Chapitre Six : Nuages
« Boule de cristal, boule de cristal, dis-moi que la vie est belle… »
Le mois d’avril débutait lentement et apparaissaient avec lui les premiers véritables rayons de soleil, les premiers bourgeons en fleur, les premiers oiseaux qui chantaient le printemps… et les premiers examens. Et la cité de Bobigny ne faisait pas exception à la règle.
Profitant d’une demi-journée banalisée, Joël et Camille s’étaient accordé une pause entre deux révisions au skateparc le plus proche. À l’ordinaire, la rouquine n’appréciait que très peu ce genre d’endroit, mais avec Joël à ses côtés, tout prenait une autre dimension. Ce skateparc, tagué sur toutes les surfaces, où des petits rigolos réalisaient des pirouettes ridicules à ses yeux, n’était pas un skateparc ordinaire. C’était le skateparc de Joël. Celui-là même où il passait son temps libre, celui-là même qui l’avait vu grandir, celui-là même qui faisait partie de sa vie. Il n’en fallait pas plus pour que Camille trouvât l’endroit plus ou moins agréable. D’autant plus qu’il était désert.
– Je venais souvent avec Martin, raconta le jeune homme, alors que le couple entrait dans le skateparc main dans la main. Qu’est-ce qu’on a pu s’amuser ici !
Camille perçut dans sa voix les regrets de l’adolescent et s’en voulut un peu. Elle se sentait responsable de l’éloignement de Martin. Car si Martin fuyait Joël, c’était surtout à cause des Espions.
– C’est la vie, lâcha-t-elle, sans quitter des yeux le bout de ses chaussures.
– Heureusement que t’es là.
Camille lui offrit un sourire contrit et laissa son regard vaguer sur la petite forêt verdoyante qui bordait le skateparc. Joël comprit qu’elle voulait changer de sujet. D’une légère pression sur sa main, il l’orienta vers un banc en pierre non loin de là. Elle le suivit tranquillement et lorsqu’elle ouvrit la bouche sur le chemin, ce fut pour le surprendre, comme elle le faisait à chaque fois où il s’y attendait le moins.
– T’aurais dû prendre ton skate, lança-t-elle à son plus grand étonnement. Tu m’aurais montré comment ça marche. Ça m’aurait intéressée, tu sais.
– Non ?! Toi, Camille Laurier, tu voudrais apprendre à faire du skate ?!
– Ça peut être utile, et j’aime ce qui est utile. Le skate est un bon moyen de prendre la fuite en cas de pépin, et c’est une arme non négligeable pour assommer les deux ou trois Espions qui t’emmerdent. Retiens bien ça, chéri !
– Dis donc ! siffla Joël, épaté. Mais c’est qu’il y en a, dans cette petite cervelle !
– C’est strictement stratégique, se défendit la jeune fille, qui lui donna un coup de coude dans les côtes.
– N’empêche, tu m’étonneras toujours.
Camille ne répondit pas et grimpa sur un muret pour rejoindre le banc. Joël voulut reprendre sa main, mais elle semblait ne pas en éprouver le besoin tant sa démarche était agile et gracieuse. Il avança donc à ses côtés, les mains dans les poches, non sans cesser de l’observer à la dérobée. Elle rayonnait. Et il en était dingue.
Le muret devenait de plus en plus grand et Camille en vit bientôt la fin. Elle voulut sauter pour rejoindre la terre ferme, mais Joël, en gentleman exemplaire, lui tendit les bras pour l’aider à descendre.
– Soit, céda la rouquine, qui se laissa glisser contre lui jusqu’à toucher le béton.
Une fois Camille de nouveau sur le sol, il la garda blottie dans ses bras, refusant de la laisser partir. La jeune fille, que ce contact ne dérangeait pas, éprouva tout de même beaucoup de gêne alors qu’il continuait de la dévisager fixement.
– T’as changé, annonça Joël.
– Ah ? Merde.
– Dis pas ça… Ça fait plaisir de te voir, euh…
– Mmmh ?
– Ben, plus souriante, plus vivante, tu vois ? Comment dire ? Bref. Ah, ça y est ! Épanouie, c’est le mot que je cherchais !
– Tu t’exprimes vachement bien pour un futur avocat, ironisa Camille. Je t’admire.
– Te fous pas de ma gueule, je suis sérieux.
Le minois de Camille s’éclaircit davantage et prit un air coquin.
– Je me demanderai toujours ce que tu me trouves, lui glissa-t-elle sur le ton de la confidence. Mais honnêtement, je m’en fous, parce que t’es à moi.
Joël savait que Camille n’appréciait pas les démonstrations publiques, et qu’il devait l’exception qu’elle avait faite ce jour-là au skateparc désert. Alors, il en profitait. L’endroit n’était certes pas très propice aux câlins, mais il y avait un sentiment de liberté qui enveloppait les deux amoureux. Joël était peu habitué au visage de Camille éclairé par le soleil, à ses cheveux acajou qui resplendissaient sous l’éclat de l’astre solaire et qui virevoltaient avec le vent léger autour d’elle. Il se sentait emprisonné dans le tourbillon de ses taches de rousseur, il brûlait sous son regard perçant et surtout, sa bouche pamplemousse l’empêchait de réfléchir correctement au meilleur moyen possible pour l’attirer dans un endroit secret et intime où il pourrait être plus expressif.
– Je cherche encore ce que c’est, le Truc, confia le jeune homme dans un murmure. Je n’ai toujours pas trouvé.
– Ça viendra, assura Camille sur le même ton. Promets-moi de me tenir au courant. J’aime ce genre d’anecdotes.
Il l’embrassa doucement, et il la sentit sourire sous ses lèvres. Elle glissa sa main dans ses cheveux. Il resserra sa prise. Elle nicha son nez au creux de son cou. Il dévora les miettes rousses sur ses joues. Elle rit. Il l’embrassa à nouveau, plus fougueusement.
À sa plus grande surprise, Camille cessa brusquement leur baiser et le repoussa sans ménagement. Joël, les bras ballants, mit du temps à redescendre du nuage sur lequel elle l’avait transporté.
– Euh ? fut tout ce qu’il trouva à dire.
La jeune Espionne s’était retournée et observait d’un air suspect la petite forêt du skateparc. Elle resta silencieuse, sourcils froncés et yeux plissés, à essayer de distinguer quelque chose entre les pins et cyprès. Joël se rapprocha d’elle, inquiet, et posa une main qui se voulait rassurante sur son épaule.
– Cam’, qu’est-ce que…
– Je ne sais pas, coupa Camille, intriguée. J’ai cru un instant que…
– Que quelqu’un nous observait ?
L’adolescente hocha la tête en guise d’affirmation.
