A son entrée en 4ème, Richy commença à se sentir mal dans sa peau. Ses camarades lui observaient un comportement décalé, car il avait toujours été élevé pour copier la façon d’être d’un autre. Les élèves se moquaient d’ailleurs de sa « maman poule », qui accourait au collège au moindre petit souci. De plus, Albane et Christophe entretenaient toujours une communication soutenue avec les professeurs de Richy, ce qui était mal perçu des adolescents en pleine crise identitaire. Le seul endroit où Richard se sentait lui-même, c’était au club de basket-ball du collège. Pour une fois, sa mère ne pouvait l’empêcher de faire du sport. Il était au poste d’ailier droit et chaque fois qu’il recevait le ballon, il était si rapide qu’il avait l’impression de voler. Le sport lui faisait oublier tous ses soucis l’espace de quelques instants. C’était le seul endroit où il n’était pas poursuivi par le fantôme de son père. En 3ème, le professeur responsable de l’association de basket proposa à l’équipe du collège de participer à des matchs dans la région des Hauts-de-France.
— Vous avez le niveau, mes p’tits gars
Les garçons se regardèrent avant de se bousculer en criant de joie. C’était ce qu’ils avaient tant espéré. Ils y avaient travaillé dur, et de bon cœur. Richy rentra chez lui euphorique. Chose rare, il se sentait fier de lui. En franchissant le pas de la porte, il pensa même que pour l'une des premières fois, sa mère aurait une raison de se réjouir de lui. Après avoir pris sa douche, il rejoint Albane dans la pièce commune. Le couvert était déjà mis. Il s’installa à table de façon empressée. Il manqua de faire tomber le dessous-de-plat au passage mais son visage était si radieux qu’il trahissait sa bonne nouvelle. Albane apporta un plat fumant à table.
— Richy, doucement avec le matériel, ce dessous de plat, tu sais que c’est un souvenir de ton père...
— Maman, j’ai une bonne nouvelle !
Richy n’entendait même plus ces remarques habituelles. Il brandit sa fourchette avec passion :
— Avec l’équipe, tu sais, le basket, on va faire des matchs dans la région cette année!
Albane servit le gratin : lui d’abord, elle ensuite. Elle ramena le plat à la cuisine, vint se rasseoir, puis commença à mastiquer doucement. Elle ne lui avait pas encore jeté un regard depuis sa joyeuse annonce. Richy attendait toujours, la fourchette à la main et les yeux grands ouverts.
— Chéri, ce genre de manifestations, les joueurs s’y blessent comme les soldats à la guerre, c’est bien connu.
Elle avala sa bouchée, les yeux rivés sur son assiette. Devant l’air de Richy qui s’assombrissait, elle continua :
— En plus le week-end tu as tes cours particuliers. Non, ce que je veux dire c’est que toi, tu as plus intéressant à faire. Tu as une vraie mission.
Elle reprit une bouchée :
— J'espère qu’il ne leur arrivera rien, à tes copains. Tu pourras aller les voir jouer parfois si tu as de bonnes notes, d’accord ?
Richy laissa tomber ses couverts dans son assiette et quitta la table sans demander son reste. Il claqua la porte du bureau. Ce maudit bureau, le seul endroit où il puisse, malgré tout, s’enfermer seul. Le choix de ce lieu de refuge avait aussi pour but de provoquer sa mère. Elle n’aimait pas qu’on se rende dans ce sanctuaire sans raison. Là, entre tous ces rayonnages qui avaient appartenu à son père, Richy s’accroupit et pleura. Le fantôme de Riccardo, le regardait peut-être en regrettant la vie réglée qu’il lui faisait subir.
Les matchs de baskets, ce n’était pas encore cette année, mais Richy espérait au moins pouvoir regarder quelques tournois depuis les gradins. Les semaines qui suivirent, l’adolescent essaya de s’appliquer le plus possible à l’école. Il commença à élaborer des stratégies pour tricher en classe. Cette astuce lui valut de brillantes notes aux trois premiers contrôles de connaissances. Cependant, le leurre ne tint pas lors des examens de son professeur particulier. Seul à l’appartement, avec ce cerbère pour le surveiller de près, c’était peine perdue. Albane et Christophe n’étaient pas dupes. Ils ne firent aucune remarque sur ce changement de notes soudain qui se produisait au collège. Richy abandonna donc bien vite ces stratagèmes risqués. Il n’avait pas envie d’être collé. Ses résultats redevinrent donc clairement insuffisants.
Irrité par ses échecs, Richy commença à douter de ce que lui disait sa mère. Après tout, qu’est-ce qui lui prouvait qu’il était réellement identique à son père ? Il devenait moins appliqué, moins réceptif. Il était las d’égaler le génie d’un mort. Qui était-il, au fait ? Une photocopie de son père, certes ; son prédécesseur, il le devait. Un clone raté. Christophe et sa mère n’évoquaient jamais ce mot devant lui. Pourtant c’est ce qu’il était, il le savait. Et c’était dur à porter, si dur. Le garçon finit par prendre son père en dégoût, et avec, tout ce qui lui était lié.
L’adolescent devint insolent. Albane s’inquiéta des changements qui s’opéraient chez Richy. Elle avait posé mille questions à mamie Donnelli pour appréhender au mieux l’adolescence chez « Riccardo ». D’un naturel sérieux, son ex-mari n’avait apparemment jamais faibli scolairement. Sa « crise d’adolescence » avait seulement consisté à vouloir sortir davantage avec ses amis. Richy sortait lui-même de plus en plus, évitant soigneusement l’appartement de la rue de la Halle. Il ne voulait plus subir ni reproches, ni cours particuliers, ni visites médicales. Des interventions médicales de routines étaient pourtant organisés chaque année avec un collègue de Beth Brown qui travaillait dans une clinique privée de Bruxelles, dans le quartier des Libertés. Albane restait alors dans la salle d’attente pendant quatre heures en moyenne. Parfois, elle sortait plutôt se promener au Centre Culturel Le Botanique où s’asseyait dans l’un des restaurants italiens qui lui rappelaient sa rencontre avec son mari. Pendant ce temps, le médecin endormait Richy pour lui faire passer des tests et des scanners. Ces longues interventions servaient à s’assurer que tout, dans son organisme, était bel et bien normal. Richy en ressortait à tous les coups avec un pansement autour de la tête. Les premiers jours qui suivaient ces interventions récurrentes, l’adolescent devait se désinfecter les plaies quotidiennement. Même s’il pouvait retirer ses pansements dès le lendemain, Richy gardait ensuite des bleus durant une bonne semaine. Sa peau était comme cartonnée et insensible. Faire du sport lui était formellement déconseillé durant tout ce temps et lui donnait l’énergie frustrée d’un animal en cage. Il voulait courir, jouer au basket, au foot, tout ce qu’il lui était interdit mais qui était pourtant si cool ! Albane, au contraire, appréciait ces moments où il devait rester cloîtré à l'appartement. Elle ne pouvait supporter de ne pas savoir où se trouvait son petit chéri. La mère poule venait d’ailleurs encore chercher Richy à la sortie du collège, alors qu’il approchait de ses quinze ans.
— C’est la honte que tu viennes,
lui avait-il un jour dit platement alors qu’elle l’attendait sous une pluie battante. Petit ingrat. Riccardo n’était pas comme ça. Il ne la rejetait pas. Comme Albane ne semblait pas vouloir comprendre qu’il veuille rentrer seul, Richy mit au point des stratégies d’évitement. Elles consistaient à sortir avant la sonnerie de l’établissement par la porte de derrière, ou encore à se fondre dans une foule d’adolescent qui se rendait vers le centre commercial Lille Europe. Ce lieu plein de foule où l’individu se noyait dans la masse se trouvait cependant l’opposé de chez Richy. Il faisait alors demi-tour par la rue de la Sangle, longeait le canal et retrouvait son chemin. Albane simula être découragée par ses stratagèmes :
— Tu as gagné Richy, je ne viendrais plus au collège si c’est ce que tu veux,
avait-elle lancé un jour, le voyant rentrer tard à cause du détour qu’il prenait. Mais elle ne renoncerait pas comme ça. Elle continua de venir, un peu en avance, puis le suivait discrètement. Pour ne pas se faire repérer, elle restait loin. Parfois même assez éloignée pour le perdre de vue quelques instants. Elle jetait alors des regards tout autour d’elle en pressant le pas. Puis, au coin d’une rue, elle apercevait sa démarche nonchalante qu’elle aurait reconnue entre toutes. Elle respirait enfin. Sa manie de le suivre ne calma pas son angoisse. Au contraire, une nouvelle sorte de peur se mit à peser sur le cœur d’Albane. Elle avait remarqué le regard qu’il jetait sur les jeunes boutonneuses à appareil dentaire. Elle prit peur que l’attention de Richy se détourne d’elle, que ces pestes l’en éloignent et changent leur relation unique. Elle n’acceptait pas d’être reléguée au rang « de deuxième ». Ce sentiment étrange perturbait Albane. Elle se sentait honteuse et à la fois légitime d'éprouver ces sentiments étranges.
La mère perturbée reprit alors contact avec Elisabeth Brown. Elle l’informa des problèmes scolaires de Richy, et même de ses angoisses plus personnelles. Leur échange qui s’était essoufflé depuis lors, redevint régulier. Elle n’en parla pas à Christophe Maes. Elle tentait de trouver une solution d’elle-même, car elle sentait que l’homme perdait confiance en ses qualités d’éducatrice. Elle lui prouverait qu’elle était capable de faire prendre à Richy le chemin de son mari.
C'est un chapitre vraiment touchant et le passage du basket est particulièrement triste. J'aime beaucoup pouvoir suivre la crise d'adolescence de Richy tandis que je m'éloigne peu à peu d'Albane, qui clairement bousille la vie de son gosse à force de vivre dans un souvenir. Bref, que du bon pour moi, c'est vraiment très plaisant !
Juste un petit point qui me questionne : j'ai du mal à comprendre le type d'examens que Richy subit pour avoir un bandage à la tête et des bleus quand il a fini ? Surtout si ce n'est que des scanners, radios etc
Merci beaucoup !
PS : Bon courage pour allier tous tes projets et ton boulot prenant, moi aussi c'est parfois compliqué mais le temps passe vite !