Les yeux de Liam passent une nouvelle fois de moi à l’horloge qui trône sur son bureau. Ses doigts martèlent le bois de la table. Je l’ai rarement vu aussi nerveux.
- Qu’est-ce que fout ta supérieure ? peste-t-il.
Je hausse les épaules comme à chaque fois qu’il me pose la question. Elena aurait déjà dû venir me chercher depuis presque deux heures. Le regard du capitaine revient de nouveau sur moi.
- Si elle n’est toujours pas là dans une demi-heure, je te ramène dans ta chambre.
Je hoche la tête.
- Elle a sans doute eu un contretemps, tenté-je pour le rassurer.
- Elle aurait pu prévenir. C’est la moindre des choses, s’énerve le jeune homme.
Ses doigts continuent à tambouriner la table de plus en plus fort. Ce bruit incessant commence à mettre mes nerfs à rude épreuve.
- Liam, si ma présence te dérange à ce point… »
- Absolument pas, me coupe-t-il.
Le silence retombe. Bien que peu de temps se soit écoulé, il jette un nouveau coup d’œil au cadran. Sa mâchoire se crispe.
- Liam tu es sûr que ça va ?
Il m’ignore. Je répète ma question. Il sort de sa torpeur et me regarde surpris.
- Tout à fait, c’est juste que mon boulot me préoccupe.
- Les rebelles ? ne puis-je m’empêcher de demander.
Il hoche légèrement la tête. Cela m’étonne d’habitude, il me fait son sermon sur ma trop grande curiosité. Sa nervosité semble être montée d’un cran. Soudain, le capitaine frappe son bureau du plat de la main.
- Je te ramène, s’exclame-t-il.
Liam se lève de son siège. À peine est-il debout qu’il pâlit violemment avant de porter sa main à sa poitrine.
- Pas maintenant ! panique-t-il.
Il tente de se rassoir, mais rate son fauteuil. Il s’effondre. Ne le voyant pas se relever, je contourne la table alarmée. Je laisse échapper un cri en découvrant Liam gisant au sol, le corps pris de convulsions. J’accours à ses côtés et me retrouve face à mon incompétence. Mon inquiétude augmente. Que dois-je faire ? Le capitaine tente de désigner d’une main tremblante le tiroir de son bureau. En tout cas, c’est ce que je suppose. Je l’ouvre d’un coup sec. Sa bouteille de morphine et une seringue se trouvent à l’intérieur. Je les sors. Je suis paralysée. Tout se bouscule dans ma tête. C’est dangereux. Je n’y connais rien.
- Isis, articule Liam presque à l’agonie. Vite.
En remarquant, la détresse du jeune homme, je tente de garder mon sang-froid. Sans plus attendre, je remplis la seringue et la lui injecte dans le bras. Le corps de Liam se calme jusqu’à ne plus bouger. Une sueur froide glisse le long de mon dos. Est-ce que j’ai réussi ? Est-ce qu’il est vivant ? Ce n’est que lorsque celui-ci ouvre les yeux que je me détends enfin. Il passe une main sur son visage et inspire profondément. Je retire ma veste pour la placer sous sa tête. Il respire bruyamment et sue à grosse goutte. Je tamponne son front avec un mouchoir. Après de longues minutes, il essaie de se redresser. Je l’en dissuade. Il se rallonge et défait le premier bouton de sa chemise.
- Cela t’arrive souvent ? lui demandé-je.
- Assez.
- Qu’est-ce ? Une maladie ?
Il tente un sourire qui se transforme vite en grimace.
- On peut dire ça.
Ses réponses sont brèves. Sa main se crispe sur son thorax. Il se met à le frotter fiévreusement. Je bloque son bras et entreprends de déboutonner le reste de sa chemise pour voir ce qui le démange à ce point. Il cherche à m’arrêter avec des gestes maladroits.
- Ça va passer ! m’affirme-t-il.
