Enfin, Richy entra au lycée. Il fut admis dans le privé grâce aux relations de Christophe. La jalousie d’Albane s’accrut. Elle même remarquait les ridules qui se profilaient aux coins de ses yeux. Elle vieillissait. La relève lui volait vedette. De son côté, le garçon ressemblait de plus en plus à son père : grand, fin, les cheveux épais et noir, les lèvres ourlées. Seulement, il n’existait pas de deuxième Albane. Elle était confrontée au souvenir vif de cet homme qu’elle avait tant aimé et qui réapparaissait différent, inaccessible. Pour la première fois, elle admit qu’elle avait peut-être accepté l’opération par pur égoïsme. Quelque chose se brisa en elle quand elle comprit ceci.
En Terminale le choix de l’orientation était une question pendue à toutes les lèvres. Comme Riccardo avait suivi des études scientifiques en allant jusqu’au doctorat de recherche en génétique, la voie était toute choisie pour Richy. Pourtant, il fit part à sa mère du vœu de suivre des études dans le domaine du sport. Albane n’osa pas en parler à Christophe. Depuis le jour où il lui avait parlé des embryons, plusieurs mois auparavant, Albane l’évitait. Une seule personne pouvait l’aider à éduquer Richy comme Riccardo : Anna Donnelli. Albane imposa à Richy des vacances à Trieste. Pendant ce temps, elle irait voir la seconde personne qui pourrait lui apporter son aide, cette fois-ci de manière plus radicale : Elisabeth Brown. Richy allait donc passer toutes les vacances de Pâques à Trieste, en Italie. Il irait par le train. La distance était très longue, mais Albane y obligeait son fils car elle avait peur de l’avion. À peine deux ans auparavant, Albane embauchait même une femme de la compagnie ferroviaire pour accompagner Richy d’un bout à l’autre du voyage.
Dans le train, Richy regardait le paysage défiler. Il pensait à la super fête de son pote de lycée Thibault qu’il allait louper. Il maugréa, impuissant. Richy descendit du train à Turin pour changer de ligne, le trajet pour Trieste n’était pas direct. Son téléphone portable sonna : encore un coup de fil de sa mère qui s’assurait qu’il ne se trompait pas de quai.
— J’ai seize ans maman.
— Mais je sais bien mon poussin.
Arrivé dans la ville de ses grands-parents, il sortit de la gare puis les attendit en faisant un tour sur les quais qui bordaient la mer adriatique. Le soleil se couchait. « C’est beau ! » pensa-t-il. Des rires féminins le sortirent de sa rêverie pour l’y plonger mieux encore : « J’aimerais tant me promener ici avec une fille que j’aimerais, et qui m’aimerait aussi. Ensuite, nous partirions loin, en Grèce, peut-être ». Loin, tout était possible. Loin, il n’aurait pas à suivre le programme de Christophe Maes et de sa mère. Loin, il serait lui-même. Il s’imaginait alors pêcheur, artisan, ou basketteur. Rien qui n’ai de lien avec les sciences et la génétique.
— Rich ! Carino !
appela une voix derrière lui. Sa grand-mère avait arrêté la voiture en pleine rue. Il l’embrassa affectueusement et monta côté passager. Déjà, des bouchons se formaient sur la voie. La vieille auto crachota en entamant la côte de la colline de San Giusto qui menait à la maison des Donnelli seniors. La charmante bicoque de pierre était située à flanc de la montagne. Cette dernière montait déjà à pic alors qu’on se trouvait toujours à Trieste.
— Nous mangeons avec de vieux amis ce soir, les Brunella et les Limoncelli, c’était prévu depuis belle lurette. Ils amènent leurs enfants et petits-enfants, le prévint Anna en coupant le contact.
Richy hocha la tête. Il aimait cette ambiance du Sud avec les repas en terrasses qui s’éternisent jusqu’au bout de la nuit. Mais, il était un peu timide. Il appréhendait la rencontre avec d’autres jeunes. De plus, il n’était pas complètement à l’aise avec l’italien, ne le pratiquant qu’avec ses grands-parents. Mamie Donnelli trottinait déjà vers la cour pavée qui faisait office de jardin. Richy la suivi d’une démarche nonchalante. La cour surplombait la ville et, en sautillant, on pouvait apercevoir un bout de mer, qui fuyait derrière les habitations et les arbres. La table de bois était déjà dressée. Des invités discutaient dans la véranda. Cette pièce de verre était ouverte sur le jardinet de pierres, qui comprenait deux oliviers pour seule verdure. Mamie Donnelli présenta Richy. Un des couples d’amis avait l’âge de ses grands-parents, tandis que les autres affichaient plutôt la bonne cinquantaine. Quatre jeunes précédaient leur famille. Deux petits de cinq et six ans se cachaient dans les jambes de leurs grands-parents. Les deux autres étaient des filles, de l’âge de Richy, approximativement. La première se présenta sous le nom de Carla, tout en rejetant ses cheveux en arrière. Richy ne remarquait que son rouge à lèvres écarlate, qui faisait paraître ses lèvres deux fois plus grosses. « Une bouche géante », s’amusa-t-il à penser. Elle affichait un air consterné permanent, surement une attitude qu’elle essayait de piquer aux mannequins milanaises. L’autre, Valentina, semblait plus commune. Ses cheveux foncés n’étaient néanmoins pas noirs comme ceux de sa sœur. Elle avait un haut à volants blancs et un petit jean qui rendait ses jambes très fluettes. Elle avait un nez de caractère, un peu long, ce qui ne gâchait pour autant pas son visage fin et féminin.
