Chapitre 6 _ 29 octobre 1887

Par Rouky

Les semaines se succédèrent dans la peur et la fuite. Mes blessures cicatrisaient comme elles le pouvaient, mais elles étaient encore boursouflées, rougies et sensibles. Je n’osais jamais retirer les bandages sur mon ventre moi-même, je demandais toujours l’aide de l’infirmière.

Mes parents m’avaient envoyé des lettres pour s’enquérir de ma scolarité. Honteux des récents évènements, je leur avait délibérément menti en leur disant que tout se passait pour le mieux.

Mais la vérité, c’est que mes notes pâtissaient gravement de mon état mental et physique. Elles dégringolèrent, et je fus réprimander à plusieurs reprises par les enseignants, m’insultant de “campagnard ignare”. On me conseilla souvent de rentrer chez moi, d’aider mes vieux parents au labeur du travail manuel.

Mais je n’osai pas les affronter, leur présenter mon échec. Alors je continuais d’assister aux cours, je baissais l’échine dans les couloirs bondés, étant devenu le bouc émissaire des autres élèves.

Sous l’impulsion de Nathaniel, tous s’était mis à me dévisager, à me cracher dessus, à me pousser. Mes deux colocataires avaient fui la chambre, préférant payer grassement pour un appartement individuel. Je pouvais encore supporter les brimades des camarades, mais je n’arrivais plus à être confronté à Nathaniel et ses acolytes sans trembler.

Il m’arrivait de leur tomber dessus, au détour d’un couloir, ou dans les jardins de l’université. Chaque fois que je les croisais, j’avais droit à un tabassage à trois contre un. Enfin, plutôt deux contre un, puisque Nathaniel gardait ses mains pour la médecine plutôt que pour la bagarre. Puis, lorsque je fus au sol, meurtri et incapable de bouger, Nathaniel se penchait vers moi, et me posait toujours la même question :

— Alors, mendiant, as-tu trouvé ton plaisir ?

Et je répondais toujours :

— Oui... monsieur Le Duc.

Alors, en ce jour, je pris une décision radicale. Je sortis de l’enceinte de l’université, et me dirigeais vers la forêt sombre qui jouxtait Aldebaran. Il se trouvait là un pont au dessus d’un fleuve profond.

L’environnement était silencieux, coupé seulement par le bruissement des feuilles et le piaillement des oiseaux. Lentement, je retirai ma redingote, l’a pliai soigneusement, et l’a posai à même le sol. Puis je passais une jambe au dessus de la rambarde en bois, puis la deuxième.

J’inspirai profondément, les yeux plongés dans l’eau clair, glacial. Le fait est que je ne savais pas nager. Sauter reviendrait à me laisser mourir, et c’est justement ce que je désirais. Ainsi, mes parents hériteraient de ma petite fortune, et je n’aurai à subir la honte de voir leur regard déçu, empreint d’une pitié d’avoir engendré un fils incapable de se défendre.

Je fermais les yeux un instant, laissant rouler des larmes silencieuses.

J’inspirais une fois, deux fois... puis me laissais tomber en avant.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez