Il y eut un silence durant lequel Serge but de longues gorgées de café, l’air absent. Fasciné par le récit, Callinoé avait oublié le défaut de prononciation de leur voisin, puis progressivement baissé les yeux pour prendre de la distance avec la réalité. Il avait écouté soigneusement, tout en transposant son propre passé à celui de l’homme. Ses propres disputes avec Roxanne. Sa jalousie, oui, quand il entendait tout le bien que ses parents disaient d’elle. Par-dessus tout, cependant, son coeur avait battu du soulagement de n’avoir jamais haïs sa petite sœur. Cette extrémité-là, aucun d’eux ne l’avait atteinte.
Il fixait désormais ses mains serrées, ses doigts entremêlés. Il se concentra sur ses ongles courts et rongés, sur le tracé de ses veines et la lignes brisée de ses phalanges recourbées, pour ne pas pleurer à la perspective de perdre un jour Roxanne.
Il finit par lever les yeux et croisa ceux de sa sœur. Des yeux en amande, comme les siens, d’un brun banal qui lui était pourtant spécial ; des yeux qui brillaient mais se plissèrent sous le sourire timide qu’elle esquissa.
Il était certain qu’elle aussi pensait à quel point elle l’aimait.
— Ah mais non, dit Serge en le tirant de ses pensées. Faut pas vous mettre dans cet état. T’nez.
Il se leva pour tendre une serviette en papier à Apolline qui pleurait. Calinoé s’alarma et s’en voulut de ne pas l’avoir remarqué. Roxanne, qui ne s’en était pas rendue compte non plus, prit la main de leur compagne de route et lui frotta le dos de l’autre.
— Désolée, dit Paul avec un semblant de sourire. C’est juste que… je suis désolée pour vous, Serge.
— C’est gentil, louloute.
Elle se moucha et parut se remettre, s’appuyant tout de même sur Roxane.
Callinoé trouva étrange et touchant ces yeux rougies et le sillon des larmes le long de ce visage ovale qu’il avait pris l’habitude de voir barré d’un grand sourire. Paul, qu’il n’avait vu que rire et plaisanter, sérieuse et concentrée quand elle dessinait sur son bras, leur offrait une autre facette d’elle. Il n’aimait pas la voir triste, mais il aimait qu’elle se sente assez en confiance pour se laisser aller.
Callinoé l’aimait beaucoup, c’était un fait. Apolline avait une présence vibrante et réconfortante. S’il se l’était déjà formulé plusieurs fois depuis leur rencontre, la découvrir chagrine noua son affection avec décision.
Il se leva, annonça qu’il revenait, et partit lui commander un thé. Quand il le posa devant elle, Paul avait ravalé ses larmes, mais gardait la peau pâle.
— Merci, Callie, souffla-t-elle.
— Je t’en prie.
Quand il n’avait pas les mots, il proposait une boisson chaude. Paul sembla réceptive à ce soutien muet.
Serge hocha la tête, approuvant le geste de Callinoé d’un coup d’œil trop insistant.
— J’vais vous dire, les enfants…
Roxanne et Paul sourirent en même temps. « Enfants », c’était un peu exagéré.
— Aimez-vous maint’nant, ‘kay ? Faut l’dire et faut l’vivre ; y a jamais assez d’temps dans une vie pour s’permettre de r’mettre ça à d’main.
Il termina son café d’une gorgée et ajouta, levant son gobelet pour souligner ses paroles, le mot « seiche » rebondissant à chacun de ses mouvements.
— Frères et sœur d’sang ou d’coeur, c’pareil. Vous laissez pas bouffer par c’que vous croyez. Z’êtes tous formidables. Y a qu’ça qui compte.
— Vous avez raison, souffla Roxanne.
Ils échangèrent un regard complice, tendre même, puis Serge les salua et partit. Roxanne et Paul fixaient la table en silence, les joues de Paul reprenant des couleurs tandis qu’elle s’astreignait à de profondes et régulières inspirations.
Callinoé, lui, suivit la silhouette de Serge. Il le regarda jeter son gobelet, remercier les serveurs et se diriger d’un pas lourd vers la porte. Il le vit baisser la tête et serrer la poignée sans l’ouvrir, fermer les yeux forts puis s’en aller.
Bref, la section "commentaires" n'est pas là pour que tu fasses une thérapie en ligne. Donc, revenons-en au texte.
J'aime la façon dont tes personnages font des petites rencontres ci et là. Des rencontres qui, quand même, font écho sur leur existence, les font évoluer. En fait, on va s'apercevoir que toute cette route va les changer. Que l'important, ce n'est pas la destination mais le chemin parcouru. L'important, ce n'est peut-être pas qu'ils retrouvent la maison de Papy Del mais qu'ils apprennent à se reconstruire, ou à se construire tout court, après sa mort.
Instant poésie du jour, bonjour. C'est beau ce que je dis… Je crois…
Bref, aussi près du but, je m'en vais lire la fin de cette partie !
A plus !
Après ça peut mal se passer, on ne sait jamais, et je ne connais pas votre histoire ; mais si le silence fait plus mal, c'est peut-être que ça se tente ?
Plus sérieusement, si t'as besoin de parler, n'hésite pas.
<3
Il y a juste un détail qui m’a ennuyée, c’est la façon dont parle Serge au chap 4 et 6, avec ces mots raccourcis, alors que dans le chapitre précédent où il raconte l’histoire, il parle normalement. C’est le contraste qui choque, et je ne suis pas sûre que ça apporte grand-chose de le faire parler en « raccourci » alors que son problème d’élocution, c’est plutôt un cheveu sur la langue (du mal avec les « che » donc ?)
Bref, pour moi, ça ne passe pas totalement, et je pense qu’il y a une petite réflexion à mener sur la façon dont parle Serge, surtout qu’il parle quand même tout un chapitre, même si cela devient une sorte de narration.
Détails
de n’avoir jamais haïs : haï
et la lignes brisée de ses phalanges : ligne
qui ne s’en était pas rendue compte : rendu (invariable dans cette expression)
ces yeux rougies : rougis
Et je me "contente" du cheveu sur la langue dans ses dialogues.
Et je pense aussi que ce serait une bonne idée de se contenter de son "cheveu" dans les dialogues pour ne pas trop en faire.