Après avoir plaisanté Richy, les convives se mirent à table dehors. Richy se plaça d’instinct près de sa grand-mère. Cette dernière le repoussa affectueusement et lui indiqua d’aller s’asseoir en bout de table avec les jeunes. Bien qu’intimidé, Richy s'exécuta.
— Richald, c’est ça ? Alors comme ça, tou es flançais ?
après dix minutes d’un silence religieux, Valentina s’adressait à Richy. Elle s’exprimait dans un français maladroit. Ses erreurs la faisaient rougir. Elle apprenait le français depuis cinq ans et n’avait jamais vraiment eu l’occasion de tenir une discussion avec un natif. Elle était déjà allée à Marseille, une fois, et rêvait de Paris, comme toutes les jeunes filles du monde. Au fil du repas, Richy se surprit à la trouver particulièrement mignonne, oui, elle était spéciale ! Elle souriait en baissant les yeux et elle avait de longs cils très noirs qui lui donnaient un regard de biche. Vers minuit, les invités partirent. Dans de dernières embrassades, Valentina en profita pour donner son numéro de téléphone à Richy.
— Ricci, tou vass t’ennuyer seul ici les vacances, je t’invitelais avec mes amis, dit-elle le regard pétillant.
Il l’observa s’éloigner avec sa famille, jusqu’à ce qu’ils tournent, au bout de la pente. Ses fesses n’étaient pas mal non plus dans son petit jean slim. Durant les jours qui suivirent, Richy et Valentina échangèrent des messages. Ça y est, il était amoureux ! Ça, il le savait ! Elle était drôle et pleine d’esprit, parfois un peu capricieuse… mais si charmante ! Il l’aimait comme elle était. De plus, elle aimait le sport, comme lui… que de points communs. Richy était soulagé d’avoir enfin quelqu’un qui ne savait rien de ses parents ni des circonstances de sa naissance. Pour elle, il était Richard Beuron, et c’est tout. Il était un être unique, avec son caractère et ses propres envies.
Deux jours plus tard, Valentina lui proposa de se retrouver en ville pour prendre une glace. Il faisait déjà noir dehors. Sa grand-mère étant, comme sa mère, d’un naturel inquiet, Richy devait sortir discrètement. Il descendit l’escalier sur la pointe des pieds. Il entendit alors ses grands-parents se disputer en italien. Ils se trouvaient dans la cuisine. Richy tendit l’oreille mais il ne comprenait pas ce qu’ils se disaient. Ils parlaient trop vite. « Ce ne sont pas mes affaires ». Le garçon profita du bruit pour sortir discrètement par la porte de derrière. Il dévala la rue en pente et retrouva la jeune fille devant le cirque romain. Ils se promenèrent de nuit dans la ville aux hautes bâtisses d’architecture autrichienne. Ils arrivèrent à la rectangulaire piazza Unità d'Italia ou piazza Grande. Devant l’un des bâtiments néoclassiques, celui qui faisait face à la mer, il lui prit même la main. Le cœur de Richy en bondit. Leur amour prenait des allures romanesques au sein de la plus vaste place d'Europe qui s'ouvrait sur la mer.
Elle lui posa alors une question qui semblait lui brûler les lèvres :
— C’est vrai ce qu’on dit, tu es le clone de ton père ?
Elle n’y allait pas par quatre chemins. Cette interrogation refroidit directement Richy. Elle savait. Même, ici, à plus de 1 300 kilomètres de Lille, les voisins parlaient de lui comme d’une curiosité.
Devant l’air embarrassé de Richy, elle prit un air naïf :
— Ohh mais c’est pas grave pauvre chéri, tu es quand même très unique pour moi !
A ces mots, elle l’embrassa. Un premier baiser qui fait tout oublier.
