Chapitre 6 : Motivation

En chemin pour le terrain de sport, accompagnée d'Amanda et Julie, Marlène se demanda quel genre d'activités sportives les magiciens pratiquaient.

Marlène s'arrêta net en découvrant les terrains. Son regard passait d'un panier de basket à un court de tennis, puis à la piscine scintillante. Ses sourcils se froncèrent.

- C'est ça, le sport ? lâcha-t-elle, incrédule.

- Évidemment ! répliqua Julie en levant les yeux au ciel. Tu t'attendais à quoi ? À des gars sur des balais qui lancent des balles dans des trous à vingt mètres de haut ?

Marlène haussa les épaules.

- Non ! Au PBM !

Julie et Amanda éclatèrent de rire, mais leur hilarité s’éteignit vite en voyant que Marlène ne plaisantait pas.

- Marlène, sérieusement ? Le PBM, c’est pour l’élite ! lança Julie, toujours à moitié amusée.

- Aucune de nous n’arrivera jamais à voler, ajouta Amanda en secouant la tête.

- Ou à créer une bille de peinture, renchérit Julie.

- Ou à maintenir un bouclier protecteur.

Elles éclatèrent de rire à nouveau, cette fois de connivence. Marlène se contenta de les fixer, la bouche pincée.

- En tout cas, le PBM, c’est pas pour nous, conclut Julie en haussant les épaules. On est déjà vidées après nos cours du matin. Pas question d’utiliser encore notre magie.

Vidées ? répéta Marlène. Elle n’utilisait sa magie qu’à activer le traducteur et cela ne lui prenait presque rien. En dehors de ça, elle ne l’utilisait pas. Que faisaient Julie et Amanda qui leur prenait tant d’énergie ?

Julie interrompit ses pensées d’un geste théâtral.

- Si le PBM t’intéresse, regarde ! s’exclama Julie en pointant fort impoliment une silhouette.

Marlène plissa les yeux. Le garçon avançait d’un pas assuré, fendant la foule sans prêter attention aux regards insistants autour de lui, fascinés, et ce alors qu’il ne faisait rien de particulier. Marlène le trouva banal.

- C’est Miraël Fawzi. Il joue dans l’équipe de l’école, annonça Julie avec emphase. Un jour, il intégrera les Lucioles !

Amanda resta silencieuse, un léger sourire aux lèvres.

- Début novembre commence la saison de PBM étudiante, reprit Julie, enjouée. Les équipes de chaque école s'affrontent, comme dans les tournois nationaux. Tu verras. C'est spectaculaire !

- Tu as intérêt à t'améliorer si tu veux pouvoir en profiter ! lança Amanda.

- Pourquoi ? interrogea Marlène.

- Parce que pour suivre le PBM, il faut une gnosie active et bien contrôlée, annonça Julie avec un sourire suffisant.

Marlène fit la moue, croisant les bras. Elle ne remarqua pas le clin d'œil complice que Julie lança à Amanda dans son dos.

- Allez, assez parlé de magie. On fait quoi ? Marlène, tu choisis !

Marlène observa les terrains autour d’elle. Elle n’avait jamais aimé le sport, encore moins les jeux d’équipe. Son regard se posa sur les courts de tennis. Au moins, là, elle pourrait être seule.

- Tennis, annonça-t-elle.

Julie leva les yeux au ciel avec exagération.

- La prochaine fois, je choisis et ça ne sera pas le tennis parce que j'ai horreur de ça. Mais ce n'est pas grave ! Allons taper dans une balle !

Marlène sourit. L'après-midi la délassa efficacement. Les filles étaient du même niveau pitoyable et Julie, qui y mettait beaucoup de mauvaise volonté, faisait la pitre, entraînant de nombreux fous rires.

Jeudi fut une agréable journée dans la bulle sans la moindre avancée visible. Vendredi, juste après le déjeuner, Marlène reçut un courrier sur son guide.

L’adolescente sourit en lisant sa convocation pour le bureau du directeur. Que pouvait bien lui vouloir Maître Gilain ? Était-ce pour reconnaître son potentiel ? Lui annoncer qu’elle était déjà spéciale, plus que les autres élèves ? Elle haussa les épaules en rejoignant Julie et Amanda, affichant un air détaché.

- T’as fait quoi ? demanda Julie, abasourdie, en découvrant sa convocation.

Marlène haussa les épaules.

