Respirer à l’extérieur me fait un bien fou, car dans l’andrôn, l’ambiance était étouffante. La chouette Sofia s’envole et tournoie dans le ciel au-dessus de nous. Les dryades sont loin dans le cortège. Toutes ont les yeux braqués sur moi tandis que ma mère nous guide dans le jardin d’agrément. Il y pousse des centaines de plantes de sa création. Néanmoins, quelques-unes des miennes ont eu le droit de s’entremêler aux siennes à l’époque où elle m’avait laissé tester mes pouvoirs. Je me revois enfant, si fière d’avoir enfin pu ressentir mon pouvoir jaillir d’entre mes petits doigts. Je sais à présent que ma mère ne cherchait qu’à évaluer mon potentiel et pour trouver le moyen de le contenir. Des papillons colorés virevoltent parmi les fleurs et les oiseaux chantonnent dans les arbres. Pourtant je n’arrive pas à m’émerveiller de ce spectacle. Mon esprit est trop préoccupé entre la disparition de Médusa et la venue de la déesse.
Ma mère Déméter propose à Athéna de s’installer à l’ombre des saules près de la jolie fontaine couverte de mousse. Notre invitée prend place avec ma mère sur le banc et le reste de la suite s’installe un peu partout autour de nous. Elles m’ordonnent de rester debout face à elles. Je suis mortifiée.
— Koré, nous allons discuter un peu toi et moi. Je dois apprendre à te connaître si tu dois devenir ma filleule, même si j’ai entièrement confiance en ta mère la déesse des moissons, il en va de mon honneur, déclare Athéna en faisant de grands gestes. Je vais te poser des questions et il n’y aura pas de mauvaises réponses. Tu devras me répondre avec sincérité.
Sa voix est calme comme si elle cherchait à être rassurante. Cependant, je n’aime pas la façon dont elle se tient, comme si elle était maîtresse des lieux et contrôlait entièrement la situation. Finalement, Athéna ne m’inspire que méfiance. Les mains derrière le dos, je caresse nerveusement l’anneau d’Hermès à mon doigt.
— Bien, honorable déesse, je réponds en regardant ma mère qui acquiesce.
— La grande Déméter me dit que tu aspires à devenir une déesse chaste malgré tes prédispositions à être une déesse de la fertilité. Tu n’as donc jamais eu d’amant ? demande Athéna amusée par sa question indélicate.
— Bien sûr que non, je réponds outrée.
— Peux-tu me jurer que tu n’as jamais côtoyé aucun homme ? insiste la déesse.
— Je jure que je n’ai jamais eu d’amant ! je réponds d'un ton un peu trop sec.
Mais qu’est ce qui me prends de parler ainsi ? Les yeux de ma mère s’écarquillent en m’entendant. Elle pince les lèvres : ce n’est pas ce genre de comportement qu’elle attendait de ma part. J’ai délibérément évité de répondre à la deuxième question en répétant la précédente. J’aperçois Lena qui ne manque pas une miette de notre échange. Je ne pouvais évidemment pas jurer, alors que je côtoie Hermès dès que ma mère à le dos tourné...
Athéna se lève pour venir à moi. Elle tourne autour sans me quitter des yeux et cela me rend mal à l’aise. Puis, elle attrape délicatement une boucle de mes cheveux qui s’est échappée de ma coiffure.
— Sais-tu qu’une déesse de la chasteté se doit de renoncer aux attributs de sa beauté pour ne plus attirer la convoitise des hommes ?
Ses doigts caressent les contours de mon visage. Elle a le don de me rendre nerveuse.
— Non je ne savais pas, je réponds d’une petite voix, honteuse de ne pas être au courant de telles pratiques.
— Je pourrais te priver de tes yeux par exemple. Ce ne sont pas ceux de ta mère. Je me demande à qui ils peuvent bien appartenir... murmure la déesse. Mais ce sera ta chevelure qui se verra offrir à la reine Héra, ainsi tu bénéficieras aussi de sa protection.
— Mes cheveux ? je murmure en touchant cette chevelure que je n’avais jamais coupée depuis mon enfance.
— À moins que tu ne sois trop vaniteuse pour t’en défaire, ajoute Athéna les yeux brillants.
