Chapitre 6

Par Yvane_

 

L'aube pointait le bout de son nez quand Keïrah et Nash repartirent de l’orphelinat. La jeune fille était encore sous le choc. Elle ne connaissait pas son nom de famille. Keïrah Dairval. Juste Keïrah. Toute son existence, ses certitudes, étaient remises en question.

On lui avait toujours dit que ses parents, de pauvres paysans, l’avaient déposée dans l’orphelinat car ils n’avaient pas les moyens de s’occuper d’elle. Simple. Efficace. Mais c’était bien plus compliqué que ça ! Personne ne connaissait ses parents. Personne ne connaissait sa famille. Personne ne savait vraiment qui elle était.

L’orphelinat lui avait inventé une vie facile, paisible, sans soucis. Sans l’ALR, elle n’aurait jamais découvert tout ça. Elle devait tout à un jeune homme dont elle ne connaissait même  pas le prénom !

-Dites Sergent, lança-t-elle, où allons-nous maintenant ?

-Et si nous allions boire quelque chose de chaud ? proposa-t-il.

Keïrah accepta de bon cœur. Ils se dirigèrent vers l’échoppe la plus proche.

La cloche tinta quand Nash poussa la porte de l’établissement. Des effluves d'épices et de chants vinrent chatouiller son nez. La chaleur qui se dégageait de la salle l’incita à entrer.

Les deux jeunes gens se dirigèrent vers le comptoir pour commander. La patronne les accueillit d’une voix chaleureuse :

-Alors mes tourtereaux, qu’est-ce que je vous sers ?

-Deux laits du Nord, répondit la jeune fille.

Le lait du Nord était la spécialité culinaire du Royaume. C’est un lait chaud avec de la cannelle, de la mandarine, du chocolat et de la poudre de baies-étoilées, de petits fruits en forme d’étoile poussant dans les forêts du Nord – d’où son nom.

Une fois leurs boissons retirées, Keïrah et Nash s’assirent autour d’une table au fond de la salle. Un petit groupe de musiciens jouait sur une estrade de fortune. Les quelques clients saouls beuglaient les paroles des chansons.

-Merci, dit soudainement la jeune fille.

-Je vous demande pardon ? demanda le Sergent, ne comprenant pas pourquoi elle le remerciait.

-Merci, répéta-t-elle. Merci de ne pas m’avoir dénoncée au bureau des Agents, de m’avoir aidée à trouver des réponses à l’orphelinat.

Il y eu un silence gêné. Ils baissèrent tous deux les yeux vers leurs boissons.

Soudain, la porte de l’auberge s’ouvrit avec fracas. Deux gardes du Royaume entrèrent dans l’établissement.

-Halte là ! Nous recherchons Keïrah Dairval, une Volmaäje fugitive ! Des affiches de son visage sont en train d’être placardées dans toute la ville. En voici une !

L’homme brandit une annonce qui mettait la tête de Keïrah au prix de dix mille fiens. A la vue de cette affiche, Nash et Keïrah se levèrent, affolés.

-Psssst, par ici, leur dit la patronne en leur montrant du doigt une porte de service derrière le comptoir. Elle leur lança un clin d’œil et alla à la rencontre des gardes pour les occuper pendant qu’ils s’échappaient.

Ils détalèrent le plus loin possible de l’auberge. Ils ne s’arrêtèrent que dans une impasse sombre et déserte pour reprendre leur souffle. Ils entendaient de lointains échos de cris et de cavalcades des chevaux de la garde.

-Ça va ? demanda le Sergent.

Keïrah hocha la tête.

Soudain, son sang se glaça. Elle pivota doucement vers le fond de l’impasse et fit signe à Nash de se taire.

Dans le recoin sale et sans lumière du passage, on entendaient des gémissements. Les deux jeunes gens s’avancèrent prudemment. Sur un tas de détritus, une petite fille respirait difficilement. Elle suait à grosse goutes. Keïrah se précipita sans réfléchir à ses côtés et posa la main sur son front. Brûlant.

-Comment t’appelles-tu petite ?

-Mé… Mélie… répondit-elle dans un souffle.

-Où sont tes parents Mélie ? Où habites-tu ?

-Je suis… Suis toute seule… Pas de maison….

La jeune fille la prit dans ses bras et lui dit :

-Tu n’as plus rien à craindre maintenant. Tu es avec moi. Je vais t’emmener dans un endroit où l'on pourra te soigner. Tout ira mieux d’accord ?

La petite fille approuva, et, un sourire aux lèvres, ferma les yeux. Keïrah la berça tendrement dans ses bras, en lui chantant une vieille chanson du Royaume :

 

E sera ciele clario

Ce soir le ciel est clair

Stela veyo si to

Les étoiles veillent sur toi

Luna canetera

La lune chantera

Dorse mi anjem

Endors-toi mon ange

 

Ten beolo revo

Fais de beaux rêves

Ju-a petie matinio

Jusqu’au petit matin

Eteno bercoa de venito

Ecoute la berceuse du vent

Oya, dorse mi anjem

Oui, dors mon ange

Mi petie anjem

Mon petit ange

 

Un « merci » presque inaudible sorti des lèvres de Mélie. Elle se lova dans les bras de Keïrah et s’endormit. Nash su directement que c’en était  fini de la fillette. Ses mains, qui serraient la tunique de la jeune fille, s’étaient relâchées.

-Pourquoi, chuchota-t-elle. Pourquoi ?

Nash s’approcha d’elle et posa une main qui se voulait réconfortante sur son épaule.

Elle leva la tête vers le ciel que la nuit ne tarderait pas à occuper, et pleura toutes les larmes de son corps dans une plainte déchirante. Elle lâcha tout le poids qu’elle avait sur le cœur.

Nash enleva le corps de Mélie des bras de Keïrah, et l’enroula dans son manteau. Il la déposa dans le renfoncement d’un mur. La jeune fille, qui s’était calmée, s’assit à côté de l’Agent. Elle écarta une mèche qui barrait le front de la petite, et fit signe au Sergent qu’ils pouvaient y aller. Les deux jeunes gens repartirent de cet endroit rempli de ce qui était maintenant de mauvais souvenirs.

Mais s'ils étaient restés ne serait-ce qu’un instant de plus, ils auraient vu une lueur dorée partir de la mèche que Keïrah avait touchée et se propager dans tout le corps de Mélie. Des dizaines de fleurs d’or apparurent dans les cheveux de la fillette. Un ultime sourire illumina son visage.

Mélie a connu le bonheur. A tout jamais.

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