- Rien. À ma connaissance, répondit Marlène, feignant l’innocence.

Pourtant, une boule se forma dans son estomac à mesure qu’elle approchait des bâtiments de la direction. Après quelques minutes à activer son guide magique, elle trouva son chemin. La secrétaire, vêtue de rose de la tête aux pieds, l’annonça d’une voix chantante.

- Tu peux entrer, déclara-t-elle en lui ouvrant la porte d’un geste fluide.

Marlène franchit le seuil et se sentit aussitôt écrasée par la magnificence de l’endroit. Les murs, recouverts de bois verni, reflétaient la lumière dorée des chandeliers suspendus. Chaque tableau était un défi au bon goût, exposant non seulement la richesse de leur propriétaire, mais aussi son besoin désespéré d’en imposer.

Le sol, en marbre noir veiné d’or, semblait briller à chacun de ses pas. Marlène hésita un instant, comme si marcher dessus était une profanation. Son regard s’attarda sur l’immense bureau d’acajou incrusté de nacre. Les scènes mythologiques gravées semblaient presque bouger sous la lumière dansante du lustre en cristal, suspendu au plafond comme un joyau géant.

Elle serra les poings pour cacher son malaise. Tout ici criait : « Tu es petite. Insignifiante. »

Maître Gilain se trouvait sur son imposante chaise en cuir capitonné derrière le bureau. Le cuir noir brillant était orné de clous dorés, alignés avec une précision presque militaire. Devant le bureau, des fauteuils de velours pourpre attendaient les visiteurs, inconfortablement beaux, comme pour leur rappeler qu’ils étaient en territoire étranger.

Sur le bureau, un encrier en or massif, une plume en argent ornée de pierres précieuses et un presse-papier en cristal gravé trahissaient une recherche obsessionnelle du luxe dans les moindres détails.

- Bonjour, Marlène, dit Maître Gilain d’une voix suave.

Ses doigts ornés d’une chevalière en or tapotaient le bureau.

- Assieds-toi.

Marlène s’exécuta, croisant les jambes pour se donner une contenance.

- Tes premiers jours parmi nous se passent-ils bien ? demanda-t-il, ses yeux perçants rivés sur elle.

- Très bien, maître, je vous remercie, répondit Marlène, la gorge sèche.

Au moins n’avait-elle plus du tout envie de partir. Elle découvrait à peine la magie. Voulait-il la féliciter de ses progrès rapides malgré son ignorance de néomage ?

- Tant mieux. Tu as prévu de te rendre au centre commercial cet après-midi, n’est-ce pas ?

Elle hocha la tête, incertaine. La sortie avait été proposée par Julie et Amanda. Maître Gourdon lui avait conseillé de se détendre. Le directeur allait-il le lui interdire ?

- Souhaites-tu que ta nature de néomage soit dévoilée ? poursuivit-il, ses sourcils légèrement relevés.

Marlène déglutit.

- Non, maître.

- Alors, tiens ta langue. Une bulle de sécurité ou une escorte trop voyante attirerait l’attention. Cette sortie doit paraître banale. Tu dois paraître banale.

Chaque mot tombait comme un coup de marteau.

- Une magicienne de fortune, ayant peu de pouvoir, continua-t-il. Mon école attire de nombreux élèves puissants. Les journalistes en quête de scandale rôdent à chaque sortie. Ils écoutent, observent, et ne ratent rien.

Marlène pinça les lèvres. Était-ce une simple mise en garde ou une accusation déguisée ?

- Je redoublerai d’attention, maître, promit-elle, bien que son esprit lui soufflât que cette sortie était peut-être une mauvaise idée.

Maître Gilain esquissa un sourire calculé.

- Je suis ravi de m’être fait comprendre. Bonne sortie au centre commercial, Marlène.

Elle se leva, la tête pleine de questions, et quitta la pièce, ses pas résonnant sur le marbre.

- Alors ? Il te voulait quoi ? demanda Julie, curieuse mais avec une pointe d’agacement dans la voix.

- S’assurer que ma rentrée s’était bien passée, répondit Marlène, nonchalante.

Julie plissa les yeux, visiblement contrariée.

- Il ne m’a rien demandé, à moi ! lança-t-elle d’un ton outré.

- Peut-être qu’il réserve cet honneur aux magiciens de fortune, hasarda Amanda avec un sourire en coin. Après tout, en étant un lui-même, il serait logique qu’il leur accorde une attention particulière.

