À quoi bon rester ? Ce n’était pas comme si elle risquait d’exploser à tout moment. Le pouvoir dormait en elle. Ash et sbires recherchaient un réceptacle et c’était exactement ce que Lyra était. La jeune femme craignait de voir apparaître les sorciers derrière chaque rocher. Elle devait partir, quitter ce lieu où ils iraient la chercher.
Lyra se leva et partit dans la même direction qu’Omicron Elara, retrouvant aisément la sortie du désert. Elle but à une rivière, mangea quelques fruits puis s’éloigna vers l’est, choisissant une destination au hasard. Vivre d’aventures lui convenait. Il fallait juste qu’elle ne se dévêtisse jamais, obligation assez peu compliquée à suivre.
Se fondre dans la masse. Devenir personne. Une ombre. Ne jamais rester en place. Bouger. Glisser telle une anguille dans l’eau. Lyra s’en sentit capable. Et ce pouvoir qui dormait en elle resterait en sommeil. Peu lui importait. Elle ne visait ni la gloire ni la puissance. Juste une vie simple d’aventures légères.
Ash et ses sbires ne chercheraient pas une écervelée parcourant les routes en sautillant de joie à l’idée de sa liberté retrouvée. Quant à Omicron Elara… qu’elle aille se faire voir. Elle ne lui devait rien, ni à elle, ni à personne.
Lyra huma le parfum des fleurs, des feuilles, des grands arbres, s’amusa à suivre les papillons. Elle rit des acrobaties d’un écureuil, s’émerveilla au passage d’une voiture richement décorée et de son escorte armée.
Une grande ville lui ouvrit les bras. Dans la foule, elle passerait inaperçue. Parfait. Une grande foire se tenait, faisant venir des visiteurs des quatre coins de l’Empire. L'odeur des épices et le brouhaha de la foule assaillirent les sens de Lyra. Après le silence du désert, cette cacophonie de vie était à la fois enivrante et intimidante. Lyra s’en mit plein des yeux, le nez et la bouche, profitant de la foule pour attraper une brochette en passant.
Elle savourait la sauce dégoulinante lorsqu’elle se figea, manquant de s’étrangler de travers. Le son la transperçait. Comment pouvait-on chanter aussi bien ? C’était indécent !
Lyra suivit la mélodie jusqu’à un troubadour arborant les habits multicolores de sa profession. Sa voix portait sans qu’il ne sembla forcer. Quelques cymbales au pied, un tambûr dans les mains, ses doigts volaient sur les cordes, pinçant, grattant en rythme. Parfois, sa paume tapotait la caisse de résonance en bois, marquant les basses, dans une harmonie à couper le souffle.
La foule vaquait à ses occupations sans s’intéresser au spectacle. Lyra en pleura. Comment quiconque pouvait ignorer une telle merveille ? Elle resta, la brochette à moitié dévorée à la main, l’estomac devenu secondaire. Les paroles n’avaient aucune importance. Elles parlaient d’amour, d’aventures, de trahison, de guerre, de conflit, de pardon, de rédemption, de vie, de mort. Lyra les entendait sans leur donner de sens. Le son l’hypnotisait.
La mélodie semblait résonner directement dans l'âme de Lyra, éveillant des émotions qu'elle ne savait même pas posséder. Pour la première fois, elle se sentit véritablement vivante.
Tout cessa. L’homme attrapa une gourde à ses pieds et but avant de commencer une nouvelle chanson. Quelques passants déposaient des pièces à ses pieds : du bronze. Quelle honte ! Il méritait d’être couvert d’or ! Lyra ne fut jamais aussi honteuse de n’avoir pas un sou en poche. Comment indiquer son admiration à la merveille ?
Elle resta immobile à le regarder, à s’abreuver de sa présence, de ses yeux bruns, de ses cheveux marron, de sa voix à la tessiture incroyable, de ses gestes harmonieux et fluides. Il changeait régulièrement d’instrument, maîtrisant aussi bien la flûte que le violon. Lyra n’en revenait pas. Tout son être vibrait en même temps que les cordes vocales de ce dieu vivant.
