Finalement les beaux jours reviennent, ponctués de visites de ses amis et de lettres, surtout de la part de Quentin et de sa grand-mère. Léa est ravie de revoir de la verdure un peu partout, elle se sent respirer et revivre. La veille des vacances de Pâques, elle se rend avec empressement à sa boîte aux lettres.
Salut Léa,
Alors ça y est, les vacances arrivent enfin, et moi avec. Je serai là samedi matin, vers onze heures si tout va bien, et je resterai jusqu’à la fin des vacances (c’est-à-dire jusqu’au 25 avril). J’ai vraiment hâte de te revoir, je sais qu’on ne s’est pas beaucoup vus mais les lettres c’est bien aussi donc on peut dire qu'on se connait déjà pas mal. Si tu me le permets je viendrai sonner chez toi dès que j’arrive, normalement je n'aurai pas de mal à trouver ta maison. En général quand je suis chez mes grands-parents il n’y a pas grand-chose à faire, donc j’aurai tout mon temps libre pour le passer avec toi. Et puis de toute façon il est hors de question que je te laisse toute seule chez toi toute la journée. Je ramène ma guitare, puisque tu m’as dit que tu aimerais bien en jouer, j’essaierai de t’apprendre. Normalement je ne devrais pas avoir de souci pour la ramener dans le train, et puis au pire je me débrouillerai ;) . Ma lettre se termine bientôt, voilà ce sont les derniers mots que j’écris avant de pouvoir te parler en vrai. Donc à bientôt,
Quentin.
Léa est heureuse. Dans toutes les lettres qu’il lui a déjà envoyées depuis qu’elle lui a annoncé le décès de ses parents, il ne lui en a pas parlé une seule fois et elle lui en est reconnaissante. Alors voilà, Quentin arrivera demain. Elle réalise alors que sa maison n’est pas très bien rangée, et qu’elle ferait bien de faire un peu de ménage. Lorsqu’elle nettoie la salle qui faisait office de salle de jeux quand elle était petite, elle s’aperçoit que la moquette commence à se décoller. Elle se met à genoux. Le sol, qui se trouve juste en dessous, a un aspect qu'elle n'avait jamais vu et attise sa curiosité. Elle soulève doucement la petite surface de moquette, jusqu’à ce qu’elle voie un petit morceau de papier blanc. Intriguée, elle soulève un peu plus le sol, et découvre qu’il s’agit d’une enveloppe. Une vieille enveloppe, jaunie par le temps. Un vent de mystère flotte dans l’air. Elle est pressée de découvrir ce qu’elle contient, mais à ce moment-là, la sonnerie retentit. Léa pose l’enveloppe sur l’étagère, et se précipite en bas. Lorsqu’elle ouvre la porte, elle découvre avec joie que ce sont ses amies : Marine, Justine et Marion.
— Coucou ! s’écrie Marine. On est venues te rendre une petite visite.
Léa est vraiment heureuse de les revoir, comme à chaque fois depuis qu'elle est coincée ici.
— On s’est dit qu’on pouvait peut-être aller au cinéma, dit Marion. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Oui c’est une très bonne idée, je vais me préparer et je vous rejoins !
— Ne t’inquiète pas, tu as tout ton temps, ajoute Justine avec un sourire.
Les quatre amies passent une excellente soirée, le film n’est pas passionnant mais le seul fait qu'elles soient réunies fait en sorte que Léa se sent bien. A tel point qu’elle en oublie presque Quentin, et que c’est une grosse surprise pour elle de s’en souvenir lorsqu’elle rentre chez elle.
Le soleil entre doucement dans la chambre quand Léa se réveille. Aujourd’hui il fait beau et il ne fait pas très froid. Elle se lève et se prépare un petit-déjeuner, un bon comme elle les aime, un bon comme ça fait si longtemps qu’elle n’en a plus mangé. Une jolie musique sort du poste de radio pour mettre un peu de vie dans cette cuisine.
Wild, wild horses couldn’t drag me away.
Léa est heureuse ce matin, et elle sait qu’elle a le droit. Au-dessus du placard, ses parents la regardent manger. Ils sourient. Tout est calme, il n’y a aucun bruit. Léa regarde l’horloge, il est neuf heures et demie. Dans un peu plus d’une heure, Quentin sera là. Quand elle a fini de déjeuner, elle débarrasse la table et passe un dernier coup d’aspirateur.
A dix heures cinquante-huit, elle s’assied dans la cuisine et fixe l’horloge. Elle regarde doucement la trotteuse passer d’une seconde à une autre. Elle avance, elle avance… Il est maintenant dix heures cinquante-neuf, et il lui reste un tour à faire avant qu’il ne soit onze heures. Elle se rapproche, elle se rapproche… Et lorsqu’elle arrive sur le 12, à ce moment
précis, quelqu’un sonne à la porte. Léa se précipite, et derrière la porte, elle voit le jeune garçon qu’elle a vu quelques mois auparavant, dans la forêt.
— Quentin !