— Nous les couperons, déclare ma mère en souriant, comme si c’était tout à faire prévu.
La déesse de la sagesse retourne s’asseoir et croise les jambes. J’entends des murmures derrière moi. Nos suivantes ne perdent pas une miette du spectacle. J’ai la désagréable sensation d’être la proie entre les mains d’un prédateur s’amusant à tourmenter son déjeuner avant de la gober. Jamais je n’aurais imaginé que mon entrevue avec Athéna serait si humiliante et que ma mère tolèrerait pareil comportement.
— À présent, Koré, peux-tu nous faire la démonstration de ton pouvoir ? demande la déesse.
— Hélas vénérable Athéna, mon pouvoir est endormi.
— C’est bien fâcheux, répond-elle pleine de dédain, un rictus sur les lèvres.
Je vois alors ma mère se pencher vers son invitée et je peux supposer qu’elle doit lui expliquer la situation. Je m’étonne qu’elle ne soit pas déjà au courant que l'on annihile chaque mois mon aura divine afin que les dieux ne me découvrent pas. Quelle humiliation. N’était-ce pas là une nouvelle façon de se moquer de moi ?
— Dis-moi Koré, si tu te retrouves à seconder la déesse Déméter en bénissant les terres des mortels, imagine la situation : un des dieux de l’Olympe est en colère contre une ville et punit ses habitants par une horrible épidémie. Le temps des moissons arrive et ils n’ont pas sacrifié de taureau pour honorer les dieux. Que vas-tu faire ? énonce Athéna en croisant les bras.
— Je remplirais mon rôle et donnerait à leur terre de quoi se nourrir, je réponds sans prendre la peine de réfléchir, mais peut-être aurais-je dû.
— Tu bénirais leurs récoltes alors qu’ils n’ont pas offert de sacrifice ? demande la déesse avec un sourire narquois sur les lèvres.
— Si les mortels subissent une épidémie, je me doute qu’ils ont à peine de quoi subvenir à leurs besoins. Je serais miséricordieuse.
Étant donné le regard de ma mère, je sais que je n’aurai pas dû répondre cela mais c’est plus fort que moi. J’en ai assez de me laisser humilier par la déesse.
— Tu agirais donc contre la volonté d’un membre de notre panthéon ?
— Ces mortels ne m’ont rien fait, pourquoi devrais-je les priver de leur récolte ? je réplique avec véhémence.
Je suis à la limite de l’impolitesse. Les nymphes chuchotent tandis que les guerrières m’observent d’un air méprisant. Je baisse et me mords la lèvre inférieure. Il faut que j’arrête de répondre sans réfléchir ! Je suis trop nerveuse et je me laisse emporter par l’émotion. La déesse de la sagesse lisse les plis de sa tunique. Je suis certaine que ce petit jeu l’amuse.
— Sais-tu pourquoi les mortels nous vénèrent ? demande Athéna en prenant place telle une reine.
— Et bien... je balbutie et elle ne me laisse pas répondre.
— Ils nous vénèrent car les mortels nous craignent avant tout. Ils ne doivent jamais remettre en question notre existence ou perdre leur foi en nous. Sinon, comme les autres divinités d’antan, nous finiront par disparaitre. Elle claque des doigts pour illustrer ses propos et je sursaute.
— Je pensais que les dieux étaient admirés et respectés des mortels. Je n’ai jamais entendu d’histoire où le dieu du voyage était craint. Que vaut leur croyance si elle vient de la peur ? je rétorque en soutenant son regard.
La déesse Athéna semble aussi amusée qu’agacée par mes réponses. Je remarque alors la colère sur le visage de ma mère. Ses joues sont rouges, ses sourcils plissés et ses lèvres pincées. Je me mordille la lèvre, j’ai franchi la limite de l’insolence. Des murmures choqués s’élèvent encore derrière moi. La fille de Zeus se masse les tempes tandis que je caresse toujours nerveusement mon anneau.
On attendait de moi que je reste docile et que je montre ma loyauté envers la grande famille des dieux. Je viens certainement de répondre tout ce qu’il ne fallait pas dire. Trop d’émotions se bousculent en moi aujourd’hui. Je n’ai pas su jouer mon rôle.
Mon honnêteté vient-elle de me couter mon destin sur le Mont Olympe ?
Soudain une amazone qui n’était pas avec nous accourt vers notre groupe. Casquée et arborant une épée, la poussière sur son visage indique qu’elle vient certainement de chevaucher jusqu’ici. Tout le monde se redresse alors se demandant ce qui se passe. L’amazone chuchote quelque chose à l’une d’entre elles, et ensemble, les deux guerrières s’avancent vers leur maîtresse. Ma mère profite de l’agitation pour venir à moi. Son regard empli de colère me terrifie mais elle n’a pas le temps de me crier dessus car la voix d’Athéna l’interrompt.
— Déesse des moissons, Koré, accompagnez-moi, on vient de m’annoncer que l’un de mes temples vient d’être déshonoré dans votre région.
Déméter laisse s’échapper un “oh” de stupeur et porte la main sur sa poitrine, outrée. Toute notre assemblée réagit, choquée par la nouvelle. Moi-même je suis abasourdie par cette annonce. Je n’avais jamais entendu cela encore. Nous rebroussons chemin et nous nous précipitons dans les écuries. Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons, ma mère et moi, en compagnie d’Athéna dans son chariot d’argent. Les amazones galopent autour de nous et notre attelage prend de la vitesse.
À l’intérieur personne n’ose parler. La déesse de la stratégie militaire se mort le pouce et semble anxieuse. Elle n’est plus aussi confiante que tout à l’heure. Je pourrai même éprouver de la peine face à cette femme ébranlée à l‘idée qu’on ait vandalisé son temple. Ma mère reste droite et ne cherche pas à intervenir. Elle sait pertinemment qu’aucune parole ne pourrait rassurer Athéna tant que nous ne serons pas arrivées. Déshonorer un temple est un acte des plus révoltants pour les dieux. Je connais les histoires liées à ma mère. Des mortels qui ont osé profaner ses bois consacrés ont subi de terribles châtiments. Les hommes oublient parfois la puissance des dieux et c’est bien là leur erreur. Une divinité offensée ne pardonne que très rarement. Je me demande même si c’est déjà arrivé.
Je tire nerveusement sur une mèche de cheveux que j’enroule sur mon doigt en me rappelant qu’on allait certainement me les couper. L’air est lourd et au bout d’un moment j’entrouvre une tenture pour respirer un peu. Mon cœur commence à battre plus fort. Ce paysage, je le reconnais. Nous arrivons dans les alentours de la ville d’Henna ! Hier les habitants fêtaient en grandes pompes la naissance de leur ville. Ils ont fait des libations et des sacrifices toute la journée et le soir, la fête était en l’honneur des dieux. Comment le temple d’Athéna avait-il pu être profané ?
Je sors la tête en espérant peut-être apercevoir la jolie bergère. Moi qui voulais à tout prix me rendre ici, il y a quelques heures c’est comme si on avait répondu à mes prières. Ma mère me prend la main. Elle doit sûrement croire que je m’extasie de découvrir pour la première fois une ville de mortels et finalement elle serre ses doigts et secoue doucement la tête, les sourcils froncés. Je comprends qu’elle m’ordonne surtout d’arrêter. Le chariot gravit les pentes qui mènent aux temples sur les collines se trouvant aux alentours de la ville.
Nous nous arrêtons enfin et Athéna se hâte de sortir. Le vent souffle fort et fait voler des nuages de poussière. Nous sommes au pied d’un temple aux colonnes luisantes sous les rayons du soleil. Je ne suis absolument pas impressionnée. Certes, je n’ai jamais vu de temple pour le comparer mais je suppose qu’il doit en exister des plus grands. Henna étant consacrée à ma mère, je peux même en déduire que son lieu de culte est plus grand. La déesse Athéna retrousse son chiton et monte les marches en pierre accompagnée de certaines amazones. Ma mère et moi les suivons en silence. Nous sommes attendues à l’entrée par une guerrière casquée et tenant dans sa main droite une lance. En voyant la déesse elle pose un genou à terre.
— Marpésia, quelle est la situation ? demande Athéna.