Marlène cligna des yeux, frappée par la révélation. Maître Gilain, un magicien de fortune ? Cela ne collait pas. Elle avait toujours pensé que les magiciens de fortune étaient des apprentis ratés, à peine capables de tenir une bougie allumée. Maître Gilain, lui, imposait le respect par sa seule présence. Quelque chose lui échappait, quelque chose d’important.

- Tu crois qu’il a reçu Lycronus en privé, lui aussi ? reprit Julie avec un ton faussement détaché.

Amanda roula des yeux.

- Qu’en sais-je ? répondit-elle sèchement.

- Remarque, vu que ce n’est pas un magicien de fortune… murmura Julie avec un sourire narquois.

Amanda s’arrêta net, ses yeux lançant des éclairs.

- Bien sûr que si ! s’exclama Amanda. Tu ne vas pas croire à ces rumeurs malsaines de…

- C’est qui ? la coupa Marlène, perdue au milieu de cet échange.

Julie eut un petit rire moqueur.

- Lycronus Stoffer. Un première année qui prétend être un magicien de fortune. Mais moi, je parie qu’il est un néomage, lâcha-t-elle avec un sourire carnassier.

Marlène sentit un frisson lui parcourir l’échine. Si un élève pouvait éveiller ce genre de soupçons, combien de temps avant qu’elle-même ne devienne la cible de telles rumeurs ?

- C’est n’importe quoi ! gronda Amanda. Pure jalousie mesquine ! Un néomage ne serait pas capable d’identifier un quelconque objet magique vu qu’il ignorerait tout de ce monde.

- Un magicien de fortune non plus, riposta Julie en pointant Marlène du menton. Regarde Marlène.

Marlène se raidit, blessée d’être ainsi mise en avant comme preuve d’incompétence.

- Lycronus Stoffer est un menteur, conclut Julie en croisant les bras. Tu es bien la seule ici à le soutenir, Amanda. Pourquoi, d’ailleurs ?

Amanda se figea, puis lança un regard furibond à Julie.

- Va te faire foutre.

Le silence qui suivit était électrique. Marlène sentait que la tension risquait d’exploser.

- Et si on bannissait ce sujet de conversation ? proposa-t-elle, cherchant à calmer le jeu. On dit que Lycronus Stoffer devient un mot interdit.

- Ça fait deux mots, contra Julie, un sourire insolent aux lèvres.

Marlène lui renvoya un regard narquois. Julie finit par soupirer et hocha la tête.

- D’accord. On n’en parle plus. Ça te va, Amanda ?

La brune détourna les yeux, les lèvres pincées. Marlène devina que non, cela ne lui convenait pas du tout. Pourtant, Amanda acquiesça, visiblement à contrecœur. Grâce à ce pacte, la sortie au centre commercial se passa à merveille.

Les filles entrèrent dans toutes les boutiques. Marlène découvrit le double prix, en euros sur des étiquettes classiques, en um sur la gnosie. Marlène ne contrôlant pas cette dernière, elle ne put comprendre les affichettes mais ne s’en préoccupa pas. Elle n’était pas là pour acheter mais s’amuser. Cependant, aucun élève ne sembla acheter quoi que ce soit, ce qui finit par piquer sa curiosité.

  • - Pourquoi personne ne prend rien ? demanda-t-elle.

Julie s’arrêta devant une étagère d’accessoires en cuir fin et se retourna, un sourire sarcastique sur les lèvres.

- On n’a pas le droit d’utiliser la magie pour autre chose que nos études, expliqua-t-elle. Pas tant qu’on est encore à l’école.

Marlène, n’ayant pas lu l’intégralité du contrat, l’ignorait. Elle ancra l’information dans son esprit, se promettant de faire attention.

- C’est pour que notre énergie reste orientée vers le "bon usage", précisa Julie, imitant la voix pompeuse d’un professeur. Et ça rassure les parents.

- Et puis comme ça, intervint Amanda en riant, pas de boule puante ou de bonbons aux goûts bizarres, de bizutage ou de blagues magiques pas drôles. La moindre utilisation non éducative de nos pouvoirs et on peut se faire virer.