L’air cessa de vibrer et Lyra respira, comme si elle fut en apnée durant toute la prestation. La merveille posa ses instruments et se dirigea droit sur Lyra. Fascinée, elle n’eut même pas la présence d’esprit de bouger. Amusé, il désigna la brochette qui goûtait sur le sol.
- Tu partages ? demanda-t-il.
Lyra cligna des yeux et les mots prirent sens.
- Je l’ai volée, admit-elle.
Pourquoi lui faisait-elle confiance au point de lui révéler cela sans sourciller ? Elle l’ignorait. Elle avait l’impression de ne faire qu’un avec cet homme, d’avoir enfin trouvé sa moitié qu’elle ignorait manquer.
- Si ça ne t’ennuie pas de porter une partie du poids de cette culpabilité, précisa-t-elle en lui tendant la viande enfichée sur le morceau de bois.
Il l’attrapa, frôlant ses doigts au passage, puis déchira la viande avec délectation et ce bien qu’il fut évident qu’elle était maintenant froide. Du jus dégoulina sur son menton. Lyra se mordit la lèvre inférieure. Elle crevait d’envie de se jeter sur lui pour lécher les sucs et bien davantage !
- Te retiens pas, lança-t-il. Ce n’est pas moi que ça va déranger, bien au contraire !
- Pardon ? lança Lyra.
L’homme jeta la brochette vide, combla l’espace vide entre eux deux et prit possession de ses lèvres, partageant avec elle le reste de sauce. Lyra répondit au baiser et leurs langues tournoyèrent dans un ballet magique. Lyra se sentit chaude de partout. Elle posa ses mains sur son cou puis descendit sur ses épaules pour gagner son torse.
Il sentait bon. Son goût de sauce l’émoustillait. Ses muscles puissants la faisaient défaillir. Elle descendit les mains vers le bas, avide d’un membre chaud et tendu. Il recula.
- Peut-être pas en pleine rue, murmura-t-il à son oreille.
Lyra rougit de la tête aux pieds. Hypnotisée, elle en avait jusqu’à oublié se trouver sur les bords d’une rue bondée. Elle jeta un regard autour d’elle. Personne ne les regardait. Tout le monde se fichait d’un petit couple d’amoureux se bécotant. Chacun vaquait à ses occupations. Lyra gloussa tandis qu’il saisissait sa main pour l’emmener dans une ruelle, à l’écart. La fraîcheur la fit frissonner. L'obscurité de la ruelle enveloppa Lyra comme un manteau, contrastant avec l'agitation colorée de la foire qu'ils venaient de quitter. L'odeur des pierres humides et des détritus se mêlait au parfum enivrant du barde.
- Tu es bien téméraire pour suivre un inconnu dans une ruelle sombre ! fit-il remarquer. Téméraire ou complètement stupide !
- Stupidement excitée et folle d’envie, répliqua-t-elle. Prends-moi ! Je t’en prie !
- À ton service, répondit-il.
Lyra n’avait jamais connu le sexe. Elle savait ce dont il s’agissait. Ses parents le faisaient souvent devant elle car à la ferme, tout le monde dormait dans la même pièce, non loin des vaches et des moutons. Ses frères et sœurs racontaient souvent leurs aventures. Lyra n’avait jamais eu envie, jusqu’à lui, ce barde envoûtant qui éveillait en elle des sensations nouvelles et enivrantes. Son corps tout entier vibrait d'anticipation, comme les cordes d'un instrument attendant d'être jouées.
Leurs langues se trouvèrent, dans une danse sensuelle et passionnée. Les mains de Fynn, expertes et douces, caressèrent les courbes de Lyra à travers sa robe, éveillant des frissons de plaisir sur sa peau. Il l'adossa contre le mur frais, contrastant avec la chaleur qui montait en elle.
Un éclair de lucidité traversa l'esprit embrumé de Lyra.
- Non ! s'écria-t-elle, repoussant Fynn.