— Vénérable déesse, votre temple a été souillé par l’ignominie. Nous avons retrouvé une mortelle imbibée de vin au pied de l’autel, les offrandes ont été piétinées, on a retrouvé un prêtre poignardé et un homme a été aperçu s’enfuyant à notre arrivée. Tout porte à croire que la luxure et la mort ont entaché ses lieux, déclare l’amazone Marpésia avec dégoût.
Je suis scandalisée par le rapport de cette guerrière. Comment des mortels ont-ils pu agir ainsi en toute impunité ? Athéna accélère la cadence et ses manches fouettent nerveusement l’air. Nous entrons dans le temple où seule la lumière du jour éclaire les lieux. Les braseros sont éteints ou renversés. Les cendres vont et viennent sur le sol blanc et je constate qu’il est jonché de débris de poteries. Nous soulevons nos robes en prenant soin de ne pas poser le pied sur un morceau tranchant. Une odeur nauséabonde emplit nos narines. Près d’une colonne, se trouve le cadavre sanguinolent d’un homme en tenue de religieuse. La face contre le sol, on peut voir briller un poignard planté au milieu de ses omoplates tandis que le sang a imprégné son vêtement. Une amazone se trouve à ses côtés, attendant les ordres.
Ma mère se tient la gorge et ses yeux s’agrandissent à chaque découverte. Je dois avouer être choquée par tout ce que je vois. C’est même la première fois que je vois un cadavre humain. La déesse Athéna bouillonne de colère. Il règne dans son temple la mort et le chaos.
Des cris brisent le silence qui y régnait et en nous enfonçant dans le temple nous apercevons, près de l’autel principal, trois autres amazones tenant en joue avec leur lance une silhouette cachée dans la pénombre.
— Par pitié, croyez-moi je suis innocente !
Cette voix qui hurle, je la reconnais. Mon corps se fige et mes mains tremblent. J’écarquille les yeux. Je ne peux pas croire à ce que je vois. Pourtant c’est bel est bien la crinière de feu de la jolie Médusa. Mon cœur se serre en la voyant enfin. La jeune fille est acculée contre le mur du temple comme un animal pris au piège. C’est à peine si elle tient debout, ses jambes tremblent et du sang coule sur ses mollets. Sa robe verte imbibée de vin, est déchirée dévoilant sa nudité, ainsi que des bleus et des entailles. La chevelure de la bergère est emmêlée, sa lèvre fendue et son visage dévasté par les larmes et la peur.
Que lui est-il arrivé ? Je suis bouleversée en la voyant et, sans prendre la peine de réfléchir, je bouscule tout le monde pour me précipiter vers la jeune fille. Mais une amazone s’interpose et m’empêche d’aller plus loin.
— Koré ! Koré c’est bien toi ? demande Médusa d’une voix enrouée.
— Laissez-moi passer, je connais cette fille ! Mère, dites-leur qu’il s’agit de Médusa !
La déesse Athéna rouge de colère s’avance. Ses narines se dilatent à chaque respiration et ses yeux luisent comme deux flammes. Son visage n’est que dégoût et mépris.
— Vous connaissez cette mortelle ? demande la déesse.
— Il s’agit d’une bergère de chez nous ! je m’exclame.
— Qu’est-ce que cela signifie ? s'écrie Athéna en levant les bras.
— Je n’en ai pas la moindre idée, répond calmement ma mère Déméter.
Athéna claque des doigts, et les deux amazones se précipitent sur Médusa qui se débat péniblement. Je vois les guerrières lui assener de violents coups dans les côtes pour qu’elle arrête enfin de se défendre et le bruit sourd de leurs poings sur ses os me pétrifie. Je veux crier mais aucun son ne sort de ma bouche. Médusa finit par vomir du sang tandis qu’elles lui attrapent les bras et la traîne vers la déesse.
La peur m’envahit entièrement. Mais comment en sommes-nous arrivées là ? Je me tourne vers ma mère qui reste stoïque et le visage fermé. Je ne peux pas croire ce qui se passe sous nos yeux. Ne compte-t-elle pas intervenir ? Je veux faire quelque chose mais alors ma mère m’attrape avec force le bras et je sens ses ongles s’enfoncer dans ma chair, m’intimant l’ordre de ne plus bouger. Une des guerrières frappe dans sa jambe et Médusa se retrouve à genoux et tremblante de peur.