– Mon pressentiment n’était pas comme d’habitude, fit-elle à voix basse, plus pour elle-même que pour le jeune homme. J’étais pourtant sûre que… J’ai dû me tromper.
Elle-même semblait peu convaincue, mais elle se résigna et s’assit le banc pour laisser courir ses pensées. Joël la rejoignit, déçu. La magie était brisée. Camille ne parvenait plus à se concentrer sur son petit ami et rongeait son pouce avec beaucoup d’inquiétude, jetant parfois des coups d’œil furtifs vers la petite forêt.
Une idée vint à l’esprit du jeune homme pour l’aider à lui changer les idées. Il fouilla toutes les poches de son baggy avant de retrouver son iPod bleu céleste. Camille fronça les sourcils alors que Joël approchait dangereusement le baladeur d’elle.
– Tiens, écoute.
– J’espère que c’est pas ton hip-hop merdique, là. Ou pire : Sean Paul.
– Non, t’inquiètes. Ça va te plaire, j’en suis sûr.
– Si tu oses me balancer Sean Paul dans le pavillon, je te descends, lança Camille d’un air menaçant.
– Écoute, insista l’adolescent.
Il lui enfonça doucement un des deux écouteurs de son iPod dans l’oreille, tripota son baladeur dix secondes et, sa réticence passée, la rouquine se concentra sur la musique qui la transportait. Peu à peu, force fut de constater que Joël Ajacier n’écoutait pas que des sons barbares.
– C’est qui ? demanda Camille, après un moment.
– Muse. Undisclosed Desires. T’aimes ?
– Beaucoup. Oh punaise !
– Quoi ?! paniqua Joël.
– On a un point en commun, nom de nom !
Ils éclatèrent de rire, et Camille se blottit davantage contre l’adolescent. Elle se sentait bien. Elle oublia ses craintes, la petite forêt et le reste. Joël faisait disparaître à lui tout seul ce sentiment d’insécurité. Tout allait bien, en fait. Tout était parfait.
À la fin de cette journée presque merveilleuse, chacun avait repris le chemin du retour de son côté. Pensive, Camille fredonnait l’air de la chanson que Joël lui avait fait connaître. Ce garçon était vraiment attachant. Elle l’aimait. Elle l’aimait encore plus parce qu’elle sentait devenir une autre personne au fil des jours. Quelqu’un de bien. Qui aimait et qui était aimé.
C’est avec le sourire que la jeune fille arriva dans sa cité. Pour une fois, elle ignora vraiment la dizaine d’immeubles grisâtres décorés de paraboles, et s’élança avec empressement vers le sien.
Joël, Joël, Joël…
La porte à moitié cassée claqua derrière elle, et elle préféra emprunter l’escalier de service plutôt que d’attendre l’ascenseur.
Joël, Joël, Joël…
Les six étages ne l’essoufflèrent pas le moins du monde. Elle se trouvait dans un rêve éveillé où Joël et elle domineraient le monde. Il n’y avait pas de garçons plus gentil, plus aimable et plus compréhensif que Joël Ajacier. Ses défauts n’existaient plus aux yeux de Camille. Elle l’aimait. Voilà. Elle l’avait avoué.
Joël, Joël, Joël…
Le cliquetis de son trousseau de clés résonna dans le couloir désert. Camille redescendit mollement et à contrecœur de son nuage d’amour, et glissa sa clé dans la serrure.
Un pressentiment la stoppa net dans son mouvement et termina de la faire revenir brusquement dans la réalité. Deux choses venaient troubler ce rituel quotidien : la serrure avait été forcée… et Douceur n’aboyait pas derrière la porte.
Un malheur était arrivé, Camille en était certaine. Elle reprit ses esprits et retrouva ses réflexes d’Espionne. Ignorant son cœur qui battait à folle allure, elle donna un grand coup de pied dans la porte déverrouillée et pénétra précipitamment dans son appartement. Le regard perçant de la rouquine balaya le salon, suspicieux. Douceur n’était pas là. Douceur restait silencieuse. Douceur faisait partie des abonnés absents… ou pas.
Camille connaissait ce silence pesant. C’était le silence de la mort.
– Douceur ! Fifille, t’es passée où ? appela Camille, une boule d’angoisse logée dans le ventre. Hé Douceur !
Elle eut beau siffler entre ses dents pour la héler, la chienne ne répondait pas. Après un court moment de silence qui parut terriblement long, Camille entendit des gémissements provenant de la cuisine. Elle laissa tomber ses affaires sur le sol et s’y précipita, affolée. Son cœur battait à tout rompre et son instinct lui soufflait qu’un malheur qu’elle redoutait tant était enfin arrivé. Elle s’arrêta à l’entrée de la cuisine, et ce qu’elle vit la pétrifia sur place.
Son père gisait sur le sol, inerte, Douceur blottie contre lui. La chienne leva un regard larmoyant sur sa maîtresse ; elle tremblait de tous ses membres. Camille, qui essayait de garder son sang-froid coûte que coûte, se jeta sur son père et l’examina aussitôt. Elle tâtonna fébrilement son corps glacé, comme pour deviner ce qu’il s’était passé quelques heures plutôt. Elle chercha son pouls, mais ne réussit pas à le trouver. Il n’y avait pas de sang sur le carrelage, ni sur ses vêtements. Seulement des traces bleutées autour de son cou. Il avait été étranglé. On l’avait étranglé. Il avait été assassiné.
De toute sa vie, jamais elle n’aurait cru assister à une scène aussi poignante. C’était son père. Son père qui était rentré, elle s’en souvenait maintenant, plus tôt de son travail. Son père avec qui elle parlait peu. Son père, son dernier parent, qu’elle aimait tant. Son père qui râlait quand Douceur perdait ses poils et lorsqu’il en découvrait sur le canapé. Son père qui souhaitait tant la voir avec un copain. Et qui finalement avait rencontré Joël, qu’il trouvait « bon garçon » et parfait pour elle.
La jeune fille n’avait plus la force de lutter contre l’immense chagrin qui l’avait envahie. Les larmes lui vinrent aux yeux sans qu’elle pût les arrêter. Elle cherchait encore désespérément son pouls, mais rien à faire, le cœur de Monsieur Laurier ne se manifestait pas. Il n’ouvrirait plus jamais les yeux.
Camille laissa éclater sa peine et lâcha un cri déchirant. Elle empoigna la chemise de son père, pleura, hurla, le secoua pour essayer de le ramener à la vie, pleura encore, brama des phrases inintelligibles, le visage ruisselant contre son torse, et ressentait un besoin de mourir à son tour. Camille laissait aller son chagrin. Camille était inconsolable. Camille était perdue.