Son regard confus la fit fondre davantage, mais elle devait protéger son secret. Il leva les mains en signe de paix. Son regard n’exprimait qu’une intense confusion.
- Ce n’est pas… bafouilla Lyra avant de froncer les sourcils.
Elle crevait d’envie de s’offrir à lui mais comment faire sans qu’il ne voit les tatouages recouvrant sa peau ?
- Vierge ? supposa-t-il en secouant la tête.
- Oui et alors ?
- Vous ne savez jamais ce que vous voulez, ronchonna-t-il avant de faire mine de s’en aller.
Il allait vraiment partir après qu’elle l’ait chauffé de la sorte ? Elle n’en fondit que davantage pour lui. Elle se mordit la lèvre inférieure. Accepterait-il d’attendre que la nuit soit tombée ? Lyra gronda. Elle-même ne tiendrait pas aussi longtemps. Elle le désirait, maintenant !
- Attends ! Est-ce que tu accepterais de faire ça les yeux bandés ? s’écria-t-elle, le cœur battant, fière de sa trouvaille.
- Quoi ? lança-t-il en réponse.
- Ça te dérange de te bander les yeux ? Je ne veux pas que tu voies mon corps.
Le barde plissa les paupières. Il observa la ruelle, scrutant chaque recoin.
- Je commence à croire que tu m’as emmené dans une embuscade bizarre.
- Je suis toute seule et je ne désire pas te voler. T’as l’air aussi fauché que moi de toute façon.
Le barde explosa de rire.
- Je m’appelle Fynn, précisa-t-il.
- Lyra, répondit-elle.
- Les yeux bandés, hein ? s’amusa-t-il. T’as des fantasmes bizarres.
- Je ne veux juste pas que tu vois mon corps, répliqua Lyra. Tu pourras bien ne pas avoir de bandeau s’il fait nuit.
Un sourire malicieux aux lèvres, il sortit un foulard d’une de ses poches, s’approcha d’elle puis mit le bout de tissu en place.
- Madame est-elle satisfaite ?
- Oui, merci Fynn, répondit Lyra, le désir palpable dans sa voix, avant de dégrafer elle-même sa robe.
Privé de la vue, Fynn laissa ses autres sens le guider. Ses mains parcouraient le corps de Lyra comme s'il découvrait un instrument précieux, chaque caresse arrachant un soupir de plaisir à la jeune femme. Ses lèvres exploraient sa peau, goûtant sa douceur, s'attardant sur les points sensibles qu'il découvrait.
Il la découvrit sans omettre aucune zone, usant de ses doigts et de sa langue aussi bien que sur une guimbarde. Elle rendit les armes, s’offrant tels les instruments de musique entre ses mains expertes, chantant en rythme. Lyra se laissait aller à ces sensations nouvelles, son corps répondant instinctivement aux attentions de Fynn. Elle se sentait comme une mélodie prenant vie sous les doigts habiles d'un musicien virtuose.
Leurs corps s'accordèrent dans un rythme parfait, montant crescendo vers un final éblouissant. Lorsqu'ils atteignirent l'apogée de leur passion, ce fut comme si toutes les notes s'harmonisaient en une symphonie parfaite. Ils jouirent à l’unisson dans une étreinte passionnée.
Haletants, ils restèrent enlacés un moment, savourant les derniers échos de leur étreinte. Lyra se sentait transformée, comme si une nouvelle musique résonnait désormais en elle.
Rhabillée, elle permit à Fynn de retrouver la vue. Lyra se sentait bien, entière, complète, grande, adulte, comblée.
- Sympa, le sexe les yeux bandés, admit Fynn. Ça change. J’aime bien. Merci pour ce beau moment !
Il s’apprêtait à partir ! constata Lyra atterrée.
- Attends ! Fynn ! S’il te plaît ! Laisse-moi venir avec toi.
- Quoi ? demanda-t-il, les yeux ronds.
- Laisse-moi t’accompagner. Je veux rester avec toi !
Fynn secoua la tête en soupirant.
