Lorsque nos fastidieux examens médicaux furent terminés, on nous emmena vers le « Centre de Tri » afin de nous y faire subir une série de tests ayant pour but de déterminer nos aptitudes à remplir telle ou telle fonction au sein de notre société. Divers spécialistes nous analysèrent dans les rubriques les concernant. Ils introduisirent les données propres à chacun d’entre nous dans la mémoire des implants fraîchement installés sur la paume de notre main droite. Vint ensuite l’étape des épreuves physiques, durant lesquelles des exercices de force et de résistance me permirent d’exprimer toute la colère et la révolte que je sentais naître en moi.
Nous fûmes identifiés par des lettres allant de « A » à « F ». De tous les groupes, le mien me semblait être le plus petit. La lettre « A » était imprimée sur la jambe droite et le dos de la tunique qui nous fut distribuée. Elle était faite d’un tissu doux et élastique aux reflets argentés. On nous expliqua que ces tenues nous serviraient d’uniformes durant notre séjour dans la pyramide.
La moitié des nombreuses filles qui y entrèrent avec moi n’étaient déjà plus là. Mais je n’eus pas vraiment le temps de m’en soucier, tant d’autres questions hantaient mon esprit confus et tourmenté…
Un beau soir, lorsque je mis un peu plus longtemps que d’habitude à m’endormir, une petite voix que je reconnus immédiatement vint s’adresser à moi :
— Ta destinée est en train de s’accomplir, nous sommes fiers de toi…
— Mais qui êtes-vous donc, et de quelle destinée parlez-vous ? répondis-je en pensée.
— Nous représentons l’esprit de cette planète, ainsi que celui de la totalité des êtres vivants qu’elle a accueilli en son sein. Nous t’observons depuis ton arrivée dans ce monde. Et ton cheminement, bien qu’encore mystérieux, nous semble fort prometteur.
— Que vais-je donc devoir faire ?
— Absolument rien ! Reste tout simplement fidèle à toi-même, écoute ce message d’amour et de sagesse que tu portes en toi. Ne te laisse pas transformer par ce moule qui tente de t’enrôler dans une société dont tu ne feras jamais vraiment partie.
— Je me sens seul, faible et abandonné !
— Tu ne le seras plus pour longtemps, sois patient…
J’étais bien trop fatigué pour avoir envie de continuer cette étrange conversation. J’avais l’impression que mon imagination était tout simplement en train de m’emporter. Je décidai de faire le vide dans mes pensées, et un sommeil profond ne tarda pas à m’emporter.
De longues semaines s’écoulèrent avant que la voie du jeune garçon soit déterminée de façon précise. Les épreuves se succédèrent à un rythme infernal. Les visages de ses examinateurs ne laissaient jamais paraître le moindre signe susceptible de l’aiguiller quant à leur verdict final.
Lorsque cet interminable processus de sélection fut enfin achevé, il apprit avec fierté qu’il venait d’être enrôlé dans le groupe des « Cadets de l’Espace » : ceux destinés à piloter les divers engins de la prestigieuse Flotille Spatiale. Son métabolisme robuste, de même que son habileté psychomotrice supérieure à la moyenne, avaient sans aucun doute influencé ce choix plutôt avantageux. Cette nouvelle réussi quelque peu à tempérer sa révolte initiale… La Fédération ne semblait pas si mal organisée que ça, après tout !
Un beau jour, les rares filles de mon groupe furent amenées à la clinique pour y subir une opération qui les fit s'absenter durant une journée entière. Jamais aucun garçon ne fut confronté à ce genre de traitement. Les interrogations que cet événement suscita restèrent, comme à l’accoutumée, sans réponses. Il s’agissait sans doute d’un de ces nombreux sujets auxquels nous n’étions pas censés nous intéresser… Ainsi soit-il, nous avait-on dit !
Lorsqu’elles vinrent enfin nous rejoindre, nous nous aperçûmes qu’elles portaient toutes, sur leur bas ventre, un tatouage illustrant l’emblème de la Fédération. Ce dernier était souligné par un code-barres qui venait camoufler une petite cicatrice, située juste sous leur nombril.