Douceur, tremblant encore de peur et sûrement de douleur, vint se lover contre sa maîtresse pour lui apporter tout le réconfort dont elle était capable. La jeune fille releva péniblement la tête, le visage défait, les cheveux collés aux tempes et esquissa un très, très, très faible sourire à sa chienne. Elle enfouit son visage dans le pelage laiteux de Douceur, qui frottait tendrement son museau contre sa main.
Dix minutes plus tard et grâce à Douceur, Camille se sentit revigorée d’une force nouvelle. Elle renifla, sécha ses larmes, ignora son terrible mal de crâne et tenta de reprendre ses esprits. Ses traits se raffermirent et elle entra soudainement dans une colère noire, qu’elle essaya de tempérer au mieux.
– Ma fille, déclara-t-elle à sa chienne, le désormais seul être vivant dans l’appartement. Je vais nous venger, ne t’inquiète pas. Tu as eu peur, hein ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait, Douceur ? Ils t’ont frappé ?
Douceur gémit, et Camille supposa qu’elle avait vu juste. Ils paieraient. Pour avoir ôté la vie à son père, et pour avoir fait du mal à sa chienne. La jeune fille se tourna alors vers son père et prit sa main glacée dans la sienne qu’elle serra fort. Elle se pencha à son oreille et lui adressa ses dernières paroles.
– Papa, je te jure sur mon honneur que je tuerai ceux qui ont osé s’en prendre à toi. Toute ma vie, s’il le faut, je ne vivrai pas vraiment tant que je ne t’aurai pas vengé. Je les détruirai tous, jusqu’au dernier, sinon je vous rejoindrai, Maman et toi. Je te le jure. Michaël paiera.
Michaël. Il n’y avait que lui qui avait pu prendre une telle décision. Il n’y avait que lui. Penser au chef des Espions transforma la colère de Camille en rage folle et incontrôlable. Elle se releva dans un bond et sauta sur le premier tiroir de la cuisine pour en sortir un couteau de cuisine d’apparence très tranchante.
Après avoir confié à Douceur le soin de garder son père en attendant son retour, Camille quitta en trombe son appartement, sa cité et Bobigny. Sur la route de Paris, elle n’avait qu’en tête Michaël. Sa haine envers lui augmentait au fur et à mesure qu’elle s’approchait de la Place des Vosges.
Il allait payer, elle l’avait juré.
Le trajet jusqu’à Paris lui parut à la fois trop long et trop rapide. Long, parce qu’elle n’avait qu’une seule hâte : le retrouver. Rapide, parce que plongée dans ses pensées malveillantes, elle ne voyait pas le temps filer.
Le métro était bondé. Camille avait choisi dans sa folie d’assouvir sa vengeance à l’heure de pointe, alors que les Parisiens et banlieusards quittaient leur travail pour retrouver la douceur de leur foyer. Lorsqu’elle monta à bord de la rame, les voyageurs se tassèrent pour lui laisser un peu de place. Cette fille étrange, blanche de colère, les traits déformés par la haine, les mettait mal à l’aise et les dissuadait d’entrer dans ses mauvaises grâces.
Camille sentait contre sa peau son couteau caché sous sa veste, et elle passa le trajet sous-terrain à imaginer avec une once de plaisir la délivrance que serait de tuer Michaël. Elle pensait aussi à la force du chef des Espions et se dit que, finalement, ce serait elle qui allait mourir ce soir. Tant mieux.
Il lui fallait au moins essayer de venger son père ; mourir n’était qu’une option. Une option qui l’arrangerait bien, quand même.
La rame freina brutalement, et certains voyageurs trébuchèrent les uns sur les autres. Camille profita du concert de protestations et de l’agitation qui régnait pour sauter sur la porte et l’actionner. Celle-ci s’ouvrit dans un grand fracas, laissant la voie libre à la jeune fille qui bondit sur le quai et décampa vers la Place des Vosges.
Il s’avérait qu’elle était (très) attendue au quartier général des Espions. Michaël connaissait assez sa protégée pour appréhender ses réactions et se doutait bien que cette dernière allait dangereusement débarquer d’une minute à l’autre. Il avait donc anticipé et appelé une poignée d’Espions, dont Nathan et Eddy, informés par les évènements récents, et qui constituerait sa garde au cas où. Et les voilà qui attendaient désormais, tout en restant sur le qui-vive.
Quand la sonnette résonna dans l’hôtel, tous se redressèrent et Paul lança un regard interrogateur à Michaël.
– Ouvrez, Paul.
Les Espions se postèrent pour former une petite allée de protection autour de la porte. Michaël, qui avait deux hommes postés derrière lui, fixait cette dernière, attendant le moment redouté.
Enfin, la porte s’ouvrit dans un vacarme renversant et Paul se la reçut en pleine figure. Camille n’avait pas attendu le majordome et un coup de pied avait été suffisant pour se frayer un passage des plus directs menant à Michaël.
– Attrapez-la ! s’écria Nathan, alors que la rouquine bondissait en rugissant sur le chef des Espions, son couteau dégainé.
Ils se jetèrent tous sur Camille qui s’effondra sur le sol. Elle eut beau se débattre de toutes ses forces, leur hurler dans les oreilles, les griffer, les mordre, et même érafler l’avant-bras d’Eddy avec son arme, les Espions ne lâchèrent pas prise et firent de leur mieux pour la maîtriser. Nathan alla même jusqu’à la frapper dans le dos, là où un hématome s’était déjà formé depuis longtemps. La jeune fille rugit de douleur et lutta pour retenir ses larmes. Devant un tel spectacle, Michaël finit par réagir et imposa le retour au calme.
– Laissez-la ! Je m’en charge, ordonna-t-il, à la surprise de tous.
Obéissants bien qu’avec regrets pour certains, les Espions libérèrent l’adolescente et se reculèrent silencieusement. Camille était essoufflée et avait beaucoup de mal à reprendre une respiration régulière. Elle puisa dans les dernières ressources qu’il lui restait pour se mettre à genoux, ramasser son couteau, et enfin se relever péniblement. Debout face à Michaël, elle prit une grande inspiration et une dernière bouffée de courage, et bondit sur celui qui était désormais son ennemi.
C’est sans mal que le chef des Espions réceptionna une Camille épuisée mais haineuse, qui dardait son couteau de cuisine sur son torse et qu’il bloqua avec agilité son bras droit avant qu’elle ne portât un coup fatal. Il lui prit de force son arme et la jeta au loin, avant d’immobiliser contre lui sa jeune recrue.
– Espèce de salaud, je vais te tuer, tu m’entends ?! hurla Camille à pleins poumons, qui se débattait avec le peu de forces qu’elle possédait.
– Camille, je suis désolé, je n’ai pas eu le choix.
– Bien sûr que si, tu l’avais ! Si t’avais un problème, fallait m’en parler ! Lui, il ne t’avait rien fait ! Il ignorait tout de ton existence ! Je te hais ! T’entends, je te hais !
– Ce n’est pas moi qui l’ai tué, répliqua posément Michaël.
– Ne joue pas sur les mots ! Tu as ordonné à tes sbires de le faire à ta place, pour ne pas te salir les mains ! Comment t’as pu oser ?! Tu me dégoûtes !
Partagée entre la haine et la souffrance, Camille hésitait entre essayer de faire du mal à Michaël et laisser aller son chagrin. Au final, la fatigue l’emporta et elle choisit de faire les deux. Ne pouvant plus se retenir, elle éclata en sanglots et lui donna quelques petits coups de poing contre l’épaule, qui l’amusa plus qu’autre chose. Le chef des Espions desserra son emprise autour de son corps et prit le visage de la rouquine entre ses grandes mains pour qu’elle croisât son regard.
– Camille, écoute-moi, fit Michaël, très doux. Je suis sincèrement navré pour ce qui est arrivé. Ton père n’était déjà plus de ce monde depuis la disparition de ta mère. Tu sais tout comme moi qu’il était malheureux même s’il t’aimait énormément et que tu étais son seul point d’attache. Mais tu ne crois pas qu’il doit mieux se sentir là-haut, avec ta mère, plutôt que dans cette société minable ?
Camille buvait ses paroles. Il avait raison. Il avait totalement raison. Tel qu’elle le connaissait, son père se préférait sans doute mieux dans les étoiles avec son épouse que sur terre, dans ce monde pourri.
– Ce n’est pas nous qui l’avons tué, continua Michael. Enfin, techniquement, si. Mais tout ceci ne serait pas arrivé si Joël Ajacier n’avait pas été là.
– J-Joël ? bégaya l’Espionne, les yeux arrondis par l’étonnement.
– En quelque sorte, c’est lui le responsable, ne le nie pas.
– Mais… qu'est-ce qu’Ajacier vient faire là-dedans ?
– Ça ne se passe pas comme prévu, Camille, je le sais. Je suis très déçu de toi et de la tournure que prennent les choses.
La jeune fille demeura silencieuse, mais son cerveau fit l’impasse sur sa migraine naissance et lança l’alerte rouge. Elle devait réfléchir de toute urgence à un autre sujet de conversation capable de faire diversion, avant que Michaël allât plus loin dans son raisonnement et que la situation devînt véritablement dangereuse.
– Quel intérêt peux-tu trouver dans la mort de mon père ? attaqua Camille, irritée. Tu t’es mis dans le pétrin tout seul. Ton meurtre va attirer les flics, et ils ne lâcheront pas l’affaire tant qu’ils ne t’auront pas trouvé ! T’es content ? C’est ce que tu voulais ?!
– Qu’est-ce que ça peut me faire ? Jamais tu ne me dénonceras. D’une, tu as juré. De deux, si je vais en taule, toi aussi, et ça ne serait pas dans tes intérêts. Et puis, après tout, souligna Michaël, reprenant un air mauvais, si tu as pu leur reprendre la gourmette d’Ajacier, tu sauras très certainement te démerder avec les flics une seconde fois, non ?
Camille eut un mouvement de recul, surprise d’avoir été percée à jour. Puis elle comprit. Elle comprit, au vu de la colère croissante que ressentait Michaël vis-à-vis d’elle, que l’assassinat de son père n’était qu’une première retombée de sa trahison. Elle ne voyait que cette seule raison capable de justifier le geste de l’Espion, si toutefois un motif put justifier une telle cruauté. La jeune fille savait Michaël extrêmement rancunier. Il ne pardonnait pas certains faits qui allaient à l’encontre des valeurs qu’il défendait, et la trahison en faisait partie. Pour Camille, la fin de l’histoire était déjà tracée.
– La prochaine fois, Michaël, tue-moi, ça ira plus vite, lâcha l’Espionne, glaciale.
Les Espions regardaient en bons spectateurs leur chef et son ancienne protégée se tenir raides l’un en face de l’autre et se toiser de haut en bas. Les yeux froids de Michaël brûlaient d’une ardente animosité. Jamais personne n’aurait cru un jour qu’il se mettrait à dos la petite Camille.
– Oui, tu peux me tuer si t’es en colère. J’m’en fous. J’ai plus rien à perdre. Tu m’as tout pris. Et tu me le paieras. Juré.
Haineuse, elle cracha à ses pieds, tourna les talons et quitta l’hôtel sous le regard choqué des autres Espions.
Ce soir-là, Michaël ne monta pas sur le toit de la Place des Vosges pour admirer la finesse de Camille dans le jardin. C’était fini.
Au lendemain du meurtre de son père, après avoir passé une nuit blanche, à pleurer et à avoir mal au crâne, Camille décida de commencer par se rendre au lycée. Elle avait déjà appelé la Vie Scolaire pour signaler son absence de cette semaine, mais elle désirait au moins voir Joël. Une dernière fois.
Ce dernier l’attendait comme toujours, adossé à la grille. Frétillant d’impatience, il guettait l’horizon et l’arrivée de Camille, qui était devenue son unique raison de se lever le matin. Enfin, il la vit venir à sa rencontre, les mains dans les poches, les yeux rivés sur le trottoir et le sourire inexistant. C’était comme ça tous les matins. Camille ne se détendait et ne souriait que lorsque Joël l’étreignait amoureusement.
Mais ce matin-là ne ressemblait pas aux précédents. L’adolescent nota quelque chose d’étrange : Douceur accompagnait Camille. La jeune fille tenait sa laisse dans sa poche, limitant ainsi la distance entre sa chienne et elle, et l’animal n’affichait pas le même air joyeux que d’habitude. Joël n’eut pas le loisir de s’étonner davantage, car le plaisir de voir Camille reprit le dessus dans ses pensées. Il se précipita sur elle pour l’enlacer, mais cette dernière le repoussa fermement et garda une froide réserve à son égard.
– Béh alors ? lâcha Joël, qui laissa retomber bêtement ses bras le long de son corps.
Il remarqua que les yeux de la rouquine étaient infectés de sang et qu’un poids de cernes s’était accumulé sous ses paupières. Lorsque Camille ouvrit sa bouche desséchée, ce fut pour abandonner d’une traite, avec la même tonalité qu’un zombi :
– Je suis venue te dire que je ne viendrai pas au lycée cette semaine.
– T’aurais pu me le dire par téléphone, ça t’aurait évité un déplacement, ironisa Joël, avant de reprendre plus sérieusement. J’en conclus que t’avais aussi envie de me voir. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Pourquoi Douceur et toi tirez-vous une tête d’enterrement ?
– Parce que j’enterre mon père, justement, répliqua Camille, une once de méchanceté perceptible dans la voix.
