Chapitre 6 : Ghalia

Notes de l’auteur : Bonne année !

 

Perdre la tête !

C'est ce que j'aimerais. Perdre pieds pour devenir une arme mortelle. Oui, Je serai Ghalia la tueuse. Ghalia la toute puissante. Et d'une main, j'arrêterais les massacres des bons pour les diriger vers les mauvais. Qui pourrais-je craindre que moi-même si je me changeai en Goule ou en une créature indomptable ? Peut-être rêvais-je trop ! Comme j'en ai besoin ! Plus que tout ici-bas.

Les serviteurs allument une à une torches et bougies qui encadrent le jardin. Ils déclarent ainsi l’ouverte des festivités. Les mariés nous rejoignent comme chaque soir, depuis les huit derniers jours. Les youyous résonnent comme un chant redondant qui formulerait une incantation. La boucle reste bouclée, demain matin le soleil accueillera une nouvelle morte et le jour suivant, ce sera mon tour. Ai-je encore le temps de fuir ? Probablement que non. Dans la matinée, des soldats ont été conviés à protéger toutes les entrées de la maison familiale. À l’heures qu’il est, je n’ai plus de solutions que de trouver ce qui passionne le Sultan et de m’insérer dans son esprit, d’imaginer comment cet homme pense. Je sais déjà qu’il déteste les femmes. D’ailleurs, une question me tracasse. S’il voue une haine à la gente féminine, puis-je croire que l’anomalie de mon corps pourrait me sauver ? La pâleur de ma peau, de mes yeux ou de mes cheveux, n’est pas le seule « problématique » dont je suis l’héritière. Peut-être que l’inexistence de ma poitrine pourrait véritablement me sauver ou que la tache rougeâtre sur mon ventre l’inquiète. Mais je sais qu’au fond, avec un visage aussi doux que le mien, il est difficile de faire abstraction de ma féminité. Mourir ne m’enchante guère, et savoir que cet homme aura un droit sur mon corps, me révolte. J’aimerais crier, me défendre, trouver quelqu’un qui sauvera ma vie, cependant, rien de tout ce que j’imagine ne sera accompli. Même le plus courageux de mes frères n’interviendra pas, de peur d’être tué avec moi. Comment vouloir leur mort ? Alors qu’ils ont presque toute une famille à eux, des enfants, une épouse. Ici, sur cette terre, dans ce royaume, je ne suis rien de plus qu’un bien matériel, qui peut-être échanger. Toute mon existence sera ainsi, dirigés par d’autres que moi. Peut-être que la mort vaut mieux, finalement ?

À quoi est-ce que je pense ?

Je secoue ma tête et croise le regard de Meidhi. Mon frère me sourit. Ses yeux sont voilés par la tristesse. J’entends sa voix, bien qu’il ne parle pas. Elle souffle une promesse qu’il n’est pas certain de tenir. Pense-t-il que notre tentative, pour me garantir la vie est peine perdue ?

Je détourne le regard et le dépose dans celui d’une servante. Elle me sert une assiette de Chekchouka accompagné de triangle aux légumes et un bol d’artichaut à l’orange. Délicatement, j’attrape son poignet et lui demande dans un murmure :

– Qu’aime le Sultan ?

Ses yeux noirs s’agrandissent, un peu prise de court par ma question. Elle regarde la table, les aliments, et chuchote :

– Le sultan préfère les mets sucrés. Les pâtisseries. Notamment les briouates enrobé de miel.

– Ce n’est pas ce que j’aimerais savoir, qu’aime-t-il en général ?

– Manger ?

– Non, ce qu’il apprécie, ses hobbies ?

Elle prit le temps de réfléchir, mais pas trop non plus, les regards de mes gardes se dirigent sur elle, sur sa lenteur à repartir.

– Il… Il aime jardiner. Il prend soin de toutes les plantes du palais. Parfois, il m’arrive de le croiser dans les couloirs extérieurs. Je le vois, il parle aux parterres de fleurs.

– Et quoi d’autre ?

Elle fronce les sourcils, inquiète.

– Pourquoi me le demandez-vous ?

Mes épaules s’affaissent et ma gorge se noue. Je libère le poignet de la servante qui attend ma réponse.

– Parce que je suis la suivante.

– La suivante ?

La jeune-fille ne paraît pas comprendre mon allusion. Elle me fait penser à Ratila ma petite sœur. Elles doivent avoir le même âge, onze ou douze ans.

– Demain se sera moi qui me tiendrais sur ce trône de bronze.

