Du rêve au cauchemar, du cauchemar au rêve
(Sonia)
La paix avait englouti son corps et son esprit. Sonia était amorphe, plongée dans une profonde léthargie. Il y a des gens qui, à la suite d’un tel drame, ne peuvent plus dormir, se précipitent au bureau de police, en parlent à un proche, voient un psychologue, se jurent d’obtenir justice etc., chacun réagit en fonction de ce qu’il est. En ce qui la concernait, Sonia trouva son refuge au milieu d’un songe dans lequel elle ouvrit lentement les yeux.
Elle était enveloppée de rayons étincelants et planait. Une douce brise lui caressait la peau, c’était un repos plus que mérité. Ici, tout n’était que sérénité. Une fine couche de fumée tapissait l’air ; en s’évaporant, elle laissait derrière elle une senteur exquise, proche de la vanille.
Des formes affleurèrent, un peu floues d’abord, elles arrivaient de partout accompagnées d’une mélodie qui dépassait en beauté toutes les œuvres des plus grands musiciens, impossible à reproduire, tellement pénétrante qu’elle en devenait palpable.
Les formes devinrent plus distinctes. Sonia aperçut une nuée de papillons aux robes invraisemblables, des couleurs indescriptibles, totalement inconnues de notre vocabulaire. Un autre monde s’offrait à elle. Il naissait en elle et toutes ses merveilles lui appartenaient.
Des champs de blés interminables, des vallées parsemées d’arbres stupéfiants de splendeur, des fleuves et des rivières dansants, égrenant des poésies lyriques intraduisibles, des oiseaux d’une grâce sans pareil, des collines redoutables de somptuosité. Elle ne savait qu’admirer de cette harmonie parfaite aux creux de laquelle elle s’emmitouflait jusqu’à l’extase.
Rien ne lui avait jamais semblé aussi réel. Sonia ne s’encombra pas l’esprit en se posant la moindre question qui aurait pu perturber cet instant. Elle évoluait dans cet éther magique, soulagée.
Un grand oiseau se posa sur l’un des nombreux lacs qui entouraient Sonia. Celle-ci crut reconnaître un cygne mais ici, elle ne pouvait être sûre de rien. L’oiseau vint vers elle en déployant ses ailes. Il dégageait une aura transcendante, sa majesté et sa grâce étaient égales aux personnages que l’on rencontre dans les contes de fées. Sonia l’accueillit contre sa poitrine.
A son contact, elle eut l’impression de recevoir une véritable bénédiction. Le cygne l’enveloppa de ses ailes et Sonia se métamorphosa en sa réplique identique. Au moment même où elle se mit à apprivoiser sa nouvelle apparence, son ange venu du ciel disparut comme par enchantement. Elle voulut le retenir mais sa main traversa l’invisible.
Sonia se sentait désemparée. Elle était prise d’angoisse. Paniquée, elle lançait des regards furtifs autour d’elle. Le temps devint maussade. Les arbres, qui tantôt suscitaient l’émerveillement, paraissaient lui vouloir du mal en s’avançant à grands pas vers elle.
Ce n’était plus de magnifiques oiseaux ou de majestueux papillons qui s’envolaient vers le ciel mais des chauves-souris et d’autres bêtes étranges. Quoi qu’il advînt, il lui fallait retrouver l’oiseau. Lui seul pouvait l’aider, elle en était persuadée. Elle était seule, perdue au sein d’un univers fantastique dont elle ne connaissait pas le sens.
Tout devenait lugubre et troublant sous cette lune pourtant si lumineuse qui semblait avoir ramené toute la magie à son chevet. Sonia voulait s’élancer dans l’air, chercher son sauveur. Elle n’y parvenait pas, une force la retenait, elle ne pouvait que marcher. Elle avançait dans le noir sans y voir quoi que ce soit. Souvent, elle s’écrasait contre ce qui ressemblait à des rochers ou elle se prenait les pattes dans des trous, des lianes.
Elle eut bientôt la désagréable surprise de sentir le froid l’agresser. L’air qu’elle expirait se transformait en fumée blanche lui offrant ainsi l’opportunité d’y voir un peu mieux. De cette façon elle put apercevoir des dizaines de portes. Elles apparaissaient et disparaissaient en une fraction de seconde.
Elle tenta à plusieurs reprises d’ouvrir l’une d’elles mais elles s’évadaient trop rapidement. En renouvelant l’effort, elle se cogna contre une pierre. Un bruit sonore venait d’en bas.