- Laisse tomber, gronda-t-il. Ça a peut-être l’air chouette, vu de loin, la vie de bohème, mais tu vas vite te lasser. Retourne chez tes parents, petite, ça vaut mieux.
Lyra serra les dents de rage puis s’exclama :
- Je ne suis pas une petite ! Je suis une adulte et je fais ce que je veux. Mes parents, je les ai quittés il y a plusieurs saisons de cela. Ce n’est pas pour qu’un connard me dicte ma conduite !
Fynn pencha la tête et sourit.
- T’as du caractère, toi, hein ! J’aime bien.
Lyra lui décrocha un regard noir. Comment osait-il la baiser puis s’imaginer repartir en la laissant en plan ? En plus, il serait une couverture remarquable. Ash n’irait certainement pas chercher son précieux réceptacle en compagnie d’un barde chantant de ville en ville.
- Je ne suis pas facile à vivre au quotidien, prévint-il.
- Je m’en fiche. Je t’aiderai, promit Lyra. Je m’occuperai de tout. Tu pourras te concentrer sur ton art.
- Hum, réfléchit Fynn.
- Je volerai quelques brochettes pour toi, proposa Lyra.
- Dans ce cas ! Une telle offre ne se refuse pas ! s’exclama-t-il en lui ouvrant les bras.
Lyra se réfugia dedans. Ils repartirent, main dans la main, vers le stand de l’artiste où ils retrouvèrent les instruments auxquels personne n’avait touché. Le barbe reprit place et le concert trouva son public. Quelques pièces garnirent le chapeau posé au sol.
Ils dormirent sous une petite tente dressée par Fynn sous le regard attentif de Lyra qui comptait bien le faire pour lui dès le lendemain. Ils partagèrent de nouveau un amour physique avant de s’endormir.
Ils restèrent jusqu’à la fin de la foire, ce qui permit à Lyra d’apprendre à changer les cordes, nettoyer les instruments, huiler les cordes, tendre les peaux, faire briller les cuivres, monter et démonter la tente. Elle n’eut pas à affiner ses talents de voleuse car Fynn récoltait de beaux gains, finissant souvent chaque journée avec l’équivalent de plusieurs pièces d’argent.
- Comment peux-tu être pauvre alors que tu gagnes autant ? s’exclama Lyra.
- Je ne suis pas pauvre, répliqua Fynn. J’ai choisi la vie de bohème.
- Que fais-tu de l’argent que tu gagnes ?
- Une partie va à ma guilde, indiqua Fynn.
- La guilde ? répéta Lyra.
- Nous formons un groupe soudé. L’argent donné permet de payer des locaux accueillant les bardes ne pouvant plus se donner en spectacle – parce qu’ils sont vieux ou malades. Souvent, ils se reconvertissent dans la construction d’instruments mais cela ne suffit pas à les rémunérer dignement.
- En donnant aujourd’hui, tu espères en profiter un jour, comprit Lyra.
- C’est ça.
- Tu es très doué.
- Je te remercie, répondit Fynn.
- Je le pense. Je pourrais t’écouter jouer et chanter toute la journée.
- J’avais remarqué, s’amusa-t-il. Demain, nous partons sur les routes.
- J’ai hâte, assura-t-elle.
Il la transperça du regard. Il ne la croyait pas. Lyra comptait bien lui prouver sa détermination. Il ne fut pas déçu. La jeune femme se montra d’un enthousiasme et d’une joie indéfectibles.
Elle en aurait presque oublié la menace pesant sur elle. Presque… Ash gâchait chaque moment intime. Fynn devait se bander les yeux, sauf au beau milieu de la nuit, dans la tente, loin du feu. Lyra mettait tout en œuvre pour oublier, faire comme si ses tatouages n’existaient pas. Pourtant, avec le retour de l’été, elle dut admettre avoir chaud dans ses vêtements couvrants. Aucune des piques humoristiques de Fynn ne parvint à lui faire alléger ses tenues. Le risque était bien trop grand.