Je vis Gallant arriver, l’air aussi furieux que tout à l’heure. Mais je n’eu pas le loisir de lui faire part de mon interrogatoire, car l’individu que nous attendions pénétra dans l’enceinte. Portant un badge qui nous indiqua son identité, Maxime Rolland fit son apparition. La quarantaine, solide et bien bâti, le surveillant eu tout juste le temps de passer la porte d’entrée que Gallant se jeta presque sur lui.
Du coin de l’œil, j’aperçu Victor Morel qui avait fait mine de s’avancer vers son collègue, mais qui s’arrêta en le voyant en compagnie du détective.
- Bonjour, commença mon associé. Je suis le détective Isen Gallant, et voici Thomas Laon, mon associé. Nous enquêtons sur la mort de William Rapin, et nous aimerions vous poser des questions. Auriez-vous un instant à nous accorder ?
William Rolland jeta un coup d’œil à Morel, puis nous fit signe de le suivre.
Il nous emmena dans la salle où j’avais interrogé Coligny, et ordonna à quelques collègues présents de sortir.
Lorsque nous ne fûmes plus que trois, le surveillant se laissa choir sur une chaise en soupirant.
- Vous pensez qu’il s’agit d’un meurtre, c’est ça ? Demanda-t-il.
- Nous en sommes certains, répondit Gallant. Pourriez-vous nous raconter votre relation avec William Rapin ?
- Je vais faire mieux que ça, messieurs, je vais tout vous dire.
Gallant et moi échangeâmes un regard perplexe. Nous prîmes place en face du surveillant, tandis que ce dernier racontait :
- Si vous avez déjà parlé au directeur et à Victor Morel, alors vous savez que William Rapin a été battu et torturé dès son arrivée ici. Il a même subi quelques expériences dans la serre, dirigées par madame Guerin. Tout cela pour la seule raison qu’il s’agissait d’un criminel.
- Vous y croyiez, vous, à sa culpabilité ? Demanda Gallant.
- Non, pas un seul instant je n’ai cru en cette histoire de meurtre. Pour moi, ce garçon a toujours été innocent. Suffisait de voir comment il était détruit, pleurant chaque jour la mort de sa femme et de sa fille. J’étais persuadé de son innocence. Je l’aimais bien, ce pauvre gars. J’avais déjà essayé d’expliquer à la police les conditions cruelles auxquelles on soumettait les détenus, mais ils s’en fichaient. Il avait suffi qu’un député quelconque leur donne un pot-de-vin pour qu’ils ferment les yeux. Parmi les détenus, y en a certains que des personnes haut placées voudraient pas voir sortir, vous comprenez ? Enfin bref, j’avais pas d’autres choix que d’obéir, de toute façon. C’est moi qui emmenait Rapin lors de ses réunions avec son avocat.
- Vous étiez présents lorsqu’ils se parlaient ? Demandai-je.
- Je n’aurais pas dû, normalement, à cause de la déontologie des avocats. Mais, de toute façon, les deux ne se parlaient jamais. Au début, Coligny essayait de discuter avec Rapin, mais ce dernier se taisait toujours. Alors, au bout d’un moment, Coligny a juste arrêté de parler. Ils continuaient de se voir de temps en temps, histoire de faire comme s’ils étaient encore avocat et client, mais c’était plus le cas depuis bien longtemps.
- Ils ne se parlaient jamais ? Répétai-je. Rapin ne lui disait jamais rien, vous en êtes certain ? Sûr et certain ?
- Absolument rien, je le jure sur ma vie. Rapin se contentait de rester assis en tremblant, en sirotant son café de temps en temps.
- Mais... Coligny m’a assuré que Rapin lui avait déjà parlé d’Albin Nozière !
- C’est impossible ! S’exclama Rolland. Rapin a commencé à parler d’Albin bien après les réunions avec son avocat. Il n’y a que moi qui emmenait Rapin auprès de Coligny. Je suis donc formel là-dessus, Rapin n’a jamais dit quoi que ce soit à Coligny à propos d’Albin.
- Et le café ? Dis-je. Qui est-ce qui le lui apportait ?
- Coligny. Il arrivait toujours dans la salle avec deux cafés, un pour lui et un pour Rapin.
- Les cafés portaient-ils des différences notables ?
- Euh... Celui de Rapin était plus grand que celui de Coligny, c’est tout.
- L’arsenic ! M’emportai-je en regardant Gallant. Coligny a menti sur la conversation avec Albin Nozière, et il a très bien pu mettre de l’arsenic dans le café de Rapin.
Gallant hocha la tête, l’air grave.
- De l’arsenic ? Répéta Rolland. C’est donc de l’arsenic qui a provoqué la mort du pauvre Rapin ?
- Vous ignoriez ? Demandai-je.
- Evidemment. Le rapport du légiste n’a pas été rendu public. Il n’y a que la famille proche qui a pu en apprendre plus.
- Madame Guerin m’a confirmé cela, approuva Gallant.
- Mais, fis-je, médusé, Coligny m’a tout de suite parlé de l’arsenic. Il savait de quel poison il s’agissait. Aurait-il eu vent des indications du légiste en même temps que madame Durand ?
Il y eut un silence.
- Nous allons devoir appeler madame Durand pour confirmer ou infirmer cela, dit Gallant. De toute évidence, maître Coligny a laissé échapper beaucoup d’informations qu’il n’était pas censé posséder.
Puis, se tournant vers le surveillant :
- Monsieur Rolland, dit-il, pourquoi nous avoir délivré toutes ces informations ?
- Je vous l’ai dis, je ne supporte plus les conditions de détention de ces pauvres prisonniers. Ils ont peut-être commis des crimes, mais qui sommes-nous pour les juger ?
- Oui, je comprends. Quant à cet Albin Nozière, l’avez-vous déjà rencontré ?
Une drôle de lueur passa dans les yeux de Rolland.
- Oui, répondit l’agent. Oui, je l’ai déjà vu. Un garçon à peine sorti de l’adolescence. Lui aussi, il a beaucoup subi. Mais j’ignore pourquoi William Rapin voulait tant lui parler, si c’est cela la question que vous vous posez.
- Pourriez-vous nous emmener voir cet Albin ? Nous aimerions beaucoup lui parler.
- Oui, bien sûr. Suivez-moi.
Enfin ! Après tout ce temps, nous serait-il enfin possible de découvrir cet Albin Nozière ? Nous approchions si près de la vérité !