Chapitre 7

Par Bow

L’horloge de la cuisine fait résonner ses coups.
— Mince, grimace Léa, il est déjà midi. Je suis désolée d’avoir un peu « gaspillé » cette première heure…
— Gaspillé ? s'exclame Quentin. Tu rigoles… C’était génial, vraiment. J’aime bien les petites choses mystérieuses comme ça. 
Il se lève et aide Léa à en faire autant.
— Je vais retourner chez mes grands-parents pour aller manger, et je reviendrai cet après-midi.
Léa lui adresse un sourire d'approbation. Il la dévisage quelques secondes puis ajoute :
— Mais en fait tu es toute seule ici… Viens manger avec moi.
— Merci, c’est très gentil mais je ne veux pas déranger, je vais rester ici.
— Tu ne déranges pas du tout, dit-il en secouant la tête. Ça fera plaisir à mes grands-parents. Allez, viens.
Elle finit par accepter et suit Quentin jusqu’à chez ses grands-parents. En fait leur maison est tout près de la sienne, à une centaine de mètres seulement. C’est une vieille maison, mais elle est jolie et très fleurie. Quentin ouvre la porte de derrière.
- Après toi…
Léa sourit et passe devant lui. Ça sent très bon dans la maison, et en tournant à gauche dans le couloir, Quentin et Léa arrivent dans la cuisine. Là, une vieille femme est en train de préparer à manger. Elle est de dos. Elle porte une robe violette et un tablier de cuisine. Ses cheveux blancs et courts sont soigneusement coiffés. Elle se retourne en les entendant arriver et affiche un très joli sourire.
— Mamie, je te présente Léa, une amie. Et Léa, voilà ma grand-mère.
Léa murmure un petit « bonjour », mais la grand-mère se précipite pour l’embrasser.
— Je suis ravie de faire ta connaissance, Léa. Tu n’habites pas loin, non ?
Quentin répond à sa place.
— Elle habite un peu plus loin, dans la maison jaune.
La vieille femme hoche la tête en souriant.
— D’accord, je vois.
— Mamie, ça ne te dérange pas si elle reste manger ici ? Elle est toute seule chez elle.
— Tes parents ne sont pas là ? demande la grand-mère en haussant les sourcils.
Quentin se racle la gorge. Léa est gênée, mais elle répond quand même.
— Ils sont morts il y a un mois…
La grand-mère de Quentin ouvre la bouche et laisse tomber la louche qu’elle avait en main. Quentin la ramasse en s’excusant.
— Désolé, elle est toujours choquée quand elle apprend la mort de quelqu’un…
La grand-mère s’excuse à son tour.
— Je suis vraiment désolée pour toi, ma chérie…
— Ce n’est pas grave, il n’y a aucun problème.
La femme passe la main dans ses cheveux pour se recoiffer.
— Asseyez-vous, le repas va être prêt.
Quentin désigne du doigt la table pour que Léa s’assoie, et commence à y mettre les assiettes. Lorsque la table est mise, sa grand-mère commence à servir.
— Je suis désolée d’arriver sans prévenir, dit Léa timidement.
La vieille femme la rassure de son sourire.
— Mais non, tu n’as pas à l’être. De toute façon je prévois toujours beaucoup trop à manger.
Quentin rit en servant de l’eau dans chaque verre.
— Et à chaque fois c’est le chien qui mange les restes…
Un homme entre dans la pièce, Léa déduit que c’est le grand-père de Quentin. Il dit bonjour et s’assoit à côté de sa femme. Cette dernière lui explique qui est leur invitée.
— C’est une amie de Quentin, elle habite dans la maison jaune.
L’homme hoche la tête. Il ne parait pas très bavard. Néanmoins, il n'a pas l'air méchant. 