Joël se prit la plus belle claque mentale de sa vie. Il blêmit instantanément, puis eut un mouvement de recul, avant de porter la main à sa bouche pour étouffer un juron. Ses lèvres tremblèrent même un peu, et Camille se demanda s’il n’allait pas se mettre à pleurer un peu comme si elle lui avait annoncé le décès de son père à lui.
Après un petit moment durant lequel Joël mesura l’ampleur d’un si funeste évènement, il happa la jeune fille dans ses bras en faisant fi de sa résistance et la berça contre lui.
– J’suis désolé, Cam… J’suis tellement con dès fois… Comment c’est arrivé ? Non, oublie, t’es pas obligée de répondre, ce n’est pas fin de ma part… Putain, c’est vraiment pas juste.
– Il a été tué, laissa tomber Camille tout en se dégageant de son étreinte. Je l’ai trouvé hier soir, dans la cuisine, quand je rentrai du… Bref. Douceur a également eu son compte. Je suppose qu’elle a défendu son steak (enfin, mon père), et elle a été légèrement battue. Tu comprends donc que je m’absente quelque temps…
Joël hocha la tête, et se baissa pour caresser la gorge de Douceur. Celle-ci recula d’abord, craintive, puis reconnaissant le jeune homme, se laissa faire non sans rester sur ses gardes. Les gratouilles de Joël l’avaient toujours apaisée.
– J’ai beaucoup de choses à régler, continua Camille. La déclaration du décès, les funérailles, la banque et tout le reste, parce que je me retrouve indépendante et mineure, et bref, ça va être le bordel.
– Je comprends.
– J’ai du pain sur la planche, Joël, et…
– Et ?
– Et je vais mettre notre histoire en suspens pour le moment.
– Oh… Je vois. C’est normal. T’as autre chose à penser.
Ils se turent, tous deux très gênés et ne sachant quoi dire. La jeune fille le dévisagea une dernière fois, puis tira sur la laisse pour informer Douceur qu’elles quittaient les lieux.
– Bon… annonça-t-elle à Joël, en faisant quelques pas en arrière. Je dois y aller. Ciao.
Elle lui tourna le dos et s’en alla, Douceur sur les talons. Joël la regarda tristement s’éloigner et imagina la souffrance qu’elle devait probablement ressentir à présent. Camille Laurier n’avait désormais ni père, ni mère, ni famille. La douleur d’avoir perdu le seul être qui comptait encore à ses yeux devait être cent fois plus intense quand on savait que sa mort n’avait rien de naturel et qu’elle avait été préméditée.
– Camille, attends !
La jeune fille se retourna, étonnée, et lui lança un regard interrogateur. À ses côtés, Douceur espérait en secret une présence plus longue de Joël. Ce dernier les rejoignait d’un pas rapide, avec l’assurance de celui qui refusait de rester sur le carreau.
– Je viens avec toi.
– Quoi ?
– Toutes ces démarches… C’est lourd à gérer. Et difficile moralement. Cam’, tu ne vas pas t’en sortir toute seule. T’as besoin de quelqu’un pour t’aider à supporter tout ça. Je viens avec toi.
Camille n’eut pas le cœur à refuser, et de toute façon, Joël ne lui laissa pas le choix. C’est ainsi qu’il la suivit partout, dans toutes ces démarches ardues et qui ne soulageaient en rien son chagrin.
Si elle resta silencieuse et amère durant toute la préparation des obsèques de son père, Camille apprécia secrètement la présence de Joël. Elle se montrait souvent désagréable avec lui, car les paroles de Michaël étaient encore bien ancrées dans sa mémoire. Michaël avait raison sur un point : si l’adolescent n’avait pas été là, tout ceci ne serait jamais arrivé.
Et pourtant, Joël, fidèle à lui-même et surtout fidèle à la jeune fille, avait été le seul à rester à ses côtés pendant cette sinistre semaine pour la soutenir. Il l’avait accompagnée à la mairie pour déclarer le décès de son père, chez le curé et chez les différents services de pompes funèbres. Il était resté également avec elle lorsque la très légendaire Brigade Criminelle était venue interroger Camille. C’était lui qui avait retenu la rouquine quand elle s’était évanouie en trouvant la Crim’ sur le pas de sa porte. Lui encore qui l’avait épaulée durant l’interrogatoire des flics qui, malgré leur délicatesse, avait remué le couteau dans la plaie encore ouverte.
Camille savait que la Brigade Criminelle connaîtrait la vérité un jour ou l’autre. La Crim’ avait la réputation de prendre son temps pour enquêter, mais elle résolvait trois fois sur quatre une affaire, parfois même des années après les faits. À dire vrai, la rouquine se voyait déjà en prison. Michaël ne la soutiendrait pas cette fois-ci. Michaël ne la soutiendrait plus jamais.
L’équipe de flics, qui avait reçu l’affaire sur leur bureau, s’était montrée très compréhensive et avait même proposé à la jeune fille encore sous le choc de reporter l’interrogatoire. Camille avait refusé et joué la carte de l’honnêteté lorsqu’ils lui avaient posé leurs questions.
– Votre père avait-il des ennemis ?
– Non, pas que je sache. On n’avait même pas d’amis. Nous étions une famille très fermée. Mais…
Incertaine, elle avait regardé Joël, qui lui tenait toujours la main. Ce dernier l’avait encouragé à continuer. Le commissaire et son adjoint n’avaient fait aucun commentaire, attendant la suite. Douceur se tenait assise à leur côté, supervisant l’interrogatoire avec la sagesse d’un juge.
– Non, c’est débile.
– Rien n’est débile, avait rassuré le commissaire, qui lui avait offert un sourire d’encouragement.
– En fait, je fréquente Joël depuis quelques mois… Je ne vais pas dire qu’on a peur, je ne sais pas si on peut parler de peur, après tout, on n’est pas vraiment concerné… Non, c’est plus de l’inquiétude. Nous parlons souvent des Espions entre nous, pas vrai, Joël ? – Le jeune homme avait hoché la tête, très sérieux – Il nous arrive parfois de nous inquiéter, parce que son père trempe beaucoup dans la politique. C’est Pierre Ajacier, je ne sais pas si vous le connaissez, il est sénateur. Il est très influent au Parlement.
– Mon père est à l’origine d’un projet de loi pour contrer le terrorisme et les Espions. Dès fois, avec Camille, on va loin dans le raisonnement. On ne sait pas de quoi ils sont capables, ni ce qu’ils ont en tête.
