Valkys :
Depuis plus d’un mois, Valkys suivait en silence le groupe de la fille d’Elira. Chaque soir, près du feu, alors que les deux élus se recueillaient, l’un de leurs compagnons disparaissait. Intriguée, elle avait tenté de le filer dans la nuit. Mais, chaque fois, il se volatilisait. Quand elle revenait à son point d’observation, où son Tyrgrill l’attendait, l’homme réapparaissait dans le camp comme par enchantement.
Impossible. Où disparaissait-il ? Comment ?
Une nuit, il lança même un sourire de défi dans sa direction, comme s’il savait qu’elle était là.
Le jeune Loup, lui aussi, semblait sur ses gardes. Ses yeux fouillaient régulièrement les ombres, comme s’il sentait sa présence. Valkys décida alors de garder ses distances. Elle interviendrait le moment venu.
Sur son chemin, elle croisa des créatures de Malkar, quelques sœurs Zarktys. Aucun affrontement. Seulement des salutations guerrières. Pourtant elle sentait que ça n’en resterait pas là. Et au final, peu lui importait, elle était prête.
Puis vint le jour où la Tour de la Conception se dressa devant eux. Valkys observa le groupe se scinder : la plupart entrèrent, les autres restèrent dehors, sous la tempête qui éclatait déjà.
Le vent soufflait d’étranges courants venus du sud et de l’est. Elle caressa son Tyrgrill pour le calmer, guettant. Des heures passèrent. Soudain, une lumière jaune jaillit de la tour. Un souffle titanesque balaya les Terres Abandonnées. Son Tyrgrill prit peur, mais Valkys le contint.
C’était le moment. Les élus ne vaincraient pas Dalar.
D’un coup de talon, elle lança sa monture vers le chemin qui menait à la tour. Quatre hommes l’y attendaient, armes levées. Trois femmes étaient avec eux. Le fracas des vagues remplaçait le silence.
— N’avancez pas ! cria l’un d’eux.
Le Tyrgrill fit deux pas. Valkys reconnut celui qui parlait : l’ami du jeune Loup, toujours à ses côtés.
— Je pourrais m’arrêter, dit-elle. Mais vos amis ne survivront pas.
— Comment savez-vous… qui êtes-vous ?
— Disons que je suis une amie proche de la mère d’Aelia, l’Hirondelle de Talharr.
Elle approcha encore. Elle détailla les visages : la vieille herboriste qui la scrutait, la sœur du Loup sondant son cœur, et l’amie d’Aelia jaugeant quelle arme elle sortirait. Valkys sourit gaiement.
Les guerriers, eux, tremblaient devant le Tyrgrill.
— Nous n’avons pas de temps à perdre. Ce n’est pas Malkar qui se trouve dans cette tour.
Bien qu’on nous l’ait affirmé, se dit-elle.
— Il s’y trouve le dieu le plus puissant. Le dieu déchu. Notre père à tous.
— Dalar, souffla l’herboriste.
— Exactement. Il va utiliser les deux élus comme source de pouvoir, sa force redeviendra celle d’autrefois. S’il réussit alors ce monde est perdu.
Un silence glacé suivit.
— Laissez-la passer, dit la vieille femme d’une voix soudain rajeunie.
Les armes s’abaissèrent. Mais au moment où Valkys allait pénétrer dans la tour, le sol trembla.
— Qu’est-ce que… On est fichus, lâcha l’ami du Loup.
Au loin, un nuage de poussière rouge. Une armée.
Ils sont déjà là.
Si les élus sortaient, ils seraient massacrés. Mais s’ils mouraient à l’intérieur…
Une armée des Terres Abandonnées leur faisaient face, restant au bout du chemin, les observant. Valkys hésita.
— Si on les laisse prendre la tour, tout est perdu ! dit la sœur du Loup.
Elle a raison.
Elle amena son Tyrgrill faire face à l’ennemi. Les quatre guerriers campèrent juste derrière elle.
Valkys observa la masse de créatures surgit au bout du chemin : Géants Rouges, Eldres, Malakar, créatures difformes armés jusqu’aux dents, et comme toujours, des Zarktys. Pas de Dralkhar : ils devaient être sur le front de Cartan. Ses sœurs aux dents limées lui adressèrent des sourires carnassiers. Valkys répondit avec la même expression.
La pluie battait. Ses cheveux lui collaient au visage. Le tonnerre rythmait l’attente.
La lumière jaune éclairait toujours la tour et ses environs. Puis un sifflement rauque fendit l’air mettant fin à cette longue attente silencieuse.
Un serpent géant apparut. Ses yeux jaunes rieurs, ses crocs ensanglantés. La peur se répandit parmi ses alliés.
