Caleb enjamba une racine et écarta une branche basse qui lui fouetta le bras. La forêt semblait se refermer autour d’eux, comme si chaque pas les enfonçait un peu plus loin dans un autre monde. Il entendait les autres derrière lui, les souffles courts, les lampes qui balayaient le sol, les murmures nerveux. Pourquoi a-t-il fallu qu’elle parte se promener toute seule ?
Et maintenant, ils suivaient une trace. Une empreinte incertaine, un peu d’herbe couchée, un pressentiment. Tout ça pour retrouver Lysandra, qui s’était encore laissé happer par ses idées de rêveuse. Il grogna intérieurement. Mais c’était sa cousine. Et elle était peut-être en danger. Alors il avançait.
Il avait toujours été le plus solide du groupe, celui qu’on dérangeait pour ouvrir un pot trop serré ou porter la valise de la tante Sophie. Mais le silence de la forêt, la disparition de sa cousine… Tout cela l’angoissait et il se demandait s’il n’avait pas commis une erreur en proposant cette escapade nocturne. Il avait toujours été celui qui initiait les bêtises quand ils étaient plus jeunes, un peu tête brûlée, toujours prêt à se jeter à corps perdu vers le danger. Mais il ne supportait pas qu’il puisse arriver quelque chose à une personne qu’il aime.
Le groupe progressait lentement, les lampes tranchant l’obscurité en faisceaux étroits. Cléo marchait juste derrière lui, trop vite. Jorick, en retrait, regardait partout à la fois. Ilana râlait à mi-voix, plus pour se rassurer que par vraie mauvaise volonté. Liam, fidèle à lui-même, traînait les pieds avec un air de “je vous l’avais dit”.
Il repensa à Lysandra. Elle n’était pas du genre à se perdre. Distraite, oui, mais pas inconsciente. Alors pourquoi ce silence ? Pourquoi cette disparition aussi soudaine ? Il y avait quelque chose d’anormal, il le sentait.
Ils marchèrent encore quelques minutes. La végétation semblait changer peu à peu. Les arbres étaient plus grands ici, plus anciens. Leurs troncs tordus se penchaient comme s’ils les observaient. Le sol s’était fait spongieux, couvert d’une mousse épaisse, étrange sous leurs pas.
— Stop, murmura-t-il en levant une main.
Le groupe s’immobilisa. Là, entre les arbres, il semblait discerner une lueur. Presque imperceptible. Bleue, diffuse, comme un souffle dans le noir. Pas une lampe. Pas un reflet. Quelque chose d’autre.
— C’est quoi ça ? souffla Cléo.
— On va voir, répondit Caleb, les mâchoires serrées.
Il fit quelques pas. Le passage s’ouvrait entre les troncs. Une sorte de couloir naturel, bordé de pierres moussues, comme si la forêt elle-même les guidait. Et là, au bout du couloir, elle était là.
Lysandra.
— Lys ! appela Jorick.
Mais elle ne bougea pas.
Caleb s’avança, lentement. Son cœur cognait fort contre sa cage thoracique. Il sentit le froid en premier. Une fraîcheur étrange, venue d’ailleurs. Pas celle de la nuit. Une froideur qui piquait la peau.
Quelque chose n’allait pas. Lysandra fixait quelque chose devant elle, droite comme un piquet, les bras le long du corps. Elle semblait… en transe. Son visage était calme, presque serein, mais ses yeux brillaient étrangement.
— Lys ? répéta-t-il, plus bas cette fois.
— Elle nous entend pas, murmura Cléo derrière lui.
Et alors il la vit. L’arche.
Un frisson remonta dans sa nuque. Elle se dressait juste devant Lysandra, massive, ancestrale, couverte de symboles. Des runes pâles y pulsaient doucement, comme un battement de cœur. Caleb ne les comprenait pas, mais elles lui semblaient à la fois étrangères et familières. Comme une langue oubliée qui parlait directement à la mémoire. C’était beau et glaçant à la fois. Et Caleb comprit que ce n’était pas juste un tas de vieilles pierres.
— Qu’est-ce que c’est que ce truc… murmura-t-il.
Personne ne répondit.
Même Cléo restait muette, les yeux écarquillés.
Lysandra, elle, n’avait toujours pas bougé. Elle semblait absorbée, happée par quelque chose d’invisible. Caleb fit un pas en avant, leva la main pour la toucher.
— Attends, souffla Jorick.
Il se figea. Une sensation bizarre lui parcourut le bras. Comme un courant, une résistance invisible dans l’air. Il recula.
— Elle est… ailleurs, dit Cléo à mi-voix. C’est comme si elle n’était plus là.
— On doit la réveiller, dit Ilana. C’est pas normal.
— Rien ici n’est normal, grogna Liam.
Caleb ne savait pas quoi faire. Tout en lui lui criait de partir. Mais partir sans Lysandra, c’était exclu. Il se força à rester debout, à garder l’équilibre, alors même que le sol semblait vibrer sous ses pieds.
Et soudain, la lumière changea. Un souffle glacé s’éleva autour d’eux. Et le ciel s’ouvrit.
— Regardez ! lança Ilana.
Ils levèrent tous les yeux. La comète fendait les étoiles.
Immense. Incandescente. Comme un feu vivant, traînant derrière elle une traînée blanche et bleutée, qui déchirait la nuit comme une cicatrice de lumière. Elle avançait lentement, majestueusement, dans un silence de cathédrale.
Caleb sentit quelque chose se déchirer en lui. Une sorte de vertige, d’appel. Et alors l’arche s’illumina.
Les runes gravées s’embrasèrent d’un éclat aveuglant. Un grondement sourd monta du sol. Une lumière bleue jaillit entre les piliers, liquide, ondoyante. Le vide entre les pierres devint… autre. Comme de l’eau figée. Comme un miroir vivant. Il y eut un craquement, un souffle.
Et la lumière les aspira. Pas une lumière chaude. Une force. Une traction. Comme si le monde s’inversait.
Caleb voulut reculer, hurler, tendre la main à Cléo, mais le vent l’engloutit. La dernière chose qu’il vit fut Lysandra, toujours droite, toujours calme.
Et l’éclat de la comète dans ses yeux.
Puis tout disparut.
Ca y est le voyage commence !
Chapitre très sympa. Maintenant on a eu tous les points de vue :)
Lysandra qui ne bouge pas, les yeux qui renvoient l'image de la comète. ça m'a fait penser, récemment au jeu clair obscur aha
En tout cas hâte de voir où ils vont atterrir.
A plus ! ^^
Oui ça y est, tout le monde a eu son moment. J'espère que la suite dans le monde fantastique te plaira :)