Marlène frémit. Elle utilisait sa magie pour appeler ses parents. Était-elle hors la loi en agissant de la sorte ? Maître Gourdon lui avait assuré qu’en le faisant, elle travaillait puisqu’elle s’entraînait à utiliser un objet magique. Certes, mais lorsque cela deviendrait naturel et facile, aurait-elle toujours cette possibilité ?

- J’utilise ma magie personnelle pour appeler mes parents, avoua Marlène. C’est interdit, ça aussi ?

Julie posa une main sur sa hanche et la fixa comme si elle venait d’avouer un crime.

- Bien sûr que c’est interdit ! lança-t-elle. L’école fournit tout ce qu’il faut pour ça. Tu dois demander au guide l’autorisation, indiquer pourquoi tu as besoin d’utiliser du grès, et hop, tu te sers.

- Et si je continue comme je fais ? risqua Marlène, mal à l’aise.

Amanda répondit avant que Julie ne puisse ouvrir la bouche.

- Ce n’est pas seulement une expulsion que tu risques, dit-elle avec gravité. C’est une amende assortie d’une peine de prison.

Le souffle de Marlène se bloqua. Elle sentit son cœur s’accélérer. Aucune de ces règles ne lui avait été expliquée, et surtout pas par Maître Gourdon, qui l’avait pourtant vue utiliser son guide sans rien dire.

Elle désigna un groupe d’élèves de l’autre côté du hall lumineux.

- Ils achètent des bonbons ! protesta-t-elle.

Julie tourna la tête vers eux, puis haussa les épaules avec un sourire moqueur.

- Et alors ? grimaça-t-elle.

- Mais… tu viens de dire qu’on ne peut rien acheter avec la magie !

Julie leva les yeux au ciel.

- Ils les ont payés en euros ! Avec du vrai argent ! Apprends un peu à distinguer les choses, Marlène.

Amanda lui lança un regard apaisant, mais Julie ne lui laissa pas le temps de parler.

- Bon, j’ai envie d’une glace. Ça vous tente ?

- Je n’ai pas d’argent, admit Marlène en baissant les yeux.

Un silence gênant s’installa. Ses parents ne pouvaient pas se permettre de lui donner de l’argent de poche, et Didier aurait probablement jugé une glace totalement superflue.

Julie éclata de rire.

- T’en fais pas, je t’invite !

Marlène rougit mais accepta. Elles partagèrent une montagne de glace fraise, vanille et noix de coco, concluant l’après-midi sur des éclats de rire. Pour un instant, Marlène oublia ses inquiétudes et savoura ce moment suspendu.

Le lendemain ne réserva aucune amélioration pour Marlène. La bulle refusait toujours de disparaître, la narguant de son imperméabilité. Elle tenta de se changer les idées en rejoignant une partie de basket. Le sport l’aida à relâcher un peu la tension, mais ce fut un répit bien éphémère.

Le matin suivant, seule dans sa chambre, Marlène décida de tenter une autre approche. Elle activa le guide et formula une requête :

- J’aimerais appeler mes parents en utilisant les réserves de l’école.

« Compétence pas encore acquise », répondit le guide.

Marlène fronça les sourcils.

- Ça veut dire que j’ai le droit d’utiliser ma propre magie ?

« Tant que la compétence ne sera pas acquise, oui. Cela fait partie de votre apprentissage. »

Elle hocha la tête, partagée entre soulagement et perplexité.

- Et… comment je saurai quand je peux utiliser les réserves ?

« Les professeurs décideront quand le moment sera venu et je vous préviendrai. »

Marlène poussa un soupir d’aise. Ses épaules tendues depuis la veille se relâchèrent. Elle ne transgressait pas les règles, du moins pas encore. C’était suffisant pour l’apaiser.

Avec ce poids en moins, elle put appeler ses parents. La voix chaleureuse de sa mère résonna à travers le guide, emplissant la pièce d’une familiarité rassurante.

- Ma chérie ! Comment ça va ?

Marlène s’empressa de raconter sa nouvelle vie : la chambre confortable mais un peu impersonnelle, les repas parfois étranges, les camarades comme Julie et Amanda, les matchs de basket qui l’aidaient à oublier ses tracas, et même la sortie au centre commercial. Fidèle au conseil de Maître Gourdon, elle évita soigneusement toute mention explicite de magie.

- Je suis ravie de t’entendre aussi enthousiaste ! s’exclama Henriette avec un éclat de joie.

Didier montra une gaieté inattendue :

- Continue comme ça, Marlène.