— Il est une heure, on va peut-être retourner chez toi, Léa, non ?
Léa hoche la tête en aidant Quentin à débarrasser. La grand-mère prend un air étonné.
— Qu’est-ce que vous allez faire toute la journée ? Vous ne voulez pas rester ici plutôt ?
Quentin sourit avant de répondre à sa grand-mère.
— On est en train de résoudre une énigme, même si pour l’instant on ne sait pas grand-chose.
— Une énigme ?
— Oui, je t’expliquerai ça plus tard. Ne t’inquiète pas, Mamie, on ne fait pas de bêtises.
Il embrasse sa grand-mère et fait signe à son amie de sortir de la pièce. Dix minutes plus tard, ils arrivent chez Léa. En passant dans le couloir, Quentin s’arrête pour regarder une photo accrochée au mur. On y voit Léa, assise devant la cheminée où brûle un feu. Il a l’air fasciné.
— J’aimerais tellement avoir une cheminée dans mon appart’ à Paris…
Léa rit. Elle sait que Quentin adorerait habiter ici, et pour elle c’est plutôt l’inverse. Elle aimerait bien habiter à Paris un an ou deux, juste pour voir ce que ça fait de vivre comme un citadin. Quand Quentin détache enfin son regard du cadre elle l’emmène dans la salle-de-jeux. Il n’y a plus vraiment de jeux, mais elle aime bien passer son temps dans cette pièce.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
Quentin hausse les épaules.
— Je ne sais pas. Qu’est-ce que tu fais en général ?
— Lire, écrire des lettres, voir mes amis et écouter de la musique.
Il hoche la tête.
— La dernière proposition, ça me va.
Léa est contente, c’est ce qu’elle aurait choisi aussi. 
— Qu’est-ce que tu écoutes ? demande-t-il d'un air curieux.
— Un peu de tout, mais aujourd’hui c’est toi qui choisis.
Quentin sort son portable de sa poche arrière et le branche sur la chaine hi-fi.
— Je te préviens, ce n’est pas très doux comme musique…
Il appuie sur une touche et la musique démarre doucement, emmenant les deux amis dans une autre dimension.

A storm is threating my very life today.
If I don’t get some shelter, I’m gonna fade away.
War, children, is just a shot away, is just a shot away.

— J’aime bien. C’est quoi?
Quentin répond avec assurance, comme s’il allait réciter une encyclopédie par coeur.
— Gimme Shelter, des Rolling Stones. Ça veut dire « Donne-moi un abri ». Elle est vieille, elle date de 1969. Mais je crois que tu l’as compris, j’aime bien le vieux. Cette chanson a été écrite pendant la guerre du Vietnam.
Léa sourit et soupire en même temps.
— La belle époque…
Quentin se met à rire.
— La guerre non, mais Woodstock oui. J’aurais tellement aimé vivre à cette période…
Nerveusement, Léa joue avec la moquette. Soudain elle sent sous ses mains une petite bosse, de forme rectangulaire.
— Quentin, touche voir le sol à cet endroit…
Il obéit. Il relève ensuite la tête avec un sourire.
— Je crois que ton arrière-grand-mère n’avait pas caché qu’une seule lettre…
Ils soulèvent ensemble un petit bout de moquette, retirent l’enveloppe et repositionnent le sol comme il était avant. Ni vu ni connu. Quentin porte l’enveloppe à son nez.
— Ça sent bon, le vieux. Un petit mélange de bois et de papier usé.
Léa ne prend pas le temps de répondre, elle prend l’enveloppe et en sort une lettre de même taille que la précédente. Pendant qu’elle déplie le courrier, Quentin observe l’enveloppe. — Sur celle-là non plus il n’y a pas d’adresse…
— Oui c’est vrai. L’expéditeur n’habitait peut-être pas très loin.
— Pas forcément, répond-il en secouant la tête. Les gens sont prêts à marcher beaucoup pour mettre une lettre dans une boîte-aux-lettres, et ainsi éviter de payer le prix d’un timbre.
— Oui mais ce que je ne comprends pas, c’est que tant qu’à marcher jusqu’à chez quelqu’un pour lui donner une lettre, autant lui parler en face directement plutôt que sur papier. Quentin a l’air aussi perdu qu’elle, jusqu'à ce qu'une idée semble lui traverser l’esprit.
— Dans la première lettre il était écrit « Quand tu rentreras de tes vacances ». Ça explique pourquoi l’expéditeur écrit des lettres au lieu de lui parler directement. Mais pour l’instant lis cette lettre, on en saura sûrement un peu plus.

