CHAPITRE 7 - au coucher du soleil

CHAPITRE 7
- au coucher du soleil -

Lili et Marco restèrent un peu là, assis sur leur rocher, à observer le dos de la Tortue. Le vent avait encore un peu forcit, les cheveux de Lili se battaient devant ses yeux et s’emmêlaient. Le soleil commençait à s’approcher de l’eau jusqu’à bientôt la toucher. Le ciel n’était plus que lave et nuages enflammés.

— T’as le droit d’être là à cette heure-ci ? demanda Marco.
— Et toi alors ? demanda Lili.
— Je suis plus vieux, et mes parents sont dans le premier bungalow, juste là-bas, dit-il en pointant vers l’autre bout de la plage. 
— Ben moi ma grand-mère est juste là, dit Lili en pointant une petite construction de bois se trouvant sur leur gauche.
Une vieille souche d’arbre en gardait l’entrée.
— Dans la vieille cabane ? s’étonna Marco. Il n’y a jamais personne dedans.
— C’est pas une vieille cabane, et nous on est là, dit Lili en haussant les épaules. 
Elle se leva tranquillement et frappa sur son short pour en éliminer le sable qui s’y était faufilé. 
— D’ailleurs tu as raison, dit-elle, je dois rentrer avant le coucher du soleil.
— Moi aussi, dit Marco.

Mais lui ne se leva pas.

— Bon ben, à la prochaine, dit Lili.
— Oui, dit Marco.

Et il n’entendit plus rien. Après de longues secondes, il finit par se retourner, Lili était déjà loin, sautillant de cailloux en rochers.

Il n’avait pas envie de rentrer.
Pas envie de retrouver ses parents.
Alors il resta encore un peu, profitant de ses dernières secondes, tout en sachant que la plage, bientôt, le repousserait.

Ce qui ne tarda pas. Sur sa droite, les premiers éclats de voix, les rires, les courses dans le sable en faisant semblant de se battre. Marco se leva, sauta du rocher, réajusta ses claquettes et longea la plage par l’extérieur pour se tenir au plus loin possible de l’activité des ados qui petit à petit affluaient. Plusieurs groupes se lancèrent dans la confection de feux de camps, se chamaillant sur la méthode à suivre. Des caisses carillonnantes de bouteilles étaient apportées, des petites boîtes et sachets mystérieux sortis des poches et partagés, des cigarettes allumées, des bouche-à-bouche échangés. Odeurs nouvelles de bois mouillé fumant, d’interdits et de liberté.

Tout cela mettait Marco très mal à l’aise. 

Le soleil se couchait et la plage le refoulait. Elle avait changé de propriétaire et les étrangers n’étaient pas invités.

Alors que Marco s’approchait enfin des bungalows, il entendit la guitare de Bassim jouer ses premières notes du soir.

Il ne put s’empêcher de se retourner. Bassim. Plus populaire que jamais, “beau comme un dieu” aurait dit la mère de Marco. À peine arrivé, déjà entouré d’une petite foule de garçons et d’une grande foule de filles. Marco peinait à bien comprendre pourquoi, tout en comprenant parfaitement pourquoi. Quelque chose en lui était déçu à chaque fois de le voir là et comme ça. Il se sentit bien trop petit et s’en alla.

Chaque soir, ses parents lui intimaient de ne pas rester après le coucher du soleil. Il n’y avait vraiment aucune chance pour que cela arriva.

En arrivant à son bungalow, Marco réfléchissait à ce que lui avait dit Lili. L’île était-elle vraiment le dessus d’une carapace de tortue ? Il aurait pu se vexer de ne pas avoir eu l’idée lui-même, mais elle était trop belle pour être jalousée, il était encore bien plus heureux de savoir qu’au moins une personne l’avait y avait pensé. Il jeta une dernier regard vers le large.

— Marco, entendit-il depuis le bungalow.
Son père avait ouvert la porte et le regardait, sourcils légèrement froncés.
— Marco, je t’ai demandé de ne pas trop t’éloigner, tu es parti à l’autre bout de la plage, je ne pouvais presque plus te voir.
Marco aurait pu répondre qu’il avait donc pu le voir tout de même, mais cela n’en valait pas la peine.
— Pardon, dit-il simplement en montant les quatres marches en bois et passant devant son père pour entrer.
Il l’entendit soupirer. 

Marco se dirigea vers le petit salon, il avait bien envie de se poser un peu dans le canapé. Mais à peine y vit-il sa mère, regardant la télé, qu’il changea d’avis. D’autant qu’elle lui demanda : 
— Tu viens t’asseoir ? Pose-toi un peu.
— Non merci, dit-il en faisant demi-tour.
— Marco, intervint son père mécontent, tu pourrais quand même…
— Ce n’est rien, l’interrompit sa mère. 

Marco ne dit rien de plus. Il s’éloigna du salon et se dirigea vers l’étroite pièce qui lui servait de chambre. Elle avait vue sur la plage et il avait hâte de pouvoir y observer de nouveau la Tortue ; le bout de son dos en tout cas.

Mais alors qu’il mettait son premier pied sur le lino marron, il se rendit compte qu’il avait laissé échappé une opportunité de la voir de bien plus près.

Il fit demi-tour et se présenta de nouveau dans le salon. Son père et sa mère était côte à côte dans le sofa lorsqu’il leur lança : 
— Au fait, je veux bien aller sur l’île de la Tortue demain finalement.
Ses parents se regardèrent, surpris.
— D’accord ! dit son père en souriant. On organisera ça, départ l’après-midi ?
— D’accord, dit Marco.

Il vit sa mère échanger un regard entendu avec son père, heureuse de ce revirement. Ce qui embêta un peu Marco, car il ne voulait pas qu’elle pense qu’il venait pour leur faire plaisir.
Alors il repartit dans sa chambre illico sans un regard en arrière.