La conversation se termina sur des vœux chaleureux, sans qu’aucune question ne soit posée sur ses études ou sur son apprentissage magique. Marlène en fut reconnaissante.

Elle laissa échapper un souffle soulagé et murmura :

- Merci, maître Gourdon, lança Marlène qui ne douta pas un seul instant que le professeur soit responsable de ça et qu’elle soit en train de l’écouter.

La semaine suivante s’écoula dans une morosité grandissante. Marlène, qui avait savouré la fierté d’avoir perçu la magie dès sa première tentative, s’était attendue à des progrès rapides. Mais rien n’allait comme prévu. La bulle restait hors de son contrôle. La gnosie lui causait des migraines terribles. Chaque échec pesait sur son moral.

Elle avait cru, avec naïveté, que le reste viendrait naturellement, comme une évidence. La réalité la rattrapait. Chaque jour, ses efforts se heurtaient à une inertie décourageante.

Pour couronner le tout, ses parents lui manquaient. Malgré leurs paroles rassurantes, l’absence de questions sur ses études creusait un vide. Marlène n’en voulait pas à sa famille, mais elle aurait aimé que quelqu’un, quelque part, lui dise qu’elle faisait ce qu’il fallait, qu’elle allait y arriver.

Elle s’endormait chaque soir avec la même pensée lancinante : Et si je n’étais pas à la hauteur ?

Dimanche, juste après son appel à ses parents, Marlène fut surprise de voir maître Gilain apparaître dans le parc intérieur où elle bavardait avec Julie et Amanda. Tous les élèves présents se levèrent par respect, le silence tombant comme une chape de plomb.

Le directeur fit signe à Marlène de le suivre.

Elle déglutit difficilement. Était-ce à propos de son manque de progrès ? Allait-il la rabrouer ? Pire, lui annoncer son renvoi ? Son cœur s’alourdit à cette pensée.

- Les professeurs m’ont rapporté que tu n’as fait aucun progrès cette semaine, entama maître Gilain alors qu’ils s’éloignaient.

Marlène baissa la tête, son estomac se nouant davantage. Il avait raison, évidemment. Elle était incapable de se défendre. Le silence s’éternisait, oppressant. Elle ne méritait pas sa place ici. Elle ne serait jamais la magicienne brillante qu'il avait espéré qu'elle serait.

- Je me suis dit qu'une petite distraction te serait agréable, continua maître Gilain.

Marlène se répéta plusieurs fois la phrase dans sa tête, mais fut incapable de la comprendre, malgré ses efforts.

- Entre, je t'en prie, dit le directeur.

Elle releva les yeux, décontenancée. Une distraction ? Avait-elle bien entendu ?

Sans un mot, elle continua de le suivre, son esprit tourbillonnant. Ce n’était pas le chemin du bureau du directeur. Ils traversèrent des couloirs qu’elle ne reconnaissait pas, jusqu’à atteindre une porte encastrée dans un haut mur de pierre blanche, ornée d’un panneau « Interdit au public ».

Le terme « public » piqua sa curiosité. Ne s’agissait-il pas plutôt d’interdire cet accès aux élèves ?

Maître Gilain ouvrit la porte et l’invita à entrer. Marlène hésita un instant, puis obtempéra. Elle se retrouva dans un couloir long et étroit, bordé de portes closes, leur alignement parfait accentuant l’austérité des lieux. Ignorant ces dernières, maître Gilain marcha jusqu’à une double porte battante qu’il poussa avec assurance.

Ce qu’elle découvrit de l’autre côté la laissa bouche bée. Une vaste arène, entourée de gradins en pierre, baignait dans une lumière douce. Le sol, couvert d’un sable fin, semblait absorber tout bruit. Un homme se tenait seul au centre, immobile, vêtu d’un jogging et d’un tee-shirt simples, en complet contraste avec la solennité du lieu.

Maître Gilain gravit un escalier sur la droite et s’assit sur un siège en hauteur, l’invitant d’un geste à le rejoindre. Elle s’exécuta, toujours aussi perdue.

- Marlène, si tu n’actives pas ta gnosie, tu ne risques pas de voir quoi que ce soit ! lança-t-il, comme si son silence l’irritait.

- Oh ! Oui, bien sûr, désolée ! répondit-elle en s’efforçant de se concentrer.