Ce contre quoi elle venait de s’écraser n’était autre qu’un puits. Sonia se pencha et fut aspirée dans un tourbillon. Des cris s’élevaient, des rires retentissaient, des musiques celtiques chantaient, des sirènes hurlaient et Sonia vomissait. Elle savait qu’elle rêvait mais tout semblait si réel que le doute s'immisçait dans son esprit.
A l’instant, il n’était pas question d’un songe, d’ailleurs. Elle vivait l’action. Elle éprouvait des émotions. C’était réalité et ça le resterait jusqu’à son réveil, si toutefois, elle se réveillait. Une pensée pesait en elle jusqu’à la certitude: elle retrouverait le cygne.
L’atterrissage eut lieu dans un terrible fracas. Sonia sentit sa tête prête à exploser. Des mains invisibles la saisirent. Un voile lui recouvrit la vue. Les mains la jetèrent dans un bain d’eau glacée. L’eau était trop lourde, une substance visqueuse. Une odeur de sexe lui chatouillait les narines. Elle en conclut qu’il ne s’agissait pas d’eau…
Le sexe l’enveloppait, la retournait, l’emportait ailleurs, lui envoyait des images intemporelles.
Une petite fille défaisait ses nattes face à un miroir, un jeune chien aboyait depuis sa niche, une femme buvait son thé d’un air satisfait. Le sexe était une mystérieuse machine à explorer les âges, les âmes, tout ce qui est normalement proscrit.
Et le sexe allait plus vite et donnait plus. Une jeune fille hoquetait devant un film romantique, un chien mourait au bout de sa niche, une femme buvait son thé d’un air satisfait. Un homme passait devant une barrière, la jeune fille serrait son chien en plein chagrin, la tête enfouie dans sa fourrure. Une femme passait la barrière en souriant poliment à l’inconnu. La jeune fille faisait connaissance avec cet homme qui lui parlait comme jamais et qui respirait la confiance.
Cet homme et son sexe … Il avait tous les pouvoirs. Il l’emmenait visiter des endroits sordides: une chambre saccagée, une funeste ruelle, des rideaux tachés de sang, des lits bancals, l’écorce d’un arbre, l’odeur de l’herbe, celle du purin, de la boue sous les chaussures, sous les dents et tout au fond, oui encore présent, tout au fond du sexe.
Le sexe obsédant, ravageur, titanesque, tyrannique, le sexe prometteur, séducteur, éblouissant, minuscule, grandiose, étroit, débordant, étouffant, satisfait, déçu, satisfaisant, décevant, un sexe si présent qu’il portait un titre: l’homme à la ceinture de cuir.
Et le sexe, toujours le sexe, encore du sexe. Le sexe féminin, masculin, le sexe sans sexe, sans nom, sans identité, son propre sexe, mais sale, refusé, bannit, le sexe conquis, incompris, terrifiant, terrifié, désirable, désireux, le sexe qui s’extériorise, s’excite d’une sextine et s’excuse de s’extasier en s’explorant, le sexe qui parle: « Oui encore, non arrête, c’est ça, c’est bon, c’est trop mais encore ! Le pauvre, il a peur, il se cache, étouffe, se refuse et souffre ».
« Comme elle est belle ta vulve veloutée, elle sent le miel et respire le désir, offre-la moi, tu veux ? J’en prendrai le plus grand soin car elle te ressemble si fragile, pure, exquise. Donne-la que je glisse doucement ma langue dans son étroitesse et que je puisse enfin sentir sa liqueur couler tout au fond de ma gorge », lui avait-il dit la première fois. « Donne-toi! ». Le sexe était roi et régnait sur tout.
Une jeune fille soignait ses blessures face à un miroir, une niche vide pleurait son prince et une femme buvait son thé d’un air satisfait.
Le voile se brisa. Le sexe abandonna Sonia sur un escalier. Elle se trouvait dans une cave. Les cris, les visions, le mal, la vie, tout s’était arrêté sur cet escalier. Elle était enchaînée mais ne savait pas par quoi. Elle voulait crier mais sa gorge n’émettait aucun son.
Au-dessus de l’escalier, une porte ; derrière, des chuchotements: « Parle-moi », entendait Sonia, « Parle-moi »…
–– Je n’y arrive pas, je n’ai plus de cordes vocales, songea Sonia, intriguée et inquiète à la fois.
–– Tu le peux ! dit la voix.
–– Vous… vous lisez dans mes pensées ? Je ne peux plus parler, je suis prisonnière ici, sauvez-moi, j’ai peur !
–– Tes pensées et ta voix ne forment qu’un. Je t’entends parce que tu désires te faire entendre. Par contre, tu crois ne plus pouvoir parler, paralysée par la peur.
–– Aidez-moi à sortir d’ici ! Aidez-moi je vous en prie !
–– Viens, tu le peux.
–– Je n’y vois rien ! cria Sonia, stupéfaite.
–– Tu parles alors que tu pensais ne pas pouvoir et tu sortiras de la même façon. Ce monde est le tien et n’obéit qu’à toi.
Sonia se dressa et s’élança vers la porte qui s’ouvrit devant elle. Elle était dans un château immense. La pièce était vide.
–– Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ?, questionna-t-elle.
Apparurent des saules pleureurs aux larmes d’or et d’argent. Ils offraient des diamants en mettant leurs fruits au monde. Un feu d’artifice éclata, des gens marchaient, elle essayait de leur parler mais rien, ils ne l’entendaient pas. Des chuchotements: « Je suis là ».
Sonia n’apercevait rien d’autre que ce remue-ménage.
Là-haut, des vitres, perché devant l’une d’entre elles: un cygne. Sonia, se souvint qu’elle aussi était devenue un cygne. Elle prit donc son envol et le suivit. Le château explosa, les rayons du soleil animaient le ciel. Sonia parvint à hauteur du cygne et lui dit: « Où étiez-vous, je vous ai cherché ».
–– J’étais là, Sonia, je ne t’ai pas quittée mais tu ne voulais pas me voir. J’étais avec toi et ailleurs. Je vis tout ce que tu vis.
–– Je ne comprends rien.
–– Je te l’ai dit, ce monde est le tien et agit selon ta propre volonté, même mon apparence tu l’as choisie.
–– Je ne comprends pas beaucoup mieux mais de toute façon je sais que j’étais seule, vous n’étiez pas là !
–– Se sentir seule, c’est être seule. Tu peux voir tout ce que tu veux.
–– Si je comprends bien, je peux créer ce que je veux à tout moment et vous êtes le fruit de mon imagination ?
–– Tu peux créer ce que tu veux mais j’existe bien.
–– Pourquoi tout ça ? Qui êtes-vous si vous n’êtes pas un cygne? Non, ne partez-pas ! Restez, je vous en prie, ne m’abandonnez pas !
–– C’est toi qui pars Sonia… tu sauras qui je suis quand tu le voudras et cela arrive souvent qu’on ne le veuille jamais.
–– Tout s’éloigne, tout rétrécit, tout devient flou !
Ses cils se dressèrent très difficilement. Sonia était étendue, en sang, dans une chapelle inconnue. Pour une raison qu’elle ignorait, elle éprouvait un soulagement incommensurable.
Cette entité, elle était persuadée de l’avoir déjà rencontrée plus d’une fois dans son sommeil et plus elle la croisait, mieux elle se sentait. Elle ne savait pas si ses larmes étaient dues à ce soulagement ou à un chagrin qui s’exprimait enfin. Peut-être les deux. Cela faisait du bien. Elle était plus pacifiée que jamais, se sentant délivrée. Venait-elle d’être sauvée ?
mais est ce vraiment des rêves !
en tout cas on voyage
on voyage
dans une sorte d'alice au pays des merveilles
mais du coup j'ai toujours du mal avec le vrai du révé
de toute façon dés que j'aurais tout compris
je relirais
dans ce genre de récit, tu ne peux tout apprehender du premier regard
en tout cas c'est toujours aussi bien écrit
Au plaisir!
je vais faire comme je fesait au début open office copié collé
Après un chapitre assez compliqué à lire, très violent, nous revoilà dans un monde onirique, très beau et en même temps proche de la mort. Je ne sais pas si tout est fait exprès, mais entre le cygne et le saule pleureur, je retrouve quelques symboliques liées à la mort. J'ai l'impression que c'est ce qu'elle ressent face à ce qu'il se passe dans sa vie. Je me trompe peut-être (mais je n'ai pas envie qu'elle meure effectivement, comme j'ai pu le penser au premier abord). J'ai envie d'une vraie rédemption pour elle, je me suis attachée à la jeune femme.
Son rêve représente à la fois son enfer et ses espoirs... Tout s'entremêle, bien sûr.
En effet, elle se sent morte et c'est sa façon de se sentir exister, aussi terrible que cela puisse être.
Merci pour ton intérêt! :-)
Au plaisir
Bon, ça détonne clairement avec le chapitre précédent et faut avoir une sacre plume pour écrire un tel contraste.
D'habitude je cite quand je vois des belles phrases mais là il y en a trop XD, je vais me contenter d'une pour le plaisir : " Elle ne savait qu’admirer de cette harmonie parfaite aux creux de laquelle elle s’emmitouflait jusqu’à l’extase."