Il empoigne le haut de sa chemise pour la fermer. Je l’écarte sans difficulté. Il est trop faible pour résister. Lorsque je dégage son torse, mes mains se figent dans les airs. Une large blessure lui traverse la poitrine. La tristesse et peut-être la lassitude se dessinent sur le visage du jeune homme. Il se redresse et s’adosse à son bureau ses jambes tendues devant lui. Je n’ai toujours pas réagi. La honte m’envahit.
- Pardon, m’excusé-je. Je ne voulais pas… »
D’un geste, il me fait comprendre qu’il ne m’en veut pas.
- Il fallait bien que cela se découvre un jour, déclare-t-il.
- Comment t’es-tu fait cela ? Lors d’une bataille ?
- C’est une longue histoire, soupire-t-il le regard perdu au loin.
- J’ai tout mon temps.
Ses yeux se posent à nouveau sur moi.
- Si je dois te le dire, sache que tu ne pourras plus revenir en arrière.
- Pourquoi ?
- C’est la raison pour laquelle je me trouve dans cette base.
Son expression se durcit et il murmure sans attendre ma réponse ou peut-être, car il la connaissait déjà.
- Si je suis ici, c’est pour me venger.
Les secondes s’écoulent. Je le regarde sans comprendre.
- Te venger de quoi ? demandé-je sceptique.
Il pointe son thorax du doigt.
- Cette blessure est tout sauf naturelle. As-tu entendu parler du projet 66 ?
- Non, avoué-je.
Toutefois, j’ai une curieuse impression de déjà-vu lorsque Liam a évoqué ce chiffre, mais impossible de me rappeler où. Mon ami glisse la main sous le tiroir où se trouvait sa morphine et détache une enveloppe. Il me la tend. Je la prends hésitante. Voyant que je ne l’ouvre pas, il me dit :
- Ce sont les réponses à toutes tes questions.
Je ne doute plus et sors les documents qui sont à l’intérieur. J’y déniche des listes où de nombreux numéros sont écrits, la plupart d’entre eux est accompagnée du mot échec. Un est entouré plusieurs fois en rouge.
- C’est quoi ? demandé-je.
Il se pointe du doigt.
- Mais non, m’étonné-je. Il y a marqué un numéro.
- Je suis le numéro 126.
Je détourne les yeux, persuadé qu’il se moque de moi et me replonge dans le dossier. Je comprends à peine le quart, mais je continue à lire. Je me sens obliger. Soudain, la nature des documents change et je tombe nez à nez avec plusieurs photos. Je manque de rendre mon repas de midi. Plusieurs personnes fixent l’objectif dont certains sont complètement défigurés. J’ai du mal à reconnaitre des êtres humains. Parmi toutes ces photos, l’une d’entre elles m’interpelle, elle représente un jeune garçon chauve qui ne doit pas dépasser la quinzaine. Son regard est éteint. Toutefois, ce visage me semble familier. Un nom a été écrit au verso : George Raad. Soudain, je le reconnais. Je lève les yeux vers mon ami en face de moi. Mes mains se mettent à trembler.
- Liam, qui es-tu ?
Il attrape une feuille qui est tombée à mes genoux et me montre le titre : Projet 66.
- Il y a 8 ans, je me suis retrouvé comme toi, promis à participer à un grand projet. Le seul élément est que moi, on me l’a promis avant que j’arrive ici. J’étais idiot et je me suis inscrit, persuadé d’avoir un rôle à jouer.
Il rit jaune.
- Ma place, je l’ai eue, mais elle a aussi foutu toute ma vie en l’air.
Il ouvre davantage sa chemise pour que je puisse voir sa plaie qui lui barre le torse.
- Qu’est-ce que j’y ai gagné ? Rien à part de la souffrance et des désillusions. Il pointe sa blessure du doigt. Elle est là constamment pour me rappeler la connerie que j’ai commise.
Il crache littéralement ses dernières paroles. Je suis mal à l’aise. Je n’ose pas lui demander plus, de peur qu’il ne dise plus rien. Mais surtout, je crains de découvrir ce que je refuse d’accepter. Car au fond de moi je sais qu’il a la réponse à la question qui ne me quitte plus depuis que je suis dans cette base. « Pourquoi l’armée nous a-t-elle fait venir ici ? » Liam revient vers moi.
