Chapitre 6

Notes de l’auteur : Chapitre que j'ai mis aproximativement trois mois à écrire...

Sa nouvelle tenue d'équitation était bien plus confortable que la précédente. Plus de jupe malcommode pour lui serrer les mollet et lui irriter les cuisses, plus frottements désagréables des rênes sur ses paume. Anaëlle n’en revenait toujours pas. Était-elle si handicapée par sa tenue ? Il fallait le croire. En tout, c'était gentil de la part du messager. À vrai dire, elle ne croyait même pas qu'il allait la laisser sortir, quand elle le lui avait demandé, alors lui offrir quelque chose... D'ailleurs, la gouvernante aussi avait été gentille avec elle. Elle se souvint des biscuits qu'elle lui avait glissé dans son sac au moment du départ. Comment avait-elle pu s'en souvenir, tant de temps après ?

Peut-être que dieux la soutenait, cette fois. Elle jeta un regard au ciel. La pâle lune Lueb se détachait à peine sur le bleu. Elle prit cela comme un signe. Lueb, le dieu de la Vie, la saluait.

Ils étaient partis très tôt le matin, alors que la rosée couvrait les pavés. La fraîcheur d'alors n'était plus qu'un lointain souvenir. Elle était couverte de sueur, qui ne suffisait pas à la refroidir. Plus habitué, Dimitri se protégeait d'un foulard.

À mesure qu'ils s'éloignaient du centre ville, les bâtiments au bord de la route s'espacèrent, puis disparurent. Des champs à perte de vue, plantés de blé quasi mûr, les remplacèrent. L'ennui la gagna vite. Elle avait cru comprendre que c'était la route la plus fréquentée du continent ; pourtant, ils n'avaient croisé que des paysans amenant leur récolte au marché. Dimitri maintenait une allure soutenue, l'empêchant de se réfléchir trop à ce problème..Avait-il oublié qu’elle n'avait qu'un seul de route dans les pattes, plus la leçon qu'il lui avait donné chez les comtes ? Elle devait rester penser sans cesse à sa position sur la selle. Qui eut cru que la monte faisait aussi mal aux muscles ? Pas elle, en tout cas.

À midi ils stoppèrent à l'ombre d'un chêne liège.

— Tu peux te poser, on va rester ici un certain temps. Si on veut pouvoir continuer à avancer, il faut que les chevaux n'aient pas de coup de chaleur.

— Vous me tutoyez, à présent ? Remarqua-t-elle.

— Je suis désolé. Ça m'a échappé, s'excusa-t-il en rougissant.

— Je préfère que vous ne me vouvoyez pas, grimaça-t-elle. Je voulais vous le dire depuis longtemps déjà.

— Et pourquoi donc ?

Ce fut à elle de rougir.

— Je n'ai pas l'habitude, c'est tout.

— Si vous me vouvoyez, je vous vouvoie, s'obstina Dimitri.

— Ça n'a rien à voir ! Je dois vous vouvoyez ! Protesta-t-elle.

— Pourquoi donc ? Je ne suis pas votre maître.

— Le problème n'est pas là ! Vous êtes libre, je ne le suis pas. La conclusion s'impose d'elle-même, vous ne trouvez pas ?

— Pas vraiment, non.

— Vous le faites exprès ! s'exclama-t-elle, exaspérée.

Pourquoi cet imbécile s'entêtait-il ? Il trouvait ça drôle, peut-être ? Ça n'avait rien de drôle. Les larmes lui montèrent aux yeux. Rien de tout cela n'était juste, ou drôle.

— Vous compliquez tout ! Lança-t-elle au messager.

— Je ne comprend vraiment pas pourquoi ça vous pose un problème.

Oh, elle allait l'étriper.

— Ne pleurez pas pour ça... ce n'est pas grave, vous savez.

— Arrêtez de me vouvoyer ! Hurla Anaëlle.

Les chevaux tournèrent leurs oreilles dans sa direction. Elle n'y prêta aucune attention. Les larmes la submergèrent à nouveau.

— Vous êtes sûre que tout va bien ?

Elle l'aurait giflé. Effacer cet air sincèrement inquiet qui se peignait sur son visage. Elle ne pouvait pas le frapper. On la tuerait si elle levait la main sur lui. Elle tourna les talons et s'enfuit.

Elle n'alla pas loi. Elle s'effondra dans l'herbe sèche aux pieds de sa jument et éclata en sanglots. Il ne la comprenait pas, ne pourrait jamais la comprendre. Pire, il se moquait d'elle.

Stupide, stupide, stupide. Elle ne remarqua que Dimitri s'était approché que lorsqu'il s'accroupit pour se mettre à sa hauteur.

— Je crois que c'est parti trop loin, commença-t-il.

— C'est de votre faute ! Rétorqua l'elfe entre deux reniflements. Vous n'aviez qu'à pas commencer !

Il fit un geste vers elle, puis se retint. Tant mieux. S'il essayait de la toucher, elle hurlait.

— Je ne voulait pas vous blesser...

— Te blesser, corrigea la jeune femme.

— Vous blessez, reprit-il sans tenir compte se son intervention. On s'est mal compris.

— Oh, pitié, arrêtez ça.

— Pourquoi donc ? Vous préférez bouder dans votre coin ?

Il se moquait d'elle ! C'était lui qui était en colère, maintenant ?

— Si vous me respectez tant que ça, vous pouvez faire ce que je vous demande !

— Si vous, vous arrêtez de me vouvoyer aussi !