Je t'avoue que parfois je me perds avant de me retrouver après 2 ou 3 phrases, ta façon de décrire les pensées de Sonia est vraiment déroutante.
Bien à toi
Les rêves sont déroutants, très métaphoriques... l'humain est très complexe et parfois même compliqué lol...
Merci merci beaucoup pour ta lecture et ton retour!!
J'ai l'impression que Camille aspire la souffrance de ceux qu'elle visite la nuit, elle finit donc par l'habiter d'une certaine manière et je devine que ce ne sera pas sans conséquence pour elle.
Un grand merci pour ta lecture et ce joli commentaire!
Oui, "ouvrir les yeux dans un songe" signifie la différence entre la réalité de tous les jours, partagée avec d'autres et notre réalité intérieure qui est notre propre vérité.
Bien à toi! 😊
Le pouvoir de Camille est d'entrer dans les rêves. Je n'en fais aucun mystère, c'est dit dans le résumé lol.
Elle rêve de ce qui a été, de ce qui est mais aussi, un petit peu, de ce qui sera comme dans le chapitre 4 sans que cela soit très développé chez elle.
Mais...... tout cela, son pouvoir, est-il la réalité ?
A suivre....
On retrouve l'univers freudien de Sonia et le message sous-jacent : "aide-toi, le ciel t'aidera". La jeune fille doit puiser en ses propres ressources pour s'en sortir, il me semble que tel est le message du cygne. Un cygne qui ne se nommerait pas Camille ?
Toutes les descriptions me mettent un peu mal à l'aise mais j'imagine que c'est l'effet escompté : bousculer le lecteur.
Tu penses que l'abandon affectifs des parents peut provoquer de semblable réaction. J'attribuerais plus ce type de réaction aux conséquences d'un viol ou d'un inceste. Le désir d'attenter à un corps que l'on rejette parce que souillé, tout en donnant l'illusion (ce que fait très bien Sonia) de garder sous contrôle la situation. Mais je ne suis pas une pro en psychologie.
Tu ne dis pas comment elle a rencontré cet homme et par quel moyen il est parvenu à établir une telle emprise.
Bon, croisons les doigts et attendons la suite.
Quelques remarques de détails :
- "se jurent justice" : d'obtenir
- "dans un songe où " : plutôt que où, que penses-tu de "dans lequel" ?
- "Le cygne l’enveloppa " : de ses ailes ?
Souvent quand on subit un viol, on n'a pas ce genre de réaction. Si ce sont des viols commis pendant l'enfance, et là je le mets au pluriel, oui cela peut-être une des réactions. Inceste ou pas. Dans ce cas, on peut commettre ces actes pour avoir l'impression de retrouver une forme de puissance, de contrôle, de choix... mais cela peut-être aussi parce qu'on ne connaît que cela, on ne se croit exister que pour ça et comme ça.
Le cerveau a la fâcheuse tendance à répéter encore et encore. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est rassurant....
Je réitère que l'abandon des parents peut provoquer de graves conséquences. La personne ne se sent pas exister. Elle a une image d'elle déplorable. C'est terrible. Elle peut être prête au pire pour qu'on la "regarde". Sonia utilise son corps qu'elle souille à l'image de ce qu'elle se sent être mais aussi pour exister. Elle est très perturbée, ça se voit. En faisant ce qu'il veut (l'homme), elle se sent suffisante pour la première fois. On peut imaginer tout le discours d'emprise, tous les charmes déployés pour la posséder. Sous emprise, on est un objet et un objet ça rempli le rôle qu'on lui donne. Surtout à cet âge quand la construction de l'identité est à ses fondations.
Je parle un tout petit peu de leur rencontre dans ce chapitre 6: il passe devant la barrière, il lui parle comme personne auparavant.
Je n'ai pas besoin d'expliquer comment il a eu de l'emprise parce que la réponse est tellement évidente... et puis, on peut imaginer... J'en parle un peu au chapitre 14.
Merci pour ton intervention intéressante et ton aide!
Derrière la violence des scènes, il existe une grande sensibilité, presque une sensibilité exacerbée. Le sujet te touche et nous sensibilise grâce à ton personnage.
J'ai surtout voulu montrer que l'abandon parental qui n'est pas nécessairement un désamour, est une vraie barbarie qui peut être une porte ouverte sur.... l'enfer et nos démons. A chacun son enfer...
Ce livre parle beaucoup de ça, si on y fait attention...
Lema Sabachtani...