
Bintou se retourna vers Ilyam. Elle plongea sa main vers son assemblage et effleura le bout de fil sortant de sa colonne vertébrale avant de hurler de douleur.
- Non, Faïza, ce n’est pas bon, dit-elle en grinçant des dents.
- Pardon… Je pensais… dit-elle d’une voix sincère. Tu veux que je le fasses ?
- Parce que Faïza peut le faire aussi ? demanda le shale.
- N’importe quel kwanza peut le faire, précisa Bintou.
- Tu veux dire que… Vous voyez tous nos assemblages ?
Bintou hocha la tête.
- Sans exception ?
- Sans exception, confirma Bintou et il tiqua.
Il découvrait cette information et tentait visiblement d’en tirer des conclusions. Bintou effleura de nouveau la petite extrémité à peine visible. La douleur avait fortement diminué tout en restant trop insupportable pour une tentative non risquée.
La présence des magiciens autour d’elle lui aurait permis de réaliser son intervention dès maintenant. Les autres lui auraient sauvé la vie en projetant si besoin. Ceci dit, Bintou préférait nettement attendre et ne pas se mettre inutilement en danger.
- C’est moi ou les eoshen sont tendus ? lança Bintou au shale.
- Tu es de nouveau connectée au shen, répondit-il. Tu représentes un réel danger. Si tu l’utilises mal, tu peux faire s’écrouler cet endroit par exemple. Un peu de prudence ne fait pas de mal.
Bintou acquiesça.
- Moi aussi je suis connectée à la magie et tout le monde s’en fout ! répliqua Faïza.
- Ta présence, celle d’Atumane et d’Amadou sont autant de menaces, répliqua le shale. Si vous êtes surveillés, ce n’est pas pour rien.
Faïza ronchonna tout en souriant. Elle était heureuse d’être considérée comme un danger. Bintou essaya de nouveau. Le choc fut largement supportable. Elle décida donc de lancer l’opération.
Sous les regards éberlués de Fratel et Mil’s qui, ne percevant pas l’assemblage, voyaient juste Bintou bouger ses doigts dans le vide entre elle et Ilyam, la Mtawala attrapa le fil et tira doucement. Il résista et tenta de repousser l’agression. Ilyam sursauta.
- Je ne te ferai aucun mal, le rassura Bintou. Je vais te faire trouver ton moi intérieur. Calme-toi. Tout va bien.
Ilyam était tendu malgré sa méditation profonde. Il se crispait. Son visage était fermé au lieu d’être souriant. Bintou imaginait avec facilité sa souffrance, sa peine de ne pas trouver son moi intérieur, la honte qu’il devait ressentir.
Bintou continua à tirer, laissant le fil repartir en arrière de temps en temps afin de le rassurer. Elle le berça, le cajola, le caressa, le fit grandir avec bienveillance et compassion. Ilyam respirait de plus en plus difficilement. Il haletait, se tordait, tressautait, frémissait, gémissait même par moment.
- Où penses-tu qu’il s’attache ? demanda Bintou à Atumane.
- Je n’en ai aucune idée, admit volontiers le kwanza. Je n’ai jamais rien compris à ce que tu fais. Je veux dire… Je comprends le principe mais…
- Faïza ? lança Bintou.
- Je ne sais pas, maugréa la kwanza.
- Quoi ? s’exclama Atumane. Mais tu l’as fait des dizaines de fois !
- Sur un assemblage basique ! se défendit Faïza. Regarde le sien ! C’est du tissu. Je ne vois même pas ses ancrages tellement ils sont petits. Les fils sont tellement proches les uns des autres ! Cela requiert un doigté que je sais ne pas avoir. Je sais qu’il doit s’accrocher dans cette zone, indiqua-t-elle et Bintou confirma d’un geste. Mais où exactement ? Pff… Ça pourrait être là, ou là, ou là.
- Que se passe-t-il si tu ne l’accroches pas au bon endroit ? interrogea le shale.
- L’énergie d’Ilyam se déversera au beau milieu de son assemblage, sur des fils incapables de supporter une telle puissance. Au mieux, ils brûleront. Au pire, ils seront détruits.
Fratel et Mil’s frémirent. Nul n’avait envie que cela se produise. Bintou accrocha le fil à l’endroit exact où il devait aller et l’assemblage se mit à vibrer. Il brilla puis s’éleva, flottant dans un vent invisible. Ilyam retrouva instantanément une respiration calme et une profonde détente s’empara de lui. Sa méditation changea. Il contacta son moi intérieur et sa réserve énergétique fit un formidable bond. Ilyam ouvrit les yeux. Un immense sourire barrait son visage.
- Bienvenu parmi nous, eoshen, dit le shale et Ilyam hurla de joie.
Fratel et Mil’s l’enlacèrent tandis que d’autres elfes noirs s’approchaient pour féliciter leur ami. Bintou constata qu’Ilyam possédait déjà l’ancrage correspondant à la projection. Malgré son absence de connexion au moi intérieur, il avait pu apprendre à projeter grâce aux dons d’énergie réalisés par sa communauté. Une très belle preuve d’amitié, de soutien, de partage, de solidarité.
Les eoshens vont former les kwanzas ? Je ne crois pas que ça se fera dans les deux sens, puisque les capacités des kwanzas que les eoshens n'ont pas, ça vient juste de leur capacité à voir les assemblages et les eoshens ne peuvent pas.
Bonne lecture !