La déferlante de magie qui la frappa dès qu’elle activa sa perception la fit chanceler. Une intensité si brute et si sauvage qu’elle dut fermer les yeux sous le choc, une migraine éclatant instantanément dans son crâne.

- Magnifique, n'est-ce pas ? s’enthousiasma maître Gilain, insensible à sa souffrance.

- Franchement, monsieur, je ne suis pas sûre de ce que je viens de voir, avoua Marlène, la voix tremblante. Je ne contrôle pas encore ma gnosie. Je ne peux pas tenir une telle concentration.

- Il va falloir, pourtant ! La saison commence dans deux semaines. Tu ne comptes pas la rater, tout de même ?

- La saison ? répéta Marlène avant de comprendre. C'est du PBM ? Je viens de voir du PBM ?

- Un simple entraînement, qui est sur le point de se terminer, d'ailleurs, annonça maître Gilain.

Marlène comprit. L'homme, au centre, devait être l'entraîneur et elle l'avait vu car il ne bougeait pas. Y avait-il d'autres personnes autour de lui, les joueurs ? Probablement, mais Marlène ne maîtrisait pas assez sa gnosie pour en avoir avec certitude. À l'œil nu, on ne voyait rien. Les joueurs allaient-ils trop vite pour être visibles ? Si c'était le cas, Marlène était impressionnée et embêtée. Elle n'arrivait toujours pas à lire et garder la gnosie en même temps. Comment pourrait-elle seulement suivre ce genre de match ?

- Comment font les mauvais magiciens pour suivre le PBM ?

- Ils achètent l'énergie qu'ils n'ont pas, répondit maître Gilain comme si c'était une évidence.

- Non, mais je veux dire… commença Marlène, consciente que son ignorance en matière de magie rendait ses questions idiotes et surtout, terriblement difficiles à poser pour elle. Je ne parle pas de quantité de magie. Je sais qu'on peut l'acheter. En revanche, il faut savoir sacrément bien maîtriser sa gnosie pour suivre ça !

- Non, rétorqua maître Gilain. Les enfants le suivent sans difficulté. C'est l'énergie qui pose problème, pas le contrôle de la gnosie.

Marlène en soupira de dépit. Elle se sentit plus nulle que jamais. Elle échouait là où des enfants réussissaient sans peine.

- Ah ! L'entraînement est terminé pour aujourd'hui, annonça maître Gilain.

Marlène se tourna vers l'arène pour voir apparaître sur le sol dix élèves. En fait, « élèves » était un bien grand mot car d'eux, on ne voyait rien. Ils portaient tous le même uniforme : une combinaison de tissu qui recouvrait leur corps et dont le haut disparaissait sous un casque, masquant leur visage. Le vêtement était tout sauf moulant. Il était impossible de savoir de quel sexe était la personne sous le tissu. Il semblait résistant et souple à la fois. Détail supplémentaire, chacun d'eux portait trois cercles blancs. L'un au niveau de ses abdominaux, et un sur chaque épaule. Le costume était vert sombre et la visière du casque, verte également, ne laissait rien transparaître du regard du joueur.

- C'est… ouah ! Ils sont impressionnants ! s'exclama Marlène.

- C'est le but. Nous voulons terrifier nos adversaires ! Cette fois, nous allons gagner !

- Adversaires ? répéta Marlène. Quels adversaires ?

- Les élèves de l'école de Florence. Ça fait cinq années de suite qu'ils nous battent. Cette fois, ils vont pleurer. La directrice de l'école de Florence va enfin cesser de me narguer tous les jours.

Le ton de maître Gilain vibrait d’une fierté revancharde. Marlène, malgré sa confusion, sentit une pointe d’excitation monter en elle.

- Dans deux semaines, notre équipe vaincra Florence. Les élèves ne vont parler que de ça pendant des mois. Il serait dommage que tu ne sois pas en mesure de partager ça avec eux alors tu vas me faire le plaisir de t'améliorer !

Marlène hocha la tête, incapable de lui répondre autrement. Le directeur la pria de sortir tandis qu'il rejoignait les joueurs dans les vestiaires. Marlène resta un moment seule, perdue dans ses pensées. Voir ça lui avait donné envie de persévérer. En même temps, elle ne s'était jamais sentie aussi incompétente. Avant tout, elle voulait passer la bulle. Cette victoire lui redonnerait confiance. Elle sentait que ça fait, la gnosie viendrait tout seul. Seulement voilà, la bulle lui résistait.

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