— Comment as-tu pu oser profaner ce temple ? demande Athéna la voix pleine de colère en s’agrippant à la chevelure de la bergère pour l’obliger à lui faire face.
— De l’aide... je cherchais de l’aide... cet homme me pourchassait de ses ardeurs... ce n’était pas un homme... il m’a... il m’a... la voix de Médusa s’éteint dans un sanglot.
— Qu’est-il arrivé au prêtre ?
— C’est cet homme... il l’a tué lorsqu’il nous a vu... ce n’était pas un homme...
— De qui s’agissait-il ? Parle ! hurle Athéna en giflant la bergère.
— Poséidon ! Le dieu Poséidon m’a violée sur l’autel de ce temple et a tué le prêtre qui ne cherchait qu’à me défendre !
Une amazone tend à sa déesse le poignard encore ensanglanté, planté dans l’homme. Son pommeau en forme de poisson laisse peu de place au doute. Le visage d’Athéna prend des teintes violettes et un hurlement de colère s’échappe de ses lèvres retroussées. Elle se contorsionne et tape du pied. Ses bras gesticulent dans tous les sens tandis qu’elle continue de crier.
— Comment a-t-il osé ! répète-t-elle en criant.
Je profite de ce moment pour me précipiter vers Médusa toujours à genoux. Je la prends dans mes bras et la serre contre moi. Comment cela a-t-il pu se produire ? Ma Médusa, si belle, si forte, si insouciante. Les larmes coulent sur mon visage et je sens la jeune fille se cramponner à mon cou. Je n’aurais jamais dû la laisser, j’aurai dû la protéger, si seulement je n’étais pas partie plus tôt !
La déesse Athéna revient vers nous. Sa coiffure est dévastée, son visage est encore rouge et sa bouche crispée. La haine s’est emparée de tout son être. Je tiens Médusa dans mes bras, refusant qu’elle se prenne une nouvelle gifle. Je la sens si faible contre moi, elle est à bout de force.
— Écarte-toi sur le champ, fille de Déméter !
— Non, de grâce mon amie a besoin d’aide ! j'implore.
— Ton amie ? Ce n’est qu’une mortelle qui a réussi à séduire ce scélérat de Poséidon et qui a souillé ce temple qui m’est dédié ! s'écrie la fille de Zeus.
— Mais vous ne voyez donc pas ? Elle est venue vous demander de l’aide, alors punissez l’auteur de ces crimes et rendez lui justice ! je hurle de colère, face à toutes ses femmes dont ma mère fait partie.
— Mensonges ! Si cette mortelle avait voulu de ma protection, sa foi m’aurait appelé et j’aurai répondu à sa prière ! Elle est comme toutes les autres, s’imaginant que leur beauté insolente leur confère tous les droits ! Elles oublient où se trouvent leur place, tout comme tu oublies où se trouve la tienne Koré ! répond Athéna d’un air méprisant.
— Il y a toujours un prix à payer lorsqu’on s’amuse à séduire les hommes, déclare d’un ton monocorde ma mère en baissant les yeux.
— Mère, je vous en supplie, faites quelque chose ! Ne punissez pas une innocente ! je crie en direction de ma mère espérant la sortir de sa torpeur.
— Tu crois que l’on peut punir un des trois grands rois de ce monde ? Ce que tu peux être naïve, ta mère plus que quiconque aurais-pu te l’apprendre ! Maintenant, débarrassez-moi d’elle, ordonne Athéna en me pointant du doigt.
Les amazones foncent sur moi telle des lionnes et la force de leur bras me propulse loin de Médusa. Je me débats comme je peux sous les yeux choqués de ma mère qui n’intervient pas. Alors je me retrouve emportée à l’extérieur du temple sous les cris implorants de la jeune mortelle. Les guerrières me jettent au sol comme un vulgaire paquet.
C’est un cauchemar, je vais me réveiller, ce n’est pas possible. Mes larmes de colère me brûlent les joues. Je serre les dents si fort que j’en ai mal à la mâchoire. Comment une telle injustice pouvait-elle se produire sous nos yeux et que personne ne réagisse ? Je suis écœurée par le comportement de ma mère. Comment elle, la grande déesse Déméter, peut-elle rester sans rien faire ? J’enrage !