Ce dernier lui adresse un grand sourire. Il n’a pas changé, ses cheveux bruns mi- longs lui couvrent le front, ses yeux brillent et son sourire donne envie de le lui rendre.
— Léa, je suis heureux de te revoir.
Elle aimerait le prendre dans ses bras, mais elle lui fait seulement la bise, ce qui est plus convenable.
— Viens, entre. Tu sais que tu es pile à l’heure ?
— Oui c’était fait exprès, dit-il avec un clin d'oeil.
Léa lui verse un verre d’Iced-tea. Ils discutent un bon moment, assis dans la cuisine.
— Tu as fait un bon voyage ?
— Oui, super.
— Tu es avec tes parents ?
Quentin boit une gorgée avant de répondre.
— Non, ils travaillent pendant les vacances. Mais ça ne me dérange pas, j’aime bien venir tout seul chez mes grands-parents.
Il boit une autre gorgée, puis regarde la photo des parents de Léa. Lorsqu’il semble comprendre que ce sont eux, il détourne rapidement les yeux.
— J’aime bien ta cuisine, elle est jolie.
Léa est étonnée, elle n’a pas l’habitude de recevoir ce genre de compliments. En général les gens évitent de faire de commentaires à propos de sa maison, car elle est vieille, et même si elle a été un peu arrangée depuis le temps, elle reste une vieille maison.
— Merci, elle n'est plus toute neuve pourtant.
— Ce n’est pas grave, c’est joli les vieilles cuisines. La maison de mes grands-parents est aussi une très vieille maison, et j’aime bien.
Elle est contente de voir que Quentin a lui aussi le « goût du vieux ». Cette sensation qui donne l’impression que l’on n’est pas né à la bonne époque, qui nous donne envie d’avoir vécu quelques décennies plus tôt.
— Elle a été construite quand, ta maison ? demande Quentin.
— Je ne sais plus la date exacte, mais ma grand-mère a grandi ici. Je pense qu’elle date des années trente, quelque chose comme ça.
— C’est génial ! s'exclame-t-il en souriant. Celle de mes grands-parents date de 1939. Elles ont été construites à la même époque.
— Toi aussi c’est ton arrière-grand-mère qui y habitait, avant ?
— Oui, elle y a élevé ma grand-mère.
Léa n’en revient pas. Quentin a exactement le même passé qu’elle, sauf que lui n’habite plus dans la maison de ses ancêtres, il habite maintenant à Paris.
— Exactement comme moi, c’est marrant.
Quentin sourit, puis se racle la gorge.
— Je te ferai visiter la maison de mes grands-parents, si tu veux. Si ça se trouve l’intérieur est à peu près pareil que le tien.
En voyant que le verre de Quentin est vide, Léa se lève.
— Oui, et pour le moment tu n’as qu’à visiter la mienne, comme ça tu verras si elles sont pareilles ou non.
Les deux adolescents font une visite intégrale de la vieille maison, en commentant presque chaque pièce. Quand ils arrivent devant la porte de la chambre des parents de Léa, cette dernière préfère ne pas s’attarder.
— Ici, c’est la chambre de mes parents.
Quentin lui adresse un regard compréhensif, et tous les deux se dirigent vers l’étage. Après avoir montré sa chambre à Quentin, Léa l’emmène dans la salle de jeux.
— Ça c’était ma salle de jeux quand j’étais petite. En fait c’était aussi un peu un bureau, des fois, pour mes parents.
Quentin hoche la tête.
— Et… avant, c’était quoi ?
— Tu veux dire quand mon arrière-grand-mère habitait ici ?
— Oui.
Elle réfléchit un instant avant de répondre.
— Je ne sais pas trop, je crois que c’était une chambre, ou quelque chose comme ça. Il y a de la moquette par terre donc je pense que c’est ça.
Quentin dévisage le sol, les meubles et les cadres accrochés aux murs. Léa ne comprend pas vraiment pourquoi il a l'air fasciné à ce point.
— Tout va bien ?
Quentin jette un oeil au plafond avant de répondre.
— Oui, mais j’aime bien les vieilles maisons, je te l’ai déjà dit. Il y a toujours un petit côté mystérieux…
Au moment où il dit ça, les yeux de Léa se posent sur l’enveloppe qu’elle avait trouvée hier, et qu’elle avait complétement oubliée avec tous ces événements. Quentin regarde son amie en fronçant les sourcils.
— Qu’est-ce que tu regardes ?
Comme Léa ne répond pas, il suit son regard et semble comprendre l’objet qu'elle est en train de fixer.
— Qu’est-ce que c’est ? Une enveloppe ?
— Oui, mais je ne l’ai pas encore ouverte. Je l’ai trouvée hier, sous la moquette de cette pièce. On peut l’ouvrir maintenant ? J’ai hâte de savoir ce qu’il y a dedans.
- Si tu veux, répond-il en haussant les épaules.
Léa saisit le rectangle de papier. Dessus, un prénom est écrit.
