Chapitre 7 : Ilana

Ilana ouvrit les yeux dans un éblouissement blanc. L’air lui déchira les poumons comme si elle avait oublié comment respirer. Elle se redressa en sursaut, haletante, les mains plaquées sur une herbe douce qui n’avait rien de la mousse de la forêt. Autour d’elle, la lumière était vive. Son cœur battait si fort qu’elle crut sentir une chaleur brûlante courir dans ses veines. Elle cligna des yeux, cherchant un repère familier. Mais rien. Pas d’arbres, pas d’étang, la nuit avait disparu comme si elle n’avait jamais existé.

— Cléo ?!

Sa voix résonna étrangement, comme portée plus loin qu’elle ne l’aurait cru. Elle pivota, le souffle court, et distingua sa sœur et ses cousins étendus sur le sol, lents à reprendre leurs esprits. Elle se leva difficilement et se traîna jusqu’à Cléo.

— Cléo ça va ? Tu n’es pas blessée ?

Sa sœur avait du mal à ouvrir les yeux et, d’un coup, elle roula sur le côté pour vomir.

— Je suis pas top… marmonna-t-elle.

Ilana lui caressa doucement les cheveux et regarda le reste de sa famille se relever péniblement. Visiblement, Cléo était la seule à souffrir de vomissements. Ilana prit une grande inspiration pour reprendre ses esprits et se mit à observer les alentours.

Ils se trouvaient dans une grande clairière bordée par une forêt de pins. Le soleil brillait haut dans le ciel et une douce chaleur de printemps réchauffait l’atmosphère. Une brise légère embaumait l’air de parfums de fleurs sauvages et quelques oiseaux virevoltaient en chantant. L’endroit où ils avaient atterri n’avait rien à voir avec celui qu’ils venaient de quitter. Une sourde inquiétude lui tordit l’estomac. Qu’est-ce qui s’est passé ? Elle essaya de se souvenir. Tout ce dont elle se rappelait était d’avoir vu une immense comète déchirer le ciel puis la sensation d’être aspirée vers la lumière et de tomber.

— C’est quoi cet endroit ?

La question de Jorick flotta un instant dans l’air. Ils se regardèrent tous, incapables de donner une réponse. Tout autour d’eux semblait irréel. Cléo s’essuya la bouche, encore pâle.

— Je pense qu’on s’est téléporté, lâcha-t-elle gravement.

Ilana rit nerveusement.

— Comment ça « téléporté » ? On est pas dans un de tes romans fantastiques Cléo.

Liam opina du chef et Jorick et Caleb regardaient Cléo comme s’il lui poussait une deuxième tête. Seule Lysandra semblait être déconnectée de la conversation.

— Ecoutez, continua Cléo, je tourne et retourne la question dans ma tête depuis que nous avons ouvert les yeux. J’ai épluché toutes les solutions rationnelles et je me suis rendue compte qu’en fait, il n’y en avait pas. La seule possibilité que je voie c’est que nous nous sommes téléportés vers un autre lieu.

Un silence lourd suivit sa déclaration. Le vent fit bruisser doucement les pins, comme s’il s’était invité dans la conversation.

— T’es sérieuse là ? grogna Caleb. On disparaît pas comme ça d’un endroit à l’autre.

— Et pourtant, répliqua Cléo, tu proposes quoi comme explication ? Qu’on s’est endormis collectivement et qu’on rêve tous la même chose ?

— C’est plus crédible que ta téléportation, marmonna Liam, les bras toujours croisés.

Ilana leva les yeux au ciel.

— Sérieusement, vous avez vu la même chose que moi ? La comète, la lumière, et puis… ça.

Elle désigna d’un geste large la clairière, les pins immenses, le ciel trop bleu. Un oiseau passa au-dessus d’eux en laissant un cri aigu. Son plumage était d’un orange éclatant, presque incandescent, et sembla vibrer dans la lumière avant de disparaître dans la forêt. Tous le suivirent du regard.

— Vous connaissez un oiseau comme ça, vous ? souffla Jorick.

Personne ne répondit. Lysandra, qui n’avait toujours pas décroché un mot, fixait l’horizon. Ses yeux semblaient chercher quelque chose que les autres ne voyaient pas.

Ilana sentit une vague de vertige monter en elle. L’air était trop pur, trop lumineux, comme si la clairière entière respirait avec eux. Elle se tourna vers Lysandra, intriguée par son silence.

— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda-t-elle doucement.

Lysandra ne répondit pas tout de suite. Puis, d’une voix basse, presque un souffle :

— Là-bas… derrière les pins… je crois que quelque chose nous observe.

Tous les yeux se tournèrent dans la direction qu’indiquait Lysandra. Au début, il n’y avait rien. Puis un mouvement furtif, à peine perceptible, fit frissonner Ilana : une silhouette mince, aux contours flous, semblait glisser entre les troncs, rapide et silencieuse.

— C’est impossible… murmura Caleb. On dirait… une ombre.

Liam frissonna malgré lui, croisant les bras.

— Super, dit-il, donc maintenant on est pas juste téléportés, on a aussi un stalker invisible.

Cléo, malgré sa pâleur persistante, se redressa.

— Restez calmes. Essayons de comprendre avant de paniquer. Peut-être que… ce n’est pas hostile.

Ilana sentit son cœur battre plus fort. L’inconnu, ou l’inconnue, continuait de les observer, immobile cette fois, comme suspendu dans la lumière. Son instinct lui cria de protéger sa sœur, mais en même temps, une curiosité irrésistible la poussait à avancer.

— Je vais voir ce que c’est, dit-elle.

— Attends ! cria Jorick. On ne sait rien de cet endroit. On reste groupés.

Ilana hésita. Puis un léger signe de Lysandra la convainquit. La jeune fille avait déjà commencé à s’avancer, ses yeux rivés sur la silhouette mystérieuse. Avec un soupir, Ilana suivit, les autres derrière elle, en formation prudente.

À mesure qu’ils approchaient, la lumière de la clairière changea, devenant plus douce, presque irréelle, comme si l’air vibrait autour d’eux. La silhouette se révéla alors, enfin : c’était une créature aux ailes translucides, fragile et lumineuse, à l’éclat semblable à celui de la comète qu’ils avaient vue. Elle les observa, silencieuse, puis fit un pas en avant… et disparut dans un éclat de lumière.

— Qu’est-ce que c’était… ? souffla Ilana, bouche bée.

Un silence lourd tomba sur le groupe. La clairière, pourtant si calme quelques instants avant, semblait maintenant pleine de promesses et de mystères.

Lysandra murmura, plus pour elle que pour les autres :

— On n’est pas seulement téléportés… on est arrivés quelque part où tout est possible.

Et pour la première fois depuis leur réveil, Ilana sentit une étrange excitation se mêler à sa peur : ce lieu, si étrange soit-il, recelait peut-être la clé de ce qui venait de se passer… et peut-être, celle de leur destin.