– Est-ce qu’ils peuvent s’en prendre à moi en s’en prenant à mon père, pour s’en prendre à Joël, et donc, à son père ? avait lâché Camille sans réfléchir, avant de rougir. Vous voyez, c’est débile et surtout très irréaliste. Je n’accuse personne, mais à part cette hypothèse absurde concernant les Espions, je ne vois pas quoi vous dire. Mon père n’avait pas d’ennemis, c’était quelqu’un sans problèmes et très apprécié, tous ses collègues de travail vous le diront.
Les flics avaient montré un grand intérêt à cette remarque et pris soin de la noter sur papier dans les moindres détails. Camille avait été fort surprise de constater que la Crim’ dirigeait leur piste plus vers les Espions que vers elle. Sans leur mentir, ni sans leur dire la vérité, ses propos semblaient avoir convaincu la Police Judiciaire que la jeune fille n’avait rien à voir dans le meurtre de Monsieur Laurier. Camille en avait été fort soulagée et avait pu se consacrer aux obsèques de son père sans contrariétés supplémentaires.
L’enterrement de Monsieur Laurier eut lieu le vendredi suivant, le jour des vacances de Pâques, au cimetière du Père Lachaise, à Paris. Bien entendu, Joël et Camille n’étaient plus allés au lycée depuis le lendemain du meurtre.
Malgré le peu d’attention de Camille à son égard, Joël avait tenu à être présent encore pour les obsèques de Monsieur Laurier. En fait, ils étaient au nombre de trois pour lui faire des adieux : Camille, Joël et Douceur, qui avait eu l’autorisation exceptionnelle d’entrer dans le cimetière. L’animal était encore craintif et ne se décollait plus de sa maîtresse. À la suite d’une visite chez le vétérinaire qui avait ausculté Douceur, il était ressorti que la chienne n’avait rien de cassé sinon un traumatisme important.
– Mes parents s’excusent de ne pas avoir pu se libérer, annonça Joël à voix basse, mais ils te transmettent leurs condoléances et ont dit qu’ils t’appelleraient.
Camille ne répondit pas et se contenta de caresser la tête de Douceur qui, visiblement, se posait des questions sur le grand trou creusé dans la terre et le cercueil en bois verni croulant sous les fleurs non loin d’elle.
Alors que le curé allait commencer cette cérémonie en petit comité, un intrus arriva devant la tombe des Laurier. Douceur grogna aussitôt et alla même à montrer ses canines pointues, menaçante. Joël se demanda alors qui pouvait bien être cet immense homme blond à la peau si blanche, portant des lunettes de soleil, et d’apparence si raide et froide. Le jeune Ajacier ne le savait pas, mais il avait devant lui le chef des Espions en personne.
Quand Camille le vit, elle perdit le peu de couleur qui lui restait sur les joues, et entra dans une colère noire.
– Qu’est-ce que tu fous ici ?! Tu ne manques pas de culot ! Tu n’as strictement rien à faire à l’enterrement de mon père, espèce de salaud !
L’Espion, imperturbable, ignora l’agressivité de Douceur et sa maîtresse, et se baissa à son niveau pour poser ses grandes mains sur ses épaules.
– Quoique tu puisses en penser, Camille, j’avais très haute estime de ton père et je regrette sincèrement sa disparition. Je suis venu non seulement pour te soutenir dans cette terrible épreuve, mais aussi pour lui dire au revoir une dernière fois.
Camille marmonna quelque chose qui se rapprochait plus ou moins de « C’est la meilleure ! », mais Michaël feignit de ne pas l’entendre. Il se tourna vers Joël et ôta ses lunettes de soleil pour le dévisager à l’œil nu. L’adolescent rencontra son regard bleu glacé et réprima un frisson. Avec un petit sourire niché au coin de ses lèvres fines, le chef des Espions lui tendit une main que le jeune homme serra sans le quitter des yeux. Il le gratifia d’un « Bonjour, Joël », étonnant davantage ce dernier qui ne se souvenait pas l’avoir déjà rencontré. Camille fit les présentations bien malgré elle et avec beaucoup de mauvaise foi. La jeune fille présenta Michaël comme son « fameux cousin » et précisa qu’elle ne le voyait presque jamais, car « la famille, tu sais ce que c’est, Joël, c’est que des emmerdes ».
C’était quand même mieux que de dire : « Joël, permets-moi de te présenter Michaël, le chef des Espions en personne (eh oui ! c’est dingue, le monde est petit, n’est-ce pas ?), responsable de la mort de mon père parce que je t’aime (ce qui est plutôt con, quand même, hein) ! Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? Ahaha, oui, désolée, j’avais oublié de te préciser ce petit détail de rien du tout : que je suis sous ses ordres, donc une Espionne qui te berne depuis le début, mais bon, que penses-tu de cet écureuil ? ».
– Enchanté, répondit poliment Joël. J’aurais préféré faire votre connaissance dans d’autres circonstances.
– Moi aussi, fit Michaël, très sérieux. Moi aussi… Dans d’autres circonstances.
Joël vit qu’il l’observait étrangement, et son regard perçant le mit très mal à l’aise. Heureusement, le curé interrompit ce curieux échange en exprimant sa volonté de voir les obsèques débuter. Camille jeta un regard furieux à Joël et Michaël qu’elle tenait pour responsables de ce retard et fit signe au curé de commencer la cérémonie.
Joël fut étonné par la résistance au chagrin que montra Camille au cours des funérailles de son père. Ses yeux n’avaient pas quitté le cercueil une seule fois, de la prière jusqu’à sa descente dans la tombe. Alors que lui-même avait les yeux humides, elle, elle n’avait pas pleuré. Elle n’avait pas envie de se montrer si faible devant Michaël, qui lui aussi, répétait à voix basse les psaumes prononcés par le curé. L’Espion respectait trop les morts et le père de Camille pour se permettre un silence indifférent.
Douceur gémissait. Elle flairait cette lugubre ambiance qui la gênait et la poussait à se retrancher dans une triste discrétion. La jeune fille continuait de lui caresser sa tête soyeuse, sans décoller sa vue du cercueil.
Puis, vint le moment où le père de Camille fut descendu dans la fosse, aux côtés de sa tendre épouse, que Joël et Michaël n’avaient jamais connue. La rouquine s’approcha fébrilement de la tombe pour jeter une poignée de roses et y resta devant, immobile, à regarder la terre recouvrir peu à peu son père.
Encore quelques coups de pelle, et ce serait Joël qui la cueillerait en larmes dans ses bras, Michaël qui disparaîtrait comme un voleur à la vue du couple enlacé, et une page qui se tournerait. Définitivement.
Il fallait une fin à cette histoire. Camille ne voulait plus jouer. Ni avec Joël, ni avec Michaël. Elle en avait assez de porter un si lourd fardeau sur ses épaules. Elle avait tout perdu dans cette affaire. Ne resteraient que les remords. D’être allée trop loin avec Joël Ajacier. D’avoir envoyé son propre père vers une mort certaine.
Elle était lasse. Lasse de jouer, lasse de mentir, lasse d’aimer, lasse de souffrir, lasse de vivre.
Elle avait décidé de tout arrêter. Et elle en avait fait part par téléphone à Michaël qui, particulièrement froid et distant, ne lui avait répondu que par une date, une heure et un lieu : vendredi 23 avril 2010, 21h00, gare désaffectée de Bobigny.
– C’est Camille, marmonna la jeune fille, dès que Joël eut décroché son portable.
– Camille !
Au fond d’elle, la rouquine fut touchée par la chaleur présente dans la voix du jeune Ajacier. Elle sentait qu’il était réellement heureux de l’entendre. En effet, Camille s’efforçait de l’ignorer de son mieux depuis l’enterrement de son père et refusait tout rapprochement avec lui. Bien qu’attristé par cet éloignement, le jeune homme s’était fait à l’idée qu’elle avait besoin de temps et de solitude pour se retrouver avec elle-même, afin de faire le deuil de son dernier parent.
– Je dois te parler. J’ai besoin de te voir.
– J’arrive tout de suite ! s’empressa de répondre Joël, déjà prêt à quitter son domicile.
– Non. On se retrouve demain, gare désaffectée de Bobigny, à 21 heures.
Camille raccrocha sans attendre une réponse. Elle savait qu’il viendrait. Il avait mordu à l’hameçon bien avant l’heure. Il suffisait maintenant de remonter la ligne et d’attraper ce poisson bien dodu pour l’enfermer dans un panier. Mais ça, ce n’était pas le job de l’Espionne.
Ce n’était plus qu’une question d’heures, désormais.
Avant que Joël Ajacier ne fît la connaissance des Espions.
Et de Michaël.
« Que dois-je dire quand tout est fini ? »
Pauvre Camille... On comprend sa colère, sa peine, son désarroi. Décidément, cette histoire partait mal dès le départ... mais je ne pensais vraiment pas que ce serait son père qui en pâtirait le premier. Finalement, Camille n'est qu'une petite fille qui découvre soudain que le monde dans lequel elle évolue est trop grand pour elle. Pauvre Douceur aussi... au début j'ai cru que c'était elle qui était morte, et je suis contente qu'elle aille bien, et qu'elle soit là pour réconforter Camille.
Le clash entre Michaël et Camille m'a donné des frissons. Il y a définitivement quelque chose de brisé dans ce chapitre. Et pourtant le caractère de l'un et de l'autre ne dévie pas d'un pouce. On en vient à comprendre (mais pas à accepter) les raisons de Michaël, tout comme on comprend l'attachement de Camille pour Joël, qui devient une attache vers la normalité.
C'est finement raconté, bravo. La psychologie des uns et des autres est bien abordée, tu n'en fais pas trop. Une autre cassure est en vue, celle qui va se produire quand Joël va comprendre le piège dans lequel l'aura mené Camille. Pauvre, pauvre Camille qui en une mission, va tout perdre, son père, sa vie, son amour... Quel genre d'adulte va-t-elle devenir après ça ? Tu nous donnes envie de la suivre jusqu'au bout, cette Polichinelle... Bravo !
Ce qu'a fait Michaël est impardonnable, c'est vrai, mais il n'avait pas vraiment d'autres choix pour faire revenir Cam' à la réalité... T_T C'est ZE chapitre qui retourne la situation, et qui va changer un peu Camille, mais juste un peu. Enfin, je ne peux pas en dire plus mais Cam' n'a pas le beau rôle dans cette histoire, et malheureusement, ça commence avec la mort de son père... T_T
Encore une fois, merci merci merci beaucoup pour tes compliments qui me font sautiller de joie. :)
Tu es sadique. Tout commence bien, trop bien, on en oublierait presque la menace, qui plane au-dessus de Camille... et d'un seul coup, tu nous la rappelle au travers de la mort de son père. Au début, j'ai pensé qu'il était mort, et que Douceur avait connu le même sort. Ce n'est pas le cas, même si c'est une bien maigre consolation...
Camille perd son père. Camille perd l'estime de Michael. L'amour se transforme en haine, ce qui paraît assez logique et Michaël oublie un peu que c'est un peu de sa faute toute cette histoire. Non parce que s'il n'avait pas recruté Camille, s'il ne l'avait pas mise sur une telle mission, s'il n'avait pas éprouvé certains sentiments à son égard... les choses ne se termineraient pas ainsi... D'ailleurs peut-on espérer un fin heureuse, j'ai un peu de mal à y croire à la fin de ce chapitre.
Je n'aime pas Michaël, je ne veux pas l'aimer. En même temps, sans lui, Camille ne se serait peut-être pas autant intéressée à Joël... du coup, ça le rend utile sur une chose, même si c'est cette chose, qui est aussi le nœud du drame. Il n'empêche que Michaël est un personnage réussi, qu'il fait un bon méchant pour cette intrigue, quelqu'un de très crédible et réaliste...
C'est un chapitre sombre, qui inquiète quant à la suite des événements. S'il te plaît... sois pas trop méchante... enfin si, tu peux cramer Michaël, le faire rôtir en enfer, l'éviscérer, l'écorché vif, le torturer... etc. Ce sera bien fait pour lui, mais préserve Camille et Joël, Camille a vraiment trop souffert... s'il te plaît *yeux suppliants *
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Une fin heureuse, je veux bien, mais qu'est-ce que tu entends par "fin heureuse" ? Parce que même si tout va mieux pour le meilleur des mondes, le papa de Camille ne sera tout de même plus là... et la rivalité entre Camille et Michaël ne fait que commencer, j'en ai bien peur... J'avoue que Michaël a sa part de responsabilité dans cette histoire, mais Camille n'est pas en reste non plus... C'est elle qui a insisté auprès de Michaël pour réaliser enfin une missio, sa toute première (et sa toute dernière), et elle aurait pu dire à Joël qu'elle ne voulait pas aller plus loin... (mais que peut-on faire contre l'amour, justement ? that is a good question...)