— C’est qui, Louise ? demande Quentin.
Léa détache les yeux de l’enveloppe pour répondre à sa question.
— Mon arrière-grand-mère. Par contre, l’adresse n’est pas écrite et l’enveloppe n’est pas timbrée.
— Peut-être qu’à l’époque ils n’utilisaient pas beaucoup la poste. Quand le destinataire de la lettre n’habite pas trop loin ce n’est pas la peine de payer alors qu’il suffit de marcher.
Léa aimerait lui dire qu’il a probablement raison, mais les mots ont un peu de mal à sortir de sa bouche. Elle est vraiment impatiente d’ouvrir ce courrier. Elle s’agenouille par terre, et Quentin l’imite. Doucement, elle ouvre l’enveloppe, qui s’était recollée avec le temps. Elle en sort une lettre pliée en deux, presque entièrement jaune.
— Ouah ! s’exclame Quentin. Du tout vieux papier !
Une jolie écriture a écrit ces quelques lignes, des années auparavant.
Ma chère Louise,
Il faudrait que nous nous mettions d’accord une fois pour toutes. Nous ne pouvons pas continuer à nier ce qui s’est passé, ou du moins à faire comme si cela ne nous concernait pas. Je sais que cette décision impliquerait d’énormes responsabilités, mais je ne suis pas sûre que nous puissions vraiment faire autrement. Cette nuit je n’ai pas réussi à trouver le sommeil, les idées se bousculaient dans ma tête. Je ne cessais de penser à eux, à ce qui allait se passer si nous laissions les choses telles qu’elles le sont. Je sais bien que c’est une décision qui ne se prend pas à la légère, mais je ne peux pas rester comme cela sans rien faire. Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours essayé de faire au mieux. Et je pense que dans cette circonstance, le mieux c’est d’accepter. J’aurais aimé en discuter encore un peu avec toi, c’est pourquoi quand tu rentreras de tes vacances je te propose que nous nous voyions, ici-même.
Je t’embrasse,
Lucie.
Léa est restée perplexe. Quentin est devenu tout pâle. Cette lettre est vraiment intrigante, Léa n’a presque rien compris. Elle aimerait plus d'explications, elle aimerait savoir de quoi parle cette Lucie.
— Eh ben… C’est impressionnant non ?
Léa sourit à Quentin, contente de voir qu’il est presque aussi choqué qu’elle.
— Oui… Mais c’est difficile à comprendre. Il faudrait trouver d’autres lettres, parce que pour l’instant on n’est pas très avancés.
Quentin hoche la tête d’un air dubitatif.
— Moi ce que je ne comprends pas c’est le « ici-même », tout à la fin. Qu’est-ce que ça veut dire ?
— C’est vrai que c'est un peu bizarre de donner rendez-vous à quelqu’un en lui disant « ici-même ». Peut-être que ça veut simplement dire à l’endroit où mon arrière-grand-mère a lu la lettre, c’est-à-dire chez elle.
— Oui c’est peut-être ça…
Léa tient la lettre dans les mains, en relisant à chaque fois chaque mot, chaque signe de ponctuation.
— J’aimerais bien savoir qui c’est, cette Lucie.
Quentin hausse les épaules.
— C’était un prénom courant, à cette époque. Tu n’as aucune Lucie dans ta famille ?
— Je crois que j’ai une petite cousine qui s’appelle comme ça, mais ça ne peut pas être elle qui a écrit cette lettre. Vu la couleur du papier…
Quentin a l’air d’approuver.
— Tu as raison, cette lettre est trop vieille. On devrait essayer de savoir de quand elle date.
En un instant, Léa s’imagine déjà en train d’analyser l’encre pour connaître son âge, mais elle se ravise vite.
— C’est impossible, il faudrait être un professionnel pour ça. Il aurait juste fallu que cette femme écrive la date.
— Hé oui, dit-il en soupirant, mais ce qui est fait est fait. Il faudrait trouver d’autres lettres pour pouvoir situer l’époque. Tu dis que tu as trouvé cette lettre ici ?
— Oui, sous la moquette.
— Il y en a peut-être d’autres, il faudrait regarder.
— Je ne tiens pas forcément à arracher toute la moquette de cette salle, dit Léa en grimaçant.
Quentin rit avant de conclure.
— C’est vrai. Il faudrait y aller doucement, et puis je ne pense pas que ton arrière-grand-mère ait caché ses lettres là où la moquette est vraiment bien collée.
Un trouble traverse l’esprit de Léa au moment où elle entend Quentin prononcer le mot « cacher ».
— Mais… pourquoi les a-t-elle cachées, ces lettres ?
Il hausse les épaules.
— Elle ne les a peut-être pas cachées, c’est juste qu’elle ne savait pas quoi en faire alors elle les a mises ici.
— Avoue que c’est quand même bizarre comme endroit pour ranger le courrier… Tu crois qu’il y a quelque chose de secret dans tout ça ?
Les yeux de Quentin pétillent.
— Peut-être bien…