Chapitre 6 – Corbeau ou grenouille ?

— Mais au fait Solène, si tu es un mâle, tu peux forcément chanter toi non ? Tu me montres ?

Tu vas voir quelque chose ?

— Au moins j’entendrais ! Mais oui, je devrais voir aussi, puisque tes sacs vocaux vont bouger quand tu vas croasser.

— Ah ah ah ! On ne dit pas « croasser » Hélios, c’est pour les corbeaux ça, les grenouilles, elles coassent, sans le « r » !

Gna gna gna ! C’est ce que j’ai dit, t’as mal entendu !

Ok bon, je me suis trompé, mais je sais bien que c’est croa- heu… coasser qu’on dit ! Sautant sur un nénuphar, je vois Solène faire de même. Puis un énorme coassement retentit d’un bout à l’autre de l’étang tandis que devant moi, deux petits sacs vocaux se gonflent de part et d’autre de la petite grenouille.

Waouh ! C’est toi qui as fait ça Solène ?

— Oui ! Super non ? J’ai lu que les grenouilles vertes faisaient partie des grenouilles qui coassaient le plus fort. Du coup, je pense que je suis une grenouille verte.

Bah en tous les cas, dans le bocal, tu étais verte…

— Idiot, il y a plusieurs sortes de grenouilles qui peuvent être vertes, comme des rainettes et même des crapauds. Mais toi, tu es juste un crapaud femelle commun, je l’ai vu tout de suite.

Voilà que Solène se prend pour une experte. N’importe quoi. Mais alors que je m’apprête à lui demander pourquoi elle n’a pas choisi le crapaud si elle est si experte que ça, je vois une autre grenouille bondir sur le nénuphar de Solène puis coasser devant elle.

Et bien, déjà une grenouille c’est bruyant, mais alors deux, n’en parlons pas !

Solène ? Vous faites quoi ? Vous discutez ?

— Mais… n’importe quoi Hélios, on ne papote pas, on se bat !

Hein ? Je vois bien les deux grenouilles coasser et faire des bonds l’une devant l’autre, mais se battre ? Cependant, au saut suivant, la grenouille étrangère fait tomber Solène dans l’eau, où elles continuent à s’attaquer à coups de coassement et de bonds l’une sur l’autre.

Non, mais c’est quoi ça ! Ah ah ah ! Je n’en reviens pas ! Je me mets à rire sans pouvoir m’arrêter, ce qui me fait du bien et me fait oublier temporairement mon mal de ventre qui ne s’améliore pas.

— Ah ah ah ! C’est une bagarre de nounours ou quoi ? Trop drôle ! Une bagarre sans griffes ni dents, n’importe quoi !

— J’ai des dents ! hurle Solène dans mes oreilles. Et si tu continues de te moquer, je te mords !

— Hein ?

Des dents ? Mais… les grenouilles n’ont pas de dents ? Si ?

Pris d’un doute, je touche l’intérieur de ma bouche avec ma langue, tâtonnant un peu partout. Et bien non ? Je n’ai pas de dents moi ? Elle me fait une blague Solène ou quoi ? Je n’ai rien lu à ce sujet ? Et d’ailleurs, les grenouilles comme les crapauds gobent leur repas, sans le mâcher ?

Dans ma distraction, j’ai arrêté de regarder la bagarre. Et maintenant je ne sais plus quelle grenouille est Solène. Zut ! Ou alors, c’est celle qui essaye de s’enfuir là ?

— Solène ? Tu es quelle grenouille, celle qui essaye de se sauver ?

— Évidemment ! Tu crois que j’ai envie de me battre pour une femelle ? C’est de ta faute tout ça ! J’ai coassé pour que tu m’entendes et cet idiot de grenouille, il a cru que je lui faisais de la concurrence !

— Arrête de croa- heu… coasser et ne bouge plus ! je lui lance alors, pris d’une idée subite.

Heureusement, Solène m’écoute et elle s’immobilise. Enfin je suppose, parce que je n’arrive plus à la voir, je ne vois plus qu’une seule grenouille qui saute encore un peu, avant de plonger et de disparaître sous la surface. On dirait que mon idée a marché ?

— Solène ? Je demande prudemment, comme si je venais d’entrer dans une maison hantée et que je me demandais s’il n’y avait pas un fantôme quelque part.

— Je suis là !

Je sursaute presque à son message mental. Et je l’aperçois enfin juste devant moi parce qu’elle fait un petit bond sur place, sans doute pour m’aider à la repérer.

— Bon, c’était juste pour que tu me vois, me confirme-t-elle, parce que je n’ai pas envie de bouger là. Je ne veux pas me faire attaquer de nouveau !

— Ok ok. Mais dis-moi… c’est quoi cette histoire de dents ? Tu me faisais une blague c’est ça ? Je n’ai pas de dents moi ?

 

*** Informations documentaires ***

Solène savait dès le début qu’Hélios était une femelle, parce que les femelles crapauds communs sont bien plus grosses que les mâles (elles font 12 à 15 cm et les mâles 8 à 10 cm).

Les grenouilles vertes, quant à elles, ne font que 5 cm environ.

 

Les anoures mâles coassent pour attirer les femelles en période de reproduction.

Leurs sacs vocaux se gonflent et dégonflent rapidement. Selon l’espèce, il peut y en avoir un seul sous la gorge, deux sur les côtés de la gorge, ou même, le sac vocal peut être interne.

L’air qui passe ainsi entre les poumons et le sac vocal permet ce coassement, qui, selon les espèces, peut s’entendre jusqu’à plusieurs kilomètres.

La grenouille verte possède deux sacs vocaux et son chant est très bruyant. Le crapaud commun, par contre, n’a qu’un sac vocal interne, et son chant est donc plutôt assourdi.

Les femelles, grâce à ce chant, savent si le mâle est en bonne santé et assez fort pour devenir le papa de ses futurs bébés.

Certaines grenouilles femelles peuvent également chanter, enfin, « coasser », mais ne le font que de façon exceptionnelle.

Quant au crapaud commun femelle, elle est totalement muette.

 

Chose étonnante, il est à noter que l’autre grenouille a cessé d’attaquer Solène non pas parce qu’elle ne l’entendait plus, mais bien parce qu’elle ne la voyait plus !

En effet, des scientifiques, à l’aide de tests, ont pu prouver qu’une grenouille peut rejoindre une grenouille factice qui émet des coassements sans sac vocal. Cependant, elle lui tournera autour, ne semblant pas comprendre d’où vient le son. Alors qu’avec le gonflement de faux sacs vocaux, la grenouille attaque aussitôt la fausse grenouille.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez