Le quartier entier était plongé dans le noir. Notre maison, toute lumière éteinte, me provoqua des frissons. Elle semblait nous mettre en garde de rentrer, ayant déjà vu pénétrer en elle deux hommes armés et dangereux.
Là, tapis dans un recoin d’une pièce, ils nous attendaient. J’en étais certain. Dès le moment où nous allions passer la porte, c’est contre deux criminels expérimentés et redoutables qu’il nous faudrait nous battre.
Derrière une porte, sous un meuble, dans une armoire... Les possibilités de cachette étaient nombreuses.
Gallant s’immobilisa au début de l’allée, les poings serrés.
- Il nous faut simplement reprendre le trésor, murmura-t-il. Prendre le trésor, et repartir. Puis se rendre au commissariat. Celui aux yeux bleus possède un pistolet, et celui aux yeux verts un poignard. Mais le premier n’usera pas de son arme.
- Comment pouvez-vous en être sûr ?
- S’il tire, les riverains appelleront la police, qui arrivera en quelques minutes. Il ne prendra pas ce risque, surtout s’il ignore encore où se trouve le trésor. Non, ils utiliseront tous les deux des armes blanches. Soyez prudents, Thomas.
- Vous aussi, Gallant.
Alors, nous pénétrâmes dans la demeure obscure.
Je me tenais devant le détective, étant le plus fort des deux. Rien dans le couloir. Nous passâmes dans la cuisine. Rien. Aucun bruit. Un silence absolu. Je pris deux couteaux, en donnais un à Gallant. Puis je continuais ma route.
La porte du bureau se trouvait près des escaliers, juste en face de celle menant à la cave, fermée également. Mon cœur battait la chamade. Je gardais espoir que nous ne soyons que deux dans cette maison.
J’ouvris délicatement la porte en bois, qui grinça doucement, mais restais sur le seuil. Alors que je fis mine d’avancer, Gallant me saisit par la main. Il me pointa du doigt le dessous du bureau. Sergent Miaou se tenait là, recroquevillé sur lui-même, les poils hérissés. Ses petits yeux bleus étaient fixés sur quelque chose derrière la porte.
Ou plutôt quelqu’un.
Je m’apprêtais à bondir, le couteau à la main.
Mais quelque chose me tracassait. Pourquoi se cacher là, dans un endroit aussi grossier, avec un chat juste en face pour le dénoncer ? Non, il devait y avoir-
J’interrompis le fil de mes pensées, prenant tout à coup conscience.
Une embuscade, évidemment. J’avais effacé de ma mémoire le fait qu’ils étaient deux. Un devant, dans le bureau. Et donc, le second devait se trouver juste...
Je me retournai violemment, manquant de percuter Gallant. C’est là que je le vis. Dans un silence absolu, la porte de la cave s’était ouverte. Juste derrière Gallant se tenait maintenant le criminel aux yeux verts, son poignard levé, prêt à frapper. Le Français était sur le point de se retourner à son tour, m’imitant, mais je le poussai violemment sur la gauche.
Il tomba sur son côté, étouffant un gémissement de douleur.
Mon couteau en main, je fonçai vers l’intrus, mais quelqu’un m’attrapa le bras par derrière et le tordis dans mon dos, me faisant lâcher mon couteau. Nul besoin de me retourner pour comprendre qu’il s’agissait du second criminel que nous indiquait Sergent Miaou.
- Donnez-nous le trésor ! Aboya-t-il à mon oreille.
Gallant se relevait déjà, prêt à riposter. Je vis Yeux Verts tourner sa lueur assassine vers le détective.
Je balançais ma tête vers l’arrière, percutant un nez. J’entendis un craquement inaudible, puis une douleur fusa dans mon crâne. Mon bras prisonnier fut relâché en même temps que Yeux Bleus poussa un cri de douleur.
Libéré, je fonçai vers le second homme, le plaquant au sol. Enivré par la colère, je sentis à peine son poignard s’enfoncer dans mon flanc. Bien que peu profonde, la blessure se mit à saigner abondamment. Mais je ne ressentais plus rien d’autre qu’une rage aveuglante, décuplant mes forces.
Yeux Verts tenta de retirer le poignard enfoncé en moi, mais je lui lançai un crochet en plein visage. A califourchon sur lui, je continuai de le frapper à coups de poings plus violents les uns que les autres. Je tenais sous mon emprise l’assassin de Monsieur Violon, et je n’allais pas m’en priver. Du coin de l’œil, je vis Gallant aux prises avec Yeux Bleus, mais je n’y prêtais déjà plus attention.
Le criminel sous moi essaya de placer ses mains sur son visage pour se protéger, mais je l’en empêchai en frappant plus fort. Sous mes coups, sa capuche retomba en arrière et son écharpe glissa, ce qui me permit de voir son visage.
Il était jeune, certainement dans la vingtaine. Des cheveux châtains bien brossés, un nez fin, des lèvres minces, des pommettes saillantes. C’aurait peu être un jolie visage si le sang ne coagulait pas sur sa chevelure, poissant ses tempes, s’écoulant de son nez.
J’imprimais en moi ce visage d’assassin, pour ne jamais l’oublier.
Ses yeux d’émeraude, qui exprimait il y a quelques secondes une colère noire, reflétaient désormais une certaine terreur. Je continuais de le rouer de coup, et lui continuait en vain de vouloir se protéger.
Au fond de moi, je me sentais capable de tuer ce gamin.
J’entendis alors un cri glaçant. Je suspendis le poing qui allait s’abattre à nouveau, et tournais la tête de côté. J’en eu le souffle coupé.
Yeux Bleus était salement amoché. Bien qu’il revêtait encore son déguisement, je voyais à sa respiration saccadée, à ses vêtements froissés et à sa manière de se tenir les côtes qu’il en avait bavé, lui aussi.
Seulement, son autre main tenait un poignard, directement pointé sur la gorge de Gallant. Ce dernier, tout aussi essoufflé que son adversaire, leva les mains en l’air en signe de reddition. Sensiblement plus petit que Yeux Bleus, Gallant fut forcé de relever le menton pour ne pas que l’arme taillade sa peau.
Bien que le regard de Yeux Bleus était posé sur le détective, c’est à moi qu’il s’adressa :
- Lâche-le tout de suite, ordonna-t-il.
Lentement, je me relevais de son acolyte, le poignard toujours planté dans mon flanc, et reculais de quelques pas. Toussotant et gémissant, Yeux Verts se leva tant bien que mal. Il manqua de tomber à plusieurs reprises, s’appuyant sur le mur pour ne pas s’écrouler. Il palpa son visage d’une main tremblante et, en voyant le bout de ses doigts maculés de sang, il grogna quelques injures blasphématoires.
- Le trésor, reprit Yeux Bleus. Où est-il ? Je vous laisse une seule chance de répondre.
- Tu as tué une enfant innocente, accusa Gallant. Tu vas être traduis en justice, et tu finiras ta vie en prison.
Yeux Bleus éclata d’un rire soudain, qui fit autant sursauter Yeux Verts que moi-même.
- J’en ai tué bien d’autres, des gamins, reprit le criminel d’une voix féroce. Et j’en tuerai encore beaucoup.
- Je t’arrêterai avant que tu ne recommences, gronda Gallant.
- Impossible, détective, car tu mourras aujourd’hui. Les morts ne peuvent pas se venger. Tu as deux choix, maintenant. Soit tu te montres gentil et tu me dis où se trouve le trésor, t’offrant ainsi une mort rapide. Soit tu restes entêté, te condamnant à une mort lente et douloureuse.
- Quitte à mourir quoi que je choisisse, je préfère opter pour la deuxième option. Au moins, vous n’obtiendrez pas ce pourquoi vous vous êtes donné tant de mal. Si vous revenez sans rien, qu’en pensera votre Vicaire ?
La main qui tenait l’arme se mit légèrement à trembler. Les yeux de l’homme s’agrandirent de surprise.
- Quoi ? Dit-il. Qui t’a parlé de lui ?
- Ton acolyte, annonça fièrement Gallant. Après avoir tué l’homme au violon, il a laissé échapper le nom de votre chef.
Yeux Bleus tourna vers Yeux Verts un regard si noir que j’en eu des frissons, réveillant ma douleur au flanc.
Yeux Verts baissa la tête, la lèvre tremblante, mais ne dit rien.
- Toi, cracha Yeux Bleus. Espèce de sale traître. Tu vas mourir, bâtard de chien !
- Traître ? S’étrangla Yeux Verts en se redressant. Comment puis-je être un traître, si nous ne travaillons même pas pour la même personne ?!
- Tais-toi, imbécile ! S’emporta Yeux Bleus.
Son regard passa de Gallant à moi.
- Tu veux jouer à ça, détective ? Soit. Tu te fiches peut-être de mourir, mais est-ce que ton ami se fiche également de te voir périr ?
Il darda sa lueur féroce sur moi.
- Dis-moi où se trouve ce fichu trésor, l’Anglais, ou je torture ton détective. Crois-moi, je suis maître en la matière.
Paniqué, je regardais Gallant pour qu’il m’indique quoi faire. Lentement, il secoua la tête, m’interdisant de dévoiler quoi que ce soit. Je portais la main sur le poignard planté en moi.
Voyant mon geste, Yeux Verts fit mine de s’avancer vers moi, mais il manqua à nouveau de s’écrouler.
- J’ai la tête qui tourne, gémit-il.
- Ne t’en fais pas, ricana le second criminel. De tête, tu n’en auras bientôt plus.
- L’étui à violon, susurrai-je alors. L’étui qui se trouve dans le bureau. Votre trésor est là-dedans.
- Si tu mens, menaça Yeux Bleus, je te-
- Je ne mens pas, le coupai-je. Vous êtes en position de force, je n’ai aucune raison de vous mentir.
Je n’osais pas regarder Gallant, de peur de lire la déception sur son visage.
- Va le chercher ! Aboya Yeux Bleus à son acolyte.
Yeux Verts obéit. Il revint du bureau, l’étui à violon dans la main. Il faisait visiblement un terrible effort pour porter l’objet. Il le posa ensuite à terre et l’ouvrit.
Je restais confus en voyant non pas un violon, comme Gallant l’avait prédit, mais une poupée russe assez grande pour faire toute la taille de l’étui. Yeux Verts la soupesa un instant, puis la reposa.
- Oui, affirma-t-il, le trésor est encore dedans, je le sens.
Il referma l’étui, se releva en s’emparant de la poignée.
- Bien, dit Yeux Bleus, visiblement satisfait. Grâce à ton ami, détective, tu mourras vite. Tu devrais le remercier.
Gallant s’apprêta à rétorquer, quand le son reconnaissable d’une voiture s’arrêta devant la maison.
- Gallant ! S’écria une voix masculine. Ici le commissaire Barnet. Pouvons-nous entrer ?
Alors, une scène surréaliste se déroula. L’étui à la main, Yeux Verts se précipita vers l’arrière-court. Il détala si vite que nous restions tous les trois figés quelques secondes, se demandant ce qui était en train de se passer.
- Merde ! Rugit Yeux bleus en s’élançant à sa poursuite.
- Entrez ! Cria Gallant au commissaire.
Puis il courut à son tour dans l’arrière-court. Alors que la porte d’entrée s’ouvrit, je suivais le détective dans sa course, le poignard me tailladant toujours le flanc.
Quand je sortis dans le jardin, je restais confus. Yeux Verts était maintenant au sol, se tordant de douleur, un poignard planté dans l’épaule. Debout à côté de lui, Gallant avait l’air d’hésiter entre porter secours au criminel ou poursuivre Yeux Bleus qui, déjà, s’enfuyait à toute vitesse, l’étui à la main. Le détective se tourna vers moi, la mine sombre. Il fronça les sourcils en voyant ma blessure.
Derrière moi, le commissaire Barnet fit son entrée.
Tout aussi stupéfait que moi, il interrogea Gallant du regard.
- Je vais me rendre à l’église, annonça le détective. Le temps joue contre nous. Ils vont procéder à l’échange ce soir, j’en suis certain.
- Quoi ? M’écriai-je. Vous êtes complètement fou ! La police est là, maintenant. Allons-y tous ensemble !
Sans me répondre, Gallant s’accroupit vers Yeux Verts, qui n’avait pas cessé de gémir. A mon grand effroi, le détective tourna le poignard, arrachant un hurlement de douleur au jeune homme.
- L’échange a-t-il toujours lieu au même endroit ? Questionna Gallant. L’église sous la surveillance du diable ?
- Arrêtez, par pitié ! S’écria Yeux Verts.
- Réponds !
- Oui, oui ! Le Vicaire a voulu s’en tenir au plan. Le lieu a pas changé !
- Bien.
Le commissaire Barnet n’avait pas réagi, pas plus que moi.
- Qu’avez-vous en tête ? Demanda l’homme de loi au détective.
- Je vais me rendre dans cette église. Seul. Une fois que je serais parti, laissez-vous trente minutes avant de faire irruption. Là, vous pourrez arrêter qui vous voulez. Mais il ne faut pas perdre de temps. Sachant que leur acolyte est entre nos mains, ils ne vont pas s’attarder pour faire l’échange.
- Pourquoi vouloir y aller seul ? Demandai-je. C’est insensé !
- Pour obtenir des informations cruciales ! Ne voyez-vous pas que l’enjeu est bien plus grand que ce que nous pensions ? Il ne s’agit pas seulement de deux assassins, nous parlons de quelque chose de bien plus vaste. Ces deux assassins ne travaillent pas pour la même personne. S’il y a un échange, c’est qu’il y a un acheteur et un vendeur. Le Vicaire est soit l’un soit l’autre. Ce qui fait que nous ignorons l’identité du deuxième. Je dois en savoir plus avant que la police n’intervienne.
Il jeta un regard suppliant au commissaire.
- Commissaire, vous m’avez vous-même révélé que certaines personnes sont prêtes à payer pour ne pas que le Vicaire soit identifié. Des agents de police peuvent être corrompus. C’est pourquoi il est important que j’obtienne des informations avant que cette affaire soit à son tour étouffée ! S’il vous plaît !
Je me tournai à mon tour vers le commissaire, le défiant d’accepter cette demande insensée. Mais, à voir son visage impassible, je compris qu’il avait déjà fait son choix.
- Allez-y, jeune homme, dit-il simplement. Je ferai comme vous voudrez. A dans trente minutes.
- Non ! Hurlai-je alors que Gallant détalait déjà en direction de l’église. Non, c’est trop dangereux ! Revenez ! Vous aviez dit que l’on affronterait le danger à deux !
Je ne pu en dire davantage. Me sentant soudainement faible, je m’écroulai au sol.