— Zut ! Pourquoi est-ce que je vous vouvoierai pas, d'abord ?

— Je vous retourne la question.

Ils se jaugèrent deux secondes avant qu'il ne craque.

— Je déteste qu'on me vouvoie alors que je tutoie, avoua-t-il sans la regarder.

Elle ricana.

— Parce que ça ne t'ai jamais arrivé, de vouvoyer quelqu'un qui ne te vouvoyait pas ?

Il sursauta et lui sourit timidement.

— Tu vois, quand tu veux...

— Ça ne répond pas à ma question, fit Anaëlle d'un ton sec.

Elle n'était pas d'humeur à faire ami-ami avec lui. Il soupira.

— Bien sûr que si, mais c'est très désagréable. Toi non plus, tu ne dois pas aimer ça.

— Comme si j'avais le choix !

Il eut l'intelligence de rougir.

— N'en parlons plus, conclue-t-elle, essuyant ses dernières larmes.

Dimitri se remit debout et lui tendit une main pour l'aider à faire de même. Elle le dédaigna et se remit droite seule. Vallmia lui donna un coup de tête sur l'épaule. On aurait dit qu'elle voulait la réconforter.

Elle lui donna une caresse en réponse, remerciement silencieux. Ils repartirent peu après et ne reparlèrent pas de leur dispute. Leur nouvelle entente était maladroite, fragile. Cela suffisait à Anaëlle. Le messager lui expliquait leur trajet au fil des jours, avant le début de l'étape journalière. De temps en temps, il se permettait un commentaire sur le paysage ou la nourriture d'une auberge – jamais fameux. C'était déjà plus qu'elle n'en attendait. C'est ainsi qu'il lui annonça un matin qu'ils atteindraient les Sables dans la journée, en traversant un pont sur le fleuve Tener.

La nouvelle lui fit un coup au cœur. Plus possible de se cacher derrière la monotonie du voyage. Dans moins d'une semaine, elle serait fixée sur son sort. Évidemment, elle ne pouvait rien y faire. Elle se surprit pourtant à adresser une prière aux dieux. S'ils acceptaient d'aider les gens de son espèce, c'était le moment où jamais.

Un peu avant d'arriver au pont proprement dit, les étendues sèches ponctuées d'oliviers et de buissons bas furent remplacées par des pâturages et des champs de lin, profitant de la boue riche et humide laissée par le fleuve après ses crues hivernales.

Voir autant de verdure fit une impression bizarre à Anaëlle, après ces jours marrons et secs. Vallmia voulut s'arrêter brouter l'herbe poussant au bord de la route. Un petit coup sec des rênes l'en dissuada et elle rejoignit Izel en trottinant.

De l'autre côté, c'étaient les mêmes champs et les mêmes pâturages. Si l'on s'approchait suffisamment, on sentait l'humidité du fleuve remonter. Dimitri déclara qu'il était l'heure de s'arrêter manger ; elle le soupçonnait de vouloir profiter de l'air frais tant que c'était possible. Il tenta plusieurs fois de commencer une conversation tandis qu'ils dégustaient le menu habituel – olives, pain sec et fromage – mais comme elle ne répondait que par syllabes, il abandonna assez vite.

La pause fut plus longue que les autres jours. Anaëlle parcourut la rive à la recherche d'un endroit où l'on pouvait approcher l'eau sans s'enfoncer dans la vase. Armée d'un bâton, elle sondait l'épaisseur molle et, si ça lui convenait, testait en s'avançant prudemment, puis recommençait son manège encore et encore. Vallmia la regardait faire avec étonnement entre deux bouchées d'herbe, surtout quand la rive s'effondrait sous les pieds de sa cavalière et qu'elle lançait une bordée d'injures qui faisaient rougir Dimitri.

— J'en ai dans les bottes ! Se plaignit-elle en revenant près du messager. Et toute ma tenue est foutue !

— Quelle idée, aussi. Pourquoi tu veux aller au fleuve, déjà ?

— Pour remplir ma gourde ! J'ai soif, moi !

Il faillit éclater de rire.

— J'ai de l'eau propre en réserve. Si tu bois le Tener, tu vas attraper le choléra.

Elle le fusilla du regard et se laissa tomber dans l'herbe.

— Pouvais pas le dire plus tôt ?

Elle ne prononça plus un mot de l'après-midi, faisant semblant de bouder. En réalité, toutes ses pensées ressemblaient à « Eh bien, maintenant, je suis Anaëlle aux Sables, au lieu d'Anaëlle aux Gadaxan... Et tout ça, c'est à mon propriétaire... Et j'espère que la future duchesse sera une bonne maîtresse... »

Ce fut une après-midi interminable.

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Xendor
Posté le 31/10/2020
C'est marrant, on dirait qu'ils se chaimaillent presque comme un couple. Peut-être le fait que Dimitri lui ait accordé beaucoup de choses par rapport à son statut l'a quelque peu enhardi. Mais du coup c'est pas mal parce que c'est drôle ^^ D'ailleurs, je me demande pouquoi ce cher DImitri rougit. Le regard appuyé du couple du chapitre précédent est de plus en plus crédible ;)

Comme je le disais quelques chapitres plus tôt, la force de ton histoire est vraiment là : dans la simplicité. Tu gères !

Un gros courage pour la suite :)
ClaireDeLune
Posté le 20/10/2022
Huhu, tout le monde voudrait qu'ils soient ensembles...
Merci encore !
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