- Depuis longtemps, cette base supervise des recherches sur les maladies. Lorsque le maréchal Darkan est arrivé à sa tête, il y a 30 ans, les recherches n’ont plus que concerné la création d’une en particulier. Je ne vais pas rentrer dans les détails de sa fabrication, car je ne comprends que la moitié, mais sache une chose Isis, de manière fréquente de nombreux cobayes sont proviennent de tout le pays pour mener à bien ces expériences. J’en ai été un et toi tu y étais destinée. Si Darkan… »
Je me relève brusquement horrifiée par ce que je suis en train d’entendre. La vérité que je refusais de voir commence à s’imposer à moi définitivement.
- Tu mens, hurlé-je. Ce n’est pas possible.
- Rassois-toi et baisse d’un ton, m’ordonne Liam d’une voix où pointe la peur.
Remarquant que je ne bouge pas, il me tire vers le bas. Sa force est revenue. Il m’oblige à fixer une des photos qui provient du dossier.
- Tu crois vraiment que je désire plaisanter avec ça ? se fâche-t-il. Combien sont morts pour cette… »
Il étouffe un sanglot, mais se reprend tout de suite après.
- Plusieurs de mes amis sont morts et tu voudrais que je mente ?
- Ce n’est pas ça. C’est juste que… »
Je n’arrive pas à trouver les mots exacts.
- C’est juste, répété-je. C’est trop gros, trop grave.
Le capitaine relève une manche de son uniforme. Une large brulure s’étend sur tout son avant-bras. Il rapproche la plaie de mon visage et me montre un endroit. Difficilement, je parviens à y lire un un, un deux et, je présume, un six. Le doute n’est plus permis. Liam finit par déclarer d’une voix douce :
- La vérité n’est jamais celle que l’on veut entendre. Elle nous déçoit constamment.
La respiration de Liam devient plus pénible. Je crains qu’il ne fasse une nouvelle crise. Je lui passe sa bouteille de morphine. Il la prend et la range dans son tiroir.
- Ne t’inquiète pas. Maintenant que tu sais, je ne dois plus me cacher.
- Tu souffres ?
- Tout le temps.
Le malaise revient plus fort qu’avant. Les questions se bousculent dans mon esprit. Je n’arrive pas à faire le point sur ce que je viens d’entendre. L’homme qui se trouve en face de moi me semble complètement étranger. Je repense à ce qu’il m’avait dit « nous jouons tous un rôle qui ne nous correspond pas dans cette base ». Jamais, je n’aurais supposé que cela l’était à ce point le concernant. Comment a-t-il réussi à cacher ce secret pendant tout ce temps ? J’ai beau réfléchir, à part la bouteille de morphine rien n’aurait pu me mettre sur la piste. Et pourtant les preuves sont là, les photos, ses cicatrices. Il faudrait être aveugle pour ne pas le croire. Malgré ça, je n’y arrive pas. Je dois en savoir davantage. N’y tenant plus, je finis par demander prudemment :
- Comment as-tu réussi à t’enfuir ?
L’expression de Liam change soudain du tout au tout comme s’il venait de comprendre quelque chose. Son regard me glace le sang. Avant d’avoir pu réagir, le capitaine m’empoigne le bras brusquement et m’attire vers lui. Je suis terrifiée. Il colle presque ses lèvres à mon oreille pour déclarer :
- Tu en sais déjà beaucoup, trop peut-être. Je ne peux plus te laisser partir si je n’ai pas la certitude de ton silence.
Je me mets à trembler violemment. L’expression de Liam se détend quelque peu.
- Je ne te ferais rien, m’assure-t-il.
J’ai du mal à le croire.
- Tu me menaces. Que veux-tu que je fasse d’autre ? fis-je remarqué, puis d’une voix plus suppliante qui monte dans les aigües je déclare. Je ne dirai rien promis.
- Puis-je vraiment te faire confiance, Isis ?
Sa poigne se relâche quelque peu.
- Oui, bégayé-je, mais je doute d’être très convaincante.
Cependant, Liam me lâche définitivement. Je sais que je ferai mieux de me taire, pourtant impossible pour moi de quitter cette pièce sans réponse.
- Ta fuite… »
- J’ai été aidé, me coupe-t-il.
- Par qui ?
Il s’accorde quelques secondes avant de me répondre sans hésitation cette fois :
- Les rebelles et depuis je suis l’un d’eux.
De nouveau, il me faut un certain avant d’avoir les idées claires. Toutefois, aucun son ne sort de ma bouche. C’est Liam qui prend les devants.
- Nous avons besoin de ton aide Isis, dit-il de but en blanc d’un ton presque pressant.
- En quoi ? m’étonné-je.
- Après le maréchal Darkan, le major général Tellin et le docteur Assic, l’élément central du projet est ta supérieure Elena Darkan.
- Elena n’a rien avoir avec ça, dis-je d’une voix blanche.
- Et où crois-tu qu’elle se rende quand elle a ses missions ? Ne me dis pas que tu ne t’es jamais demandé pourquoi elle revenait toujours blessée.
J’écarquille grand les yeux, car la réalité vient de me frapper de plein fouet. Je revois le papier qu’elle avait laissé tomber et ce chiffre 66 qui y était écrit. J’observe Liam en silence qui attend une réaction de ma part.
- Qu’est-ce qu’elle accomplit là-bas ? demandé-je plus confuse que jamais.
Le capitaine s’humecte les lèvres.
- Je pense que tu l’as deviné, Isis, se contente-t-il de me répondre d’une voix désolée, puis rajoute. Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de ton aide. Es-tu avec nous ?
À ce moment-là, je suis bien incapable de donner la moindre réponse sensée. Je passe une main sur mon front où la sueur commence à perler. Cela fait beaucoup trop à la fois. C’est pourquoi je n’arrive qu’à murmurer :
- Je ne peux pas, Liam. Je dois y réfléchir. Tu viens de m’apprendre coup sur coup que tu es un rebelle, que ma supérieure n’est pas celle que je croyais et surtout que j’ai manqué de peu de devenir un cobaye pour des expériences médicales. Comment veux-tu que j’aie les idées claires après ça ? J’ai besoin de temps.
Je croise son regard presque désespéré.
- S’il te plait, Isis. Ne m’abandonne pas, me supplie-t-il presque.
J’inspire et expire longuement.
- Désolé Liam, c’est juste que je suis complètement perdue. Du temps, c’est tout ce que je te demande. Je te promets que je ne trahirais pas, mais j’ignore quand pouvoir te donner ma réponse.
Le capitaine ferme les yeux. Je peux ressentir sa déception, mais pour le moment c’est tout ce que je peux lui promettre. Je me relève chancelante. Il ne fait rien pour m’arrêter et se contente de me fixer avec intensité. Dérangé par ce regard, je tourne les talons pour sortir. Toutefois, au dernier moment, il déclare :
- Je t’ai dit ce que je savais, alors s’il te plait ne fais pas comme moi. Ne te laisse pas avoir par ces gens qui n’en ont strictement rien à faire de nous. Ne l’oublie pas, Isis. Je suis de ton côté, eux pas.
Sans un mot, je sors de cette pièce, plus incertaine que jamais.
Par ailleurs, on ne peut que souhaiter que Liam et Hans se parlent, car apparemment on peut vivre un certain temps avec ce poison, du moment qu'on a de la morphine a proximite. A propos de morphine, je pense qu'une petit mention sur le type d'injection que Liam demande a Isis de faire, intraveineuse ou intramusculaire, serait bienvenu.
A part ces petits details, c'est tres interessant et on voit que les personnages sont amenes a prendre des decisions relatives a l'obeissance, le courage personnel, la loyaute... Bon courage pour la suite! (Et comme j'etais coincee au boulot ces derniers jours, la suite est deja la!)