Soudain j’entends un cri de détresse et c’en est trop. La colère en moi me submerge tel un raz de marée. Dans mon for intérieur je sens exploser mon pouvoir et une intense douleur m’envahit sous la peau ! Mon corps tressaute et, alors que mes doigts entrent en contact avec la terre, je peux sentir une chaleur anormale. Sous mes yeux stupéfaits je vois jaillirent du sol des ronces épaisses et noires comme la nuit. Elles fondent sur les deux amazones telles des serpents. Prises au dépourvu par cette attaque, c’est à peine si elles parviennent à dégainer leurs armes. Je ne contrôle pas ma haine. Les plantes s’agrippent à leurs chevilles, provoquant ainsi leurs chutes. Puis les ronces glissent le long de leur corps, s’enroulant autour de chaque membre, entaillant leur chair et brisant un par un leurs os. Puis elles finissent par se loger au fond de leur gorge dans un bruit atroce d’étouffement.
Choquée par ce qu’il vient de se passer, mon corps est pris de vomissement. D'un revers de main j’essuie mes lèvres et me précipite à l’intérieur du temple, laissant les deux cadavres.
Le visage encore humide de larmes, je cours à en perdre haleine. Je dois sauver Médusa ! Un éclair illumine le fond du temple.
— Ta chevelure qui te rendait si fière causera ta perte ! Plus aucun homme ne pourra s’éprendre de toi ! Vile créature qui se vautrait dans la luxure, tu ramperas tel le serpent que tu es ! Voilà ce qu’il en coûte de défier les dieux de l’Olympe ! déclame la voix puissante de la déesse Athéna.
Je n’arrive plus à bouger tant je suis choquée par ce que je vois. Le corps de Médusa se contorsionne dans d’horribles positions. Ses os craquent anormalement et à chaque bruit sourd, elle hurle. Ses jambes fusionnent dans un bruit sanglant. Puis, telles de fines lames, des écailles rougeâtres transpercent sa peau. Les hurlements de souffrance de Médusa sont épouvantables ! Sa chevelure incandescente tombe sur le sol comme les feuilles des arbres. De son crâne jaillissent d’horribles serpents rutilants de sang. C’est une vision cauchemardesque si abominable que je refuse d’y croire.
Ce n’est pas possible je dois arrêter cela ! Je suis incapable de réfléchir, seule ma colère a pris possession de mon esprit. Je touche à nouveau le sol de mes mains et de nouvelles ronces brisent le sol en marbre pour se dresser contre Athéna ! Je vois l’horrible déesse se retourner pour éviter de justesse mon attaque qui ne lui vaut qu’une éraflure sur la joue. Mais alors, je reçois sur la tête un violent coup et je sens que mon corps ne répond plus. Je m’étale de tout mon long sur le sol glacé et sombre dans les abysses, avec pour dernière vision le regard terrifié de Médusa et sa main tendue vers moi.
Athéna n'a de déesse de la sagesse que le titre.
Ce chapitre montre aussi que tu peux prendre un ton beaucoup plus dur et j'ai hâte de lire la suite !
Perséphone s’affranchit à deux reprises du rôle qui lui a été attribué, et ce, malgré la présence de sa mère. Un seul et même motif : l’injustice !
L’interrogatoire opposant un professeur à son élève, ou plutôt un geôlier à son prisonnier, a brièvement laissé place à l’affrontement de deux déesses !
La fin est terrible : la colère d'Athéna vs la colère de Koré. Magnifique.
Je ne dis rien du sort de Médusa qui tombe de Charybde en Scylla. Horreur.
Ah J. J.! C'était angoissant, palpitant ! Bravo
petite correction : comme si c’était tout à faire prévu.
(Comme toi je déteste faire du mal à mes personnages)
Petites choses que j'ai relevé :
"Nous les couperons, déclare ma mère en souriant, comme si c’était tout à faire prévu". (Fait ?)
"son déjeuner avant de la gober". (J'aurais accordé avec déjeuner et non proie mais les accords ne sont pas mon fort)
"Mon honnêteté vient-elle de me couter mon destin sur le Mont Olympe ?"
(Coûter ? - je sais que les accents circonflexe sont de moins en moins répandus)
Vivement la suite !