ᛋᚢᛚ ᛏᛁᛦ ᛋᚢᚱᛏᚾᚨ, ᛋᛁᚷᚱ ᚠᛟᛚᛏ ᛁ ᛗᚨᚱ,
ᚼᚢᛁᚱᚠᚨ ᚨᚠ ᚼᛁᛗᚾᛁ ᚼᛁᚦᚨᚱ ᛋᛏᛁᛟᚱᚾᚢᚱ;
ᛁᛚᛏᚱ ᚢᛗ ᛗᛁᛦ ᛗᚨᛁᚱᚨᚾ ᛚᛁᚾᚴᚱ,
ᚼᚨᚱ ᚼᛁᛏᛁ ᚢᛁᚦ ᚼᛁᛗᛁᚾ ᛋᛁᚨᛚᚠᚨᚾ.
Le soleil s'obscurcit, la terre sombre dans la mer,
Les étoiles brillantes disparaissent du ciel ;
Le feu danse sur le frêne sacré,
Une chaleur immense monte jusqu’au ciel lui-même.
Strophe 58 du Völuspá
Extrait du Ragnarök
Transcription du Xe siècle
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Le vent rabattit les fumerolles qui s’élevaient des restes du campement des trappeurs, souleva les cendres et les balaya vers le sous-bois. Une poudre grise se déposa sur la boue sanglante et les feuillages.
Le feu.
Lemet ne pouvait détacher son regard de l’être à ses pieds, de ses plaies, de ses marques, de l’état pitoyable où il se trouvait. Rien de plus qu’un corps vivant au bord de l’abîme.
Seul le feu peut tuer un Crasseux.
Une pulsion meurtrière traversa l’homme, courut sous sa peau, fit trembler ses mains. Rassembler du bois et faire brûler cette créature démoniaque échappée des enfers, brûler la forêt entière si besoin, noyer le ciel sous la fumée âcre, obscurcir le jour… Et la terre débarrassée du monstre infâme se couvrirait de cendre.
La haine qui coulait dans ses veines depuis vingt ans, faisait battre son cœur, remuer ses membres se cristallisa dans ses poumons.
L’air lui manquait.
*
Lemet s’était glissé derrière le poêle, entre la fonte et le mur. Dissimulé par le tas de bois et le coffre où sa mère rangeait les vêtements d’hiver. La fumée protégeait de la vermine les tissus de laine et les fourrures.
Plus aucun son ne venait de l’extérieur. Ni cris ni grondement. L’horreur laissait place à un silence nauséeux.
L’enfant de sept ans se pelotonna. Incapable de plus. L’odeur de chair brûlée avait imprégné ses vêtements, la chaleur du brasier asséchée ses larmes et les râles des mourants éteint ses pensées.
*
Il avait couru les montagnes, les forêts, des fjords du sud à la toundra du nord dans sa quête. Mu par une obsession. Avec un seul souvenir de sa rencontre avec le monstre qui avait détruit son village.
*
La porte de la maison s’ouvrit dans un chuintement familier. La lueur d’un jour gris s’infiltra, dessina des ombres terrifiantes sur l’intérieur. Les meubles prirent des formes absurdes. Lemet retint sa respiration. Pas un bruit. Disparaître…
*
Ses yeux ne quittaient pas les tatouages striés de plaies et d’ecchymoses du corps vivant à ses pieds. Leurs motifs noir et indigo qui s’étaient gravés à jamais dans son esprit.
*
Une silhouette se dessina dans le contrejour. Le bruit du grondement des flammes dévorant le village emplit l’air.
Plus aucune voix humaine. Plus aucun hurlement animal. Juste le feu.
L’être s’avança à travers la pièce sombre. Lemet risqua un œil à travers les buches qui le séparaient du démon.
*
Il savait qu’il les reconnaitrait le moment venu.
Oui, il y avait cru.
Même si c’était la seule chose qu’il savait sur le Crasseux. Sa mémoire d’enfant n’avait gardé que ce détail sur son apparence.
Le tatouage de ses jambes.
*
Il n’aperçut que la peau nue de ses jambes… la peau ? La chair à vif n’en portait plus. Elle n’était que cloques et lambeaux calcinés. Tout juste un motif indigo persistait telle une ombre sur la brûlure. Un tatouage… Lemet ferma les yeux, incapable d’en supporter plus.
*
Le regard de Lemet remonta vers le reste du corps.
Une femme.
L’apparence d’une femme du moins. Frêle, un visage de poupée à la peau couleur de miel. Son teint d’or se teintait rapidement de bleu, ses lèvres viraient au violet. Le froid vif de l’hiver faisait son œuvre et la plongeait dans une torpeur hypothermique.
— Ob Lemet ?
La voix de Mannù Iv Bohccot sortit Lemet de sa torpeur et le fit revenir à la réalité de ce qui l’entourait.
La forêt.
Le fossé.
Les pisteurs.
— Pas de mal en bas ? cria l’Iv Bohccot.
Le noble se tenait en haut de la butte, tromblon en main. À ses côtés, les pisteurs, les chiens dans leur ombre, scrutaient le sous-bois avec terreur.
— Non, se força à répondre Lemet.
Mannù raccrocha son arme à sa ceinture.
— Les chiens ne l’on même pas sentit, ne l’ont pas entendu… Incroyable.