— Vous croyez déjà la bataille perdue ? demanda Valkys. Vous vous voyez mourir.
Les hommes baissèrent la tête. Les femmes préparaient de quoi soigner.
— À vue d’œil, oui, ils sont plus nombreux. Mais je vous assure que nous sommes à armes égales.
— Nous ne sommes que neuf ! Eux des milliers ! s’écria l’ami du Loup. Mais je tiendrai ma promesse : protéger sa famille.
Le regard du garçon se tourna vers la sœur du Loup.
— Quel est ton nom, jeune guerrier ? demanda Valkys.
— Draiss Veydran.
— Je suis Valkys. Heureuse de combattre aux côtés d’un homme de principes.
Il rougit.
Le vent changea, chaud et lourd. Des gouttes de sueurs se joignirent à celles de la pluie.
— La mort vvvous atttend… Le maître est de rrretourrr, gronda le serpent.
— Ah, tu parles, toi ? ricana Valkys.
— Insolennnte ! Je vais tte faire rrravaler tes parrroles !
Elle éclata de rire. Le monstre en fut surpris.
Son Tyrgrill bondit en avant.
— Peu importe leur nombre. Battez-vous avec vos tripes ! Ils n’ont aucune chance ! lança-t-elle sans se retourner.
Derrière elle les cris des guerriers se firent entendre, comme s’ils étaient des centaines. Les hommes ont toujours besoin de belles paroles pour avoir du courage, se dit-elle.
Le serpent s’élança à son tour. Mais un éclair fracassa le sol entre eux. Quand la fumée se dissipa, un loup géant apparut. Au-dessus, un oiseau aux ailes bleutées piaillait déjà.
— Nekrahl… cela faisait longtemps que ta queue écailleuse n’avait pas souillé ces terres, dit la voix grondante.
— Ttttes sales poillls noirrrs… nnne m’avaient pas manqué,
Valkys sourit. Les bêtes légendaires de Talharr et de Dalar allaient s’affronter. À ses côtés, Draiss ne paraissait pas surpris, mais son regard brillait d’espoir.
Le loup bondit sur le serpent. Le combat titanesque secoua la terre. L’hirondelle, devenue immense, fauchait des ennemis dans les airs.
— C’est le moment ! Bouchons leur la route ! cria Valkys.
Ils contournèrent le duel de monstres et s’élancèrent. Le chemin étroit les empêchait d’être submergés. Le Tyrgrill dévorait, découpait. Les guerriers combattaient avec fierté. Valkys virevoltait, ses sabres tranchant dans la chair.
Face à une sœur Zarktys, elle feinta, lui envoya une gerbe de boue au visage, puis la perça au cœur.
— La ruse… Tu aurais dû le savoir, fille de Malkar, sourit-elle.
Elle retourna au combat, toujours cette folie meurtrière en elle. Mais le flot ne cessait pas. Ils étaient trop nombreux. Deux hommes tombèrent. Draiss et le Tyrgrill combattaient côte à côte, rage déchaînée.
Ce petit a du talent, se dit-elle.
Le loup et le serpent se blessaient mutuellement mais aucun vainqueur ne semblait encore se dessiner.
L’hirondelle géante faisait encore des ravages mais ses ailes rougissaient.
Est-ce ainsi que je vais te rejoindre, Talkys ?
Pas de réponse. Seulement une petite éclaircie. Cela suffit à Valkys qui continua de danser entre ses ennemis.
Les morts continuaient de s’empiler. Des vibrations, venant de la tour, fendaient le sol par moment. Valkys fatiguait.
Ils n’étaient plus que trois. Le Tyrgrill était sur le point de flancher. Un géant écrasa la bête au sol. Valkys lança un poignard. Crâne transpercé. Le Tyrgrill haletant lui jeta un regard presque reconnaissant.
— On recule ! hurla-t-elle.
Ils battaient en retraite vers la tour, poursuivis par la mort, quand des cornes résonnèrent. Le champ de bataille entier s’immobilisa.
Des centaines de Tyrgrill chargeaient. Les Alkasrims. L’armée de la reine Oria.
Valkys retrouva des forces. Plus de sourire, seulement la mort dans ses yeux.
Le combat mystique du loup et du serpent faisait toujours rage. L’hirondelle, ses ailes rougies, continuait de ravager les cieux.
Draiss, soigné à la hâte par l’herboriste, se relevait encore. Tout comme le Tyrgrill.
En décapitant une ancienne sœur, Valkys hurla :
— Pour Malkar ! Vous subirez tous mon châtiment !
Le ciel lui répondit par des éclairs.