*
De son côté, Albane arrivait à Londres par le bateau qu’elle avait pris à Calais. Elle avait échangé des e-mails avec Elisabeth Brown qui lui avait proposé de venir la voir alors qu’elle participait à un congrès en Angleterre. L’objectif principal de leur rencontre était de discuter des problèmes de Richy. Miss Brown disait avoir toutes les solutions aux problèmes de la mère dépassée. Albane avait aussi besoin de quelques jours loin de Lille pour prendre du recul sur les évènements récents qui bousculaient sa petite vie.
Arrivée là-bas, Albane se rendit dans un pub où miss Beth lui avait donné rendez-vous. Il paraissait étrange qu’une patiente rejoigne un médecin dans ce genre de lieu, mais miss Beth avait des informations confidentielles.
— Ravie de vous revoir.
Albane lui rendit le compliment. Elle lui expliqua ensuite les difficultés auxquelles elle se heurtait dans l’éducation de son Riccardo bis. Richy déviait de plus en plus de la personnalité de son mari. Elisabeth hochait la tête, absorbée. Quand Albane en eut terminé, le docteur prit un ton rassurant :
— Il est normal qu’un clone, bien qu’ayant le même ADN que son transmetteur, ne lui soit pas exactement identique. Beaucoup de choses dépendent aussi de son environnement, de ses expériences…
— Vous voulez dire que je suis une mauvaise mère ? Christophe a raison ? C’est ma faute ? s’inquiéta Albane.
— Non, loin de là ! Je veux justement dire que malgré tous vos efforts, Richy ne pourra jamais être l’exacte copie de Riccardo car il n’a pas la même vie, tout simplement. Mais je vais vous proposer quelque chose qui pourrait vous intéresser. Promettez-moi d’y réfléchir et d’en prendre la décision sans quelconque influence.
Elisabeth paraissait grave, tout à coup. Albane promis.
— Notre laboratoire possède d’étroites connexions avec un cabinet indien, dirigé par mon éminent confrère Ajal Pamuk. Cet homme a réalisé de brillants travaux sur la greffe de mémoire et de compétences. Il a même formé une équipe spécialisée qui pratique ce genre d’opérations régulièrement dans le monde entier ».
Les prouesses permises par la science n’avaient pas fini d’épater Albane.
— Vous voyez où je veux en venir : votre fils Richard pourrait acquérir les compétences que vous souhaitez… et pourquoi pas un caractère plus proche de celui de votre mari...
Miss Beth parla plus bas :
— Par contre… je ne vous cache pas que le coût n’est pas négligeable.
Pourquoi miss Beth lui proposait-elle cela ? Pour l’aider ? Pour l’argent ? Par curiosité scientifique ? Surement pour toutes ces raisons à la fois, pensa Albane. Elle se rétracta d’abord, elle avait peur. Faire du mal à son trésor qu’on lui avait déjà enlevé une fois l’achèverai : et si c’était dangereux… ?
— Il n’y a absolument aucun risque. Je vous le garantit personnellement, la rassura Beth, percevant son inquiétude,
Elisabeth fouilla la poche de son coupe-vent camel.
— Pensez-y, mister Pamuk sera en visite à Bruxelles en Janvier. Faites-moi savoir si vous désirez son aide.
La femme d’âge mûr en glissa la carte de visite qu’elle cherchait sur la table poisseuse.
— Joignez-moi via ce numéro, je change d’établissement.
Son ton se voulait caressant, presque anesthésiant. La chaleur du pub qui contrastait avec le blizzard extérieur renforçait l’effet. Albane promis. Elle lui serait fidèle, puisque miss Beth le lui rendait bien. La scientifique prit congé après avoir fini sa tisane. Albane resta un moment à réfléchir, entre le brouhaha rassurant et les décorations colorées. L’opération lui paraissait incertaine, à elle qui n’y connaissait rien. Mais… l’équipe de miss Beth n’avait-elle pas réussi à donner la vie à un clone presque-parfait de Riccardo ?
Mais dans quel monde ils vivent ?
Richy n’est pas la copie parfaite et alors, c’est quand même un être humain.
L’expérience de clonage n’est pas un succès ça arrive.
Il sera pas un génie comme l’original c’est pas la fin du monde.
C’est quoi cette mère qui n’a pas encore fait son deuil plus de quinze ans après.
Je serais le docteur Brown je lui conseille direct une séance avec un psy.
Sinon, j'aime beaucoup la menace qui s'annonce pour Richy, avec la menace qui vient de sa propre mère et l'offre de Brown. A voir comment tout cela va tourner, mais ça présage de la tragédie huhu et ça, j'aime bien
(je rejoins aussi le com de Maya sur les dates et âges, mais ce sont des détails)
Bref, tout ça sent le vinaigre pour notre pauvre Richy