Le noble tâchait de paraître aussi nonchalant qu’à son habitude sans y parvenir. Sa voix était aussi blanche que son visage. Il reprit :
— Le Crasseux est apparu du côté des ruines du koie et a traversé en ligne droite vers vous…
Lemet pinça les lèvres pour se taire. Lui seul savait à quoi ressemblait le Crasseux dans la compagnie, de sa nature, de son apparence humaine… Il avait préféré garder l’information. Un démon était bien plus facile à chasser si on pense que c’est un monstre que si on se laisse emporter par la sensiblerie liée à son apparence.
L’Iv Bohccot saisit une branche et, d’une démarche prudente, amorça la descente vers le fond du fossé.
— Sacrée bestiole. J’ai bien cru qu’elle allait vous réduire en charpie.
S’aidant de tiges d’arbuste, il arriva sans encombre à la hauteur de Lemet et du chef des pisteurs. Il ajouta :
— On l’a vu sauter dans le fossé pour en ressortir immédiatement après pour disparaître dans la forêt.
Il s’accroupit à côté du corps inconscient.
— Elle est mal au point !
Machinalement, il rejeta les pans de la cape de fourrure sur les membres diaphanes de ce qu’il prenait pour une femme.
— Je ne parle pas koust, mais j’ai cru comprendre que les pisteurs ont maudit les trappeurs sur plusieurs générations. Et, j’avoue que je leur souhaite que ce que le Crasseux leur a fait ne soit que le dixième de ce que leur réserve le jugement de notre Seigneur.
Il plissa le nez.
— Pauvre femme…
S’il savait que c’était cette « pauvre femme » qui avait réduit en charogne les trappeurs.
Un silence s’allongea, chacun plongé dans ses propres pensées.
— Et maintenant, on fait quoi ? demanda l’Iv Bohccot en se tournant vers Lemet.
— On brûle tout !
*
Le feu ne doit jamais s’éteindre tant qu’il ne restera pas que des cendres, hurlaient les vieux, sinon le Crasseux se libérera et nous tuera tous !
*
— Et pour elle ?
Lemet retint ses paroles, retint ses actes. Même si du plus profond de son être, de toute son âme, il était prêt à alimenter lui-même le feu qui détruirait cette chose pendant des jours, des semaines, des mois s’il le fallait, ses engagements étaient tout autre.
Il hésita.
*
Mais après cinq jours et cinq nuits le feu s’était éteint, libérant le démon ivre de vengeance.
*
L’Archiduchesse payait depuis plus de six ans cette traque insensée, jugée par bon nombre comme un gaspillage d’argent pour courir après une chimère… Elle avait juste mis une condition à sa manne financière : lui rapporter le Crasseux vivant.
Mais qui saurait ?
Mannù Iv Bohccot ?
Les pisteurs ?
Jeter le corps de cette… femme dans le feu qui allait purifier le campement et la réduire en cendre.
— Ob Lemet ?
L’homme passa les mains dans ses cheveux. Sauf que ce corps était vivant, la compagnie ne comprendrait pas qu’il le jette dans le brasier, et s’il en révélait la nature, ils l’en empêcheraient tout autant au nom de la mission.
Lemet soupira.
— On la sort de là et on la soigne.
L’Iv Bohccot haussa les sourcils :
— Vraiment, Ob Lemet ?
Lemet se tourna vers son compagnon de traque. Le visage du noble affichait une expression dure et hautaine.
— Oui, on ne va pas la laisser là.
— Dans quelques heures, ce ne sera plus qu’une charogne si on ne fait rien… La soigner nous engage à être responsables d’elle.
Le cynisme de l’Iv Bo fit regretter à Lemet de ne pas voir proposer de la jeter dans le brasier qu’ils allaient faire du campement.
— Oui.
— Nos réserves sont limitées. Elle sera ton problème et non le mien.
Les montagnes d’Øst étaient un milieu hostile où une bouche de plus à nourrir pouvait conduire toute la troupe à la catastrophe.
— Oui, répondit Lemet.
— Soit. Alors soigne-là vite avant qu’elle meure, nous avons une traque à reprendre.
Le feu ne doit pas s’éteindre !
J'avoue que là comme ça j'ai du mal à imaginer Ona commettre un massacre. Pourquoi aurait-elle fait ça ? A mon avis, il doit y avoir une confusion quelque part. On verra si j'ai vu juste (même si pour l'instant mais suppositions se sont révélées fausses x) )
Si j'ai bien compris (possible que ce ne soit pas le cas vu l'heure et ma fatigue xD) le feu serait sa faiblesse, mais n'est-elle pas censée être incapable de mourir tant que les années accumulées ne s'étaient pas écoulées ? Je ne vois pas en quoi le feu serait plus efficace qu'un coup de couteau.
Sinon je suis soulagée qu'il ne lui ai rien fait... mais cette archiduchesse n'annonce rien de bon. En fait j'aurais aimé qu'Ona s'enfuit et vive tranquillement mais c'était sûr que non, ça ne ferait pas un roman intéressant à lire xD
Hâte de voir ce qui va se passer à son réveil !
À ce stade, on sait peu de chose sur Ona. hé hé hé...
Oui, ona qui fuit et fait sa life tranquillou, ça enlève tout l'intérêt de l'histoire. XD
Merci d'être fidèle au poste. :)