Nous prîmes l’habitude d’en rire en les comparant aux denrées alimentaires, étiquetées comme certains produits de quelques vieux magasins, perdus au fin fond des quartiers les plus pauvres de notre métropole. Notre technologie avait rendu obsolètes ce genre de tatouages servant naguère à identifier les individus faisant partie de notre société. Nos implants les avaient remplacés depuis bien longtemps.
La petite plaque hexagonale, littéralement soudée à la paume de notre main droite, avait pour but de contrôler nos fonctions vitales et d’enregistrer toutes les informations nécessaires nous concernant… Elle serait également utilisée, plus tard, comme moyen de paiement durant notre vie active. Sa connexion directe à notre système nerveux nous permettait d’actionner ses multiples fonctions par la simple force de notre esprit.
Notre anneau frontal nous rendait capables d’entendre et de voir les messages qui nous parvenaient, comme par télépathie, durant nos séances éducatives ou lors de nos pauses récréatives en réalité virtuelle. De minuscules billes pouvaient être introduites dans l’orifice qu’il arborait en son centre. Leur lecture interactive était entièrement contrôlée par notre pensée.
Nous avions ainsi, tous et toutes, comme symboles de notre appartenance à la Fédération, sur notre front et la paume de notre main droite, les marques apparentes du progrès technologique de notre société. Certaines rumeurs parlaient d’un savant avant-gardiste dont les expériences tentaient de prolonger indéfiniment la vie humaine. Il projetait d’accomplir ce miracle en enregistrant l’identité de quelques individus privilégiés, sur de petites billes interactives qui seraient régulièrement implantées dans de nouveaux exemplaires clonés de leur propre corps !
En ce qui concernait le code-bar des filles de notre groupe, peut-être était-il destiné à afficher un signe aisément reconnaissable de leur mystérieuse transformation ? Mais ces nombreuses questions, qui germaient dans nos jeunes esprits grisés par tant de changements rapides et brutaux, furent vite classées, au même titre que toutes les autres, sans réponse…
Les jeunes cadets furent placés, durant les jours qui suivirent, dans une chambre baignant dans la pénombre. Ils y restèrent allongés pendant ce qui leur sembla être une éternité. Des signaux envoyés directement vers leurs implants permettaient de transmettre les innombrables informations qu’ils avaient à assimiler.
Ces séances se succédèrent à raison de plusieurs par jour. Lors de chacune d’elles, leurs neurones enregistraient des données qui resteraient à jamais gravées dans leur mémoire. Elles étaient entrecoupées de sessions d’activités physiques se déroulant dans l’une des salles de sport de la pyramide ou dans l’un des nombreux parcs qui l’entouraient. L’enseignement proprement dit venait de commencer ! Leurs esprits étaient soumis à rude épreuve. Il ne leur était pratiquement plus possible de se concentrer sur un autre sujet que celui qu’on leur inculquait.
Un besoin, que je ne pus immédiatement identifier, me rongeait inexorablement de l’intérieur. C’était comme si quelque chose d’essentiel, que j’avais toujours possédé, venait à terriblement me manquer à présent. Il me semblait être confiné à l’intérieur d’un corps qui ne m’appartenait plus ! J’avais la sensation d’être emprisonné dans cette nouvelle vie, contrôlée par la toute puissante Fédération, bien décidée à se servir de façon optimale de mes capacités, sans trop se préoccuper de ce que j’en pensais.
L’adolescent que je devenais se sentait condamné à rester dans cette gigantesque pyramide, loin des siens… Ma destinée avait été choisie, tracée par une société qui ne se souciait guère de mes rêves d’enfance !
C’est un véritable lavage de cerveau que subit ces enfants !!
« Notre technologie avait( rendu obsolètes ce genre de tatouages servant naguère à identifier les individus faisant partie de notre société. Nos implants les avaient remplacés depuis bien longtemps »
Ici une petite parenthèse s’est glissée dans ton paragraphe.
Très bon chapitre en tout cas, chapeau !
Tu verras, tout cela va bien changer dans quelques chapitres.
En fait, tu as raison, j'essaye de sensibiliser mes lecteurs (jeunes et moins jeunes) au fait que notre société devrait éviter de tomber dans ce piège, bien qu'il soit parfois fort attrayant à certains points de vue.
Ce sujet est souvent traîté dans les ouvrages de SFF. Et nous y sommes également confrontés dans la vie de tous les jours...