C'est sûr qu'il est mieux de ne pas s'attacher à Michaël, mais tout de même, il a un bon fond... Mais vraiment que le fond quoi (et le fond est bas, très très très bas). Malgré ça, il reste LE méchant de l'histoire, donc bon fond ou pas, il ne vaut mieux pas l'aimer. ^^"
Et pour le chapitre d'après... T_T Désolée, Aresyaaa, désolée... T_T Il fallait bien des victimes... T_T
Je suis sincèrement désolée, mais moi non plus, j'avais pas le choix... T_T Mais d'un autre côté, tu vois, je suis contente de briser l'image qu'on a de moi. =D Oui, j'aime la romance, oui, j'aime les happy-end, mais pas quand tout est rose comme un marshmallow ! =D *double câlin de consolation*
La disparition de Monsieur Laurier me touche aussi, et c'était pas joyeux de l'écrire, mais c'était malheureusement nécessaire... T_T (Et puis, parce que je tiens à toi, jamais je te laisserai seule avec Michaël, sinon ce serait lui qui te zigouillerait... =D)
Ce chapitre est celui qui m'a posé le plus de problèmes et qui ne m'a pas totalement satisfaite ; cependant, je suis contente de voir les effets sur toi. =D Pour Joël, j'ai peur de l'avoir fait évoluer trop vite (je l'aurais bien vu encore pourri gâté pour quelques chapitres, mais bon... c'est l'amour, hein). Et il changera encore. Monsieur n'est qu'à une étape intermédiaire, là. xD
Je veux pas te décourager, mais je confirme : le pire reste à venir. =D Au prochain chapitre. Joël risque pas mal, mais Camille aussi, voire plus. Ca va saigner, mais à part ça, je ne veux pas t'affoler. =D En tout cas, je vais faire de mon mieux pour booster et terminer ce chapitre ce mois-ci. On y croit.
Et le meilleur pour la fin : MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI (un merci pour chaque chapitre ^^) ! Merci pour ton soutien, et tes gentils commentaires qui m'ont ramolli mon petit coeur. T_T Et un énoooooorme bisoudoux d'amour ! (Et un câlin, encore, pour m'excuser pour M. Laurier)
La première partie du chapitre dégage une atmosphère délicieuse, on se sent dans un petit cocon chaud avec une Camille qui ouvre peu à peu son coeur et Joël qui s'attache de plus en plus à elle. J'étais toute chose, toute miel. C'était vraiment trop mignon...
J'aime autant te dire que la suite m'a fait l'effet d'une claque. Bon, le truc est que j'ose pas trop mentionner la chose en commentaire car il y a toujours des petits malins (*reluque à droite et à gauche*) qui aiment lire les reviews avant les chapitres : ou comment tuer le suspense d'un auteur... Bon, je vais dire "le mort" pour rester assez vague.
Bref, je disais donc : lorsque Camille découvre "le mort", ça m'a fait une giffle. Et là, j'ai vraiment compris ce que tu voulais me dire au sujet de Michaël : non, non, ce n'est décidément ni un ange, ni un Robin des Bois. Il est fascinant, c'est un fait (et c'est qu'il arriverait presque à nous ébranler avec ses belles paroles oO' le culotté !), mais c'est un assassin qui tue de sang-froid. Et là, il a clairement pris Camille en grippe.
Oui, franchement, je crois qu'il est le "méchant" le plus réussi auquel je me sois frottée sur PA : il est comme le vide quand on souffre de vertige, il inspire autant de répulsion que d'attraction.
Camille est vraiment un personnage fort. La façon dont elle se ressaisit et entend se venger, quitte à y laisser sa peau, ça m'a laissée pantoise. Je l'ai trouvée vraiment bouleversante dans ce chapitre, même si la fin me laisse présager le pire... ><' Je ne vois tout simplement pas comment l'histoire peut bien se terminer, maintenant. Je vois Joël ou Camille morts ou détruits psychologiquement, peut-être même les deux. En même temps, j'ai cette foutue lueur d'espoir qui me caractérise et je ne peux m'empêcher d'attendre le dénouement pour voir ce que tu nous réserves oO'
Le seul conseil que je te donnerais, si jamais tu souhaites un jour retoucher ce chapitre, c'est la scène où Joël retrouve Camille après la scène avec "le mort". Même si je sais à quel point il doit être sonné et maladroit face à cette nouvelle inattendue, je l'ai trouvé un petit peu léger par rapport au drame que vit Camille. Quand elle mentionne que son père a été assassiné, et n'est pas mort accidentellement, Joël aurait dû être, à mon avis, complètement soufflé par le choc, incrédule, épouvanté, mort d'inquiétude pour Camille. Là, son "je comprends" sonne un peu trop léger par rapport à l'ampleur du drame. Il digère un peu trop facilement cette donne. Heureusement, il ne la laisse finalement pas seule à gérer tout "ça", mais il est peut-être un peu trop effacé dans cette seconde partie du récit, où Camille et Michaël, très charismatiques, occupent presque toute la place.
Pour moi, il suffit juste de quelques retouches, des petits rajouts çà et là, et ce chapitre sera vraiment parfait. :o)
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Je m'excuse de t'avoir claquée de la sorte, Cricri... ^^" Je me doutais bien que ça te ferait un petit choc, mais à ce point... désolée, vraiment.. T_T *tend un carreau de chocolat noir* (comme quoi, je n'écris pas que du fleur bleu, hein, cette histoire est aussi classée drama... ^^").
Quant au véritable visage de Michaël... et bien, voilà, tu as été confrontée à son côté (très) cruel du gars qui ne pardonne pas d'être lâché par sa favorite. Et ce n'est que le début. Pour autant, Michaël ne perdra pas son charisme et ses réactions un peu contradictoires. Je me souviens d'un passage, dans la première version de Polichinelle, où Michaël tapotait avec amusement sur les cuisses d'une Camille assise, juste avant un (sanglant) affrontement ! x)
Pour Camille, ce chapitre (très important malgré tout) n'est qu'un prologue à ce qu'elle va devenir, plus tard, pour venger "le mort". Elle aussi aura sa part de cruauté, comme Michaël, qui reste un peu un modèle pour elle. Pour le dénouement... Et bien, oui, on est un peu dans le caca XD : Joël va apprendre que Camille est une Espionne, Michaël en veut à mort à Camille, Camille en veut à mort à Michaël, Michaël a 60 hommes à disposition et un poignard redoutable, Camille aucun, et Joël a un skate comme seul arme, donc oui, la dénouement ne sera peut-être pas rose...ou pas. Tu verras bien, Cricri, mais fais-moi juste confiance... (Il y a tout de même une deuxième partie prévue donc tous les espoirs sont permis...) :) (Enfin, je te relis et je me rends compte "détruit psychologiquement", oui, ça c'est possible... très possible pour Joël, en tout cas)
Pour finir, merci beaucoup pour ton conseil concernant Joël. On me l'avait déjà dit, il y a longtemps, pour le même personnage, dans la première version, mais pour une autre scène. C'est vrai que j'ai essayé de "travailler" correctement sur Camille, et que j'ai un peu délaissé Joël. Je retiens ta remarque et je ferai tout mon possible pour rectifier la donne lorsque je retravaillerai sur ce chapitre, et je ferai attention pour les prochaines fois. :)
Merci infiniment pour ton soutien, Cricri, qui me motive et me permet de rester sur les rails encore un peu. :)
Bisoudoux.