– Oh, vous êtes une des prétendantes. Que votre âme soit bénie et que le seigneur vous accueille dans sa demeure.

– Tu me vois déjà morte ? dis-je sur un ton résigné.

Elle se recule, me sourit tristement et hoche la tête positivement. Le voilage qui couvre sa chevelure châtaine se balance et caresse l’herbe verte du jardin.

– Il aime aussi la musique et les chats, avoue-t-elle avant de repartir en cuisine.

– Bonne petite… murmure-je, en la regardant s’éloigner.

Elle avait pitié de moi. C’est donc ainsi ? Il n’y a pas d’échappatoire pour moi ou pour celles qui monteront sur ce trône maudit. Qu’est-ce que j’espérais ? Un miracle ? Moi qui ne crois à aucun des dieux anciens, à aucune divinité… Je serais bien prête à prier n’importe lesquels, à présent. Vivre. Je voulais vivre encore un peu. Juste pour voir si le monde pouvait changer.

Mina vient s’asseoir à mes côtés, la mine teintée de désespoir. Il semblerait que les femmes avec qui elle discutait ne lui aient rien appris de plus. Elle se penche vers moi comme pour me donner un baiser sur la joue et susurre à mon oreille :

– Tu as une piste ?

– Eh bien, si j’arrive à me transformer en chat ce soir, je pourrais avoir une chance de rester en vie.

– En chat ?

– Une servante m’a avoué qu’il aimait les chats, la musique et la nature. Et toi ? Que t’a-t-on dit ?

– Rien qui ne me rassure.

Elle se dégage de mon ombre, sa main glisse sur le tapis et prend appuie sur un coussin fleuri où le symbole de la vie forme les pétales.

– La fille du vizir, là-bas, vêtue du Caftan fuchsia. Tu la vois ?

– Hum, oui. Elle t’a dit quoi ?

Je me rapproche de Mina, grignotant une brique au fromage de chèvre. J’ai beau savoir que bientôt, je trépasserais, la faim s’invite et me ferait manger la table et ses accessoires. L’angoisse naquit en moi, ainsi mon estomac réclame plus de nourriture. Certaines n’arriverait rien à avaler, tandis que je pourrais avaler un dromadaire.

– Qu’une servante est morte la nuit dernière. Deux gardes ont vu le sultan déambuler à côté du corps avant de retourner dans sa chambre de noce.

– Nous le savions déjà. La rumeur enfle dans les rues. Tu ne m’apprends rien de particulier.

– Attends, ce n’est pas tout. Il est dit à la cour, qu’il serait possédé par un démon.

– N’est-ce pas ce qu’il circule en bas ville ? Mina, tu me dis ce que je sais déjà.

– Ce que tu es impatiente !

Elle hausse la voix tout en restant discrète.

– Le bruit court que des Incubes vivraient dans la forêt au nord du pays et que l’un d’eux se serait caché dans un caisson de date destiné au sultan.

– Tu veux dire qu’il est possédé par un Incube ? Ce n’est que des racontars…

– Cela expliquerait pourquoi il tue toutes ses femmes avant de les avoir faites sienne, non ?

– Très honnêtement, je ne crois pas vraiment aux démons et aux créatures malignes. Je pense juste qu’il est fou.

Je laisse échapper un long soupir tout en plongeant ma cuillère dans le bol de soupe que l’on vient de nous apporter. Je la déguste sous le regard navré de ma sœur.

– Manger ne résoudra rien, Ghalia, lance-t-elle avec une pointe de mélancolie.

– Ne pas me nourrir ne changera rien, non plus. Au moins apprécier de bons repas avant le trépas. C’est toi hier qui m’a dit de manger.

– Oh ! Ne dit pas ça comme cela. Ne le dis pas, tout court. Tu ne mourras pas.

Je la sens angoissée. Contrairement à moi, lorsqu’une chose chagrine Mina, l’appétit lui est subitement coupé. Nous sommes l’opposé de l’autre. Elle est le soleil, je suis la lune. Elle rêve d’évasion à travers ses lectures et ses écritures, je déambule en cachette dans les rues avec les habits d’Omar, notre petit frère. Elle garde son calme, je perds le mien. Elle s’accroche, je me résigne. Voilà qu’elle est notre différence.

– Mina… Nous n’avons encore rien trouver d’encourageant.

– Mais il nous reste encore du temps. La fête vient à peine de commencer.

– Elle a commencé, il y a huit jours, rectifie-je.

 

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