Ma chère Louise,
Je sais ce que tu penses, tu penses que ce que nous avons envisagé n’est pas envisageable. Mais je t’assure que ça l’est. Je pense sincèrement que tous les papiers ne seront pas nécessaires. Les enfants dont les parents sont morts à la guerre sont très nombreux, et ils ont tous besoin de parents. Alors oui, ceux-là, leurs parents ne sont pas morts de la même façon, mais qu’importe. Dans la multitude ils sont comme tous les autres : orphelins. Je ne sais pas ce qu’il en est de ton côté, mais pour moi c’est déjà tout réfléchi. C’est comme une vocation. Ces enfants n’ont pas de parents, je ne vais pas chercher plus loin. Elles ont besoin d’une mère. Tu n’arriveras pas à m’en dissuader. Cependant tu peux toujours changer d’avis, réfléchis bien. Envoie-moi une lettre dès que possible.
Je t’embrasse,
Lucie.

Léa ne peut rien dire. Les mots sont comme bloqués, il lui faut un moment avant de pouvoir prendre conscience de la situation. A côté d’elle, Quentin a l’air impressionné.
— C’est compliqué tout ça…
— Au moins on connait l’époque de la lettre…
Quentin jette un oeil sur le papier comme pour relire les mots.
— Encore que, on ne peut pas être vraiment sûr. C’est écrit « la guerre », mais elle ne précise pas laquelle. Ça pourrait être la seconde guerre mondiale, ou bien la guerre d’Algérie.
Léa ne partage pas son avis. Dès qu’elle a lu le mot « guerre » elle s’est imaginé la seconde guerre mondiale. Et puis la lettre dit « les enfants dont les parents sont morts à la guerre », or pendant la guerre d’Algérie, certains hommes sont morts, mais pas de femmes, ou très peu. Mais elle préfère ne pas contrarier son ami, et se focalise sur le reste de la lettre.
— Tu crois qu’il est question d’adoption ?
Quentin hausse les épaules.
— Je ne sais pas vraiment quoi penser. En tout cas ce qui est sûr c’est que Lucie parle de petites filles, si on en croit le « Elles », qui n’ont plus de parents.
Léa hoche la tête. Finalement il n’y a pas vraiment de mystère dans les deux lettres.
— En fait, c’est juste une certaine Lucie qui a voulu adopter des enfants, et elle en informe mon arrière-grand-mère dans les deux lettres. C’est tout.
Son ami sourit avant de répondre.
— Tu as raison. C’est peut-être aussi simple que ça.
— De toute façon pour l’instant on n’a pas plus d’indices, ça ne sert à rien de chercher plus loin. Tu ne veux pas qu’on se change les idées ?
— Bonne idée, approuve-t-il. Tu as une idée de ce qu’on peut faire ?
Léa n’est pas très inspirée.
— Je ne sais pas, on pourrait juste discuter.
— Discuter de quoi ?
Elle réfléchit sans vraiment trouver de réponse.
— On n’a qu’à jouer à « action-vérité », mais en ne prenant que les vérités…
Au premier abord il n’a pas l’air très emballé, mais il se met finalement à sourire.
— D’accord, je commence. Cite un de tes défauts.
Léa réfléchit. Elle sait qu’elle en a beaucoup, mais sur le coup rien ne lui vient vraiment à l’esprit.
— Je crois que j’ai souvent la flemme. Il y a des fois où je peux rester des jours entiers dans mon lit, sans rien faire. Il faut que je sois vraiment motivée pour entreprendre quelque chose, et c’est rare.
Quentin sourit en l’écoutant parler.
— Pour l’instant je ne l’avais pas encore remarqué…
Elle lui adresse un sourire cynique et ajoute :
— Tu verras quand tu me connaitras mieux. Bon, c’est à moi de te poser une question. Cite une de tes qualités.
Pendant qu’il réfléchit, elle ajoute d’un air moqueur :
— Et sois modeste, s’il-te-plait.
Cette remarque le fait rire, et il commence à révéler à Léa la réponse à la question.
— Je suis sincère. Je déteste le mensonge. Ma famille m’a caché pas mal de choses quand j’étais petit, et depuis je ne supporte pas qu’on ne dise pas la vérité. C’est pour ça que je ne mens jamais, et que si je sais quelque chose que quelqu’un a besoin de savoir, je le dis. Je ne ferais jamais croire à quelqu’un que je ne sais rien si en fait je sais tout.
Léa est heureuse de l’apprendre. Elle aime bien les gens sincères, elle aime savoir la vérité même si elle est parfois blessante. Quentin vient de lui faire comprendre qu’elle peut lui faire confiance, ce qui n'est pas rien pour elle.

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